Rioux: La peur des mots

Surprising he didn’t mention “pregnant people” or “people who menstruate” as another example, or perhaps these terms have not crossed the Atlantic to France. In line with Orwell’s famous essay, “Politics and the English Language”:

La fonction des mots n’est-elle pas de dire les choses et de le dire avec le plus de clarté et de précision possible ? Longtemps, ceux qui font métier d’écrire ou de parler ont entretenu le culte du mot juste. Il s’agissait d’éviter les idées floues et les phrases imprécises. Et avec elles, ces mots qui cultivent l’imprécision, le vague ou la vacuité.

On ne m’en voudra pas de déflorer cette nouvelle année en mettant en garde contre un certain nombre de ces mots qui pullulent malheureusement dans nos médias. Car, depuis un certain nombre d’années, on a vu se multiplier ces expressions dont la fonction n’était pas de dire les choses avec précision, mais de le dire avec le plus de flou possible. Soit que leurs locuteurs souhaitaient dissimuler leurs pensées, soit qu’ils aient craint d’éventuelles représailles. À moins qu’ils n’aient tout simplement rien eu à dire, se contentant d’ânonner les expressions à la mode. Cela existe.

Malheureusement pour ces derniers, les mots, eux, ne mentent pas. Après la COVID-19, le SRAS et l’Ebola, l’épidémie du mot « personne » est certainement l’une des pires qu’on ait connues depuis longtemps. Pas une journée sans que la radio et la télévision, sous prétexte d’« inclusivité », ne nous entretiennent de « personnes handicapées », de « personnes hospitalisées » ou de « personnes itinérantes ». Sans oublier ce summum absolu de toutes ces lapalissades : la « personne humaine » !

Ce n’est pas un hasard si, à l’origine, le mot personne désignait un masque de théâtre. N’est-ce pas ce mot qu’utilisa d’ailleurs Ulysse pour tromper le Cyclope ? Voilà pourtant qu’un petit malin — probablement payé au mot — a décroché le Graal en inventant la formule « personne en situation de ». Nous voilà donc affublés de « personnes en situation de handicap », de « personnes en situation d’hospitalisation » et d’« élève en situation d’échec ». À quand la personne « en situation de bêtise » ou « en situation de sottise » ? À ce rythme, il faudra bientôt des périphrases interminables pour nommer les choses les plus simples. Tout pour mettre à distance la réalité : celle des « handicapés », des « malades » et des « cancres » !

Ces circonvolutions linguistiques ne sont pas que de simples tics de langage. Elles participent de cette rectitude politique que certains, comme l’écrivain Allan Bloom, identifièrent dès les années 1980. Cette mauvaise conscience des élites protestantes américaines est devenue depuis une véritable maladie dégénérative qui atteint tout particulièrement la langue.

J’ai tendance à penser que c’est par cette perversion du vocabulaire — qui crée en quelque sorte des « safe spaces » linguistiques où l’on ne risque plus d’être importuné par la réalité — que le wokisme a lentement gagné en influence sans faire de bruit, jusqu’à gangrener nos universités et nos médias. Car qui gagne la bataille des mots gagne la guerre.

Prenez cette recrudescence du mot « inapproprié » qui pollue les ondes et les pages des journaux. Non content d’être la plupart du temps un anglicisme (« inappropriate »), le mot semble fait sur mesure pour incriminer quelqu’un sans avoir à dire si son attitude était simplement déplacée, impolie, indécente, carrément abjecte, violente ou même criminelle.

On retrouve le même flou artistique sciemment entretenu dans ce qu’il est dorénavant convenu de nommer les « inconduites sexuelles ». Quel mot pratique pour accuser quelqu’un sans avoir à dire de quoi. La formule semble avoir été récupérée dans un manuel de bienséance de la bonne société victorienne. Elle désigne aussi bien une farce grivoise qu’un viol. On la dirait inventée par des avocats afin de jeter l’opprobre sans être accusé de diffamation. 

Mais ce qu’on sent surtout dans ces expressions, c’est une peur panique du monde réel. La peur de toucher la réalité des choses ou de « flatter le cul des vaches », aurait dit avec sa bonhomie habituelle l’ancien président Jacques Chirac. Il sera toujours plus rassurant de regarder le monde à travers un écran.

En France, on ne compte plus les formules qu’utilisent les médias pour ne pas nommer ces endroits que l’immigration de masse a transformés en ghettos. Les voilà qualifiés de « quartiers », de « cités », de « banlieues », de « périphérie », de « zone » ou de « territoire ». Que de créativité afin de dissimuler la réalité toute simple et d’éviter la critique.

Ce même désir de ne pas nommer le monde explique la soudaine recrudescence du mot « haine ». Il a notamment servi à dissimuler l’explosion, pourtant amplement documentée, de l’antisémitisme un peu partout dans le monde à la suite de l’attentat du 7 octobre contre Israël. La haine a beau être « l’hiver du coeur », disait Hugo, elle peut recouvrir tout et son contraire. Car il y a des haines légitimes. À commencer par celle de cette langue de bois, à la fois technocratique et idéologique, incomprise de la majorité, que nous assènent nos nouvelles élites à coup de « flexitariens », d’« écoanxiété », de « féminicides » et autres formules alambiquées.

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément », disait Nicolas Boileau. Cette bataille des mots peut sembler insignifiante, elle est pourtant au coeur des combats d’aujourd’hui. Bonne année quand même.

Source: La peur des mots

Rioux: La sainte alliance

French debates, but parallels here with some more religiously conservative communities:

Diane a toujours été un sujet de prédilection des peintres. On retrouve la déesse de l’Aventin sous les couleurs de Rembrandt, du Titien ou de Vermeer. L’une des scènes les plus courantes est celle où le jeune chasseur Actéon, perdu dans les bois, surprend par hasard la vierge sortant de son bain en compagnie de ses nymphes. Toutes sont évidemment dans le plus simple appareil.

Ce jour-là, c’est une toile du peintre italien Guiseppe Cesari illustrant un passage des Métamorphoses d’Ovide que les élèves étudiaient. Nous sommes au collège Jacques-Cartier, à 50 kilomètres de Paris. En première année du secondaire, les mythes de l’Antiquité sont au programme. Rien de plus normal, donc, que l’enseignante soumette cette toile à ses élèves. Jusqu’à ce que certains s’offusquent et détournent les yeux ! Comme les ligues de vertu d’une autre époque.

À leur professeur principal, ils diront avoir été heurtés dans leurs convictions religieuses. Certains iront jusqu’à accuser l’enseignante de provocation raciste. Une accusation fausse sur laquelle ils reviendront rapidement. L’affaire aurait pu en rester là. Mais nous sommes en France, où 83 % des musulmans de moins de 25 ans adhèrent à une conception rigoriste selon laquelle l’islam est « la seule vraie religion », nous révélait un sondage récent.

La panique s’est aussitôt répandue chez les enseignants. Comment ne pas songer à Samuel Paty, égorgé à 25 kilomètres à peine pour avoir montré à ses élèves deux caricatures du prophète ? Ou à Dominique Bernard, exécuté par un islamiste le 13 octobre dernier. Un attentat dont 31 % des jeunes scolarisés disent ne « pas condamner totalement » l’auteur ou « partager certaines de ses motivations ».

Heureusement, le ministre Gabriel Attal s’est rendu sur place. Il s’est donc trouvé une voix pour affirmer qu’« à l’école française, on ne détourne pas le regard devant un tableau, on ne se bouche pas les oreilles en cours de musique, on ne porte pas de tenue religieuse, bref, à l’école française on ne négocie ni l’autorité de l’enseignant ni l’autorité de nos règles et de nos valeurs » !

Habitués d’être lâchés par leur administration, les 860 000 enseignants de France ont poussé un soupir de soulagement. Mais pour combien de temps ? Car ce régime de la peur fait dorénavant partie de la vie quotidienne des professeurs. Tous se demandent qui sera le prochain. Il suffit d’évoquer Israël, la Shoah, la guerre d’Algérie, l’apostasie, les droits des femmes, l’homosexualité ou même l’ombre d’un sein sur une toile de maître.

Ce n’est pas un hasard si le dernier livre de l’ancien inspecteur général de l’Éducation nationale Jean-Pierre Obin s’intitule Les profs ont peur (L’Observatoire). Il s’ouvre sur l’histoire de ce professeur qui donnait un cours sur le nazisme… sans parler des Juifs ! « Je n’ai pas envie de retrouver ma voiture vandalisée comme la dernière fois, disait-il. […] J’ai une femme et des enfants. » Au début des années 2000, ces cas ne concernaient qu’une petite soixantaine d’établissements. On n’en est plus là. Quatre enseignants sur cinq disent avoir eu maille à partir avec des élèves concernant leurs convictions religieuses. Plus de la moitié reconnaissent s’être autocensurés.

Car, si nos gouvernements se préoccupent trop souvent de l’éducation comme d’une guigne, ce n’est pas le cas des islamistes, qui ont depuis longtemps ciblé l’école publique, considérée comme un lieu de perdition.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les meilleurs alliés de cette autocensure ne vivent pas dans les banlieues. Ils vivent dans ces quartiers boboïsés des grandes villes. Comme cette Marie G. qui a lancé une pétition pour qu’on retire le nom de Serge Gainsbourg à une nouvelle station de la ligne de métro des Lilas. L’auteur du génial Poinçonneur des Lilas aurait, dit-elle, fait l’éloge des « féminicides » et des « viols incestueux ». À l’appui, des paroles de chansons légèrement provocantes. Dans Titicaca, un homme veut noyer une princesse inca dans le lac du même nom. Lemon Incest, plus suggestive et interprétée avec sa fille, évoque l’inceste dans des mots pourtant sans ambiguïté : « L’amour que nous ne ferons jamais ensemble est le plus beau le plus violent le plus pur le plus enivrant ». Bref, pas de quoi fouetter un chat.

De Diane chasseresse à Gainsbarre, ces féministes comme les islamistes ne peuvent concevoir l’art qu’à travers le petit bout de lorgnette de leur morale obtuse. L’art n’est plus cette vaste entreprise d’exploration touchant aux confins de l’âme humaine. Il n’est plus que la vertueuse confirmation de nos passions tristes. On découvre ici la sainte alliance de l’islamisme et du wokisme contre un ennemi commun : l’art et la culture.

L’histoire de Diane, cette féministe avant l’heure, est terriblement actuelle. Pour l’avoir surprise dans son intimité, Actéon fut transformé en cerf. Cela lui fut fatal puisqu’il fut dévoré par ses chiens incapables de le reconnaître. Ainsi en va-t-il des libertés scolaires et artistiques qui, à force d’être grignotées toujours un peu plus par nos nouveaux mormons, pourraient nous manquer cruellement. Nous serons bientôt semblables à cette meute qui, devenue orpheline, dit-on, après avoir sacrifié son maître, le chercha ensuite éperdument.

Source: La sainte alliance

Rioux: La tête et le coeur

Money quote: « Comment écraser la tête de l’ennemi sans qu’il nous dévore le coeur ? »

Dans leurs pires méfaits, les nazis ont toujours tenté de cacher leurs abominations. Ils brûlaient les corps, broyaient les os, enterraient les carcasses, tentant chaque fois de préserver un lourd silence sur l’horreur de leurs crimes. Avec un certain succès d’ailleurs, puisqu’il faudra des années après la guerre pour déterrer l’inimaginable au fond des sols endormis comme au creux des mémoires qui s’étaient dépêchées de faire le vide.

Pardon de revenir sur un événement morbide dont l’actualité frénétique voudrait nous laisser croire qu’il s’est produit il y a deux ans déjà. Un événement qui, à l’échelle d’Israël, a fait plus de victimes que le 11 Septembre. Car, il y aura un « avant » et un « après » 7 octobre 2023. C’est ce que le torrent de l’actualité tente habilement de nous cacher, avec la bénédiction de ceux qui croient béatement que toutes les horreurs se valent.

Après la guerre de Six Jours, en 1967, Israël était sorti du conflit avec la fausse assurance de sa supériorité militaire et d’être dorénavant le maître des horloges. Une assurance que commença à fragiliser dès 1973 la guerre du Kippour survenue à la surprise complète des états-majors. La seconde intifada, au début des années 2000, avec ses attentats kamikazes visant au plus près des familles innocentes et des enfants revenant de l’école, mettra fin dans les esprits à toute perspective d’État palestinien dans un avenir prévisible.

Une étape supplémentaire vient d’être franchie avec l’attentat sauvage du 7 octobre. Il a non seulement prouvé que les frontières d’Israël étaient vulnérables, mais aussi que le pire pouvait se produire sur son territoire. Oui, un vrai pogrom semblable à ceux commis au siècle dernier en Europe de l’Est où l’on égorgeait femmes et enfants. Et tout ça sur le territoire d’un pays créé de toutes pièces pour que ça n’arrive plus.

« Cela va rester le plus grand choc de l’histoire juive post-Shoah, déclarait dans Le Monde la sociologue Eva Illouz. C’est toute la réalité ontologique d’Israël qui a été remise en question. Les nazis essayaient de cacher les atrocités, pas de les diffuser. La mort elle-même est devenue un motif de propagande. Il y a là un changement de régime de l’atrocité. »

L’autre nouveauté de cette guerre, c’est qu’on a crié « Allah Akbar » aussi bien à Paris qu’à Berlin, Bruxelles et Melbourne. Ce qu’on a appelé la cause nationale palestinienne semble aujourd’hui pris en otage par une idéologie islamiste mondialisée provoquant en même temps une fabuleuse internationalisation du conflit qui le rend chaque fois plus insoluble. Car les revendications nationales palestiniennes n’intéressent pas plus les fous de dieu que les potentats arabes corrompus.

Si le président français, Emmanuel Macron, a eu raison de rappeler qu’il n’y aura pas de paix dans la région sans la création d’un État national palestinien, force est de reconnaître que cet État sera une utopie tant que le Hamas demeurera ce qu’il est et qu’il transformera cette guerre de libération nationale en un conflit religieux opposant les juifs de Palestine à l’Oumma tout entière. Or, le plus dramatique n’est pas tant de découvrir l’horreur dont est capable le Hamas — on savait depuis longtemps à quoi carburaient ces extrémistes religieux —, mais de prendre conscience que cette organisation terroriste qui instrumentalise la lutte nationale des Palestiniens au nom du prophète jouit du large soutien d’une population galvanisée. En Palestine comme ailleurs dans le monde.

« Il faut donc libérer la Palestine des Israéliens qui veulent la voler, mais aussi des “Arabes” et des islamistes qui veulent la vendre et l’acheter et lui monter sur le dos », écrivait avec courage Kamel Daoud. Et l’écrivain algérien d’ajouter qu’il faut en finir avec « cette solidarité au nom de l’islam et de la haine du juif […] qui ferme les yeux sur le Hamas et sa nature pour crier à l’indignation ».

Éradiquer le Hamas est un objectif noble et nécessaire. Mais il exigera une longue lutte où il faudra éviter le piège de l’après-11 Septembre, comme l’a subtilement rappelé Joe Biden à Jérusalem. Une lutte qui ne saurait se résumer à envahir Gaza pendant quelques semaines au prix de milliers de vies palestiniennes. Et pour rendre Gaza à qui ensuite ? Sachant qu’Israël ne souhaite pas administrer ce territoire depuis qu’Ariel Sharon s’en est retiré en 2005.

Qu’il faille écraser le Hamas, à la fois pour Israël et pour l’honneur même du peuple palestinien, ne devrait pas faire de doute. Mais comment le faire sans se déshonorer ? Toute la complexité de la réaction d’Israël tient à cette question tragique qu’a admirablement posée l’écrivain Fabrice Hadjadj : « Comment écraser la tête de l’ennemi sans qu’il nous dévore le coeur ? »

Source: La tête et le coeur

Rioux: Terroriste, mais encore…

Of note:

Ce n’est pas un hasard si le mot razzia nous vient d’Algérie. Depuis le Moyen Âge, Arabes et Ottomans menèrent des razzias ininterrompues sur les côtes méditerranéennes, où ils capturaient des otages qui étaient ensuite vendus comme esclaves, jetés dans des harems ou réduits aux travaux forcés.

Ce n’est pas un acte de guerre, mais une razzia à la puissance mille qu’a perpétrée le Hamas le 7 octobre dernier en pénétrant dès l’aube en territoire israélien pour « tuer du Juif » et assassiner plus d’un millier de militaires, de civils, de femmes et d’enfants confondus. Sans oublier de rafler une centaine d’otages qui serviront de boucliers humains, de monnaie d’échange ou de chair humaine dans des exécutions diffusées sur les réseaux sociaux afin de terroriser les mécréants.

Ceux qui font profession d’aveugles n’y verront qu’un attentat de plus dans la longue histoire du conflit israélo-palestinien. Nous sommes pourtant devant le pire carnage commis depuis 1945 à l’égard de civils juifs, assassinés pour la seule raison qu’ils étaient juifs. Sur leur chemin, les djihadistes ont abattu 260 jeunes qui participaient à la rave party Supernova. Quand ils ne les ont pas égorgés ou violés. Des fous de Dieu surgis d’un autre âge face à l’insouciante jeunesse mondialisée de Tel-Aviv, le contraste ne pouvait être plus étourdissant. Pour nombre de juifs, dont le secrétaire d’État Antony Blinken, cela n’évoquait rien de moins qu’un pogrom.

Certes, cette offensive poursuivait aussi des objectifs politiques. Il s’agissait de torpiller les accords d’Abraham, qui étaient sur le point de réconcilier diplomatiquement Israël et l’Arabie saoudite. Une alliance particulièrement inquiétante pour l’Iran, principal soutien du Hamas. Notamment parce qu’elle montre que juifs et musulmans peuvent vivre en harmonie, comme l’illustrent les 150 000 Israéliens qui visitent chaque année les Émirats arabes. Autre vision intolérable pour le Hamas, car le moindre signe de réconciliation signerait son arrêt de mort.

Ce carnage n’a donc rien à voir avec la cause nationale palestinienne, et encore moins celle d’un État indépendant. Il s’inscrit au contraire dans la lignée des grands attentats islamistes du 11 septembre, de Charlie Hebdo et du Bataclan.

Le mot terrorisme, que la prude CBC et l’extrême gauche française se refusent à prononcer, est d’ailleurs largement insuffisant pour désigner cette organisation islamiste, antisémite et totalitaire qui tient Gaza sous sa férule. Ses crimes vont bien « au-delà du terrorisme », pour reprendre les mots du bédéiste Joann Sfar. Car le Hamas n’a rien d’un banal mouvement de libération qui aurait commis quelques attentats. Créé en 1988, il est la branche palestinienne des Frères musulmans, nés en Égypte dans les années 1920, qui ont notamment soutenu l’alliance entre Hitler et le grand mufti de Jérusalem. Ici, l’oumma remplace la nation, l’islamisme le nationalisme, et le califat l’État démocratique.

Radicalement opposé aux voix libérales palestiniennes — que les Frères musulmans ont d’ailleurs souvent éliminées physiquement —, le Hamas n’a jamais eu d’autres buts que d’islamiser la société palestinienne et d’empêcher que ne s’impose une direction laïque soucieuse des intérêts nationaux de son peuple. « La mort sur le chemin de Dieu est la plus éminente des espérances », proclame sa charte fondatrice qui stipule aussi que « la bannière d’Allah » doit flotter « sur chaque pouce de la Palestine ». L’État palestinien ne pouvant être, à la rigueur, qu’une étape avant l’expulsion complète des Juifs de la région.

L’idée qu’avec le temps, le Hamas deviendrait un interlocuteur sérieux apparaît aujourd’hui comme un leurre. Cette organisation a toujours agi afin de faire capoter toute perspective de paix et de création d’un État palestinien. C’est ce qui faisait dire au journaliste israélien Stéphane Amar, que nous avions interviewé à Tel-Aviv, en 2016, que « le rêve des deux États est mort depuis longtemps ». Il ne pourrait renaître que le jour où Israël, seule démocratie du Moyen-Orient, trouverait un interlocuteur qui ne souhaite pas son extermination.

Nous avions alors constaté sur place combien la seconde Intifada, avec ses attentats kamikazes contre les civils, avait achevé de tuer tout espoir de paix, anéantissant du coup la gauche israélienne depuis longtemps ouverte au compromis. Tant que l’islamisme dominera le mouvement palestinien, la théorie des deux États demeurera un mythe. Quel État dans le monde souhaiterait la création à ses frontières d’une théocratie doublée d’un État terroriste ?

Les véritables défenseurs du peuple palestinien aujourd’hui ne sont pas ceux qui, trop heureux de s’en laver les mains, renvoient dos à dos les potentats du Hamas et le gouvernement démocratiquement élu de Benjamin Nétanyahou. Ce sont ceux qui combattent l’islamisme dans l’espoir que renaisse un jour un leadership palestinien digne de ce nom.

Le temps de juger les graves erreurs de Nétanyahou viendra bien assez vite. On peut compter sur le peuple israélien pour cela. Comme pour exiger une riposte ciblée et proportionnée. Mais, pour l’instant, constatons que la guerre que mène le Hamas pour détruire Israël n’a rien d’une lutte nationale et tout d’une guerre de civilisation.

On pourrait rêver d’un autre combat. Mais on ne choisit pas ses ennemis. C’est eux qui nous choisissent.

Source: Terroriste, mais encore…

Rioux: La recette du chaos

Alarmist but the ongoing hardening of public opinion significant. Valid questions given nature of flows are driven by economic forces, not political persecution:

Il y avait quelque chose de burlesque. Comme dans une scène de Marcel Pagnol. Pendant que le pape, perché sur les hauteurs de Notre-Dame-de-la-Garde, vantait les vertus de la belle et grande « mosaïque » culturelle de Marseille, le bon peuple ébahi se demandait s’il avait bien entendu. Ce pape n’avait-il jamais entendu parler de Socayna, 24 ans, fauchée par une rafale de Kalachnikov alors qu’elle vivait paisiblement avec sa mère au 3e étage d’un immeuble ? Une « balle perdue », comme on dit. Derrière le village Potemkine qu’on lui avait aménagé, ne pouvait-il pas comprendre que si Marseille était la capitale française de l’immigration, elle était surtout celle des guerres de gangs et du trafic de drogue ? Portés par la grâce, les papes ne vivent pas tout à fait dans notre monde.

Les chefs d’État et de gouvernement du Conseil européen qui se réunissent aujourd’hui à Grenade ne peuvent malheureusement prétendre avoir accès aux mêmes voix célestes. Au menu, l’adoption d’un nième Pacte sur l’immigration et l’asile. Un texte que les 27 se sont finalement décidé à adopter tant la colère est grande de Lisbonne à Budapest contre une Union européenne qui n’est plus qu’une passoire. À huit mois des élections européennes, alors que les demandes d’asile ont augmenté de 30 % au premier semestre, l’immigration pourrait en effet susciter en juin prochain une véritable bronca dans les urnes.

Parmi les chefs de gouvernement qui sentent la soupe chaude, on trouve l’Allemand Olaf Scholz. « Le nombre de réfugiés qui cherchent à venir actuellement en Allemagne est trop élevé », avoue-t-il sur un ton qui ressemble étrangement à celui de la première ministre italienne, Giorgia Meloni, dont le pays est pourtant en première ligne.

Le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AFD) compte désormais 78 députés au Bundestag et 20 % d’intentions de vote dans les sondages. Le double de son résultat de 2021. Le plat pays ne fait pas exception. Ce sont 56 % des Belges qui soutiennent la décision de la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration de ne plus accueillir les hommes seuls dans les refuges au profit des familles avec enfants uniquement. De telles mesures sont largement plébiscitées dans des pays aussi différents que la Pologne ou les Pays-Bas. Tout indique qu’on a changé d’époque.

Difficile aujourd’hui de cacher que seule une minorité de ces migrants sont des réfugiés au sens propre. Ils pénètrent en Europe, d’où ils deviennent inexpulsables grâce à l’action conjuguée d’un système juridique hégémonique et d’une filière humanitaire qui fait la part belle — malgré elle — aux passeurs. Avec des profits de 35 milliards de dollars (en 2017), ce trafic d’êtres humains serait devenu le troisième secteur le plus lucratif du crime organisé selon l’Organisation internationale pour les migrations.

Peu importe ce qu’en pensent les élus, le 21 septembre, la Cour de justice européenne a privé la France du droit de refouler immédiatement les clandestins qui franchissent sa frontière avec l’Italie. Le même jour, elle empêchait l’Italie d’obliger les clandestins à résider dans un centre de séjour le temps de traiter leur demande.

Non seulement le migrant qui arrive à Lampedusa ne peut-il pas être refoulé vers son port d’origine, mais il ne peut pas être retenu le temps d’examiner sa situation. Une fois en France, il ne peut être renvoyé en Italie et peut donc y rester à demeure puisqu’à peine 5 % des obligations de quitter le territoire sont appliquées.

Le monde fabulé des « No Borders » existe déjà. Il se nomme l’Union européenne. On ne s’étonnera pas que la ministre de l’Intérieur britannique, Suella Braverman, elle-même fille d’immigrants, ait déclaré que la Convention de Genève n’était « plus adaptée à notre époque ». Grand amoureux de l’Afrique, l’ancien premier ministre socialiste Michel Rocard ne pensait pas autre chose lorsqu’il affirmait en 1989 que la France ne pouvait « pas héberger toute la misère du monde » et qu’elle devait « rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus ». La même année, François Mitterrand avait estimé que le « seuil de tolérance » des Français à l’égard des étrangers avait été atteint… dans les années 1970 !

Trente ans et vingt lois plus tard, l’immense majorité des Français et tout particulièrement les classes populaires — qui comptent 10 millions de pauvres et sont les premières à souffrir de cette immigration — attendent toujours que leurs leaders s’en tiennent à leurs déclarations. Car, contrairement à nombre de politiques qui ont jeté le gant, les peuples croient encore à la politique. C’est pourquoi ils s’accommodent mal de dirigeants qui se prétendent capables de combattre le réchauffement climatique mais pas l’immigration illégale qui serait, elle, « inévitable », alors que des pays comme l’Australie, le Japon et le Danemark ont prouvé le contraire.

Dans un roman aux allures d’apocalypse, l’ancien grand reporter Jean Rolin, qui a couvert l’éclatement de la Yougoslavie, mettait en scène une traversée de la France déchirée par une guerre civile (Les événements, Folio). On n’en est évidemment pas là. Mais rien ne dit que ce refus de la politique n’est pas la recette du chaos.

Source: La recette du chaos

Rioux: Un parfum de colonialisme

Good column on the questionable morality of recruiting skilled healthcare workers from developing countries. Of course, individuals from this countries naturally seek better opportunities:

Il y a des nouvelles qui tombent à plat. Sitôt apparues, elles disparaissent comme par enchantement dans le grand trou noir de l’information. C’est comme si tout le monde, les politiques, les médias et même le public, se donnait le mot pour regarder ailleurs en attendant qu’on parle d’autre chose.

C’est un peu ce qui s’est passé la semaine dernière avec cette information révélant que les campagnes de recrutement de personnel de la santé que mène régulièrement le Québec en Afrique contribuent à fragiliser encore plus des pays africains dont la situation sanitaire est déjà précaire.

À l’encontre de toutes les politiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Québec mène depuis longtemps des campagnes de recrutement dans des pays comme le Bénin, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Togo. L’an dernier, il annonçait vouloir recruter 1000 infirmières étrangères, pour la plupart africaines. Souvent des infirmières expérimentées. Dans quelques jours débuteront d’ailleurs des entretiens d’embauche avec des candidats du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du Togo, sélectionnés dans le cadre des Journées Québec Afrique subsahariennes. Depuis 2017, le Québec aurait ainsi recruté plus de 1900 travailleurs de la santé, dont de nombreuses infirmières, provenant de 24 pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Europe.

Faut-il en conclure que le Québec ne se gêne pas pour participer sans retenue au pillage des cerveaux de ces pays pauvres ? À titre d’exemple, le Cameroun et le Bénin possèdent respectivement moins de 2 et 3 infirmières pour 10 000 habitants alors que, pour la même population, le Québec n’en compte pas moins de 77 ! L’OMS n’est pas seule à penser que ce pillage organisé est indigne du Québec. L’Association des infirmières et infirmiers marocains avait déjà accusé le Canada d’« épuiser les ressources infirmières des autres pays dans lesquels il y a également une pénurie ».

En guise de réponse, nos responsables se contentent généralement de regarder la pointe de leurs souliers en balbutiant du bout des lèvres qu’ils font un recrutement… éthique ! Personne n’aime se faire dire ses quatre vérités, surtout pas les partisans de l’immigration de masse, qui prétendent chaque fois se porter ainsi au secours de l’humanité souffrante. Et si cet « immigrationisme » vertueux n’était au fond que le nouveau visage du bon vieux colonialisme affublé d’un beau tampon humanitaire ?

Il y a longtemps que des chercheurs comme le démographe Emmanuel Todd ont expliqué le fait que, dans un monde où la communication mène le bal, le pillage des cerveaux avait remplacé celui des ressources naturelles. Cette « véritable prédation démographique », écrit-il, serait même plus grave que celle des ressources naturelles, car elle met aujourd’hui « en péril le développement de pays qui décollent ».

Parmi les milliers de migrants qui ont littéralement envahi l’île de Lampedusa la semaine dernière, personne ne s’est demandé — pas même le pape — combien il y avait de mécaniciens, de boulangers ou d’aides-infirmières qui désertent ainsi leurs pays. L’ancien journaliste de Libération Stephen Smith, professeur d’études africaines à l’Université Duke, en Caroline du Nord, a montré dans ses études que, contrairement à ce que sérine la presse, ce ne sont pas les plus pauvres qui émigrent. Ceux-là, en général, n’en ont pas les moyens. En cas de nécessité, ils se déplacent dans un pays voisin. Ceux qui se retrouvent chez nous sont ceux qui peuvent se le payer et qui pourraient donc au mieux contribuer à consolider la classe moyenne de leur pays.

Dans notre vision misérabiliste de l’Afrique — une vision encore aggravée par le catastrophisme climatique —, il ne nous viendrait pas à l’idée que les pays africains qui progressent, et il y en a, ont un urgent besoin de ces travailleurs pour se sortir de la misère. À Madagascar, en 2016, alors qu’il distribuait des bourses d’études, Philippe Couillard s’était ainsi fait rappeler à l’ordre par la ministre de l’Enseignement supérieur de Madagascar, qui lui dit que la plupart de ces boursiers ne revenaient jamais au pays. Et qu’ils étaient donc une perte sèche pour l’île. Belle charité que celle qui ne sert que le bienfaiteur. Ce jour-là, Philippe Couillard avait lui aussi longuement regardé ses souliers.

Dans ce que le politologue Pierre-André Taguieff appelle « l’utopie messianique du salut par l’immigration » — un mal très répandu au Canada —, il y a un mépris profond pour les peuples de nos pays, qui n’auraient d’avenir démographique, économique et culturel qu’en accueillant le plus d’étrangers possible.

Il y a aussi un mépris pour l’Afrique, car il sera toujours plus valorisant de s’épandre en larmes sur la misère africaine que d’appeler ces pays à se prendre en main et de les y aider à le faire. Ce qui me frappe toujours chez ceux qui ne jurent que par cette immigration providentielle, c’est leur désintérêt à peu près complet pour les pays pauvres. Comme si le seul avenir des Africains était de se déverser en nombre toujours plus grand dans nos beaux et grands pays riches et démocratiques. Ne sentez-vous pas là un étrange parfum de colonialisme ?

Source: Un parfum de colonialisme

Rioux: L’abaya, un vêtement comme les autres?

Le Devoir Paris correspondant on the French abaya ban (consistent in his support for dress restrictions):

Lundi, c’était jour de rentrée scolaire en France. Mais ce n’était pas une rentrée ordinaire. Dans une grande partie des collèges de France, on était littéralement sur les nerfs. Comment cela allait-il se passer ? Comment réagiraient les élèves ? Les parents viendraient-ils protester devant les grilles ? Bref, on craignait le pire.

C’est qu’une semaine plus tôt, le tout nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, avait décrété l’interdiction du port de l’abaya en classe. L’abaya est cette tunique traditionnelle musulmane que portent un nombre croissant de jeunes d’origine maghrébine afin de dissimuler leur corps. Tout juste nommé, à une semaine de la rentrée scolaire, le jeune ministre de 34 ans a décrété que ce vêtement distinctif identifié à la culture arabo-musulmane n’avait « pas sa place à l’école ». Le message était clair. On ne se présente pas devant un professeur en revendiquant sa religion.

Cela faisait des mois que, partout en France, enseignants et directeurs d’établissements réclamaient une intervention du ministre. Laissées à elles-mêmes, les directions étaient aux prises depuis plus d’un an avec des campagnes islamistes sur les réseaux sociaux incitant ouvertement les jeunes musulmanes à contourner la loi qui, depuis 2004, interdit aux élèves le port de tout signe religieux ostensible. Pas surprenant qu’en deux ans, le nombre d’incidents scolaires portant atteinte à la laïcité ait plus que doublé.

Or, quoi de plus ostensible que cet accoutrement patriarcal destiné à dissimuler tout le corps ? Dans sa déclaration, il aura suffi d’une seule phrase à Gabriel Attal pour clarifier le débat. « Lorsque vous entrez dans une classe, vous ne devez pas être capables d’identifier la religion des élèves », a-t-il tranché.

Les associations musulmanes eurent beau prétendre qu’il s’agissait d’une simple tenue traditionnelle sans la moindre connotation religieuse, il est clairement apparu dans le débat que l’abaya était aussi musulmane que la ceinture fléchée est québécoise. D’abord, rien de plus difficile dans la civilisation musulmane que de distinguer clairement ce qui relève de la culture de ce qui est proprement religieux. Comme l’a brillamment expliqué le philosophe Rémi Brague dans son essai magistral Sur l’islam (Gallimard) publié l’an dernier, contrairement à la chrétienté, l’islam est ce qu’il appelle « une religion intégrale » où « tout est culte » puisqu’il intègre un code juridique et définit les moeurs des bons musulmans.

Comme l’expliquait la spécialiste de l’islamisme Florence Bergeaud-Blackler, il n’existe pas de vêtements qui seraient par essence religieux, seulement « un habit qui permet de se conformer à une norme religieuse, celle qui d’après les rigoristes considère que la femme ne doit pas montrer les formes de son corps ». Comme le voile en 2004, ce rôle revient aujourd’hui à l’abaya. Il suffit de consulter les publicités sur Internet pour voir combien les marchands de guenilles le considèrent comme un prolongement du voile permettant de rompre avec la tradition laïque de l’école française.

Une tradition plus que centenaire que les Français ne semblent pas prêts à renier. Soutenue par 81 % des Français, l’interdiction de l’abaya fait l’objet d’un consensus encore plus fort que celui observé en 2004 sur la loi interdisant les signes religieux à l’école. Même les jeunes ayant entre 18 et 24 ans, que l’on dit pourtant multiculturalistes, se rangent à 63 % derrière la décision de Gabriel Attal. Ce consensus s’étend à toutes les familles politiques sans exception, mettant d’ailleurs en porte-à-faux la majorité de la gauche française avec ses électeurs. Ainsi, 58 % des partisans de La France insoumise (LFI) approuvent la décision du ministre alors même que son leader, Jean-Luc Mélenchon, a fait un virage électoraliste à 180 degrés sur le sujet, dénonçant « une mesure dangereuse et cruelle ».

Certaines féministes ont aussi de graves questions à se poser. Alors que l’écologiste radicale Sandrine Rousseau dénonce une « machine de broyage » des adolescentes, le caractère religieux de l’abaya ne fait aucun doute pour 74 % des Françaises qui se disent féministes. Rarement un événement aura illustré de manière aussi évidente le cul-de-sac dans lequel s’est engagée depuis plusieurs années une grande partie de la gauche en se ralliant aux thèses du multiculturalisme et en ne craignant pas de s’allier aux musulmans les plus obscurantistes.

Lundi, comme en 2004, après moult explications de la part des proviseurs, à peine quelques dizaines de jeunes filles ont dû être renvoyées chez elles. Les autres se sont facilement conformées à la règle. Le cours normal de l’école a ainsi pu reprendre. Cela démontre que, pour peu que l’on fasse respecter les lois et la tradition laïque de l’école, l’immense majorité des élèves musulmans se conformeront aux traditions et règles de vie de leur pays d’accueil. Ils n’attendent qu’une chose, qu’on le leur dise !

Pour tous les Québécois que l’on stigmatise en permanence pour avoir simplement osé exiger des enseignants qu’ils se gardent d’exprimer par la parole ou le vêtement leurs convictions religieuses à l’école, le message est on ne peut plus clair : pour être respecté, encore faut-il se tenir debout.

Source: L’abaya, un vêtement comme les autres?

Rioux: Quel «dérapage»? [on Premier Legault’s comments on social cohesion]

Le Devoir’s European correspondent Christian Rioux comparing EU social cohesion concerns with those of Premier Legault.

While recognizing the differences between Canada’s (and Quebec’s) immigration selection systems and integration programs and those of EU countries, he nevertheless reverts to the same social cohesion concerns without examining the effects of Quebec political discourse and legislation that have contributed to social exclusion, not social cohesion:

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir », disait le Tartuffe. Convenons que ses héritiers modernes ont des formules moins élégantes que celles de Molière. Ces temps-ci, ils préfèrent parler de « dérapage ». Mais l’effet est le même. Il consiste à écarter du débat tout propos un peu dérangeant dès lors qu’il aborde une question litigieuse. L’étiquette vaut à elle seule condamnation.

Ainsi en va-t-il des récents propos de François Legault sur l’immigration. Pourtant, qu’y a-t-il de plus banal que d’affirmer comme l’a fait le premier ministre la semaine dernière qu’une forte immigration peut nuire à la « cohésion nationale » ?

On comprend que dans un pays « post-national » comme le Canada, où l’immigration a été sacralisée, ces propos créent la polémique. Mais, vu d’Europe, où le débat est ancien et plus nourri, il est évident que l’immigration massive pose partout et toujours un défi à la cohésion nationale.

Cela se vérifie à des degrés divers dans la plupart des pays européens. En France, sous l’effet d’une immigration incontrôlée et très largement issue du monde arabo-musulman, on a assisté depuis de nombreuses années à un véritable morcellement du pays. Dans toutes les grandes villes sont apparues des banlieues islamisées autrement appelées ghettos. Pas besoin de s’appeler Marine Le Pen pour le constater. Interrogé par des collègues du Monde en 2014, le président François Hollande lui-même n’avait pas hésité à le reconnaître. « Je pense qu’il y a trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là », disait-il. Et celui-ci de conclure : « Comment peut-on éviter la partition ? Car c’est quand même ça qui est en train de se produire : la partition. » (Un président ne devrait pas dire ça…, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Stock).

Certains diront évidemment qu’en France, ce n’est pas pareil. Soit. Tournons donc nos yeux vers un pays plus à notre échelle.

Avec ses 10 millions d’habitants, son économie de pointe, son climat boréal, son amour du consensus et son parti pris en faveur de l’égalité hommes-femmes, la Suède partage plusieurs points communs avec le Québec.

Il n’y a pas longtemps, dans ce petit paradis nordique, celui qui s’inquiétait de l’immigration massive était accusé de « déraper », quand il n’était pas traité de raciste. Les Suédois regardaient de haut des pays comme la France et le Danemark, soupçonnés de xénophobie. Jusqu’à ce que la réalité les rattrape. La flambée des émeutes ethniques, comme en France, et l’irruption de la violence dans les banlieues ont vite fait de les ramener sur terre. Aujourd’hui, de la social-démocratie à la droite populiste, les trois grands partis estiment qu’il en va justement de la « cohésion nationale ». C’est pourquoi ce pays, qui a toujours été particulièrement généreux à l’égard des réfugiés, a radicalement resserré ses critères d’admission et a multiplié les mesures d’intégration. L’élection sur le fil d’une majorité de droite, finalement confirmée mercredi, ne fera que conforter cette orientation.

Les belles âmes ont beau détourner le regard, en Suède comme en France, il est devenu évident qu’un lien existe (même s’il n’explique pas tout) entre l’immigration incontrôlée et la croissance d’une certaine criminalité. Les événements récents du printemps au Stade de France, où des centaines de supporters britanniques se sont fait détrousser à la pointe du couteau par des dizaines de délinquants, ont forcé le ministre de l’Intérieur à reconnaître ce dont les habitants de la Seine-Saint-Denis se doutaient depuis belle lurette.

La Suède aussi a connu une explosion de la petite criminalité et des règlements de compte entre gangs. Elle a notamment enregistré une croissance des morts par balle parmi les plus fortes en Europe. Aujourd’hui, même la gauche sociale-démocrate l’admet. Et elle s’est résolue à augmenter les effectifs policiers. Contrairement à la France, cette prise de conscience fait aujourd’hui un certain consensus dans la classe politique.

Cela n’a rien à voir avec la peur de l’Autre. Comme nombre de Français, les Suédois ont dû se rendre à l’évidence et cesser d’envisager l’immigration comme une simple question morale. Les peuples ont le droit de réglementer l’immigration sans se faire traiter à chaque fois de raciste par une gauche morale et une droite libérale qui en ont fait leur Saint-Graal.

Bien sûr, l’immigration n’est pas la même en France, en Suède et au Québec. À cause de son histoire et de sa position en Europe, la France connaît une forte immigration illégale et de regroupement familial. Naïvement et par générosité, la Suède a ouvert toutes grandes ses portes aux réfugiés et elle n’a jamais contrôlé son immigration économique. Le Québec, où l’équilibre linguistique est plus que précaire, subit des quotas d’immigration parmi les plus élevés au monde et une immigration temporaire hors de contrôle.

Il n’empêche que, malgré ces différences réelles, les mêmes causes produisent partout les mêmes effets. Ce n’est souvent qu’une question de temps.

Lentement, depuis une décennie, tous les tabous de la mondialisation se sont effrités. Ceux qui ont vécu les années 1980 se souviennent de l’enthousiasme et de la naïveté qui accompagnaient cette nouvelle phase d’expansion du capital. Nous n’en sommes plus là. L’immigration de masse demeure le dernier mythe encore vivace de cette époque.

Source: Quel «dérapage»?

Rioux: Retour de balancier

Rioux rails against “les élites multiculturalistes” and celebrates counter-reactions, even if “souvent déroutantes et parfois extrêmes.”

Ceux qui se souviennent de l’extraordinaire fierté qu’avait suscitée l’adoption de la loi 101 en 1977 auront compris que nous ne sommes plus à cette époque. Difficile de trouver la même ferveur chez ceux qui ont adopté cette semaine le projet de loi 96. La loi 101 avait alors fait parler d’elle dans le monde entier. Dans l’univers anglophone, on avait évidemment dénoncé dans des mots souvent outranciers une loi brimant les droits de la « minorité ». Mais ailleurs, l’écho était différent. Le journal Le Monde avait évoqué une « revanche historique ». Lors de son adoption, le quotidien avait repris les mots de ses auteurs selon qui le but de cette loi était de « rendre la province “aussi française que le reste du Canada est anglais”. »

Lors de mes premiers reportages à l’étranger, on me parlait spontanément de la loi 101. En France, dans les milieux informés, elle jouissait d’une véritable aura. C’était aussi le cas ailleurs en Europe, comme en Catalogne, où les nationalistes au pouvoir ne cachaient pas leur admiration pour la détermination dont nous avions fait preuve. En 2012, le linguiste Claude Hagège avait même soutenu que la France devait s’inspirer du Québec afin d’imposer l’unilinguisme français dans l’affichage. À voir les Champs-Élysées aujourd’hui, on déplore qu’il n’ait pas été entendu.

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement », disait Boileau. Ce principe s’applique à toutes les grandes lois, qui sont généralement des lois simples qui reposent sur un principe immuable. Au lieu de se perdre dans un fouillis administratif et des contorsions juridiques (comme les complexes tests linguistiques de la défunte loi 22), elles proclament une vérité essentielle que chacun est à même de comprendre. C’est ainsi qu’elles imposent le respect.

Qu’exprimait l’esprit de la loi 101 sinon qu’au Québec, tous les nouveaux venus avaient vocation à s’intégrer à la majorité linguistique et culturelle par le truchement de son école ? Bref, à devenir des Québécois de langue et de culture française. Point à la ligne. Ce principe de l’intégration scolaire est d’une telle évidence qu’il mériterait d’être appliqué à tous les niveaux du réseau éducatif sans exception. C’est d’ailleurs ce que font depuis longtemps les Catalans en Espagne et les Wallons en Belgique, qui semblent avoir retenu mieux que nous la leçon de Camille Laurin. Nul doute qu’un jour, il faudra y revenir.

Mais nous avons changé d’époque. C’est ce qu’explique avec talent le jeune essayiste Étienne-Alexandre Beauregard dans son premier essai, Le Schisme identitaire (Boréal). L’ouvrage propose une description passionnante du cheminement idéologique du Québec depuis 1995. Beauregard décrit le passage de l’effervescence nationaliste que fit naître la Révolution tranquille à l’idéologie « post-nationale » qui domine aujourd’hui. Il raconte le ralliement de la gauche, au nom du progressisme, à l’idéologie diversitaire et sa déclaration de guerre contre ce que Fernand Dumont appelait la « culture de convergence ».

Avant 1995, écrit Beauregard, le nationalisme des historiens Lionel Groulx et Maurice Séguin exerçait une telle hégémonie intellectuelle que même le Parti libéral de Robert Bourassa fut en quelque sorte obligé de se dire autonomiste. D’où la loi 22. À l’inverse, la nouvelle hégémonie diversitaire pousse aujourd’hui les nationalistes dans leurs retranchements, les forçant à donner des gages à la gauche multiculturaliste qui exerce le magistère moral dans les médias et les grandes institutions.

Dans ces débats comme celui qui s’achève sur le projet de loi 96, il arrive que les nationalistes québécois se sentent à ce point isolés qu’ils se croient hors du monde. Il est pourtant frappant de constater combien cette nouvelle guerre culturelle que décrit Beauregard n’est pas proprement québécoise. Elle est même la réplique, à notre échelle, d’un affrontement qui se déroule partout en Occident. Partout où l’idéologie de la mondialisation heureuse, qu’est au fond ce rêve post-national et diversitaire, se bute au retour des nations.

Il y a quelques années encore, on pouvait croire que ces dernières n’étaient destinées qu’à se fondre dans des ensembles plus grands et multiethniques. Des ensembles dont le Canada se prétend depuis toujours le prototype achevé. Ce n’est plus vraiment le cas, alors qu’à la faveur des ratés d’une mondialisation aujourd’hui en déclin, on assiste au réveil du sentiment national aussi bien en France et dans les anciens pays de l’Est qu’au Royaume-Uni et ailleurs en Occident. Sans parler de l’Ukraine.

Partout, les coups de boutoir contre l’identité nationale imposés par les élites multiculturalistes font réagir les peuples qui ne sont pas prêts à troquer leur langue, leur héritage et leurs mœurs pour un grand melting-pot informe et sans substance. Comme l’écrit Beauregard, cette guerre va s’intensifier, et l’on voit déjà les forces politiques qui prétendent s’en tenir à l’écart se faire balayer. C’est un peu ce qui arrive chez nous au Parti québécois et qui, dans un autre contexte, a décimé en France le Parti socialiste et Les Républicains.

Cette reconfiguration du combat politique prend des formes diverses, souvent déroutantes et parfois extrêmes. Mais les mêmes forces sont à l’œuvre, qui mettent en scène de vieilles nations qui ne veulent pas mourir et qui n’ont pas dit leur dernier mot.

Source: Retour de balancier

Rioux: L’assimilation

All too true in the early days but unclear whether the early largely peaceful environment would have survived if France had remained an imperial power in North America and had evolved from the fur trade to agriculture. After all, the early days of the British empire in Canada were also based on the fur trade and cooperation with Indigenous peoples:

« La civilisation espagnole a écrasé l’Indien ; la civilisation anglaise l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a étreint et chéri ».

— Francis Parkman

Nous vivons une étrange époque où l’humanité se rêve une et indivisible avec tout ce que cela recèle d’esprit totalitaire. Les Américains ont été esclavagistes, voilà que les Occidentaux se bousculent comme des enfants à la maternelle pour crier : « Moi aussi ! » L’impérialisme américain fait son mea culpa et, dans tous les stades du monde, on met le genou par terre.

Rien de tel pour éradiquer un peuple que de supprimer son histoire propre. Si la citation de l’historien américain Francis Parkman est réductrice, elle a l’avantage de montrer que nous n’avons pas tous eu la même histoire. À l’heure où l’on s’interroge sur les pensionnats autochtones qui ont eu pour mission d’assimiler les Amérindiens du Canada, il n’est pas inutile de donner la parole, non plus aux militants, mais aux historiens. Nombreux sont ceux qui ont estimé que, même si le choc civilisationnel a été partout le même, les colonisateurs français n’ont pas eu le même rapport aux Autochtones que les colonisateurs espagnols et anglais.

C’est la thèse que défend notamment le biographe américain de Champlain David Hackett Fischer. On connaît la célèbre citation du fondateur de Québec rapportée par le jésuite Paul Le Jeune : « Nos garçons se marieront à vos filles, et nous ne ferons plus qu’un seul peuple. » De l’alliance avec le chef montagnais Anadabijou (1603) à la Grande Paix de Montréal à laquelle participèrent une quarantaine de tribus (1701), les Français n’auront eu de cesse de nouer des alliances avec les Amérindiens et d’apprendre leurs langues pour explorer le continent. Exégète de Champlain et responsable de ses œuvres complètes, l’historien français Éric Thierry voit dans celui-ci un humaniste.

D’autres historiens ont souligné que ces alliances étaient une nécessité compte tenu de la faiblesse démographique de la colonisation française. Reste que, contrairement aux colons anglais, les Français se sont alliés aux Amérindiens au point de former au Manitoba une nation métisse, « seule société où Blancs et Amérindiens réussiront à vivre ensemble », écrit Denys Delâge (Le pays renversé, Boréal). Et l’historien de conclure que si « le pouvoir politique canadien » écrasa la société métisse au XIXe siècle, c’est qu’« elle était son antithèse. »

Sans prétendre à une quelconque supériorité morale, des auteurs comme Gilles Havard ont montré que les Français d’Ancien Régime ont cultivé avec les Amérindiens certaines affinités qu’on ne retrouve pas chez le conquérant anglais où le capitalisme était déjà plus avancé et les rapports plus contractuels. Pensons au goût des festins, au sens de l’honneur, du sacrifice, de l’apparat et à l’importance des cadeaux, de la parole et des discours. De Radisson, surnommé l’« Indien blanc », au baron de Saint-Castin, devenu chef Mic Mac, l’histoire unique en Amérique de ces mœurs partagées émaille les récits des voyageurs de l’époque.

« Si tous les Européens partageaient un sentiment de supériorité culturelle vis-à-vis des Indiens et si le désir d’assimilation reposait partout sur la négation de l’Autre […] la Nouvelle-France ne s’en ouvrait pas moins aux Indiens, les intégrait dans son système politico-culturel, quand les colonies anglaises bien souvent les excluaient », écrit Gilles Havard (Histoire de l’Amérique française, Flammarion).

La Conquête aura donc sur eux des conséquences terribles, souligne Denis Vaugeois : « Aussi longtemps que la rivalité anglo-française avait duré en Amérique du Nord, les Indiens […] avaient eu une carte à jouer. En quelque sorte, ils détenaient une forme de balance du pouvoir. Dans les années qui suivirent, ils étaient à la merci du vainqueur. […] Ils sont devenus tout simplement encombrants. » (L’impasse amérindienne, Septentrion).

S’instaura alors une forme d’apartheid où l’Indien deviendra un être inférieur, pupille de l’État colonial britannique. Dès le rapport Darling (1828), les pensionnats sont promus dans le but de sédentariser, « civiliser » et assimiler les Autochtones qui sont alors encore semi-nomades. Avant d’être reprise par la Loi sur les Indiens, trois commissions d’enquête viendront confirmer cette véritable politique d’assimilation dont l’esprit est identique à celle que Lord Durham avait préconisée pour les Canadiens français.

Est-ce un hasard si ces pensionnats furent si peu nombreux au Québec où, à deux exceptions, ils n’apparurent que dans les années 1950 ? Les conditions matérielles y seront donc bien meilleures et leur durée de vie très courte. Ce qui n’exonère évidemment personne, notamment les Oblats actifs ailleurs au Canada, des sévices qui purent y être commis. Les 38 morts recensés au Québec semblent sans commune mesure avec les 4134 recensés au Canada Anglais. Dans son livre Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec (PUM), Henri Goulet offre un portrait beaucoup plus nuancé que ce qu’on peut lire dans les médias. L’histoire de cette époque reste pourtant largement à écrire.

Mais, ce serait se leurrer que de s’imaginer que cette politique d’assimilation inscrite dans l’ADN du Canada est chose du passé. La détresse des peuples autochtones ainsi que l’assimilation florissante des jeunes Québécois dans les cégeps anglais en sont la preuve éloquente. Des pensionnats autochtones à l’Université Concordia, le résultat est le même : l’assimilation !

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