Les experts avec un accent sont jugés moins crédibles
2023/05/10 Leave a comment
Interesting study:
Les accents étrangers influencent grandement l’opinion qu’on se fait des nouveaux arrivants et des experts, suggèrent les résultats d’une nouvelle étude. Le fait d’avoir un accent et d’être issu d’une minorité visible « entrave » la possibilité d’être perçu comme légitime, digne de confiance ou même crédible.
Cette étude confirme ainsi d’autres études au Québec sur les barrières à l’emploi et sur la « glottophobie », une forme de discrimination linguistique qui inclut l’accent. Il est déjà connu que la couleur de peau, la religion ou le genre des experts influencent l’opinion qu’on s’en fait. Cette fois, « le point de départ est la discrimination basée sur l’accent », précise le professeur Antoine Bilodeau. Il a notamment mené cette enquête avec son équipe de l’Université Concordia et en présentera les conclusions au congrès de l’Acfas cette semaine.
« On connaît bien le concept de minorité visible, mais beaucoup moins les minorités audibles », affirme ce spécialiste en science politique et en intégration des immigrants. Les résultats actuels montrent que le fait d’avoir un accent étranger, combiné ou non avec le fait d’être racisé, « entrave la possibilité » d’être perçu comme un expert légitime, digne de confiance et même crédible.
Les chercheurs ont demandé à 1200 personnes dans chacune des provinces d’évaluer la crédibilité d’un expert à partir d’une photo et d’un enregistrement audio. L’effet de l’accent est indéniable dans tous les cas de figure soumis au sondage, mais il n’est pas le même au Québec qu’en Ontario.
Chaque répondant au sondage ne voyait qu’une vignette, soit un homme blanc ou noir, puis entendait cette personne parler une seule fois des changements climatiques et de la taxe sur le carbone. Au Québec, cette voix avait soit un accent québécois, ou un accent de type Europe de l’Est ou encore de l’Afrique de l’Ouest (du Togo). En Ontario, c’était plutôt un accent anglophone assez neutre, puis les mêmes accents étrangers.
Ni la « provenance » de l’accent, ni le but de l’évaluation, n’étaient révélés au répondant, précise M. Bilodeau, « puisqu’on voulait que les gens interprètent eux-mêmes cet accent ». On demandait ensuite de juger la crédibilité de l’expert sous plusieurs angles : l’éloquence de son message, sa compétence et son professionnalisme. « Est-il convaincant ? Est-il digne de confiance ? », exemplifie aussi le professeurDépend de la conception du « nous »
Au Québec, l’effet de l’accent étranger était plus grand pour la personne non racisée. En Ontario, il était plus « punitif » chez l’expert racisé. « C’est peut-être là, la spécificité québécoise : la langue est tellement centrale que dès qu’on voit une personne blanche on s’attend à ce qu’elle ait le même accent », avance M. Bilodeau.
Il existe ainsi un « effet de surprise » qui contredit cette attente et affecte négativement la perception. Inversement, l’expert racisé avec un accent québécois est celui qui obtient le score le plus haut en termes de crédibilité.
Une minorité visible qui a ou adopte l’accent local est en quelque sorte « récompensée », selon ces résultats. « C’est comme si le fait qu’il ait un accent de la majorité [québécoise] venait désamorcer une anticipation de distance. Ça rapproche tout à coup le répondant de l’expert en train de parler », propose comme hypothèse le chercheur.
« Est-ce que c’est suffisant de parler français, ou faut-il le parler de la “bonne manière” pour faire vraiment partie du groupe ? », réfléchit M. Bilodeau.
L’étude allait justement plus loin pour mieux comprendre la réaction des répondants, selon leur propre conception de ce qui forme leur groupe d’appartenance. Il y avait ainsi une série de questions sur les critères importants pour être un « vrai Québécois » ou un « vrai Ontarien » : doit-on être né dans la province, avoir passé la majorité de sa vie dans la province, être blanc, être chrétien, se sentir Québécois ou Ontarien, respecter les lois, etc.
Ceux qui avaient une conception qui exclut davantage de gens sont réagissaient aussi le plus fortement à l’accent chez l’expert blanc au Québec.Une forme trop socialement acceptable
« L’accent, on n’y pense pas ou on en parle moins », abonde en ce sens Victor Armony, professeur de sociologie à l’UQAM. Dans une étude qu’il a menée à l’Observatoire sur les inégalités raciales au Québec, l’accent figure pourtant au deuxième rang des raisons de discrimination citées par les répondants.
« Je partais d’une sorte d’énigme », décrit-il. Chez plusieurs populations, il persiste des écarts importants de revenus ou de postes pour les mêmes qualifications, même si elles ne sont pas des cibles « directes ou ouvertes » de racisme.
Il donne l’exemple des Latino-Américains : « Il y a parfois des préjugés favorables envers les latinos. On nous trouve chaleureux, on apporte une cuisine, une musique, la joie de vivre, etc. L’autre côté de la médaille : on n’est pas toujours pris au sérieux au niveau intellectuel ou professionnel », explique le chercheur.
Une personne qualifiée, avec un diplôme, « qui fait des efforts considérables pour parler français » et reçue sans hostilité préalable peut tout de même être dévalorisée en raison de son accent.
« C’est l’accent qui fait en sorte que le message devient irrecevable, moins intéressant et parfois laissé de côté », résume-t-il. Arrivé d’Argentine il y a plus de 30 ans, M. Armony l’a lui-même vécu. « C’est le regard moqueur, impatient, méprisant de l’autre qui finit par avoir un impact sur l’assurance, sur l’estime de soi ou dans le goût de s’exposer devant les autres même quand j’ai quelque chose à dire. Alors on finit par se taire et rester à sa place », explique l’homme.
La discrimination linguistique, notamment basée sur l’accent, aussi appelée « glottophobie » est plus insidieuse. « Socialement, la glottophobie n’est pas reconnue comme une discrimination. Alors elle peut servir de prétexte ou d’écran pour cacher une autre forme de discrimination socialement inacceptée », décrit quant à lui le sociologue Christian Bergeron.
À l’instar d’Antoine Bilodeau, mais dans un domaine différent, il note lui aussi une attitude différente selon la perception de soi-même : « Plus un locuteur pense détenir la norme, c’est-à-dire la bonne manière de s’exprimer en français, plus il a tendance à rejeter les autres manières de s’exprimer et parfois même à discriminerl’autre », dit ce professeur à l’Université d’Ottawa.
Plus sournoise ou moins affichée, elle peut néanmoins devenir une barrière réelle à l’emploi, rappelle M. Armony. « On va invoquer par exemple l’idée qu’on a besoin d’une personne qui a “un français parfait”, mais alors on confond la grammaire et la qualité du français du point de vue de l’accent », rapporte-t-il.
La Charte des droits et libertés de la personne du Québec ne nomme pas explicitement l’accent, mais plutôt la langue. Il est toutefois interdit de traiter différemment une personne ou d’avoir des comportements offensants et répétés à son égard en raison de son accent, indique la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec.
La France est allée plus loin en 2020, en adoptant une loi qui punit la discrimination fondée sur l’accent avec des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende. « Les minorités “audibles” sont les grandes oubliées du contrat social fondé sur l’égalité », avait alors déclaré l’instigateur du projet de loi, le député Christophe Euzet, lui-même d’une région de France connue pour ses sonorités différentes de celles de Paris.
Source: Les experts avec un accent sont jugés moins crédibles