Rioux: La peur des mots
2024/01/06 Leave a comment
Surprising he didn’t mention “pregnant people” or “people who menstruate” as another example, or perhaps these terms have not crossed the Atlantic to France. In line with Orwell’s famous essay, “Politics and the English Language”:
La fonction des mots n’est-elle pas de dire les choses et de le dire avec le plus de clarté et de précision possible ? Longtemps, ceux qui font métier d’écrire ou de parler ont entretenu le culte du mot juste. Il s’agissait d’éviter les idées floues et les phrases imprécises. Et avec elles, ces mots qui cultivent l’imprécision, le vague ou la vacuité.
On ne m’en voudra pas de déflorer cette nouvelle année en mettant en garde contre un certain nombre de ces mots qui pullulent malheureusement dans nos médias. Car, depuis un certain nombre d’années, on a vu se multiplier ces expressions dont la fonction n’était pas de dire les choses avec précision, mais de le dire avec le plus de flou possible. Soit que leurs locuteurs souhaitaient dissimuler leurs pensées, soit qu’ils aient craint d’éventuelles représailles. À moins qu’ils n’aient tout simplement rien eu à dire, se contentant d’ânonner les expressions à la mode. Cela existe.
Malheureusement pour ces derniers, les mots, eux, ne mentent pas. Après la COVID-19, le SRAS et l’Ebola, l’épidémie du mot « personne » est certainement l’une des pires qu’on ait connues depuis longtemps. Pas une journée sans que la radio et la télévision, sous prétexte d’« inclusivité », ne nous entretiennent de « personnes handicapées », de « personnes hospitalisées » ou de « personnes itinérantes ». Sans oublier ce summum absolu de toutes ces lapalissades : la « personne humaine » !
Ce n’est pas un hasard si, à l’origine, le mot personne désignait un masque de théâtre. N’est-ce pas ce mot qu’utilisa d’ailleurs Ulysse pour tromper le Cyclope ? Voilà pourtant qu’un petit malin — probablement payé au mot — a décroché le Graal en inventant la formule « personne en situation de ». Nous voilà donc affublés de « personnes en situation de handicap », de « personnes en situation d’hospitalisation » et d’« élève en situation d’échec ». À quand la personne « en situation de bêtise » ou « en situation de sottise » ? À ce rythme, il faudra bientôt des périphrases interminables pour nommer les choses les plus simples. Tout pour mettre à distance la réalité : celle des « handicapés », des « malades » et des « cancres » !
Ces circonvolutions linguistiques ne sont pas que de simples tics de langage. Elles participent de cette rectitude politique que certains, comme l’écrivain Allan Bloom, identifièrent dès les années 1980. Cette mauvaise conscience des élites protestantes américaines est devenue depuis une véritable maladie dégénérative qui atteint tout particulièrement la langue.
J’ai tendance à penser que c’est par cette perversion du vocabulaire — qui crée en quelque sorte des « safe spaces » linguistiques où l’on ne risque plus d’être importuné par la réalité — que le wokisme a lentement gagné en influence sans faire de bruit, jusqu’à gangrener nos universités et nos médias. Car qui gagne la bataille des mots gagne la guerre.
Prenez cette recrudescence du mot « inapproprié » qui pollue les ondes et les pages des journaux. Non content d’être la plupart du temps un anglicisme (« inappropriate »), le mot semble fait sur mesure pour incriminer quelqu’un sans avoir à dire si son attitude était simplement déplacée, impolie, indécente, carrément abjecte, violente ou même criminelle.
On retrouve le même flou artistique sciemment entretenu dans ce qu’il est dorénavant convenu de nommer les « inconduites sexuelles ». Quel mot pratique pour accuser quelqu’un sans avoir à dire de quoi. La formule semble avoir été récupérée dans un manuel de bienséance de la bonne société victorienne. Elle désigne aussi bien une farce grivoise qu’un viol. On la dirait inventée par des avocats afin de jeter l’opprobre sans être accusé de diffamation.
Mais ce qu’on sent surtout dans ces expressions, c’est une peur panique du monde réel. La peur de toucher la réalité des choses ou de « flatter le cul des vaches », aurait dit avec sa bonhomie habituelle l’ancien président Jacques Chirac. Il sera toujours plus rassurant de regarder le monde à travers un écran.
En France, on ne compte plus les formules qu’utilisent les médias pour ne pas nommer ces endroits que l’immigration de masse a transformés en ghettos. Les voilà qualifiés de « quartiers », de « cités », de « banlieues », de « périphérie », de « zone » ou de « territoire ». Que de créativité afin de dissimuler la réalité toute simple et d’éviter la critique.
Ce même désir de ne pas nommer le monde explique la soudaine recrudescence du mot « haine ». Il a notamment servi à dissimuler l’explosion, pourtant amplement documentée, de l’antisémitisme un peu partout dans le monde à la suite de l’attentat du 7 octobre contre Israël. La haine a beau être « l’hiver du coeur », disait Hugo, elle peut recouvrir tout et son contraire. Car il y a des haines légitimes. À commencer par celle de cette langue de bois, à la fois technocratique et idéologique, incomprise de la majorité, que nous assènent nos nouvelles élites à coup de « flexitariens », d’« écoanxiété », de « féminicides » et autres formules alambiquées.
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément », disait Nicolas Boileau. Cette bataille des mots peut sembler insignifiante, elle est pourtant au coeur des combats d’aujourd’hui. Bonne année quand même.
Source: La peur des mots
