Nadeau: Ouvrir le chemin Roxham

Of note, different from most Quebec commentary. And telling critique of those who adopt positions to increase reader and view ship (click bait):

Qu’est-ce qui rend nos idées acceptables ? Il est toujours plus facile d’adhérer à ce qui nous est familier. Aussi nos idées sont-elles souvent enracinées dans la pauvreté de simples réflexes. Nous reproduisons, dans le présent, des idées conventionnelles héritées du passé, sans songer à les actualiser. Nous portons, ce faisant, les oeillères de nos pères et de nos mères.

Rien d’étonnant à ce que les idées conventionnelles aient la cote. Dans les grands médias, cela se voit, cela s’entend. À la télévision en particulier, devant des animateurs qui se posent, pour la forme, en arbitre du temps de parole, des intervenants répètent sensiblement tous la même chose. Plongé dans ces lieux formatés et huilés pour être glissés entre deux publicités, l’auditeur peut-il en tirer quelque chose de neuf ?

Il y a bien des raisons pour expliquer cette uniformité chez ceux qui font métier de leur image en nous montrant avant tout leurs beaux habits et leurs habitudes. À commencer par le fait qu’il est toujours plus facile de faire passer une idée qui a mille fois été rabâchée que de se mettre à disserter de nouvelles dans un espace réduit. Quand il est répété en boucle, même sur le ton de l’indignation, le banal n’a guère besoin d’être expliqué. Le prédigéré — le préjugé, si vous voulez — est ainsi plus facilement assimilé que n’importe laquelle autre nourriture intellectuelle télévisée.

En matière d’idées, voilà pourquoi le conservatisme a toujours, du moins en apparence, une longueur d’avance. Pourtant, la postérité est cruelle avec de telles idées, à mesure que le présent fait irrésistiblement en sorte d’en miner les fondements. Jusqu’au jour où tout le monde admet que de tels jugements sont dépassés.

Il est encore difficile de parler d’immigration aujourd’hui sans que la discussion soit infléchie par des idées anciennes.

Autrefois, à l’ère du protectionnisme et d’un nationalisme frileux, le refus de l’immigration pouvait se comprendre en partie. Mais au jour où presque tous nos biens de consommation sont fabriqués à l’étranger, au nom du libre marché, en vertu de quoi faudrait-il repousser l’entrée chez nous de cette part d’humanité vers laquelle nous avons délocalisé nos industries autant que nos ennuis ?

L’hémisphère Nord accapare de plus en plus les richesses de la planète, à une vitesse jamais vue. Mais nous ne voulons pas voir apparaître chez nous les conséquences de problèmes que nous avons contribué à ériger ailleurs. Peut-on sincèrement en vouloir à une partie de l’humanité de vouloir prendre ses jambes à son cou pour tenter de profiter d’une assiette au beurre que nous avons tirée de notre côté ?

Il est répété que les réfugiés doivent être rentables pour être acceptés. Qui plus est, ils devraient parler français. Au jour où mon ancêtre Nadeau est arrivé en Nouvelle-France, il parlait seulement, comme bien d’autres immigrants, un patois occitan. Du monde, il ne connaissait qu’une vieille voie romaine capable de le conduire jusque sur un rafiot voguant sur l’océan. Au Québec, moins de 3 % de la population — les Autochtones répartis en onze nations — ne sont pas le fruit de l’immigration.

Le français est important. Mais une langue, cela s’apprend. Encore faudrait-il commencer par se donner les moyens de la transmettre avec la culture qu’elle porte. Notre système scolaire apparaît aussi malade que notre système hospitalier. François Legault en est rendu à avaliser l’idée que des enseignants à peine formés peuvent tout de même enseigner. Les conséquences d’un manque de planification et de vision, nous en payons le gros prix devant l’avenir.

Le chemin Roxham, est-ce par là que nos idées prennent désormais la fuite quand il est question de repenser notre société ? Depuis des mois, tous les maux des Québécois — l’éducation, la santé, l’environnement, la pauvreté, l’inflation — semblent s’exorciser dès lors qu’est invoqué le chemin Roxham, comme si, d’ailleurs, il était le seul du genre. L’attention est sans cesse détournée de ce côté. Au point que le ministre Jean Boulet, collectionneur de grossièretés, a affirmé l’an passé que la fermeture de ce chemin éviterait le débordement d’un système de santé pourtant déjà surchargé depuis des années ! Le même avait laissé entendre qu’il existait un lien entre le chemin Roxham et la propagation du variant Omicron… Mieux valait compter sur des robots, disait-il aussi, que sur des immigrants pour résorber la pénurie de main-d’oeuvre !

Bien des commentateurs obsédés par l’immigration ont des allures d’agitateurs à force de chercher à tout prix à créer les conditions favorables à la croissance de leur nombre d’auditeurs et d’électeurs plutôt qu’à éclairer le débat public. Selon de vieux clichés, l’immigrant serait une menace et un danger, lorsqu’il n’est pas réduit à une simple marchandise. Au nom d’une vision étriquée de l’identité nationale, faut-il pourchasser et traquer ces gens comme des vaches, pour les enfermer, les terroriser, les maltraiter et les traire, au seul prétexte qu’ils viennent d’ailleurs ?

Le nombre de personnes qui migrent désormais au pays de façon temporaire, que ce soit pour labourer nos terres, assurer les récoltes ou soigner nos aînés, a été multiplié par trois. Pareilles portes tournantes, par lesquelles des personnes sont exploitées puis expulsées, est-ce là un meilleur gage d’humanité ?

Une immigration planifiée à gros prix par la firme McKinsey, au nom des puissances de la finance, puis avalisée par un béni-oui-oui d’une morale sans esprit à la Justin Trudeau, cela n’a évidemment pas de quoi rassurer qui que ce soit. Mais on ne peut pas jeter pour autant des gens comme des kleenex, sachant ce qu’est la faim, le froid, la misère, l’insécurité, la peur. Les problèmes majeurs qui pèsent sur notre monde ne tiennent pas à l’immigration, mais à ses causes. C’est à elles qu’il faut s’attaquer.

Il n’existe pas de meilleur des mondes. Mais un monde meilleur est possible. Encore faudrait-il, pour commencer à en envisager les termes, accepter de retirer nos oeillères des temps passés

Source: Ouvrir le chemin Roxham

Nadeau: L’insulte fasciste

Of note:

Le mot « fasciste » est de retour sur toutes les lèvres. Pour parler du monde dans lequel nous vivons désormais, convient-il encore ? Nombreux sont ceux qui, de plus en plus, voient dans la situation présente des correspondances avec les crises successives qui plombèrent les années 1930. Est-il anachronique de penser qu’un passé peut revenir nous hanter sous une forme recomposée ?

Au fil du temps, l’étiquette « fasciste » s’est décollée de la bouteille où on a mélangé trop de réalités politiques différentes. Aujourd’hui, ceux qui sont les plus susceptibles de faire sortir les mauvais génies de cette bouteille en refusent l’étiquette. Ils la savent infamante, c’est-à-dire de nature à les déconsidérer en société.

Il serait naïf de croire que le fascisme est mort avec Hitler dans un bunker ou au crochet de boucherie où fut pendu le corps de Mussolini. La guerre n’était pas terminée que bien des adorateurs des droites radicales — lesquels n’avaient pas toujours le Duce et le Führer comme modèles — cherchaient déjà à la faire regermer, plantant ses vieilles idées délétères en de nouveaux terreaux.

George Orwell prévenait que le fascisme reviendrait sur la place publique en portant un chapeau melon et un parapluie roulé sous le bras, selon l’image de l’homme respectable en son temps. Au Canada, le leader fasciste Adrien Arcand lui donnait en quelque sorte raison. Les crânes rasés, les uniformes et les démonstrations de force appartenaient au passé, disait Arcand après-guerre. L’avenir de l’extrême droite dépendait désormais de sa capacité à se parer des apparences de la respectabilité, prévenait-il. À cette fin, il fallait la présenter cravatée, puis trouver à investir les médias pour se faire valoir ainsi endimanché.

Le ridicule et la naïveté des antifascistes, clamait Pier Paolo Pasolini, étaient de continuer de traquer l’extrême droite dans ses formes anciennes. Le fascisme avait muté à mesure que la société de consommation prenait de l’expansion, plaidait-il à raison.

Comme le ridicule ne tue pas plus d’un côté ou de l’autre du spectre politique, les esprits de droite les plus radicaux exigent aujourd’hui d’être exonérés de l’étiquette de fasciste, sous prétexte qu’ils ont changé de costume. Ils ne précisent pas qu’ils ont bel et bien conservé, au creux de leurs poches et dans la doublure de leur veste, un même fond d’idées.

La Hongrie d’Orban, habituée de piétiner les droits démocratiques, est enthousiaste au possible devant les avancées de Georgia Meloni, la nouvelle tête de la droite radicale italienne au passé fasciste avoué. Vincenzo Sofo, une des figures fortes de Fratelli d’Italia, le parti de Meloni, est le mari de Marion Maréchal, l’égérie de l’extrême droite française, par ailleurs petite-fille du fondateur du Front national. Sa tante, Marine Le Pen, a multiplié par le passé les révérences de son parti, le Rassemblement national, envers le régime autoritaire de Poutine. En Suède, contre toute attente, l’extrême droite a refait son nid. Au Brésil de Bolsonaro, la dictature des militaires et ses bourreaux sont célébrés. Tout ce beau monde s’est montré ravi des pirouettes antidémocratiques proposées par Trump. Ces mouvements se portent assistance mutuelle, dans une sorte de fraternité d’idées qui n’a nul besoin d’organisations dûment constituées pour être constatée.

Les néofascistes se présentent comme des anticonformistes valeureux bravant les élites. Dans les faits, ils défendent encore et toujours la même vieille hiérarchie sociale. Les inégalités, ils les tiennent pour naturelles, tel un simple reflet du mérite individuel. Dans leur univers brutal et darwinien, où la loi du plus fort règne, chacun est livré à la merci de ses propres malheurs. Et tous sont vendus à l’illusion qu’il faut se battre les uns contre les autres pour survivre.

Ces régimes d’idées qui veulent en finir, une fois pour toutes, avec les modèles de la social-démocratie, favorisent une fiscalité à l’avantage des puissants, en prenant pour bouc émissaire les immigrants. Devant le paravent d’un nationalisme doctrinaire, l’obsession de l’immigration est ramenée à l’avant, comme aux heures les plus sombres des années 1930. La menace fabulée d’un « grand remplacement » habille désormais le vieux mannequin de la xénophobie la plus obscène, comme pour détourner l’attention du catastrophique démantèlement progressif des services publics et de menaces planétaires autrement plus profondes.

Les ayatollahs du nationalisme identitaire ont sans cesse à la bouche les mots « culture » et « civilisation ». Jamais pour autant on ne les entend parler plus de cinq secondes de littérature, de théâtre, de danse, de cinéma, de patrimoine, ni du fait d’ailleurs que l’écrasante majorité des artisans de ces sphères sont opposés à leurs pensées carrées. Jamais on ne les entend rappeler que cette civilisation, certes chrétienne, occidentale et aristocratique, a été aussi cosmopolite, qu’elle a produit la pensée critique, que son histoire a été traversée de puissants appels à l’égalité, la justice, la démocratie, l’humanisme, la tolérance. Ce versant les laisse indifférents.

Au nom d’un ressentiment populaire contre les élites qui pillent allègrement la terre, les néofascistes séduisent. Ils jouent pourtant double jeu. D’une main, ils flattent la chèvre au cou tandis que, de l’autre, ils arrosent le chou. Leur rébellion de surface, qui souffle sur les braises d’une grogne générale, ne remet jamais en cause le système économique et sert l’autorité de ceux qui en sont déjà les maîtres.

Les néofascistes s’assurent de prendre le relais de l’ordre établi, en promettant de le pousser plus loin. En se laissant de la sorte porter au pouvoir, au gré de la peur et du ressentiment, ils entendent parvenir à piloter à leur tour un système néolibéral déjà hégémonique, lui offrant tout au plus un supplément d’âme avec ses appels opportunistes à la nation, seule forme de fraternité qui les émeut. Et à vouloir mieux foncer sur cette vieille voie, ils nous conduisent tout droit à un renouveau du pire.

Source: L’insulte fasciste

Commentary on the use of the term genocide in the MMIWG report

Some of the more interesting commentary on both sides of the issue (I favour the critics on this one):

Starting with Jon Kay:

…….Discussing the number of people killed in a genocide has an inherently dehumanizing effect on individual victims. But numbers matter, since the term “genocide” becomes completely meaningless if is used as a catch-all to describe all forms of homicide that afflict disadvantaged groups. The government of Canada recognizes five genocides—corresponding to Armenia, Rwanda, Ukraine, Bosnia and the Nazi Holocaust. The average fatality count for these genocides was about three million. The total number of Canadian MMIWG killed over the last half century is about one thousandth that number.

A finding of genocide does not require the discovery of concentration camps and gas chambers: As with the Armenian and Ukrainian genocides, one may infer genocidal intent based on policies that inflicted deadly conditions on men, women and children by intentionally destroying their property and livelihoods, or casting them out into the wilderness to die by exposure, starvation or pogroms. This is in fact how many real historical genocides against Indigenous peoples were perpetrated. But that has no relevance to the manner by which MMIWG are dying in 2019—which is not by pogrom or rampaging militia, but by the same ordinarily horrible way that most homicide victims meet their end: domestic violence and street crime. Nor is there statistical evidence to suggest that Canadian constabularies as a whole don’t take these crimes seriously—though there are individual cases in which police have acted disgracefully. “In 2014, a higher proportion of homicides of Aboriginal victims were solved by police compared with non-Aboriginal victims (85 percent versus 71 percent),” the government reportedin 2015.

The homicide rate for Aboriginal females in Canada, measured in 2014, was 4.82 per 100,000 population. This is about 30 percent less than the homicide rate for the entire U.S. population (6.2). So the statistical implication of this week’s report from the National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls (to cite the body’s full name) is that the entire United States exists in a daily state of permanent genocide.

Of course, one could attempt to prove the existence of such an ongoing U.S. genocide by claiming—truthfully—that the higher rates of black homicide are connected to the American legacy of slavery and other genocidal practices. But if this sort of historical analysis is invoked as a means to justify the use of the term genocide, then literally every killing known to humankind can be swallowed up by the word, since no human being exists in isolation from the past. And that is just one of the many bizarre corollaries that emerge from this inaccurate use of language: Since about 70 percent of MMIWG are killed by Indigenous men, the effect of this week’s declaration is to present Canada’s Indigenous peoples as genocidaires of themselves.

Despite this, many Canadians seem anxious to embrace the report, as it affirms the simple narrative that the challenges faced by Canada’s Indigenous peoples are largely the result of white racism, and so can be solved if Canadians simply awaken to their own collective bigotry. Indeed, the problem of MMIWG has been studied comprehensively on previous occasions, and so it was never completely clear what this new inquiry would supply Canada, except a sort of quasi-evangelical call to arms against the forces of racism. Given this, the inquiry commissioners no doubt felt enormous pressure to deliver a dramatic new re-formulation of the moral stakes at play in the MMIWG crisis, which perhaps explains their decision to supply a grandiose new label to stick on front pages.

In the long run, the effect of this will be not only to erode the moral force of the term genocide, but also to hurt indigenous people by encouraging the terrifying and condescending conceit that their status in Canada is akin to that of Tutsis in 1994 Rwanda or Jews in 1939 Germany. The MMIWG inquiry set out 231 recommendations, which deserve to be taken seriously. Unfortunately, the whole $92-million exercise now is coloured by the rhetorical overreach surrounding the final report.

All societies lie to themselves about genocide. But the nature of the lies change over time. In Tacitus’ channeling of Calgacus, the Romans would “make a solitude and call it peace.” In Canada, we now do something closer to the opposite—summoning into being a spirit of genocide that hasn’t existed since those shameful days of universal plunder.

Source: The Ultimate ‘Concept Creep’: How a Canadian Inquiry Strips the Word ‘Genocide’ of Meaning

Neil Macdonald, on the other hand, avoids the issue:

Buller, with her serene smile, was explicit at the ceremony: “The significant, persistent and deliberate pattern of systemic racial and gendered human and indigenous rights violations and abuses perpetuated historically and maintained today by the Canadian state … is the cause of the disappearances, murders, and violence experienced by Indigenous women … and this is genocide.”

I’m not going to argue with that, as some foolish people like former Conservative minister Bernard Valcourt have already loudly done. Quibbling over the definition of genocide does nothing but help obscure the long history of vicious racism and undeniable suffering of Indigenous people in this country. It’s bad enough whatever you want to call it.

Source: Opinion: Our casual racism causes Indigenous suffering: Neil MacdonaldQuibbling over the definition of genocide does nothing but help obscure the long history of vicious racism and undeniable suffering of Indigenous people in this country. It’s bad enough whatever you want to call it.Opinion |8 hours ago,

Tanya Talaga makes the case in favour, but one that I find less convincing than the arguments against:

Almost four years to the day after the Truth and Reconciliation Commission said Canada committed a cultural genocide against Indigenous people, the national inquiry into our murdered and missing Indigenous women and girls took it a step further.

They said the death of our women, by the thousands, was simply a genocide.

The echo is not coincidental.

The genocidal process was the same.

In the words of the four-person commission, the epidemic of deaths and disappearances is the direct result of a “persistent and deliberate pattern of systemic racial and gendered … rights violations and abuses, perpetuated historically and maintained today by the Canadian state, designed to displace Indigenous people from their lands, social structures and governments, and to eradicate their existence as nations, communities, families and individuals.”

As expected, the protests quickly emerged. This is no “genocide,” the critics said. The coast-to-coast-to-coast commission, which interviewed over 2,000 families, survivors and knowledge keepers, exaggerated or got it wrong. Former aboriginal affairs minister Bernard Valcourt, who served under Stephen Harper, started off the bashing with a bang:

“What has been the cost to Canadians for this propagandist report?” he tweeted.

For his part, Prime Minister Justin Trudeau refused to say the word “genocide” as he addressed the assembled families, survivors and commissioners.

But those of us who have been on the wrong side of the “persistent and deliberate pattern” know that “genocide” is the right word.

As the ceremony began, it was Chief Commissioner Marion Buller who said the hard truth is that “we live in a country whose laws and institutions perpetuate violations of fundamental rights, amounting to a genocide.”

Buller, the first appointed First Nations female judge in British Columbia, took a lot of heat when the inquiry began. Members of her team were quitting, families weren’t being properly notified or compensated. Many said her mandate was overly narrow. Yet she weathered it all and fulfilled her highest purpose. She gave voice to the victims.

The inescapable conclusion of all their harrowing and beautiful testimony is that “genocide” is the only word for the state-enabled deaths of thousands of sisters, aunties, grandmothers, cousins and friends.

So why won’t our prime minister say it? What’s he afraid of?

Perhaps he understands that calling the genocide a genocide would acknowledge that his government — and others — are morally culpable for the losses of the thousands of our women, girls and 2SLGBTQQIA people. Or maybe it was the legal culpability that worried him; lawyers no doubt advised Trudeau not to say it. The pollsters, too, were probably against it, as we edge towards an election. It isn’t as easy to take a principled stand when votes are potentially at stake.

Whatever his reasons, his omission was telling. But it hardly dampened the power of the day.

“We don’t need to hear the word genocide come out of the prime minister’s mouth because families have told us their truth,” Buller said during the press conference.

The families of the taken, not forgotten women, agree. They don’t need to hear arguments over what constitutes genocide. They know it to be true because they live it.

As the ceremony drew to a close on Monday, Thunder Bay’s Maddy Murray stopped me and asked me to remember Alinda Lahteenmaki, who died in Winnipeg on Jan. 30, 2009 after plunging 11 storeys. She was 23 years old and her boyfriend pleaded guilty to manslaughter.

“There is no closure,” she said to me as the drums began to beat the warrior song.

But there can be an end to the violence.

The murders and rapes, the violence against Indigenous women and girls will continue until Canada confronts the genocide and the long-promised new relationship is finally delivered.

This requires that Canada confront the historical disadvantages, intergenerational trauma, and discrimination experienced by Indigenous people, the report explained. And that begins with making significant strides toward substantive equality through changes to our justice system, to policing, to social and health services, to education, to everything Canada prides itself on and holds dear.

To many, these institutions are a symbol of what makes Canada great. But the report makes clear that they are far from perfect. That they are rigged against Canada’s first peoples. That they are tools of colonial violence, of genocide.

That is the conclusion of Buller and her team of commissioners.

It is disappointing that many of our politicians refuse to say the word. It would be far worse — a terrible tragedy — if they continued to be complicit in the act.

Source: Tanya Talaga: Why can’t we use the word genocide 

The more pragmatic takes include Chantal Hébert:

As opposition leader in the lead-up to the last federal election, Justin Trudeau did not waste a single day to commit to implement the 94 recommendations of the truth and reconciliation commission.

He made the promise mere hours after the commission reported on the damage inflicted on Canada’s Indigenous peoples by the residential school system and the way forward.

Almost four years into the Liberals’ current term, Trudeau’s government is still struggling to honour that pledge.

That goes some way to account for the contrast in the reception he gave on Monday to the final report of the National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls.

The prime minister refrained from embracing its 200-plus recommendations, sticking instead to a more general promise to not let the report gather dust.

Most notably, Trudeau steered clear of endorsing the group’s core finding that a planned genocide was the root cause of the violence endured by past and present generations of Indigenous women.

It remains to be seen whether the provocative conclusion that tops the inquiry’s prescriptions will eventually resurface in an official government of Canada statement or in Trudeau’s promised action plan.

Equating the violence Indigenous women have and, in many cases, continue to endure with the interracial mass killings that saw thousands massacred by their compatriots in Rwanda in the late nineties will not come easily to many Canadians or their elected officials.

Indeed, one of the first to reject the equation on Monday was none other than Roméo Dallaire, the Canadian general who led a UN force of peacekeepers in Rwanda at the time of that genocide and who continues to suffer mental anguish from having been powerless to prevent it.

The risk here is that the argument over the use of the term “genocide” steals the show from the reforms the report advocates.

No one — least of all the Indigenous women whose future the inquiry is determined to help make brighter — will be advanced by a fight over what to call an undeniably dismal legacy of discrimination.

As the distinct society debate demonstrated at the time of the Canada/Quebec constitutional wars, words often take on a life of their own, to the detriment of the reconciliation they are meant to advance.

The commission sets ambitious goals and the authors of the report insist their prescriptions are a package deal that has to be accepted as a whole by all levels of governments.

In so doing, they may be programming their report to fail.

One only needs to look at the federation’s difficulty in coming to a common federal-provincial approach to climate change and carbon pricing to know that even with the strongest political will no federal government has it in its power to force the provinces to sing from its hymn book.

The combination of an all-or-nothing approach to the report’s implementation combined with the implication that anyone not on board with its findings is somewhat complicit in a genocide was likely designed to induce a greater sense of public urgency. But it could achieve the opposite.

In the ongoing debate over climate change, increasingly dire predictions about the impact of global warming have as often as not overwhelmed large segments of the target audience. Many simply tuned out.

Every prime minister since Brian Mulroney has either had an Indigenous-related inquiry in progress or had a multi-year commission report on his watch.

It has been 26 years since the Erasmus-Dussault commission handed the federal government of the day a 20-year plan to reset the relationship between Canada and its Indigenous peoples.

That report was the fruit of five year’s work. It was 4,000 pages long and it listed 440 recommendations. Most of them have not been implemented.

In 2015, the truth and reconciliation report — at more than 2,500 pages over six volumes — produced 94 recommendations. (That comparatively modest number is somewhat misleading as more than a few had multiple subsets.) Their implementation is, at best, still a work in progress.

On Monday, the national inquiry recycled many of its predecessors’ recommendations. It expanded the scope of previous prescriptions that have yet to be even partly followed up on.

The 2015 truth and reconciliation report described the residential schools as a feature of a “cultural genocide” and issued “calls for action.”

The national inquiry’s report concludes that the violence against Indigenous women and girls is part of a planned genocide and issues “calls for justice.”

When it comes to achieving reconciliation with the country’s Indigenous peoples, Monday’s report like the others before it makes it clear that Canada still has miles and miles to go.

But when it comes to the federal government tasking commissions of inquiry with drafting road maps, this report should probably mark the end of the road.

Source: https://www.thestar.com/politics/political-opinion/2019/06/03/murdered-and-missing-women-report-risks-being-ignored-with-its-all-or-nothing-approach.html

John Ivison in the National Post:

….The MMIWG probe was launched by Prime Minster Justin Trudeau’s Liberal government as part of its commitment to implement the recommendations of the Truth and Reconciliation Commission. It was a reasonable gesture of reconciliation, charged with symbolism, in the face of truly appalling statistics of violence against Indigenous women. The RCMP has said they made up 16 per cent of all female homicides between 1980 and 2012, despite comprising just 4 per cent of the population.

Victimization rates are not only triple those of non-Indigenous women, they are double those of Indigenous males.

While Indigenous identity does not explain the high victimization rate among native men — analysts suggest the increased presence of other risk factors such as homelessness, drug use or poor mental health are more responsible — Indigenous women are the country’s most vulnerable citizens simply by virtue of being Indigenous and female.

As Trudeau said, this is “not a relic of our past.”

No parent could read Bernice C.’s testimony and not be moved — certainly not this parent.

But the report’s release seems set to stoke division rather than engender good will.

It could have offered a focused blueprint on how to improve the safety of Indigenous women; instead the inquiry commissioners have produced a sprawling report that demands transformational change in all corners of Canadian society.

Despite Trudeau’s assurances that the document will not end up gathering dust, it appears destined to join the growing bibliotheca of mothballed Indigenous reports.

For that, the commissioners have themselves to blame.

They were asked to investigate violence against Indigenous women and to recommend concrete actions to increase their safety.

They chose to make the broadest possible interpretation of that mandate, rather than limit it to the specific issue of murdered and missing women.

The report spends comparatively little time looking at household victimization and spousal violence rates

Their conclusion is that the disproportionate rate of violence against Indigenous women is a direct consequence of hundreds of years of colonialism and discrimination that constitutes a “genocide.”

If it is a genocide, it is not one recognized by retired Lt.-General Romeo Dallaire — and he should know, having seen the real thing up close while commanding the UN mission in Rwanda in 1994. He said Monday that for him, genocide is the deliberate act of killing people of a certain ethnicity.

But the commissioners chose instead to use the interpretation of Polish-Jewish scholar Raphael Lemkin, who deemed that genocide is a co-ordinated plan to destroy the foundations of a national group with the aim of annihilating the group.

Systemic racism, sexism and colonialism has produced “institutional violence,” perpetuated by institutions such as the military, the church, the educational system, the health system, the police, emergency responders and the justice system, the report asserted.

The commissioners called on everyday Canadians to help “decolonization” by becoming strong allies. But even right-thinking people who are appalled by the victimization statistics are likely to recoil at the charge they are complicit in genocide. Canada has added three million new citizens in the past decade. Are newly-arrived Canadians going to feel remorse for a colonial past for which they bear no responsibility? To ask the question is to answer it.

While focusing on “institutional violence,” the report spends comparatively little time looking at household victimization and spousal violence rates that are significantly higher than those for non-Indigenous Canadians.

The inquiry’s time would have been better spent detailing the report’s principle recommendation — the creation of a national action plan to address violence against Indigenous women. It calls for equitable access to employment, housing, education, safety and health care but offers few specifics.

In his sober response Monday, Trudeau said his government will develop a national plan to augment its efforts on housing, boil water advisories, education and indigenous languages.

He called the report’s release “an essential day in the history of this country” — but, noticeably, he made no mention of genocide.

Many of the report’s “calls for justice” from government are sensible; others are unworkable.

In the former category, the production of an annual report of ongoing action; the creation of an Indigenous rights ombudsman; the delivery of violence prevention programs; and improved access to major crime units in the north appear to be good ideas.

Among the less pragmatic recommendations are the suggestion to re-open the Constitution to bring it into conformity with the U.N. Declaration on the Rights of Indigenous People; and, the creation of a guaranteed annual liveable income.

Some are borderline satirical — such as the recommendation calling for the promotion of Indigenous women to leadership positions (this government has tried that, with unfortunate consequence).

Others are set to get a frosty reception from the Liberals — for example, the suggestion that in murder cases where there is a pattern of intimate partner violence and abuse, a harsher sentence is awarded. Crown-Indigenous Relations minister Carolyn Bennett has already said she has heard a negative response to the idea because it removes the discretion of judges in similar fashion to mandatory minimum sentencing guidelines.

Most of the recommendations can be debated by reasonable people as part of a public policy discussion.

What is regrettable is the uncompromising claim by chief commissioner Marion Buller that all Canadians, except the country’s Indigenous inhabitants, are party to a “deliberate, race, identity and gender-based genocide.”

The final report offered the chance for closure and for families to put their pain behind them. The world is full of weeping but it does not go backward.

Yet, rather than a new dawn, where Indigenous and non-Indigenous Canadians could come together to condemn an unacceptable past and commit to build a better future, the opportunity has been eclipsed. Instead, we have the indictment that the bulk of the citizenry is engaged in annihilating its Indigenous minority.

That is not going to help the healing to begin.

Source: John Ivison: MMIW report is devastating, but its uncompromising nature may limit its impact

Lastly, a thoughtful exploration of the issue by:

Il est temps, peut-on lire dans une explication juridique publiée en marge de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, « de regarder la réalité en face : les politiques, actions et inactions coloniales passées et actuelles du Canada à l’égard des peuples autochtones constituent un génocide, lequel, conformément au droit liant le Canada, exige l’imputabilité ». L’Enquête affirme que « les structures et les politiques coloniales persistent aujourd’hui au Canada et qu’elles constituent l’une des causes profondes de la violence ».

Pour certains critiques, cette vision plus large des causes du drame qui touche les femmes décentre la portée du rapport qui leur est consacré en le propulsant dans un procès qui concerne toute l’histoire coloniale du pays. De fait, l’usage même du terme « génocide » est remis en cause.

Mais de l’avis même du rapport, l’Enquête nationale « ne prétend pas démontrer pleinement tous les éléments de la politique génocidaire », faute d’avoir entendu « l’ensemble de la preuve ». Mais elle penche néanmoins de ce côté, au point de ne pas se refuser un usage abondant du terme, tout en répétant que « la détermination formelle de la responsabilité pour génocide doit être déterminée par des organes judiciaires ».

Un abus de langage ?

Est-ce donc un abus de langage ou encore le fait d’une inflation verbale que d’user ainsi du terme « génocide » ?

Oui, dit l’ancien militaire Roméo Dallaire. À l’occasion d’un colloque organisé lundi par l’Institut d’études sur le génocide et les droits humains à l’Université Concordia, l’ancien commandant de la Mission des Nations unies au Rwanda a dénoncé cet usage du mot génocide. À son sens, la condition des femmes autochtones ne tient pas à l’effet d’un génocide, puisqu’il n’y a pas eu de volonté formelle de détruire un groupe humain au nom de leur caractère ethnique. L’ancien militaire n’en dénonce pas moins la condition faite aux Autochtones au Canada.

Sa définition, fondée sur une idée de la destruction physique d’un peuple, est partagée par l’historienne Deborah Lipstadt, professeure en études juives à l’Université Emory. Sans vouloir se prononcer sur la condition historique des Autochtones du Canada, mais tout en étant au fait de leur réalité, l’historienne affirme au Devoirqu’« il doit y avoir une volonté de destruction intentionnelle, une volonté d’éradiquer » pour parler de génocide. « Il faut consulter les documents, écouter les peuples concernés, analyser les décisions gouvernementales ». Le génocide, dit-elle, conduit à une destruction physique ou, à tout le moins, à une tentative de destruction.

Pour l’historien Pierre Anctil de l’Université d’Ottawa, spécialiste de l’histoire juive, l’usage du mot « génocide » en ce cas est étonnant. « Un crime contre un peuple est annoncé et planifié ». Il ne saurait être « le fait d’une série de gestes individuels, qui ne sont pas coordonnés. Je ne pense pas que ça corresponde aux sévices subis par les femmes autochtones. Je ne crois pas que ce soit concerté. Mais c’est par ailleurs une tendance de parler de génocide culturel. Dans ce cas, on rend difficile, voire impossible, la perpétuation d’une culture. Ce peut être une autre forme de génocide ».

Les mésusages

Dans Génocides, usages et mésusages d’un concept(CNRS éditions), un livre qui vient de paraître, l’historien des idées Bernard Bruneteau met en garde contre l’utilisation du terme dans une spirale inflationniste. Cette escalade rhétorique s’inscrit désormais « dans le registre émotionnel et le désir de souffrir par comparaison ».

Il existe des cas de génocides, selon la définition de 1948 des Nations unies, qui sont consacrés par l’alignement de la mémoire du groupe victime, de l’histoire scientifique de l’événement et du droit : le génocide des juifs européens (1941?1945), des Tutsis du Rwanda (1994), des musulmans bosniaques de Srebrenica (juillet 1995), des Khmers rouges à l’encontre des minorités Chams et vietnamiennes (1975?1979). Il existe aussi d’autres cas « en attente de pleine reconnaissance et à ce titre parfois contestés ou relativisés », dit l’historien Bruneteau. Par exemple, l’Arménie (1915?1916), l’Ukraine (1932?1933) ou le Cambodge (1975?1979).

Mais on trouve aussi désormais des cas où « le droit et l’histoire sont en retrait d’une mémoire sociale souvent militante qui entend sensibiliser le monde à la réalité d’un préjudice passé ». Des demandes de reconnaissance pourront sur cette base se multiplier, dit-il, par une extension de l’idée de génocide, « notamment chez les descendants des peuples indigènes victimes de la destruction de leur environnement (aborigènes d’Australie, Maya Achis du Guatemala, Yanomanis d’Amazonie, Achés du Paraguay…), chez les porte-parole autoproclamés des minorités ethniques opprimées aux quatre coins de la planète et chez les descendants de tous les groupes se percevant comme victimes de l’histoire ». En d’autres termes se profile un divorce entre la définition juridique du génocide et la réalité qu’elle est censée résumer, affirme Bernard Bruneteau.

Source: Inflation verbale ou définition élargie?

L’obsession identitaire

Il n’y a pas quinze ans, jamais on n’aurait cru le Québec capable de se plonger à ce point dans les méandres d’un nationalisme de brocante, qui conduit à édifier un tel barrage contre les apparences, sans rien changer pour autant au fonctionnement réel de notre monde.

Les espaces sociaux nous affirment autant qu’ils nous définissent, paraît-il. On peut du coup se prendre à rêver de lieux stables, immobiles, intouchés, intouchables, immuables, enracinés, figés, homogènes, bref de lieux qui constitueraient une sorte de pierre d’assise, de socle sur lequel pourraient se fonder nos existences, de quelque chose qui, pour tout dire, serait à la fois un point de départ autant qu’un point d’arrivée.

Mais de tels lieux n’existent pas. Ils n’ont jamais existé autrement que dans l’espace de nos pensées. Le monde n’est jamais tout à fait rassurant dans la mesure où il ne nous est pas révélé une fois pour toutes. Tout craque, tout se brise, tout s’effondre, tout est sans cesse à revoir, y compris au chapitre de l’identité, n’en déplaise à des zélotes agités. Ce que nous sommes demeure une question mouvante qu’il ne faut pas avoir peur de continuer de se poser. Les gloseurs du repli identitaire, en laissant croire le contraire, ne rendent service à personne.

Comment peut-on penser édifier une identité nationale sur la base du simple principe de la séparation de l’Église et de l’État, tout en maintenant des exceptions pour les écoles dites privées (soutenues à bout de bras par l’État), en faisant de même avec les services de garde, en ne définissant guère ce qu’est un signe religieux, c’est-à-dire en légalisant, au fond, un système qui ne fait que porter atteinte aux droits de certains individus, au point de les empêcher de travailler ? En quoi une société se trouve-t-elle de la sorte plus avancée ?

Le principe de la laïcité était déjà affirmé. Il demandait sans doute des changements ponctuels, ce qui aurait pu se faire sans la glose du repli identitaire et sans l’usage d’un canon législatif.

Voilà que d’un principe on fait un leurre voué, à force de le sublimer, de soustraire à l’attention publique des inégalités autrement plus sérieuses. Tout ce gâchis s’apparente bel et bien, au bout du compte, à un détournement du regard face à des enjeux sociaux plus structurants.

Dans le champ du discours, au nom de cette cavalcade effrénée de la laïcité, les séparations sociales sont dissimulées, comme si les problèmes de société les plus importants étaient tout entiers contenus dans celui-ci. Pendant ce temps, comme on l’a vu encore ces derniers jours, des enfants défavorisés se font supprimer leurs repas du midi ; le nombre d’itinérants s’avère en forte croissance ; des familles parmi les plus pauvres se voient soustraire des allocations pour leur progéniture sous des prétextes fumeux.

Mais dans cette société, plus déchirée que jamais à force d’agiter cette question de la laïcité, on continue de plus belle, comme si de rien n’était, à parler de « vivre-ensemble », en s’illusionnant sur ce que cela veut dire. Cette idée du « vivre-ensemble » fait l’impasse sur des stratifications sociales pourtant de plus en plus claires. On fait comme si, au moment de les enfermer dans une même cage, on disait à un lion et à un lapin : « Mais entendez-vous, puisque après tout vous êtes tous les deux des animaux ! » Nous voici dans une société qui feint d’ignorer quel sort attend le lapin, parce que le seul fait de vivre, croit-on, devrait suffire à affirmer un principe d’égalité en pratique sans cesse bafoué. En somme, nous nous rendons aveugles sur la vie ici-bas au nom d’un principe envisagé de trop haut.

Les mesures favorables à la laïcité sont vouées, telles qu’elles sont du moins présentées, à continuer de soutenir cette illusion d’égalité dans un monde qui multiplie de plus belle les motifs de relégation aux marges de la vie sociale. Sous le mince vernis de pareilles mesures tout en surface, cette société souffre d’un dangereux durcissement de ses artères sociales.

Oui à la laïcité. Mais si l’idée est d’affirmer l’égalité et la neutralité des individus au service de l’État, pourquoi s’en tenir à de frêles apparences, au point de contribuer à encore plus d’exclusions, tout en flattant de la sorte le populisme, en cajolant les pouvoirs de coercition, en endormant les revendications sociales ?

Le grand Tolstoï écrivait : « Je suis assis sur le dos de quelqu’un, je le fais suffoquer et je l’oblige à me porter ; pourtant, je m’assure moi-même et à d’autres que je suis désolé pour lui et que je désire soulager son sort par tous les moyens possibles — sauf de descendre de son dos. »

Source: L’obsession identitaire