Nadeau: Les ballons de l’immigration
2023/02/21 Leave a comment
A reminder from Quebec service provider organizations that the provincial government has failed to act in terms of settlement services and in its public messaging blaming the federal government:
Cela fait plus d’une semaine, mais Mary Claire ne décolère pas. « Lorsque je vais m’être calmée, je vais appeler Denis. Je vais l’appeler, certain ! » Denis qui ? Trudel. Le député du coin, élu sous la bannière du Bloc québécois.
« Quand j’ai vu la publicité du Bloc, qui dit que c’est comme un “tout-inclus” pour les immigrants au Québec maintenant, j’avais envie de leur dire de commencer par venir voir c’est quoi, les conditions réelles de ces gens-là, avant de dire n’importe quoi ! C’est pas un “tout-inclus” pantoute ! Ça n’a pas d’allure de dire ça ! »
Sur la Rive-Sud dans la région de Montréal, Mary Claire Macleod dirige L’Entraide chez nous. Aucune demi-coquille de noix de coco, remplie à ras bord de piña colada, ne traîne dans ses locaux. À midi, une poignée de bénévoles et de permanents mangent leurs sandwiches. Ils attendent qu’arrive, sur le coup de 13 h, un lot de nécessiteux, comme on disait autrefois.
L’Entraide chez nous est installé dans le sous-sol d’une église plantée au milieu d’un quartier défavorisé, comme on dit aujourd’hui pour éviter d’être confronté au sens des mots pauvreté et inégalité. L’organisme a été fondé en 1970 par Mme Robidoux. Elle avait accouché de vingt-trois enfants, Mme Robidoux. Vingt-trois. Elle éprouvait la fragilité de son milieu. Un milieu laissé à lui-même, avec pour seule promesse d’avenir son lot de misères. C’était à l’heure où Robert Bourassa, nouveau premier ministre, se gargarisait de projets de béton et d’acier, au nom d’une modernité dont le monde d’en bas était exclu d’emblée. Bourassa est passé. La misère du quartier est restée.
Yvane Fournier et Diane Roberge distribuent du pain, des fruits, des légumes, de la viande congelée. Ça fait trente ans qu’elles travaillent là. « C’est pire que jamais », dit Yvane.
Ces bénévoles gardent leur téléphone portable à portée de main. Ils l’utilisent à tout moment pour traduire, en espagnol, quelques mots de français. « Le plus dur est de voir des hommes à mon bureau se mettre à pleurer. Ce sont eux qui craquent le plus, on dirait. Ils sont à bout », dit Mary Claire Macleod d’un air dépité.
« Les familles de nouveaux arrivants se retrouvent à devoir vivre les unes avec les autres », explique Lydie, une des responsables de l’accueil. Elle me parle de six adultes, forcés de vivre dans un 5 ½, avec une dizaine d’enfants. « Ils n’ont même pas de matelas pour tout le monde. »
Pour obtenir de quoi manger, il faut présenter sa carte. Les habitués de L’Entraide, avant, l’appelaient « la carte pain ». Cela dit bien le degré de précarité dont témoigne ce bout de carton plastifié.
« Avant, on offrait environ mille services de dépannage par an. Là, en moins de six mois, on en a déjà offert plus que ça », expose Mary Claire. Ce n’est pourtant pas la première fois que la situation est difficile. En 2001, après les attentats aux États-Unis, il y avait eu un afflux de demandes, se souvient-elle. En 2008 aussi, avec la crise financière. Et de nouveau en 2010, avec le tremblement de terre en Haïti. En 2017, pour aider les demandeurs d’asile, le Stade olympique avait été réquisitionné. Mais là, le soutien venu d’en haut fait défaut. Les organismes d’aide sont laissés à eux-mêmes. « En plus, la boîte de tomates coupées en dés que je payais 99 ¢ coûte maintenant le double. »
Pour Eva Gracia-Turgeon, coordonnatrice de Foyer du monde, un centre d’hébergement pour familles demandeuses d’asile, le gouvernement de la CAQ réussit un exploit en matière de communication politique. « La CAQ projette l’illusion que cette situation chaotique dépend entièrement du gouvernement fédéral. Beaucoup de gens achètent ça. Pourtant, c’est faux ! En fait, il faut savoir que, depuis la réouverture des frontières après la pandémie, le provincial n’a pas revu les services. Si ça va mal, c’est beaucoup par sa faute. C’est un gros shitshow. »
En principe, les demandeurs d’asile sont pris en charge par les services québécois du PRAIDA, un programme provincial remboursé par Ottawa. Ses assises remontent à 1956. En 2021, le bel édifice historique qu’occupaient les bureaux du PRAIDA, rue Saint-Denis, a été vidé. N’aurait-il pas pu servir encore, en ces temps où tout déborde ?
Durant la pandémie, le nombre de places d’hébergements du PRAIDA a été réduit, en raison de la fermeture temporaire des frontières. Les places n’ont pourtant pas augmenté depuis, même si tout est redevenu comme avant. Des dix sites d’hébergement, il n’en reste plus que deux, soit 1150 places au total. Ce qui est largement insuffisant. Des hôtels, que le fédéral utilisait pour des quarantaines, sont désormais réquisitionnés pour héberger les migrants, dans des conditions qui laissent beaucoup à désirer. On est loin de Playa del Carmen. « C’est le fédéral qui ramasse les pots cassés, parce que l’administration du PRAIDA ne relève pas de lui », explique Eva Gracia-Turgeon.
« Ça arrange Québec de ne pas bouger », dit Eva. « Ça donne l’impression que, par la seule faute d’Ottawa, nous n’avons pas la capacité de nous occuper de ces gens. Ce n’est pas vrai ! Si ça ne fonctionne pas en ce moment, c’est beaucoup parce que le gouvernement du Québec ne fait rien, qu’il laisse les groupes communautaires s’arranger tout seul, qu’il s’en lave les mains, tout en accusant le fédéral. » Personne ne penserait pour autant donner une médaille du mérite au fédéral.
Pendant ce temps, nos bretteurs aux épées de fer-blanc, ceux qui tiennent des propos incendiaires à propos des immigrants, ont trouvé là des cibles commodes et faciles. Hormis un temps d’arrêt pour considérer quelques ballons chinois, toute leur attention est pointée vers ces boucs émissaires, au nom d’une rhétorique identitaire. Au point de détourner l’attention publique de problèmes pourtant importants. C’est à se demander si nos vaillants tigres de papier, obnubilés par ce seul sujet, ne trouveraient pas le moyen de nous gonfler d’autres ballons si les migrants n’existaient pas. D’ailleurs, n’est-ce pas un peu ce qu’ils font déjà, en nous en parlant tout le temps ?