Dutrisac: Visas et immigration: y a-t-il un ministre responsable?

Bonne question? Malheureusement, trop d’exemples:

À la fin août de 2022, le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, donnait l’assurance que les inacceptables délais pour la délivrance d’un visa de visiteur au Canada seraient considérablement réduits à compter d’octobre de la même année.

Le ministre faisait valoir que son ministère, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), embaucherait 1250 nouveaux fonctionnaires afin de régler « d’ici la fin de l’année » les importants arriérés dans la production de visas et de documents relatifs à des demandes d’immigration.

Or, comme l’a rapporté Le Devoir la semaine dernière, les délais pour obtenir un visa n’ont pas diminué ; bien au contraire, ils ont explosé. Entre l’engagement du ministre Fraser et janvier 2023, les délais, tels qu’ils ont été rendus publics par IRCC, se sont allongés pour 179 des 195 pays dont les citoyens doivent se munir d’un visa pour entrer au Canada. Et l’attente est franchement surréaliste. Quelques exemples : un an et demi pour la Tanzanie, au lieu de 64 jours l’été dernier, quelque 500 jours pour le Honduras ou le Nicaragua, alors que l’attente oscillait autour de 80 jours. Rappelons que le délai normal pour la délivrance d’un visa de visiteur par IRCC est de 14 jours.

Les explications du ministère ne sont pas des plus limpides : les fonctionnaires traitent des arriérés qui existent depuis longtemps. Une part de ces phénoménaux arriérés a été constituée pendant la pandémie. Le délai par pays, tel qu’il est affiché sur le site du ministère, dépend du temps qu’il a fallu pour traiter 80 % des demandes dans un intervalle de deux à quatre mois. IRCC a prévenu Le Devoir que ses chiffres « peuvent être faussés par des valeurs aberrantes ». Pas étonnant que des avocats qui assistent des étrangers dans leur démarche se plaignent du manque de fiabilité du tableau colligé par le ministère. Quelles que soient les justifications d’Ottawa, ces délais, tout en reposant sur des données douteuses, sont inadmissibles.

Selon le cabinet du ministre, bien que les chiffres se détériorent, les choses s’améliorent ; la capacité de traitement d’IRCC est passée de 180 000 demandes de visas par mois avant la pandémie à 260 000 en novembre dernier.

Sean Fraser est à la tête d’un ministère dysfonctionnel. À l’heure actuelle, il y a plus de 2 millions de demandes de tout ordre en attente au ministère, que ce soit pour des permis de travail, l’octroi de la résidence permanente, des décisions relatives aux demandeurs d’asile et à leur statut de réfugié, les demandes de visas, etc.

Selon une note de service interne d’IRCC, datée du début de décembre, dont le Globe and Mail a obtenu copie, le ministère est prêt à prendre des mesures draconiennes pour se sortir de ce magma kafkaïen où croupissent plus de 700 000 demandes de visas. Selon une des options envisagées, des exigences d’admissibilité tomberaient : le demandeur n’aurait plus à convaincre un agent d’immigration qu’il retournera dans son pays après son séjour (occuper un emploi, posséder une propriété ou des actifs financiers et avoir de la famille dans son pays d’origine) ni à en fournir des preuves. Seule la vérification relative à la sécurité et à l’absence de casier judiciaire demeurerait. Pour se sortir la tête de l’eau, le ministère est prêt à renoncer à assumer ses responsabilités. C’est tout un aveu d’incurie.

Cette négligence n’est pas sans conséquences. On peut penser aux pertes économiques que subit l’industrie touristique. Mais là n’est pas le plus important. Des milliers d’immigrants ne peuvent pas recevoir la visite de leurs proches restés dans leur pays d’origine. Ou s’ils y arrivent, c’est après des mois et des mois de retard et d’incertitude. Pour un pays qui se veut un modèle d’accueil pour ses immigrants, ce laxisme administratif envoie un mauvais message et nuit à sa réputation sur la scène internationale.

Les échanges culturels sont perturbés, tout comme les rencontres internationales qui se déroulent au Québec. Les conférences et colloques universitaires, qui comptent sur la présence de sommités en provenance de l’étranger, en pâtissent. Comme l’a rapporté Le Devoir, une conférence, organisée par l’Université de Montréal et, de surcroît, subventionnée par le gouvernement fédéral, pourrait être reportée parce que des chercheurs invités ne peuvent obtenir leur visa en temps utile. L’organisateur désespère de voir débarquer à Montréal des experts du Sénégal, du Maroc et du Cameroun. Pour un citoyen sénégalais, le temps d’attente est de 462 jours, confirme IRCC. La situation affecte non seulement les activités de recherche, mais aussi le rayonnement international de l’Université de Montréal, qui se veut l’université francophone la plus influente au monde.

Il existe un principe nommé responsabilité ministérielle : un ministre doit répondre de ses actions (ou de son inaction), mais aussi de celles de ses fonctionnaires. C’est un principe qu’on aurait avantage à se rappeler à Ottawa.

Source: Visas et immigration: y a-t-il un ministre responsable?

Quebec commentaries on the Elghawaby Islamophobia appointment

Le Devoir had three commentaries on the appointment, highlighting how this appointment and her comments on Bill 21 and anti-Muslim sentiment have resulted in a “cue the outrage” response, even if her comments were in line with what other commentators and public figures have and continue to state.

Some go beyond the Quebec aspect in highlighting her tweet on Joseph Heath’s critique of the American term BIPOC in favour of FIVM (Francophone, Indigenous and Visible minorities) which reflects the Canadian reality better (Elghawaby stated “I’m going to puke“).

Interestingly, there has also been some pushback by members of the Iranian Canadian community, partly driven by their visceral reaction to the hijab, given that the Iranian regime forced it on women and the recent protests against the mandatory hijab and regime. Kaveh Shirooz has been active on twitter pointing out that Elghawaby has argued that “People who are angry with the government in Iran are taking it out on Canadian citizens that are Muslims here,” rather than criticizing the Iranian regime for its repression (Google search does not show any other commentary on the Iran protests unless I missed it).

I suspect that her appointment may be more divisive within the Canadian Muslim community than might first meet the eye, between the more secular and more religious.

Will be interesting to see whether these reactions continue or fade out:

Kaveh Shahrooz کاوه شهروز  @kshahrooz4d

.@HonAhmedHussen: in 2021, I told the CBC that we need to distinguish between anti-Muslim hatred [obviously bad] and opposition to Islam as an ideology [which is everyone’s right]. This was Ms. @AmiraElghawaby‘s reply. Will she make that distinction in her new role? twitter.com/HonAhmedHussen…

.@HonAhmedHussen I note that as people were (and continue to be) slaughtered in Iran for the right to live free of religion, this was Ms. @AmiraElghawaby ‘s contribution. I’ve been close the protests in the diaspora: to suggest that targetting Muslims represents anything but the absolute most minor fringe in these protests is absolutely dishonest. And yet that’s what Ms. Elghawaby chose to focus on. This was a poor choice, Minister.

Lisée: “I want to puke”

Elle m’a eu au mot « vomir ». En anglais, puke. Je parle d’Amira Elghawaby, la nouvelle conseillère spéciale de Justin Trudeau en matière d’islamophobie et d’antiracisme. C’était il y a huit mois. Le Globe and Mail avait mis sur son fil Twitter le texte d’opinion d’un professeur de philosophie de l’Université de Toronto, Joseph Heath, affirmant que les concepts utilisés par les militants antiracistes canadiens, importés des États-Unis, ne pouvaient s’appliquer correctement à l’histoire canadienne du racisme.

Mme Elghawaby a commenté le tweet, choisissant et retranscrivant spécifiquement le passage qui suit : « Enfin, il convient de noter que le plus grand groupe de personnes dans ce pays qui ont été victimes du colonialisme britannique, subjugué et incorporé à la confédération par la force, sont les Canadiens français. » Au-dessus de cette citation, la militante a écrit : « I’m going to puke » (« Je vais vomir »).

Croyez-moi, j’ai tenté de trouver une autre explication. Mais la seule qui s’impose est la suivante. Mme Elghawaby était à ce point outrée que quelqu’un rappelle qu’en nombre, sinon en intensité, les francophones ont été les plus grandes victimes du colonialisme que sa réaction ne fut ni de contre-argumenter, ni d’affirmer Lison désaccord, ni d’ignorer simplement ce point de vue. Non. Elle a souhaité que tous ses abonnés sachent que la seule évocation de l’importance de l’oppression vécue par les Canadiens français lui causait une violente réaction, physique — au sens propre, « viscérale » — de rejet.

Justin Trudeau, qui était fier de présenter sa nouvelle recrue dimanche à la commémoration de l’horrible tuerie de la mosquée de Québec il y a six ans, a déclaré qu’elle était la personne choisie pour « bâtir des ponts avec les Québécois et les autres Canadiens ». Si c’est vrai, on aimerait avoir la liste de ceux qui n’ont pas été retenus. Don Cherry ? Amir Attaran ?

Pablo Rodriguez qui est, comme l’a dit récemment M. Trudeau au sujet d’un autre de ses ministres, un « bon Québécois », s’est déclaré « profondément insulté et profondément blessé » par un autre propos formulé par écrit par Mme Elghawaby. En effet, dans un texte, toujours en ligne, dans l’Ottawa Citizen, cosigné par l’ex-président de la section ontarienne du Congrès juif canadien Bernie Farber et s’opposant à la loi 21, on lit : « Malheureusement, la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par des opinions négatives envers l’islam. Un sondage réalisé par Léger Marketing plus tôt cette année a révélé que 88 % des Québécois qui avaient des opinions négatives sur l’islam appuyaient l’interdiction. » (Je dois avouer que j’ai moi-même des opinions négatives envers le christianisme, l’islam et toutes les autres religions.)

Cela voulait-il dire que Mme Elghawaby estimait que les Québécois sont islamophobes, selon le mot désormais accepté à Ottawa et qui signifie à la fois sentiment anti-musulman et toute critique de l’islam, quelle qu’elle soit ? Mais non ! Qu’allez-vous chercher là ? Sur son fil Twitter, la dame nous a rassurés vendredi dernier : « Je ne crois pas que les Québécois sont islamophobes ; mes commentaires passés faisaient référence à un sondage au sujet de la loi 21. » Affirme-t-elle maintenant que ce sondage était fautif ? A-t-elle de nouvelles données ?

Si elle s’est trompée dans ce texte, elle a récidivé dans un autre, de 2020, du Toronto Star. Après avoir cité un membre de la communauté musulmane de Québec, Rachid Rafah, affirmant qu’« au Québec, les gens ne peuvent pas admettre qu’il y a des problèmes dans cette société. Je ne sais pas pourquoi ». Elle ajoute : « Il n’y a pas que la plupart des Québécois qui sont dans le déni », trop de Canadiens le sont aussi.

Si on prend le temps de lire ses écrits un peu plus vieux, on ne peut que déceler une constante dans son appréciation des Québécois, superbement étalée dans ce texte de 2013 du Star sur la charte des valeurs. Elle cite d’abord le livre A Fair Country, de John Ralston Saul : « Dans tout le monde occidental dans la seconde moitié du XIXe siècle, les civilisations de la classe moyenne, enchaînées et obsédées par l’empire ont progressivement glissé vers les peurs paranoïaques du XXe siècle. Peur de quoi ? Peur de la perte de pureté — sang pur, pure race, purs traits nationaux et valeurs et liens. »

Son commentaire : « Il aurait pu écrire cela au sujet du Québec d’aujourd’hui. Les sondages favorables à la charte indiquent que [Pauline] Marois a puisé dans une paranoïa viscérale de l’autre qui hante parfois les communautés avec un effet tragique. » Elle se désole ensuite que certains se résignent à ce que « la province ne changera jamais, restant un bastion forcé et statique de la culture et de l’identité françaises ; un rêve partagé qui nie le rôle et la présence des Premières Nations au départ, et celles des minorités qui sont venues plus tard ? ».

Plus près de nous, son texte de l’Ottawa Citizen recèle une autre pépite. Elle y donne un avis bien senti, spécifiquement sur François Legault : « Le premier ministre de la province continue de nier l’existence de l’islamophobie, y compris les expériences des Québécoises qui disent avoir ressenti un racisme croissant au cours des derniers mois. Les politiciens qui flattent les tendances xénophobes doivent être appelés sur le tapis. » Bang !

Avis à ceux qui assisteront à leur première rencontre : apportez vos sacs à vomir.

 

Source: «I want to puke»

Dutrisac: Des excuses? «No thanks.»

Il faut croire que c’est en toute connaissance de cause que Justin Trudeau a nommé la militante Amira Elghawaby à titre de « première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie ». Même s’il avait su ce qu’elle avait écrit, il l’aurait nommée quand même, a-t-il soutenu.

Interprétant de façon abusive un sondage sur l’attitude des Québécois à l’égard de l’islam, Amira Elghawaby a écrit en 2019 que « la majorité des Québécois semblaient influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman ». Il est difficile de savoir ce qui est pire : que les Québécois s’opposent à la règle de droit ou qu’ils soient antimusulmans. On peut constater que la représentante spéciale, pur produit de l’idéologie multiculturaliste canadienne, a pris quelques libertés avec les faits. Le communiqué du premier ministre la décrit d’ailleurs comme une journaliste primée et une militante, comme s’il n’y avait pas là contradiction dans les termes.

Un passage d’une chronique publiée dans The Globe and Mail par le professeur de philosophie Joseph Heath, de l’Université de Toronto, lui a donné envie « de vomir », avait-elle écrit spontanément sur Twitter en 2021. Un passage où l’universitaire faisait observer que le plus grand groupe de personnes qui furent victimes du colonialisme britannique au Canada, c’étaient les Canadiens français.

La thèse de Joseph Heath est pourtant intéressante. Il relève qu’au Canada anglais, on utilise l’acronyme américain BIPOC (Black, Indigenous and people of color), qui ne correspond à la réalité canadienne des relations raciales. Aux États-Unis, les Noirs représentent la minorité raciale la plus importante, et de loin, que ce soit en nombre ou en raison de son poids historique. Dans l’énumération, les Autochtones, qui représentent 5 % de la population canadienne, devraient venir avant les Noirs, qui sont trois fois moins nombreux, et les francophones avant les Autochtones en raison de leur nombre. Donc, au lieu de l’acronyme américain BIPOC, le professeur Heath propose l’acronyme FIVM (pour Francophone, Indigenous and visible minority) pour désigner les plus importants groupes minoritaires au Canada. Il souligne que contrairement aux États-Unis, où on analyse les conflits sociaux à travers « une lentille raciale », le Canada n’a pas cherché à « racialiser » les différences ethniques entre ses citoyens. L’idée qu’un immigrant débarquant au Canada en provenance d’Éthiopie a vraiment quelque chose en commun avec un descendant d’esclaves africains présents sur le continent depuis 300 ans est « non seulement une fiction : c’est une fausse représentation pernicieuse ».

Il faut croire que l’influence américaine est forte puisque, dans le communiqué du premier ministre, la description de tâches de cette nouvelle représentante spéciale amalgame la religion — la lutte contre l’islamophobie — au racisme systémique et à la discrimination raciale.

Certains voudraient qu’Amira Elghawaby s’excuse — c’est le cas du chef parlementaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay — ou retire ses propos. Mais ce ne serait là que parfaite hypocrisie. La représentante spéciale du Canada incarne un courant de pensée fort répandu au Canada anglais, où l’on est viscéralement contre la conception québécoise de la laïcité et de l’équilibre recherché entre différents droits qui, dans une société, peuvent entrer en conflit.

Au débat des chefs en anglais, lors de la dernière campagne électorale fédérale, la question posée au chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, dont la prémisse était que « le Québec a un problème de racisme » parce que le gouvernement caquiste a fait adopter la loi 21 sur la laïcité et la loi 96 sur la langue témoignait de ce consensus au Canada.

On peut être en désaccord avec des aspects de la Loi sur la laïcité de l’État — c’est la position du Devoir, d’ailleurs —, mais ce n’est pas une loi xénophobe ni antidémocratique. Comme le soulignait le juge Robert M. Mainville dans une décision partagée de la Cour d’appel du Québec sur une requête interlocutoire demandant la suspension de la loi 21 (présentée par l’ancien employeur d’Amira Elghawaby, le National Council of Canadian Muslims), « la conception de la symbolique religieuse et sa place dans l’espace public ne sont d’ailleurs pas perçues de façon identique par chaque société, la Loi sur la laïcité de l’État en est un exemple frappant au sein du Canada ». Et encore : « On peut constater que la question de l’égalité des sexes en regard du foulard islamique ne se prête pas à des réponses simples ou évidentes. »

Justin Trudeau a dit que la nouvelle représentante resterait en poste. Soit. Mais puisqu’elle crache (ou vomit) sur la société québécoise, que, manifestement, elle méconnaît, qu’elle reste chez elle. Le phénomène de l’islamophobie au Canada anglais devrait amplement l’occuper.

 

Source: Des excuses? «No thanks.»

David: L’huile sur le feu

Il serait absurde de nier que l’islamophobie, tout comme le racisme, existe au Québec, au même titre qu’ailleurs au Canada et un peu partout sur la planète. Le premier ministre Legault convient lui-même que nous ne sommes pas à l’abri de ces maux, même s’il réfute leur caractère systémique.

Cela dit, non seulement le raccourci pris par Amira Elghawaby pour affirmer que « la majorité des Québécois » est animée par un sentiment anti-musulman était insultant, mais il témoignait au surplus d’une malhonnêteté intellectuelle qui ne plaide pas en faveur de la nouvelle représentante spéciale du gouvernement Trudeau dans la lutte contre l’islamophobie.

S’il était vrai, comme l’indiquait un sondage Léger, que 88 % des islamophobes appuyaient la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21), on ne pouvait pas inverser la proposition et affirmer que la majorité des partisans de la loi étaient islamophobes. Mme Elghawaby a parfaitement le droit de ne pas aimer la loi 21 et de la combattre, mais cela ne l’autorise pas à faire un procès d’intention aussi gratuit qu’injuste à ceux qui la soutiennent.

Même si on voulait lui donner le bénéfice du doute en invoquant un manque de disposition pour les mathématiques, elle a tenu dans le passé d’autres propos qui laissent peu de doute sur les sentiments qu’elle éprouve envers le Québec.

Le député péquiste des Îles-de-la-Madeleine, Joël Arseneau, s’est montré passablement indulgent en parlant d’une « incompréhension » de la société québécoise. Cela ressemble davantage à une détestation. Même le ministre fédéral du Patrimoine, Pablo Rodriguez, s’est dit « blessé et choqué comme Québécois ». C’est dire.
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On ne peut pas s’opposer à la vertu. Toute mesure visant à lutter contre l’islamophobie et à faciliter l’intégration des musulmans à la société canadienne est assurément la bienvenue.

La question est de savoir pourquoi Justin Trudeau a choisi une militante « pure et dure » comme Mme Elghawaby pour occuper un emploi qui va exiger beaucoup de doigté pour favoriser les rapprochements, au Québec comme dans le reste du pays. Lancer des anathèmes n’est assurément pas la meilleure façon d’y parvenir.

Les « clarifications » qu’elle a apportées n’ont pas satisfait le gouvernement Legault, qui exige son départ, mais M. Trudeau est tout disposé à s’en contenter. D’ailleurs, il l’aurait nommée de toute façon, a-t-il reconnu. S’il a pu être agacé par la maladresse de sa recrue, le fond de ses déclarations ne l’a manifestement pas troublé.

Le premier ministre et Mme Elghawaby partagent la même aversion pour la loi 21. Dans l’exercice de ses nouvelles fonctions, elle persistera sans doute à dire tout le mal qu’elle en pense, avec la bénédiction de son patron. M. Trudeau aurait voulu jeter de l’huile sur le feu qu’il n’aurait pas pu faire un meilleur choix.

Toute attaque contre la loi 21 provoque maintenant une réaction épidermique chez M. Legault, comme on l’a vu encore dernièrement quand son homologue canadien a réitéré son intention de la contester et de limiter l’utilisation préventive de la disposition de dérogation.

Dimanche, il brillait par son absence lors de la commémoration du massacre de la grande mosquée de Québec. Il n’avait sans doute pas très envie d’entendre les porte-parole du Centre culturel islamique lui reprocher une loi qui « vient chambarder tout ce qu’on fait comme travail pour le vivre-ensemble ».
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L’indignation provoquée par la nomination de Mme Elghawaby rappelle celle qui avait accueilli, en janvier 2021, la nomination de la géographe Bochra Manaï au poste de commissaire à la lutte et à la discrimination systémiques à la Ville de Montréal, Mme Manaï ayant été précédemment porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens.

M. Legault avait aussi qualifié cette nomination d’« erreur » en raison de la « croisade personnelle » de Mme Manaï contre la loi 21 qui, selon elle, avait fait du Québec « une référence pour les suprémacistes extrémistes ».

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, avait déploré que la mairesse Plante utilise des fonds publics pour « imposer son idéologie » et prédit que la nouvelle commissaire allait semer la division. Manifestement, ses propos étaient insultants. Depuis deux ans, on n’a cependant entendu personne se plaindre de son travail.

Il est sans doute de bon ton de réclamer le départ de Mme Elghawaby, mais il est clair que M. Trudeau ne reviendra pas sur sa décision. Dès lors, la meilleure attitude à adopter est peut-être celle du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui a réclamé une rencontre avec la représentante spéciale.

Sans se faire trop d’illusion sur son acte de contrition, le chef du Bloc se dit prêt à entendre de plus amples explications. Qui sait, lui-même pourra peut-être lui expliquer certaines choses qu’elle ignore sur le Québec. Il sera toujours temps de déchirer sa chemise si elle ne veut toujours pas comprendre.

Source: L’huile sur le feu

 

Dutrisac: La vulnérabilité perpétuée par le système (Temporary Foreign Workers and closed work permits)

Of note::

Le nombre d’immigrants temporaires a explosé au Québec, tout comme dans le reste du Canada d’ailleurs. Et parmi eux, des travailleurs étrangers à bas salaire, qu’ils se trouvent dans les entrepôts ou dans les champs, sont à la merci d’employeurs sans scrupule.

Discuter d’un seuil de 50 000 immigrants reçus, le chiffre programmé par le gouvernement Legault, c’est discourir sur un portrait bien partiel de l’immigration au Québec. Comme l’a rapporté Le Devoir récemment, ce seuil est largement dépassé par l’afflux d’immigrants temporaires. Ainsi, le nombre de ressortissants étrangers détenteurs de permis de travail et d’études présents sur le territoire québécois dépassait les 180 000 en 2022. En tout, selon l’Institut de la statistique du Québec, au 1er juillet dernier, on comptait 290 000 résidents non permanents, toutes catégories confondues. Ce nombre a presque doublé en dix ans.

Le gouvernement caquiste n’en a que pour les professionnels et les travailleurs qualifiés, réunis sous le vocable d’immigration économique et commandant les hauts salaires que favorise François Legault. Il en faut, de cette main-d’oeuvre bien formée que recherchent des employeurs aux prises avec des difficultés de recrutement.

Mais on ne saurait occulter le fait que le Québec a aussi besoin de travailleurs sans grandes études, disposés à prendre des emplois dont les Québécois ne veulent pas et à se contenter des bas salaires qui vont avec. Des emplois ingrats, souvent exigeants physiquement, qui représentent pourtant un rouage important de l’économie. On parle de manoeuvres, de manutentionnaires, de préposés à l’entretien, d’ouvriers dans des usines de transformation alimentaire, de travailleurs agricoles.

Depuis 2015, la main-d’oeuvre recrutée par les entreprises québécoises par le truchement du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) a plus que triplé pour atteindre les 34 000 personnes.

Quelles que soient leurs compétences, les travailleurs étrangers temporaires, s’ils veulent prolonger leur présence au pays, ce qui, souvent, est aussi le souhait de leur employeur, doivent renouveler leur permis de travail, une démarche souvent angoissante compte tenu de l’incurie administrative des autorités fédérales. Certains de ces immigrants sont ici pour trois ans, cinq ans, dix ans même. C’est la grande hypocrisie du système : de nombreux travailleurs temporaires occupent des postes permanents. Plusieurs souhaitent immigrer au Québec.

Contrairement aux étudiants et aux personnes admissibles au Programme fédéral de mobilité internationale, les travailleurs peu qualifiés recrutés par le PTET ne disposent pas d’un permis de travail ouvert, mais d’un permis « fermé » qui lie leur présence au Québec à un employeur unique. Ils sont placés dans une situation de vulnérabilité qui les expose à des abus et à une exploitation éhontée de la part d’employeurs. Ces travailleurs hésitent à porter plainte de crainte de perdre leur emploi et de se voir forcer de retourner dans leur pays, ce dont on les menace, d’ailleurs.

C’est ce genre de situations que montre l’enquête Essentiels. La face cachée de l’immigration, un documentaire présenté à Télé-Québec, réalisé par Ky Vy Le Duc et signé par la militante Sonia Djelidi et la journaliste du Devoir Sarah R. Champagne. On constate que des travailleurs agricoles ont été forcés de s’échiner dans les champs jusqu’à 17 heures par jour et qu’ils ont passé plusieurs semaines sans prendre une seule journée de congé. Logés sur la ferme, ils doivent s’entasser dans des baraques exiguës et invivables qu’on dit conformes aux normes fédérales. On y voit des travailleuses immigrantes se faire exploiter par une agence de placement sans permis. Ou encore ce travailleur qui est employé depuis dix ans par les serres Savoura et qui n’a vu sa famille, restée au Guatemala, que trois mois et demi pendant la décennie, ne réussissant pas à obtenir un certificat de sélection du Québec.

Contrairement à la Charte canadienne, la Charte québécoise des droits et libertés protège les étrangers. Il faudrait s’en souvenir. Se rappeler aussi que les normes minimales de travail, c’est pour eux aussi. Sur la ferme, Québec peut remédier à la discrimination perpétuée par Ottawa et leur garantir un hébergement digne de ce nom, sujet aux mêmes normes qui régissent l’hébergement fourni par les employeurs aux travailleurs québécois.

Pour que cessent les abus et les mauvais traitements dont les travailleurs étrangers sont l’objet, les permis fermés devraient être abolis et remplacés par des permis ouverts liés à un secteur d’activité et possiblement à une région. Ces changements essentiels dépendent malheureusement de la bonne volonté du gouvernement fédéral. C’est Québec qui devrait se charger des travailleurs étrangers temporaires sur notre territoire, ce que prévoyait l’entente Canada-Québec sur l’immigration. S’assurer du respect de la dignité de tout travailleur en sol québécois, c’est en somme sa responsabilité.

Source: La vulnérabilité perpétuée par le système

Dutrisac: La prison pour asile

Interesting example of turning an opinion column on migrant detention centres into reinforcing Dutrisac’s legitimate concern over the declining weight of Quebec given its lower immigration levels, with a barb thrown in regarding McKinsey and Dominic Barton:

C’est en janvier 2017 que Justin Trudeau a lancé son tweet où il invitait « ceux qui fuient la persécution, la terreur, la guerre » à débarquer au Canada — « sachez que le Canada vous accueillera », écrivait-il. Six ans plus tard, le gouvernement fédéral a inauguré un nouveau centre de détention pour incarcérer certains demandeurs d’asile. On peut penser qu’à l’époque, un tel développement n’avait pas effleuré l’esprit du premier ministre canadien.

Dans ce tweet innocent, Justin Trudeau fait preuve d’une bonne dose d’inconscience, si ce n’est d’hypocrisie, car le Canada, aussi vaste et généreux le croit-on, ne peut raisonnablement accueillir les dizaines de millions de personnes qui sont forcées tous les ans de quitter leur pays.

Comme nous l’apprenait Le Devoir dans son édition de samedi, Ottawa a inauguré en octobre à Laval un centre de détention pour les demandeurs d’asile et les immigrants temporaires, ce qu’on appelle par euphémisme un « centre de surveillance ». Construit au coût de 50 millions, le nouveau centre remplace d’anciennes installations jugées vétustes. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), de laquelle relève le centre, en a profité pour augmenter le nombre de places pour le porter à 153, contre 109 pour l’ancien bâtiment. Seulement 66 « détenus » s’y trouvaient à la fin décembre, tandis que les centres correctionnels administrés par Québec en accueillaient une quinzaine. Les pensionnaires de cette prison fédérale « dorée », mais prison quand même puisqu’ils ne peuvent en sortir à moins d’être libérés, ont la particularité de n’avoir commis aucun crime qui justifierait leur détention. Des papiers qui ne sont pas en règle, des doutes sur l’identité du ressortissant étranger ou des risques de fuite sont évoqués par l’agence pour justifier cette mesure de « dernier recours ». Comme dans les vraies prisons, les détenus n’ont pas droit à leur cellulaire, ni accès à Internet ; on peut se demander pourquoi.

Les organismes de défense des libertés civiles comme Amnistie internationale dénoncent l’incarcération de ces migrants qui n’ont commis aucun crime. Contrairement au Québec et à l’Ontario, la Colombie-Britannique a mis fin à l’entente avec l’ASFC visant la détention de migrants dans des prisons provinciales. L’Alberta et la Nouvelle-Écosse ont annoncé qu’elles en feraient autant. Depuis 2015, il y aurait eu 8000 de ces détenus au Canada — la période de détention moyenne est de 22 jours —, dont 2000 dans des prisons provinciales et le reste dans les trois centres de détention de l’ASFC.

C’est relativement peu considérant les millions de ressortissants étrangers qui sont entrés au pays depuis huit ans. Au Québec, par exemple, les quelque 80 migrants détenus actuellement se comparent aux 36 000 demandeurs d’asile qui seraient entrés par le chemin Roxham dans la seule année de 2022, ce qui s’ajoute aux dizaines de milliers de demandeurs, déjà présents sur le territoire québécois, qui sont toujours en attente d’une décision d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Ou encore aux 150 000 demandeurs d’asile qui, selon Le Journal de Montréal, sont arrivés au Québec depuis cinq ans, soit 52 % du total canadien.

Or, que ce soit pour obtenir un permis de travail des autorités fédérales ou pour obtenir une réponse définitive sur le statut de réfugiés, les délais ne font que s’allonger. Pour les demandeurs d’asile qui passent par le chemin Roxham, ces délais peuvent s’étendre sur plusieurs années. Ceux dont la demande est rejetée ont le temps de s’établir ici avant de recevoir un avis d’éviction, éviction que nombre d’entre eux tenteront d’éviter en se réfugiant dans la clandestinité. Le système est dysfonctionnel, comme les autres volets de l’immigration. Dans ce contexte, on peut se demander à quoi peut bien servir la détention traumatisante d’une poignée de migrants.

Parmi les ministères fédéraux, c’est l’IRCC qui, depuis 2015, a dépensé le plus pour des conseils en gestion de la firme de consultants américaine McKinsey, a rapporté Radio-Canada. Or l’ironie, c’est que la désorganisation notoire de l’IRCC s’est aggravée en raison de l’accroissement pléthorique des seuils canadiens d’immigration, une recommandation de 2016 d’un comité formé par Ottawa et présidé par Dominic Barton, alors premier dirigeant mondial de McKinsey. Par la suite, le consultant a cofondé The Century Initiative, ou Initiative du siècle, un lobby qui promeut le projet de porter à 100 millions la population du Canada d’ici 2100.

Constater qu’à nos frais, nous participons dans ce pays, au sein duquel le Québec perdra inexorablement son poids démographique et donc politique, à une expérimentation sociale inédite concoctée par McKinsey n’a rien de rassurant.

Source: La prison pour asile

Dutrisac: La loi 96 ne suffira  pas [#cdnimm aspects]

Yet more, highlight temporary foreign workers and that about half are working in English:

Dans son discours d’ouverture de la 43e législature à l’Assemblée nationale, le premier ministre François Legault a reconnu que l’application des dispositions de la loi 96 sur la langue commune, adoptée en mai dernier, ne suffira pas à stopper le déclin du français. « On ne doit pas en rester là », a-t-il dit.

À juste titre, François Legault estime qu’il « est impératif de mettre fin à ce déclin et de renverser la tendance ». Il y voit son « premier devoir » comme premier ministre du seul État à majorité francophone en Amérique du Nord. Ce déclin est en effet « existentiel », comme il l’a affirmé, dans le sens qu’il détermine l’existence même de la nation québécoise.

Le premier ministre a mandaté le titulaire du nouveau ministère de la Langue française, Jean-François Roberge, pour concevoir un « tableau de bord » affichant des indicateurs et des projections mis à jour tous les ans sur l’état de la situation linguistique au lieu de s’en tenir aux données quinquennales produites par Statistique Canada. Les mesures seront ainsi ajustées afin de « remettre le Québec sur la trajectoire d’une relance du français ». Mais ça reste du domaine de l’intention.

Devant les refus répétés de Justin Trudeau, François Legault n’a pas tout à fait renoncé à obtenir davantage de pouvoirs en immigration de la part d’Ottawa. Mais, il semble évident que ses attentes sont aujourd’hui réduites. Avant la campagne électorale, le premier ministre se faisait fort d’obtenir d’Ottawa un transfert de pouvoirs en immigration pour éviter la « louisianisation » du Québec. Aujourd’hui, il demande à Jean-François Roberge, qui est aussi le ministre responsable des Relations canadiennes, d’élaborer, avec la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, « une base de négociation précise » afin d’entamer des discussions avec le gouvernement fédéral sur les enjeux de la langue et de l’immigration.

Avant de réclamer davantage de pouvoirs au gouvernement fédéral en matière d’immigration, encore faut-il utiliser pleinement ceux que Québec possède déjà. On parle beaucoup du seuil de 50 000 immigrants admis annuellement, c’est-à-dire le nombre de nouveaux arrivants, souvent déjà présents sur le territoire, qui obtiennent leur résidence permanente. Mais on oublie l’immigration temporaire, que ce soit les travailleurs et les étudiants. Par exemple, plus de 60 000 travailleurs étrangers sont présents au Québec en vertu du Programme de mobilité internationale administré par le gouvernement fédéral. Selon une évaluation du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, environ la moitié de ces travailleurs étrangers travaillent en anglais. On compte également plus de 90 000 étudiants étrangers dans nos cégeps et universités, dont 45 % fréquentent des établissements de langue anglaise. Il est temps que le gouvernement québécois exerce pleinement ses prérogatives en vertu de l’Entente Québec-Ottawa sur l’immigration.

C’est un début : le gouvernement Legault entend s’impliquer dans la sélection des immigrants temporaires qui, par la suite, sont admis de façon permanente. Il souhaite attirer davantage d’étudiants étrangers au Québec pour qu’ils décrochent un diplôme de cégep ou d’une de nos universités de langue française. Pour y arriver, il devra convaincre les autorités fédérales de cesser leurs pratiques discriminatoires qui empêchent des étudiants africains francophones, admis dans nos établissements d’enseignement supérieur, d’entrer au Québec.

Dans son discours, François Legault a aussi abordé la question des demandeurs d’asile qui entrent par le chemin Roxham. On en attend 50 000 d’ici la fin de l’année. Les services publics et les organismes communautaires sont submergés, tandis que les autorités fédérales prennent plus de deux ans pour traiter ces demandes irrégulières, sans parler des procédures d’appel. Le Québec est prêt à faire sa part, a dit le premier ministre. Mais il faut lui donner raison d’exiger qu’Ottawa mette fin à une situation qui ne peut durer éternellement. À voir le gouvernement Trudeau octroyer des contrats à des amis libéraux pour construire des résidences sommaires afin d’accueillir les demandeurs d’asile, on doit douter de son empressement.

On ne peut que constater « la forte attractivité de l’anglais », comme l’a rappelé le premier ministre, ce qui complique l’intégration en français des immigrants. En ce sens, le gouvernement Trudeau devrait s’engager à cesser de nuire. Ce serait la moindre des choses.

Source: La loi 96 ne suffira  pas

Dutrisac: Régulariser les sans-papiers

Of note:

En décembre 2021, le premier ministre Justin Trudeau demandait au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, de « poursuivre l’exploration de moyens » afin de régulariser le statut des travailleurs migrants sans papiers. Dix mois plus tard, le ministre n’a toujours pas annoncé quoi que ce soit.

Il y a un peu plus d’une semaine, une centaine de personnes ont manifesté à Montréal pour réclamer un programme massif de régularisation de ces travailleurs.

Selon le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes, le Canada compte entre 20 000 et 500 000 migrants non documentés. Quand on voit de tels chiffres, et un tel écart dans les évaluations, c’est qu’on ne sait pas vraiment combien on dénombre de ces personnes qui subsistent dans cette clandestinité pitoyable mais tolérée.

Parmi ces travailleurs qui ont préféré prendre la clé des champs au lieu de retourner dans leurs pays d’origine, on trouve plusieurs cas d’espèce. Il y a des détenteurs de visa de touristes qui sont restés illégalement au pays, des travailleurs dont le permis de travail n’a pas été renouvelé, parfois à cause d’employeurs négligents ou de la complexité administrative des programmes d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), des étudiants étrangers au terme de leurs études et des demandeurs d’asile qui se sont vu refuser le statut de réfugié et font l’objet d’un avis d’expulsion.

S’il est vrai que des centaines de milliers de travailleurs, voire un demi-million, comme certains l’estiment, travaillent au noir au Canada, on ne peut continuer à ignorer le problème. Ces travailleurs ne jouissent d’aucune protection sociale ; ils n’ont pas accès aux services de santé gratuits, ni à la protection contre les accidents du travail, à l’assurance-emploi évidemment et à l’aide de dernier recours. Leur quotidien est fait de petits boulots mal payés. Ils sont dépendants d’employeurs qui peuvent les exploiter. Parfois, ils ne parlent que leur langue natale et sont ainsi souvent confinés dans leur communauté ethnique, ce qui est cependant conforme au dogme multiculturaliste.

Dans la commande qu’il a passée à son ministre, Justin Trudeau lui demande de s’appuyer sur les programmes pilotes existants. Depuis deux ans à Toronto, il existe un tel projet pilote dans l’industrie de la construction. Il est très limité : le programme vise la régularisation de 500 travailleurs seulement, et il semble que ce modeste objectif n’ait même pas été atteint. L’an dernier, IRCC a aboli une des conditions qui faisait obstacle : avoir une connaissance des plus minimales d’une des langues officielles, en l’occurrence l’anglais évidemment. Ottawa octroie la résidence permanente à des immigrants qui ne parlent aucune des langues officielles. Ce n’est pas un empêchement.

Le phénomène des travailleurs sans papiers est une conséquence du régime d’immigration qui s’est imposé ces dernières années. La grande majorité des candidats à l’immigration ne font plus leur demande de l’étranger : ils sont déjà au pays à titre de travailleurs temporaires, d’étudiants et de demandeurs d’asile.

Ces étrangers sont confrontés au double langage des autorités fédérales : d’une part, on leur dit que la voie privilégiée pour être admis comme immigrant, c’est d’être déjà au Canada grâce à un statut temporaire, d’autre part, on exige d’eux qu’ils s’engagent à quitter le pays une fois leurs contrats ou leurs études terminés.

Dans le cas des demandeurs d’asile qui passent par le chemin Roxham, il peut s’écouler des années avant que leur sort ne soit tranché par les autorités. Entre-temps, nombre d’entre eux ont pu se trouver un emploi stable, apprendre la langue commune, voire fonder un foyer. Bref, ils se sont intégrés.

L’inconvénient de la régularisation, c’est qu’elle concède un avantage à des personnes qui enfreignent les règles au détriment de ceux qui s’y conforment. Mieux vaut mieux entrer par le chemin Roxham que d’emprunter la voie régulière et passer les postes-frontières.

L’autre enjeu, c’est l’état de dysfonctionnement d’IRCC qui n’arrive pas, à l’heure actuelle, à assumer correctement ses responsabilités. À titre d’exemple, les demandeurs d’asile qui arrivent au Québec attendent maintenant dix mois avant qu’Ottawa officialise leur requête pour leur statut de réfugié, une étape qui leur permet d’obtenir un permis de travail. Forcés à ne rien faire, ils en sont réduits à recevoir de l’aide de dernier recours.

Devant l’incurie fédérale, le gouvernement Legault a le devoir d’exercer tous les pouvoirs dont il dispose, notamment en matière de permis de travail et d’études, afin de remédier aux aberrations d’un système défaillant. Mais à terme, c’est l’ensemble de l’oeuvre qu’il lui faudra revoir.

Source: Régulariser les sans-papiers

Dutrisac: Souveraineté provinciale

Dutrisac on Alberta and Saskatchewan’s focus on provincial sovereignty, along with picking up on Ibbitson’s arguments that aggressive federalism is fanning the flames (true but exaggerated IMO). Of particular note the last para:

Quant à François Legault, après les gaffes répétitives commises sur le dos des immigrants, il n’aura qu’à attendre ce que lui réserve le fédéralisme agressif d’un gouvernement Trudeau qui insiste pour que Québec se plie à la politique d’immigration pléthorique de ce pays postnational.

Full article:

La nouvelle cheffe du Parti conservateur uni (PCU) et, depuis mardi, première ministre, Danielle Smith, a remporté la course à la direction de son parti en promettant de présenter un projet de loi sur la souveraineté de l’Alberta.

L’utilisation du terme souveraineté, un concept au coeur du projet du Parti québécois depuis la fin des années 1960, peut prêter à confusion. On ne saurait voir dans Danielle Smith une émule de René Lévesque. Il ne s’agit pas pour la première ministre de promouvoir une quelconque sécession, ce qui ne correspond d’ailleurs pas aux inclinations de la plupart des Albertains. Cette souveraineté est bien celle d’une province, dans ses champs de compétence, une forme de néo-autonomisme, selon le politologue de l’Université de l’Alberta Frédéric Boily. C’est le modèle mis en oeuvre par le gouvernement Legault, en définitive.

Danielle Smith a repris l’expression du premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, en affirmant que sa province, avec cette loi sur la souveraineté, pourra se comporter comme « une nation au sein d’une nation ». Mais il s’agit plutôt d’un régionalisme axé sur la défense d’intérêts économiques, notamment la poursuite de l’exploitation des hydrocarbures, et non pas d’un nationalisme de nature identitaire comme au Québec.

Certains ont vu dans ce projet de loi une bombe constitutionnelle… et surtout anticonstitutionnelle. Le premier ministre sortant, Jason Kenney, a qualifié l’idée de « cinglée ». De fait, il est encore difficile de savoir comment une telle loi s’appliquerait. Elle permettrait à la province de refuser de se soumettre à une loi fédérale ou à un jugement de la Cour s’ils sont contraires aux intérêts de l’Alberta ou s’il s’agit d’une intrusion illégale dans ses champs de compétence. Il reviendrait aux élus de l’Assemblée législative albertaine d’adopter une motion spéciale en ce sens. Selon la description somme toute sommaire de l’éventuel projet de loi, le gouvernement fédéral devrait alors s’adresser aux tribunaux pour trancher le litige.

À terme, c’est la Cour suprême qui aurait le dernier mot, faut-il comprendre. Le principal conseiller de Danielle Smith a indiqué lundi qu’une fois le projet de loi en vigueur, l’Alberta continuerait de respecter les jugements de la Cour suprême. La bombe est en train de se transformer en pétard mouillé.

Comme cela s’est vu quand Trudeau père était aux commandes, un fort ressentiment envers le gouvernement fédéral s’est développé dans les provinces de l’Ouest, ressentiment relié à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières. Le fils semble suivre la trace du père. À l’époque, il s’agissait de la propriété de ces ressources naturelles et des revenus qu’elles généraient. Aujourd’hui, c’est le contrôle qu’entend exercer Ottawa sur ces ressources en raison de la lutte contre les changements climatiques.

Si jamais ce projet de loi sur cette souveraineté provinciale voit le jour, il viendra tard. Déjà, la Cour suprême, dans son jugement l’an dernier sur la taxe carbone du gouvernement Trudeau, a dépossédé les provinces de leur compétence exclusive en la matière au nom de « l’intérêt national » et du pouvoir d’Ottawa de faire des lois pour « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ». Nous sommes à l’ère du fédéralisme évolutif, coopératif, qui se déploie au détriment des pouvoirs réservés aux provinces. Un fédéralisme de supervision, selon l’expression d’un juge dissident dans cette cause, Russell Brown.

Selon le chroniqueur du Globe and Mail John Ibbitson, le « fédéralisme agressif » que pratique le gouvernement Trudeau a mis en rogne l’Alberta, alors que le « fédéralisme passif » de Stephen Harper avait calmé le jeu, y compris avec le Québec.

La Saskatchewan et le Manitoba, deux provinces dotées de gouvernements conservateurs, partagent les doléances de l’Alberta. Il lui manque un appui de taille : celui de l’Ontario et du premier ministre conservateur Doug Ford. Lui aussi s’opposait à la taxe carbone du gouvernement Trudeau, mais, depuis le jugement de la Cour suprême, il semble s’être désintéressé de l’affaire. Il faut dire que le premier ministre ontarien a beau jeu. Justin Trudeau a tout intérêt à soigner ses relations avec lui. Doug Ford préférera sans doute profiter des avantages que lui offrira Ottawa au lieu de se joindre aux provinces de l’Ouest dans une fronde perdue d’avance contre le pouvoir fédéral.

Quant à François Legault, après les gaffes répétitives commises sur le dos des immigrants, il n’aura qu’à attendre ce que lui réserve le fédéralisme agressif d’un gouvernement Trudeau qui insiste pour que Québec se plie à la politique d’immigration pléthorique de ce pays postnational.

Source: Souveraineté provinciale

Dutrisac: Bataille de chiffres

More on the battle of immigration numbers in the Quebec election, with Dutrisac arguing in favour of the CAQ’s restrained approach:

En matière d’immigration, c’est la ronde des chiffres qui s’est invitée en campagne électorale. Trois partis — Québec solidaire, le Parti québécois et le Parti conservateur du Québec — ont précisé quels sont les seuils d’immigration qu’ils préconisent, tandis que la Coalition avenir Québec et Parti libéral du Québec ont confirmé la position qu’ils ont déjà fait connaître.

Du côté de la CAQ, François Legault n’a pas fait mentir son slogan de campagne « Continuons ». Sans surprise, le chef caquiste a réitéré que le gouvernement qu’il formerait s’en tiendrait au nombre de quelque 50 000 immigrants par an. Malgré sa proximité avec le monde des affaires, il n’entend pas céder au lobby du Conseil du patronat du Québec, qui réclame que ce seuil soit augmenté à 80 000 lors du prochain mandat et à 100 000 par la suite.

C’est paradoxalement QS qui s’approche le plus des préférences du patronat en proposant une cible maximum de 80 000 immigrants par an. Le PLQ n’est pas très loin, avançant le chiffre de 70 000 dans le but de contrer les pénuries de main-d’oeuvre.

À l’autre bout du spectre, le PQ propose de réduire à 35 000 le seuil, soit celui qui prévalait avant le régime de Jean Charest, relevant que le déclin du français s’est amorcé quand le nombre d’immigrants admis est passé à 50 000 par an. Le PQ a le mérite de signaler l’enjeu de l’immigration temporaire, notamment l’afflux d’étudiants étrangers dans les universités anglophones, un phénomène encouragé par Ottawa qui bloque l’entrée d’étudiants africains francophones dans nos cégeps et universités.

Avec un seuil élevé, QS prétend prendre le parti de la vertu, en communion avec la politique migratoire expansionniste du gouvernement Trudeau et sa vision postnationale. Plus le nombre d’immigrants qu’un parti promet d’accueillir est important, plus il peut se targuer de favoriser l’ouverture à ce qu’il est convenu d’appeler la diversité. La grandeur d’âme serait fonction de la grosseur du nombre.

Si l’immigration doit faire partie des moyens pour répondre aux pénuries de travailleurs dont souffrent les entreprises en particulier, elle fait augmenter la demande de main-d’oeuvre pour l’ensemble de l’économie. On n’a qu’à regarder la situation en Ontario et écouter son premier ministre, Doug Ford, se plaindre de la pénurie de main-d’oeuvre, même si la province, participant allègrement à la politique fédérale d’accueillir bientôt 451 000 immigrants par an, en reçoit quatre fois plus que le Québec.

Sur le plan de l’enrichissement, les économistes qui se sont penchés sur la question ont conclu que, bien que l’immigration forcément fasse croître l’économie, elle a peu d’effets sur le niveau de vie des gens ; elle influe peu sur le produit intérieur brut par habitant. Ces études donnent raison à François Legault, qui a rappelé le sort enviable des petits pays comme la Suisse, la Suède ou le Danemark. Il serait illusoire de tenter de suivre l’exemple du Canada, dont on peut douter du bon sens de sa frénésie migratoire. Même si cette politique, à laquelle le Québec n’a pas souscrit, a pour conséquence de réduire son poids démographique et politique au sein de la fédération, la grenouille que nous sommes n’a pas intérêt à devenir plus grosse que le boeuf. Et nous verrons à quelle réflexion collective cette évolution néfaste nous conduira.

Les mérites de l’immigration à un niveau soutenable ne reposent pas sur des arguments économiques. Des considérations humanitaires interviennent, mais il s’agit surtout de poursuivre l’aventure de la nation québécoise avec des gens venus d’ailleurs qui veulent y participer, et ainsi l’enrichir. C’est un moyen de faire rayonner le Québec de l’intérieur, pour ainsi dire, de mettre en valeur sa culture, sa société, en français. La question est là, à savoir si cet épanouissement est possible dans le contexte canadien ou si c’est l’insignifiance folklorique et la lente assimilation qui nous attendent.

Source: Bataille de chiffres

Dutrisac: Survivance et résignation [on the CAQ electoral strategy and immigration]

Of interest, particularly the contrast between the earlier inclusive vision of the first PQ government and how it has evolved to the defensive approach of the CAQ:

Il a été beaucoup question de fierté lors du congrès national de la Coalition avenir Québec (CAQ). François Legault a parlé des deux pôles de son gouvernement, la prospérité et la fierté. Le ministre André Lamontagne a aussi beaucoup parlé de fierté dans l’allocution finement rédigée qu’il a livrée samedi après-midi.

Ce type d’événements partisans baigne dans un enthousiasme parfois factice — il ne l’était aucunement cette fin de semaine —, qui se manifeste par les autocongratulations et le cheerleading, le simplisme des lignes de communication et un comportement moutonnier particulièrement exacerbé dans un parti composé de militants disciplinés, ou dociles, plutôt que chicaniers. À cet égard, la CAQ surpasse le Parti libéral du Québec.

Cet enthousiasme se percevait sur le plancher du centre des congrès de Drummondville : jamais depuis les libéraux de Robert Bourassa en 1985 un parti politique québécois n’a été en si bonne posture à l’orée d’élections générales, ce que la faiblesse de ses adversaires ne fait que souligner.

En campagne électorale il y a quatre ans, François Legault avait aussi parlé de fierté, en contraste avec un Philippe Couillard distant, qui semblait parfois douter du peuple québécois.

Après un premier mandat, les Québécois sont-ils plus fiers qu’en 2018, sont-ils plus prospères ? a lancé le chef caquiste, tout en donnant évidemment une réponse affirmative aux deux questions.

Sur le plan de la prospérité, son bilan est positif, surtout si on le compare à celui du gouvernement précédent, de l’austérité duquel nous nous souvenons amèrement. Malgré la pandémie, les finances publiques sont en ordre, la forte croissance économique a dépassé celle de nos voisins, le taux de chômage est au plus bas, la productivité est en hausse, l’écart de richesse avec l’Ontario s’est réduit, les salaires ont augmenté, bien que la poussée d’inflation, qu’on espère de courte durée, soit venue brouiller les cartes, et avec ça, le gouvernement caquiste a remis « de l’argent dans les poches des Québécois ».

Plus prospères et plus fiers, les Québécois devraient afficher une assurance à toute épreuve. Pas si vite : c’est compter sans le spectre de la « louisianisation » du Québec, brandi par François Legault, en lien avec une immigration qui s’intégrerait mal à notre société de langue française. Il y va de la « survie » de la nation québécoise, a fait valoir le chef caquiste.

Dès le début du prochain mandat, le gouvernement caquiste entend organiser un vaste sommet sur les perspectives démographiques du Québec et l’apport de l’immigration. L’événement permettrait d’informer la population sur cet enjeu crucial dans le but de bâtir un rapport de force face à Ottawa. Dimanche, François Legault a réitéré une demande à laquelle Justin Trudeau avait déjà répondu par un non catégorique, celle de rapatrier la responsabilité de la réunification familiale, qui compte pour près du quart des immigrants reçus, et il a ajouté la gestion des programmes visant les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers.

Comme l’éventualité que le premier ministre du Canada acquiesce à cette revendication semble lointaine, voire utopique, un prochain gouvernement Legault devra s’atteler à reprendre concrètement la maîtrise de la situation avec les leviers dont il dispose, mais qu’il n’a pas pleinement utilisés.

Ce retour de la survivance, une posture qui fut l’apanage des Canadiens français après 1840, laisse perplexe. C’est une stratégie empreinte de résignation, un aveu d’impuissance politique. Et puis le mouvement nationaliste d’émancipation des années 1960 et suivantes, celui de René Lévesque, progressiste et tourné vers l’avenir, avait mis la hache dans cette survivance passéiste.

Il faudrait que François Legault nous dise si son nationalisme est essentiellement conservateur, essentialiste et défensif, ou s’il s’agit d’un nationalisme progressiste — existentialiste, pourrait-on dire —, qui parle d’avenir et s’appuie sur le pluralisme et le métissage qui caractérisent déjà la nation québécoise. Quand François Legault répète « c’est comme ça qu’on vit au Québec », une formule pour le moins maladroite, et qu’il en rajoute avec « c’est comme ça qu’on parle au Québec », on peut se demander où il s’en va avec ses skis. Le français est la langue commune certes, mais il se parle des centaines de langues au Québec, y compris des langues autochtones.

Le gouvernement Legault a déjà amélioré les choses en matière d’immigration, que ce soit en francisation et en soutien à l’intégration, et le chantier n’est pas terminé. Mais il devrait revenir à l’esprit de Gérald Godin : les immigrants pour la plupart veulent s’intégrer à la nation québécoise et contribuer à sa culture vivante et originale, dont nous pouvons nous enorgueillir. C’est ça aussi, être fier.

Source: Survivance et résignation

Dutrisac: Le Québec largué [on immigration processing, levels and demography]

Of note, along with the ongoing trend of a relative decline compared to other Canadian provinces. Not clear that having more powers for Quebec would change that unless a Quebec government decides to match Canadian immigration targets:

Si on fait exception de 2020, année marquée par les sévères restrictions liées à la pandémie, le gouvernement Trudeau vole de record en record en matière d’immigration. Cette semaine, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, a dévoilé de nouvelles cibles qui placent le Canada au sommet des pays — et de loin — quant au nombre d’immigrants qu’ils accueillent.

Au cours de son premier mandat, le gouvernement Trudeau a fait passer le seuil de 280 000 immigrants du gouvernement Harper à quelque 350 000. L’an dernier, Ottawa a voulu effectuer un rattrapage en raison des contraintes touchant les déplacements internationaux et des ratés administratifs qui ont contribué à réduire à 186 606 le nombre d’immigrants admis en 2020 au lieu des 341 000 prévu ; il a donc porté ce nombre à 400 000 en 2021.

Cet objectif de 400 000 et plus, c’est maintenant le nouveau plancher canadien en matière d’immigration. Dans son rapport annuel de 2021 présenté cette semaine au Parlement, le ministre Fraser a établi les seuils à 431 000 pour 2022, 447 000 pour 2023 et 451 000 pour 2024. C’est grosso modo 20 000 à 30 000 de plus que les niveaux avancés dans le rapport annuel précédent.

Si on se réfère à la cible élevée plutôt que moyenne, telle qu’inscrite dans le rapport pour 2024, soit 475 000 immigrants, nous sommes tout près de la recommandation de l’organisme canadien-anglais Century Initiative, qui entend convaincre le gouvernement Trudeau de hausser à 500 000 le seuil d’immigration pour 2026. L’objectif, c’est de faire passer la population canadienne de 37 millions à 100 millions en 2100.

Tandis que le ministre pousse à la hausse le nombre de dossiers à traiter, sa machine administrative ne suit pas. On ne sait d’ailleurs pas sur quelle planète Sean Fraser vit quand il écrit dans son rapport : « Heureusement, le Ministère a su s’adapter aux immenses pressions exercées par la pandémie. » La réalité, c’est qu’au Québec, son ministère est dysfonctionnel.

Les délais pour obtenir le statut de résident permanent, c’est-à-dire devenir un immigrant reçu en bonne et due forme après avoir été sélectionné par Québec, ont encore augmenté, pour atteindre en moyenne 28 mois.

En raison de problèmes administratifs, Ottawa n’arrive même pas à remplir les objectifs d’immigration que lui transmet le gouvernement du Québec. Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a demandé qu’un rattrapage soit effectué en 2021 pour combler les retards engendrés par la pandémie, soit un total de 18 000 nouveaux résidents permanents de plus. Manquent à l’appel 15 000 d’entre eux.

Qui plus est, sur les 48 600 détenteurs d’un certificat de sélection du Québec toujours en attente de leur résidence permanente, 25 000 résident au Québec et occupent un emploi. Le ministre Jean Boulet a demandé à son homologue fédéral d’accorder la priorité à ces demandeurs. Mais Ottawa se montre réticent. Si on tient compte de toutes les catégories de nouveaux arrivants, ce sont 90 000 personnes qui sont en attente, selon les données obtenues par Radio-Canada auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

C’est deux poids, deux mesures, car les délais imposés au Québec sont beaucoup plus importants que dans le reste du Canada. Par ailleurs, les autorités fédérales exercent une discrimination à l’endroit des étudiants étrangers en provenance de l’Afrique francophone qui souhaitent étudier au Québec : le taux de refus de ces étudiants pourtant admis dans nos cégeps et nos universités est beaucoup plus élevé que celui des étudiants étrangers anglophones.

Mais plus grave encore, c’est que le Canada, avec sa politique d’immigration extrêmement vigoureuse, est en train de larguer le Québec. On voudrait diminuer rapidement son poids démographique — et celui du Québec français — au sein du Canada qu’on n’agirait pas autrement. En clair, le reste du Canada, toutes proportions gardées, accueille deux fois plus d’immigrants que le Québec. Si l’on voulait résister à cette érosion démographique, ce ne sont pas 53 000 immigrants qu’il faudrait admettre, mais près de 120 000 l’an prochain et davantage les années suivantes.

Dans ce contexte, il est clair que l’entente Canada-Québec sur l’immigration, signée en 1991 par les ministres Gagnon-Tremblay et McDougall, ne tient plus, du moins dans son esprit. Cette entente prévoyait que le Canada consulte le Québec pour établir ses seuils d’immigration, ce qu’il ne fait plus. En outre, les seuils canadiens devaient permettre au Québec de recevoir un pourcentage d’immigrants égal à celui de sa population. Ce n’est plus possible.

Cette évolution du Canada postnational constitue une menace pour la nation québécoise. Il est temps — et c’est un minimum — que le Québec obtienne tous les pouvoirs en matière d’immigration.

Source: Le Québec largué