Expliquer le racisme, ce n’est pas culpabiliser les Blancs: Réplique à Lisée

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Dans sa chronique de mercredi, « Les boomers, ces racistes ! », Jean-François Lisée critique une vidéo éducative dont je suis l’auteur, intitulée Racisme, ses origines, son histoire et lue par le professeur Laurent Turcot.

Selon le chroniqueur, ma vidéo nous apprend que « ce n’est qu’en Occident qu’on “retrouve une discrimination parfaitement assumée” ». Voici l’extrait complet : « Naturellement, le racisme n’est pas exclusif aux Blancs ou encore au monde occidental, mais c’est seulement en Occident qu’on va retrouver le paradoxe de sociétés supposément égalitaires et où on retrouve également une discrimination parfaitement assumée. »

Cet extrait, qu’on entend dans la première minute de la vidéo, infirme les intentions que me prête le chroniqueur, qui m’accuse de véhiculer une « fausseté historique ». Je n’ai jamais prétendu que le racisme était exclusif à l’Occident. J’affirme même le contraire dans cette phrase qui n’est citée qu’à moitié. Par contre, il est vrai que ce n’est qu’en Occident qu’on maintenait l’institution de l’esclavage tout en prétendant que « tous les hommes naissent libres et égaux ». Les pays africains ou arabes où se pratiquait l’esclavage ne prétendaient pas partager ces idéaux universels.

Le chroniqueur poursuit : « D’ailleurs, “il faut attendre que les Européens découvrent l’Afrique noire pour qu’on puisse commencer à parler de racisme comme on l’entend aujourd’hui”. » Voilà une autre phrase citée hors contexte et vidée de son sens. Cet extrait de la vidéo explique qu’avant la Renaissance, la discrimination oppose des Blancs à d’autres Blancs — les Slaves réduits en esclavage par l’empire germanique, par exemple. Ce n’est qu’avec l’exploration de l’Afrique subsaharienne et le début du commerce des esclaves qui s’ensuit que commence l’association entre peau noire et servilité. L’objectif de la vidéo est d’expliquer comment le racisme en Occident a évolué au fil des siècles et non pas de pointer les Blancs du doigt.

Selon M. Lisée, « les jeunes sortant de ce visionnement seraient choqués d’apprendre que l’esclavage a été présent sur tous les continents, que les Africains le pratiquaient entre eux avant l’arrivée des Blancs, que les Autochtones d’Amérique le pratiquaient entre eux avant l’arrivée des colons européens ». Les jeunes seraient choqués d’apprendre cela uniquement si les enseignants d’éthique et culture religieuse se contentaient de laisser cette vidéo donner le cours pour eux. Pour avoir participé à la formation de plusieurs cohortes de futurs enseignants, j’ose croire que ce n’est pas le cas.

Dernier reproche que m’adresse le chroniqueur : « Pas un mot non plus sur le fait que les Québécois francophones furent victimes de racisme, ou du moins de discrimination linguistique. » La vidéo vise un large public et ne s’adresse pas spécialement aux élèves québécois. Mon objectif était de résumer en 20 minutes l’histoire du racisme en Occident. J’ai donc dû faire des choix. Pourquoi parler des Québécois plutôt que des Bretons, des Catalans ou de n’importe quelle autre minorité linguistique ? Lorsqu’on parle du racisme au XXe siècle en Occident, il me semble plus parlant de décrire l’antisémitisme allemand, la ségrégation américaine et l’apartheid sud-africain.

La critique de M. Lisée repose sur les intentions qu’il nous prête, à moi et à l’enseignante citée dans sa chronique : culpabiliser les Blancs en général et les Québécois en particulier. C’est un réflexe hélas répandu chez certains nationalistes, qui se placent sur la défensive dès qu’on leur parle de racisme. Si on n’affirme pas en caractères gras qu’il s’est fait pire ailleurs, que le racisme existe aussi au Canada anglais, que Montréal n’est pas Detroit et que la Nouvelle-France n’était pas la Nouvelle-Espagne, on nous reproche de faire le procès du Québec. Et une vidéo éducative se fait accuser d’être de la propagande alors qu’elle cherche seulement à expliquer et à faire réfléchir.

Jean-François Lisée a bien raison d’estimer que ma vidéo ne suffit pas à faire comprendre « la réalité du racisme et de l’antiracisme au Québec ». Je ne prétends pas le contraire, puisque tel n’a jamais été mon objectif. Je regrette toutefois de voir mon travail être considéré comme faisant partie de « la bouillie mensongère et culpabilisatrice » dénoncée par le chroniqueur.

Réplique du chroniqueur

Cher Alexandre Dumas,
D’abord, encore bravo pour vos récents ouvrages sur l’époque duplessiste. Je ne vous tiens évidemment pas pour responsable des lamentables propos tenus dans le reste du cours, mais permettez-moi d’insister : il est faux d’affirmer, comme vous le faites dans cette vidéo, que la discrimination sur la base de distinctions raciales est née avec le trafic occidental d’esclaves noirs. L’esclavage des Vietnamiens par les Chinois est vieux de 2000 ans, celui de Blancs européens par l’Empire musulman y est également antérieur et « parfaitement assumé ». Il n’est par ailleurs pas question d’être, comme vous le dites, à l’offensive ou sur la défensive sur la question du racisme et de l’esclavage, mais de respecter la réalité historique et de reconnaître à la fois la cruauté du racisme, la bravoure de ceux qui l’ont fait reculer et les réels progrès. Ainsi, j’ai été peiné de constater que vous attribuez les grandes avancées antiracistes états-uniennes des années 1960 à des impératifs de politique africaine de Washington plutôt qu’au colossal travail de Martin Luther King et des Noirs américains appuyés par un grand nombre de Blancs, dont plusieurs juifs, qui ont mis leur vie en danger pour cette cause.

Bien cordialement,
Jean-François Lisée

Source: Expliquer le racisme, ce n’est pas culpabiliser les Blancs

About Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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