Dutrisac: Visas et immigration: y a-t-il un ministre responsable?
2023/02/11 Leave a comment
Bonne question? Malheureusement, trop d’exemples:
À la fin août de 2022, le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, donnait l’assurance que les inacceptables délais pour la délivrance d’un visa de visiteur au Canada seraient considérablement réduits à compter d’octobre de la même année.
Le ministre faisait valoir que son ministère, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), embaucherait 1250 nouveaux fonctionnaires afin de régler « d’ici la fin de l’année » les importants arriérés dans la production de visas et de documents relatifs à des demandes d’immigration.
Or, comme l’a rapporté Le Devoir la semaine dernière, les délais pour obtenir un visa n’ont pas diminué ; bien au contraire, ils ont explosé. Entre l’engagement du ministre Fraser et janvier 2023, les délais, tels qu’ils ont été rendus publics par IRCC, se sont allongés pour 179 des 195 pays dont les citoyens doivent se munir d’un visa pour entrer au Canada. Et l’attente est franchement surréaliste. Quelques exemples : un an et demi pour la Tanzanie, au lieu de 64 jours l’été dernier, quelque 500 jours pour le Honduras ou le Nicaragua, alors que l’attente oscillait autour de 80 jours. Rappelons que le délai normal pour la délivrance d’un visa de visiteur par IRCC est de 14 jours.
Les explications du ministère ne sont pas des plus limpides : les fonctionnaires traitent des arriérés qui existent depuis longtemps. Une part de ces phénoménaux arriérés a été constituée pendant la pandémie. Le délai par pays, tel qu’il est affiché sur le site du ministère, dépend du temps qu’il a fallu pour traiter 80 % des demandes dans un intervalle de deux à quatre mois. IRCC a prévenu Le Devoir que ses chiffres « peuvent être faussés par des valeurs aberrantes ». Pas étonnant que des avocats qui assistent des étrangers dans leur démarche se plaignent du manque de fiabilité du tableau colligé par le ministère. Quelles que soient les justifications d’Ottawa, ces délais, tout en reposant sur des données douteuses, sont inadmissibles.
Selon le cabinet du ministre, bien que les chiffres se détériorent, les choses s’améliorent ; la capacité de traitement d’IRCC est passée de 180 000 demandes de visas par mois avant la pandémie à 260 000 en novembre dernier.
Sean Fraser est à la tête d’un ministère dysfonctionnel. À l’heure actuelle, il y a plus de 2 millions de demandes de tout ordre en attente au ministère, que ce soit pour des permis de travail, l’octroi de la résidence permanente, des décisions relatives aux demandeurs d’asile et à leur statut de réfugié, les demandes de visas, etc.
Selon une note de service interne d’IRCC, datée du début de décembre, dont le Globe and Mail a obtenu copie, le ministère est prêt à prendre des mesures draconiennes pour se sortir de ce magma kafkaïen où croupissent plus de 700 000 demandes de visas. Selon une des options envisagées, des exigences d’admissibilité tomberaient : le demandeur n’aurait plus à convaincre un agent d’immigration qu’il retournera dans son pays après son séjour (occuper un emploi, posséder une propriété ou des actifs financiers et avoir de la famille dans son pays d’origine) ni à en fournir des preuves. Seule la vérification relative à la sécurité et à l’absence de casier judiciaire demeurerait. Pour se sortir la tête de l’eau, le ministère est prêt à renoncer à assumer ses responsabilités. C’est tout un aveu d’incurie.
Cette négligence n’est pas sans conséquences. On peut penser aux pertes économiques que subit l’industrie touristique. Mais là n’est pas le plus important. Des milliers d’immigrants ne peuvent pas recevoir la visite de leurs proches restés dans leur pays d’origine. Ou s’ils y arrivent, c’est après des mois et des mois de retard et d’incertitude. Pour un pays qui se veut un modèle d’accueil pour ses immigrants, ce laxisme administratif envoie un mauvais message et nuit à sa réputation sur la scène internationale.
Les échanges culturels sont perturbés, tout comme les rencontres internationales qui se déroulent au Québec. Les conférences et colloques universitaires, qui comptent sur la présence de sommités en provenance de l’étranger, en pâtissent. Comme l’a rapporté Le Devoir, une conférence, organisée par l’Université de Montréal et, de surcroît, subventionnée par le gouvernement fédéral, pourrait être reportée parce que des chercheurs invités ne peuvent obtenir leur visa en temps utile. L’organisateur désespère de voir débarquer à Montréal des experts du Sénégal, du Maroc et du Cameroun. Pour un citoyen sénégalais, le temps d’attente est de 462 jours, confirme IRCC. La situation affecte non seulement les activités de recherche, mais aussi le rayonnement international de l’Université de Montréal, qui se veut l’université francophone la plus influente au monde.
Il existe un principe nommé responsabilité ministérielle : un ministre doit répondre de ses actions (ou de son inaction), mais aussi de celles de ses fonctionnaires. C’est un principe qu’on aurait avantage à se rappeler à Ottawa.
Source: Visas et immigration: y a-t-il un ministre responsable?