IYMI: La diversité mise au ban de la magistrature québécoise
2023/05/30 Leave a comment
Contrast between federal and provincial appointments of note:
Depuis l’arrivée de la Coalition avenir Québec au pouvoir en 2018, trois juges issus de « communautés culturelles » ont été nommés à la Cour du Québec sur un total de 63 nominations, révèle une compilation du Devoir. Même si ces données montrent une tendance légèrement à la baisse, le cabinet du ministre de la Justice se dit « très sensible à cette préoccupation ».
Quatre membres des communautés culturelles ont accédé à la fonction de juge en 2016-2017, la première année pour laquelle des données étaient disponibles. Mais depuis, leur nombre a chuté : il a atteint, au maximum, le chiffre de deux en 2020-2021. En 2019-2020 et 2021-2022, aucun juge issu de la diversité ne figurait parmi les 23 nominations à la Cour du Québec.
Au total, depuis l’élection du gouvernement Legault en octobre 2018, moins de 5 % des nominations du ministre de la Justice ont permis à des membres des communautés culturelles d’accéder aux plus hautes fonctions de la Cour du Québec.
Il est difficile, cependant, « d’établir avec certitude le nombre de juges ou candidats issus de la diversité », souligne le cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Comme le relève également Martine L. Tremblay, juge en chef adjointe de la Cour du Québec (chambre civile), l’appartenance à ces communautés fait l’objet d’autodéclaration. « Par conséquent, ces données ne peuvent être considérées comme entièrement fiables », fait valoir le cabinet.
La juge Tremblay se questionne aussi sur la notion de communauté culturelle, soit l’attribut de la case à sélectionner lors des candidatures. « Est-ce que ce sont les immigrants de première génération, est-ce que ce sont les Juifs, est-ce que ce sont les anglophones ? La juge Peggy Corbel Warolin, en Abitibi, est très fière de dire qu’elle est Belge et la juge Hermina Popescu, dans l’Est-du-Québec, est très fière de dire qu’elle est d’origine roumaine. Et quand vous parlez à la juge Popescu, l’accent est notoire », explique la magistrate lors d’un entretien téléphonique avec Le Devoir.
Cette définition fait aussi débat au sein même des comités de sélection. « J’ai eu une situation où la personne était une immigrante caucasienne et réclamait le statut de communauté culturelle », relate-t-elle. « La personne du comité de sélection, elle-même issue d’une communauté culturelle, disait : “Voyons donc ! Elle ne peut pas être victime de discrimination” ».
Selon le décompte de la juge Tremblay, 33 des 289 juges en poste à la Cour du Québec représentent la « diversité culturelle ». Cette diversité « n’est peut-être pas noire, n’est peut-être pas racialisée, mais 33 juges sur 289, ce n’est quand même pas rien », souligne-t-elle. Selon elle, la magistrature doit refléter la société. « Mais quand on est juge, on doit être impartial et neutre. »
Un « déficit »
Les candidats à la fonction de juge à la Cour du Québec sont d’abord identifiés par un comité de sélection, qui fournit ensuite trois noms au ministre de la Justice afin que celui-ci recommande un candidat au conseil des ministres.
Cette procédure est inscrite dans le règlement sur la sélection des candidats au poste de juge, en révision à Québec. Celui-ci prévoit que les membres des comités de sélection reçoivent des formations pour être « sensibilisés à l’objectif de favoriser la parité […] ainsi que la représentation des communautés culturelles au sein de la magistrature ».
« [Mais] on est d’accord là, ce n’est pas d’un Noir dont vous avez besoin, c’est d’un juge, soutient la juge Tremblay. Par contre, à qualité égale, on doit être sensible à la nécessité d’avoir des avocats noirs, innus ou asiatiques » parmi les juges sélectionnés.
De l’avis du juge suppléant Daniel Dortélus, le règlement ne prévoit tout de même pas de « disposition concrète pour faire une place à la diversité » chez les juges.
En mars 2022, le magistrat — qui est Noir — avait transmis une lettre au ministre de la Justice afin qu’il comble le « déficit » en matière de diversité à la magistrature. Il y déplorait qu’après des décennies de représentations, l’enjeu « demeure toujours d’actualité en 2022 ».
En 2020, par exemple, il écrivait aux juges en chef de la Cour du Québec souhaiter que « le vent d’ouverture » dont témoignait la nomination de huit femmes par Ottawa à la magistrature de l’Ontario, dont plusieurs minorités visibles, « atteigne le Québec ».
Selon les données compilées par Le Devoir, les nominations de personnes issues des communautés culturelles sont généralement plus nombreuses au fédéral. Par exemple, l’an dernier, plus du cinquième des juges nommés aux cours supérieures (13 des 58 nominations) s’auto-identifiaient comme « minorités visibles ».
Le gouvernement de Justin Trudeau a par ailleurs nommé deux juges issus de la diversité à la Cour suprême, soit le premier juge non blanc, Mahmud Jamal, en 2021 et la première juge autochtone, Michelle O’Bonsawin, l’été dernier.
Dans un échange de courriels avec Le Devoir, le juge Dortélus propose que le règlement sur la sélection des candidats au poste de juge à la Cour du Québec soit modifié pour « qu’un ou les deux membres représentant le public [dans le comité de sélection] soient issus des groupes minoritaires et racisés, qui demeurent sous-représentés à la limite de l’exclusion en 2023 ».
Il ajoute que sans la diversification des comités, « le cercle vicieux d’exclusion des avocates et avocats issus des groupes minoritaires va continuer, en dépit des principes du droit à l’égalité ».
Un problème partagé
Selon la juge Tremblay, le manque de diversité au sein de la magistrature est le reflet de celui des universités et du Barreau. « Il faudrait d’abord qu’ils fassent des études de droit, c’est là qu’est le nerf de la guerre. Après, il faudrait qu’ils restent au sein de la profession pendant au moins dix ans », dit-elle.
Dix pour cent des membres du Barreau du Québec étaient Autochtones ou identifiés à un « groupe ethnoculturel » en 2020-2021. Le Barreau-mètre 2022, qui dresse le portrait de la profession en statistiques, souligne que la proportion d’avocats qui s’auto-identifient à un groupe minoritaire (y compris les minorités sexuelles et en situation de handicap) est passée de 8 % en 2014-2015 à 13 % en 2020-2021.
Or l’attachée de presse du ministre Jolin-Barrette, Élisabeth Gosselin, souligne que « peu d’avocats issus de la diversité soumettent leur candidature à la magistrature ». Le Barreau de Montréal a d’ailleurs mis sur pied un comité pour se pencher sur les questions de manque de diversité. « Nous suivons ces travaux de près », assure Mme Gosselin.
Source: La diversité mise au ban de la magistrature québécoise