Le français québécois, pas pire qu’un autre
2024/04/15 Leave a comment
More on the controversy over tests from France vs Quebec (although not the most important issue, understand the sensitives):
Et rebelote : des internautes se moquent du parler québécois. Depuis mardi, sur X et sur TikTok, une vidéo du jeune Joël Legendre chantant à l’émission Soirée canadienne à la fin des années 1970 a été commentée par des centaines de personnes. La chanson qu’il interprète est tantôt appelée M’en revenant de Sainte-Hélène ou J’ai vu le loup, le renard, le lièvre. L’enfant d’alors mène de sa voix une foule animée, agissant comme un choeur en écho, qui bat des mains la mesure.
Dans les commentaires, certaines personnes défendent la langue bien de chez nous, pendant que d’autres la dénigrent sans gêne, allant jusqu’à nier que l’on parle vraiment français en ce coin d’Amérique du Nord. « Ma femme francophone (accent parisien parfait) rit chaque fois que les Québécois ouvrent la bouche. Ce n’est pas du français ! » écrit par exemple en anglais un utilisateur de X.
Ces réactions n’étonnent pas les linguistes à qui Le Devoir a parlé.
Si ce genre de diffusion en ligne fait rapidement boule de neige ici, c’est d’abord parce que les Québécois ont l’épiderme sensible sur la question linguistique. On a fait du progrès par rapport à notre insécurité linguistique, mais ce n’est pas fini, dit la linguiste Julie Auger. Elle cite comme exemple des personnes pour qui adopter les expressions propres aux Français est le gage d’une langue « plus correcte », quitte à embrasser leurs tics de langage. Un lecteur du Devoir suggérait notamment l’an dernier de remplacer le mot « faque » par « du coup » — ce qu’elle a trouvé « très ironique », se souvient-elle, puisque l’expression est moquée en France.
Quant à ceux qui voudraient ridiculiser la langue d’ici, leurs messages démontrent une idée préconçue et figée du français, disent ces linguistes qui s’affairent à la déconstruire.
« Pourquoi ne pas porter un autre regard sur la langue et en célébrer la diversité et l’adaptabilité ? » demande d’emblée celle qui est aussi professeure titulaire à l’Université de Montréal. « Je ne sais pas pourquoi les humains tiennent à se diviser en catégories et à dévaloriser les autres. »Variations sur un même thème
Déjà, le français hexagonal, qu’on prend souvent pour le « bon français », est récent. « On a parlé français ici, en Nouvelle-France, avant que la France dans son entièreté parle français. » À l’époque de la colonie française, au XVIIe siècle, ce n’est qu’autour de Paris et chez la noblesse qu’on parle le français, alors que le bourguignon domine en Bourgogne et le picard à Lille, donne-t-elle en exemple.
Il n’y a donc pas de langue unitaire et immuable, au contraire. « Ce qui est considéré comme le “bon français” varie énormément dans l’Histoire. […] On peut ne pas aimer tous les changements de la langue, mais si elle ne change pas, elle meurt », dit la spécialiste. Elle a d’ailleurs participé à un ouvrage collectif intitulé Le français va très bien, merci, qui cherchait à renverser cette vision voulant que le français se meure à cause d’Internet ou de l’influence de l’anglais.
« On revient toujours à cette question. On n’aurait pas le droit de parler une variété de français qui est différent et qui reflète notre histoire ? » analyse quant à lui Wim Remysen, professeur de linguistique à l’Université de Sherbrooke. Ce sont de « vieux discours dépassés » qui font complètement abstraction du phénomène de variation d’une langue, variations qui existent dans toutes les langues à travers le monde. « On ne demanderait pas à un Américain de parler le même anglais qu’un Britannique, ce n’est pas compliqué ! » ajoute-t-il.
Déjà, au XIXe siècle, il y a eu ce genre de débat autour du French Canadian patois, note-t-il. C’est toujours cette idée qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec le français parlé au Québec qui ressurgit, une idée qui a souvent servi à affaiblir ou à minimiser les revendications pour faire valoir nos droits linguistiques, note M. Remysen. « On a tort de vouloir stigmatiser ces particularités. Au contraire, c’est quelque chose qui fait partie de qui nous sommes. »
La langue française ferait particulièrement la belle part aux puristes, selon ces deux professeurs. « Dans le cas du français, c’est un discours particulièrement dominant parce qu’il a toujours eu une hypercentralisation de la norme », dit M. Remysen. Dans le cas de l’anglais et de l’espagnol, les anciennes colonies sont devenues plus importantes que la métropole, et « ce poids démographique a facilité un certain affranchissement ».Une question de registres
Au moment même où le premier ministre français, Gabriel Attal, est en visite officielle au Québec et sort sa rhétorique d’apparat, les deux experts appellent aussi à cesser de comparer « des pommes avec des oranges ».
Le réflexe de croire que « les Français ont plus de vocabulaire » vient souvent du fait que l’on compare les différents registres. « On pense au français des Têtes à claques, mais il faut aussi penser au français de Céline Galipeau. On a tendance à réduire […], mais le français québécois, c’est aussi cet éventail de formes », dit Mme Auger. « Il y a toujours eu une langue familière, la langue de tous les jours, et une langue standard. C’est notamment le rôle de l’école d’amener les enfants à maîtriser le mieux possible cette variété qui donne accès à toutes les professions. »
Il est bon de pouvoir communiquer avec les francophones ailleurs en francophonie et d’avoir accès à la littérature ; l’important est donc aussi de savoir passer d’un registre à l’autre en fonction de ses besoins et de la situation, note la linguiste.
Des internautes comme Stéphane Venne ne sont pas d’accord, et ils comptent bien le faire savoir. Il a partagé son point de vue sur les réseaux sociaux en tant que « simple citoyen », mais aussi en tant qu’auteur-compositeur qui a fait de la langue son matériau artistique. Il appelait ainsi à distinguer l’accent, la « dimension acoustique », de celle de la « compétence langagière », qui comprendrait la syntaxe, le vocabulaire et l’élocution.
Pour lui, les critiques à l’égard d’un accent — qu’il soit marseillais, normand, parisien ou québécois — sont « tout à fait ridicules ». Ce qui est « plus fondamental » est la maîtrise de la langue elle-même, poursuit-il au téléphone avec Le Devoir. « Si vous avez 60 mots à votre vocabulaire et qu’une autre collectivité en a 600, il y a un déficit », croit-il. Les Québécois parlent donc mal, selon lui ? « On n’a pas des siècles de culture et d’éducation. On est une jeune collectivité française qui a de l’avenir », se défend l’artiste. « La capacité des gens ordinaires en France, le sport du langage qu’ils maîtrisent, est de loin supérieure », affirme-t-il néanmoins.
Aucune étude ne montre cependant que la variation entre la langue familière et la langue soignée soit plus grande au Québec qu’en France. « On est plutôt dans le domaine des clichés et des stéréotypes », conclut M. Remysen, qui invite à célébrer notre langue variée.