Nicolas: Le choix des mots

Another good column on the differences on how groups are portrayed differently, particularly Ukrainian compared to other refugees:

L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a débuté qu’il y a une semaine. L’issue de la situation demeure incertaine. Toutefois, il apparaît déjà clair qu’il s’agit d’un conflit pas comme les autres, et surtout d’un conflit dont on ne parle pas comme les autres.

D’abord, on assiste à un mouvement de solidarité quasi unanime envers le peuple ukrainien. Au Conseil des droits de l’homme de l’ONU mardi, la presque totalité des diplomates a quitté la salle lorsque le ministre des Affaires étrangères russe a commencé son allocution. Des manifestations en appui aux Ukrainiens sont organisées partout dans le monde, et la colère face à l’invasion de l’armée russe semble tout aussi forte même au Canada. Un sondage de la firme Maru publié cette semaine montre que 91 % des Canadiens sont en « opposition totale avec la tyrannie de la Russie de Vladimir Poutine ». J’aurais du mal à nommer une autre situation de guerre où l’opinion publique mondiale s’est montrée aussi campée, aussi rapidement, contre une agression armée. Il semble plus simple de décrire l’horreur d’une bombe qui tombe sur des civils innocents lorsque cette bombe n’est pas, par exemple, américaine.

Ensuite, la vague de solidarité pro-ukrainienne ne semble pas, du moins pour le moment, se traduire en tsunami de haine envers le peuple russe ou les personnes d’origine russe. Plusieurs leaders importants ont donné rapidement le ton, à commencer par le président ukrainien lui-même, Volodymyr Zelensky, suivi par la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, aussi d’origine ukrainienne. Tous deux ont lancé des messages au cours des derniers jours pour marteler que le conflit en cours n’est pas avec le peuple russe, mais avec le président Vladimir Poutine et son entourage. On relaie également des images de manifestations antiguerre dans les grandes villes de Russie — des rassemblements qui seraient certainement encore plus importants si ce n’était de la violence de la répression policière dans ce pays. À la télévision, on semble éviter d’utiliser des formulations comme « les Russes » pour désigner des responsables de l’agression militaire, préférant parler de Vladimir Poutine lui-même ou de son régime.

Cette conscience du poids des mots et du risque de dérapage est rafraîchissante. On sait que les débuts de la pandémie dans la région de Wuhan et que les relations diplomatiques pour le moins tendues avec la Chine ont donné lieu à toutes sortes de commentaires sur « les Chinois » et à une montée des crimes haineux envers les personnes d’origine asiatique.

On sait aussi qu’un nombre déplorable de nos concitoyens n’hésitent pas à dériver d’une critique du régime saoudien ou d’un groupe comme Daech vers des généralisations sur « les Arabes » ou sur « les musulmans ». Pas plus tard que l’été dernier, des imbéciles ont aussi commis une série d’actes antisémites dans l’arrondissement de Saint-Laurent, comme s’il s’agissait là d’une manière de critiquer l’État d’Israël. Et on se rappelle que, durant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a notamment cru bon d’interner ses propres citoyens d’origine japonaise.

Puisque la liste de tristes précédents est longue, le souci actuel des mots détonne. Je ne vois personne de sérieux lancer l’hypothèse que l’autoritarisme de Poutine trouverait ses sources dans une tare particulière de la religion orthodoxe ou que la culture russe prendrait ses racines dans un éloge unique de la violence. L’analyse porte surtout sur les enjeux politiques, économiques et humanitaires. Enfin, croisons les doigts pour que ça dure.

Finalement, des réfugiés ne se sont pas présentés comme des menaces à refouler aux frontières. Le président de la Bulgarie, Roumen Radev, a peut-être eu la déclaration la plus candide à ce sujet. « Ce sont des Européens », a-t-il lancé plus tôt cette semaine. « Ces personnes sont intelligentes, éduquées… Ce ne sont pas les vagues de réfugiés auxquelles nous sommes habitués, des gens à l’identité incertaine, aux passés incertains, qui auraient même pu être des terroristes. » Des commentateurs, des experts et des journalistes ont aussi parlé de leur choc devant la guerre touchant le monde « civilisé » — omettant de transmettre du même coup une liste des régions du monde « barbares ». Cette nouvelle ouverture aux victimes de la guerre semble donc venir de l’identité des Ukrainiens : on leur ouvre les portes au nom de leur européanité et non de leur humanité. Le mauvais traitement réservé aux Africains et aux Asiatiques résidant en Ukraine à la frontière polonaise, dénoncé mardi par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, vient d’ailleurs démonter cette nuance importante.

L’humanisation particulière du peuple ukrainien joue un rôle positif très important dans le sort de cette population. Il y a la guerre, les blessés, la mort, les familles déchirées. Il y aura encore peut-être la faim, le manque d’eau et de ressources, et on ne sait quoi encore. Aucun individu ne devrait avoir à endurer ces horreurs, déjà. Il est encore plus abject d’avoir à affronter en plus, au milieu de ces tourments, l’indifférence du monde, ou son hostilité. Pour le moment, le respect de la dignité de la population ukrainienne semble être une préoccupation centrale d’une grande partie de la planète. Espérons que ça durera et que d’autres victimes des guerres contemporaines pourront bientôt en bénéficier.

Je ne veux pas ici faire un portrait jovialiste de la couverture de la guerre en Ukraine. L’actualité des dernières semaines est très difficile, ses implications sont historiques, et les défis qu’elle implique sont nombreux. Cela dit, j’ai rarement vu un souci d’humanisation aussi généralisé des parties prenantes d’un conflit, et je crois qu’il est important de le souligner. Plusieurs semblent regarder ce qui se passe dans l’est de l’Europe en se disant : « Ces gens sont comme moi, ça pourrait être moi. » La vérité, c’est que chaque être humain est en bonne partie comme soi, et qu’il offre un miroir de soi. C’est une chose de le dire, et une autre de transformer son regard sur les nouvelles internationales à partir de ce principe.

Source: Le choix des mots

Nicolas: Libres de quoi? [on Neo-liberalism]

Strong critique:

On sait que la malbouffe et le trop-plein de sucre, c’est mauvais pour la santé. Se demande-t-on pourquoi les principaux commerces de proximité vendent surtout des chips, des jujubes, des boissons gazeuses et autres aliments surtransformés ? Non. Mais on nous conseille de faire des choix individuels santé.

On sait que la sédentarité augmente le risque de maladies chroniques. Réglemente-t-on l’étalement urbain et densifie-t-on les villes pour endiguer la dépendance à la voiture ? Veille-t-on à ce que les quartiers où le transport actif est possible restent abordables ? Non. Mais c’est à chacun de faire le choix de l’exercice physique quotidien.

On sait que l’anxiété et la dépression sont en hausse depuis des années, sous l’effet du stress croissant des études et du travail. Met-on en place la semaine de quatre jours ? Non. Mais on télécharge une appli de méditation ou on fait du yoga. À chacun d’entraîner son « mental » pour mieux endurer le quotidien.

L’idéologie néolibérale a tellement imbibé le discours populaire dans le domaine de la santé qu’il est devenu difficile d’en expliciter le fonctionnement. Tentons-le. Le néolibéralisme croit qu’une société bonne est une société libre, et que cette liberté passe par des institutions qui tentent de laisser le secteur privé exempt de réglementations, et les individus libres de leurs choix.

Dans une société néolibérale, il est donc inapproprié de trop encadrer les compagnies dont le modèle d’affaires rend carrément malade, que ce soit en invitant la population à ingérer des calories vides bon marché, en polluant l’air ou les cours d’eau, ou en exploitant des employés au statut précaire. Les entreprises doivent rester le plus libres possible dans leurs activités, et nous, en contrepartie, sommes libres d’y travailler ou pas, de consommer leurs produits ou pas.

Dans une société néolibérale, les professionnels de la santé nous parlent de changer nos choix de vie, de prendre des habitudes plus responsables. Mais il est incongru qu’un groupe de diététiciennes fassent une sortie commune contre l’abondance de malbouffe dans les chaînes de dépanneurs et la persistance des déserts alimentaires ; il est presque tabou que des médecins se mobilisent pour une réforme du Code du travail ; et il est impensable que la direction d’un CIUSSS demande plus d’espaces verts sur son territoire.

Dans une société néolibérale, le tout est fait d’une somme d’individus auxquels il faut séparément enseigner à choisir des aliments et des loisirs qui maximisent l’espérance de vie. Les membres du personnel soignant qui voudraient « prescrire » des lois, des politiques, des réglementations, des réformes institutionnelles pour améliorer la santé de toute une collectivité passent pour des hurluberlus. Celles et ceux qui préconisent l’action à la source, c’est-à-dire sur les déterminants sociaux de la santé, sont le plus souvent à la marge de leur ordre professionnel.

Dans une société néolibérale, l’individu est un agent rationnel, responsable de ses choix. Les individus qui font les moins bons choix sont donc moins rationnels, et moins responsables. Les inégalités sociales, notamment sur le plan de la santé, sont donc légitimes : les populations les plus amochées n’ont qu’à faire de meilleurs choix. Ces meilleurs choix sont surtout accessibles aux mieux nantis ? Il fallait aussi faire les bons choix de vie pour arriver à ce niveau de confort matériel qui permet de choisir le bio, de choisir le week-end en nature au chalet, de choisir de se renseigner sur les aliments bons pour prévenir le cancer. Il y a les gagnants, et il y a les perdants. Dans une société néolibérale, il y a de bonnes chances de tomber sur un médecin qui te soigne, certes, mais en te jugeant intérieurement de t’être rendu malade, avec tes choix de perdants.

Dans une société néolibérale, le rôle du gouvernement en santé publique, c’est au mieux de sensibiliser les individus à l’importance de faire les choix les plus gagnants possibles. Ce n’est certainement pas — un exemple comme ça — de réglementer plus sévèrement la qualité de l’air dans les écoles comme dans les usines, et de rendre l’environnement public et privé moins propice à la maladie.

Dans une société néolibérale aux prises avec une crise sanitaire, une partie de la population aura intériorisé ce gospel de la liberté individuelle et (surtout) d’entreprise. Des gens, donc, se braqueront contre une mesure sanitaire ou un vaccin parce qu’en les recommandant, le gouvernement outrepassera son étroit petit rôle de protection des choix des individus et (surtout) de la liberté des business. On s’insurge, en bref, contre le spectre menaçant d’un « gouvernemaman ».

Dans une société néolibérale aux prises avec une crise sanitaire, il y aura aussi des gens déjà critiques de la logique néolibérale qui se demanderont si les institutions obéissent trop au capital pour agir dans l’intérêt public. On a donc un groupe qui peut rejeter une mesure sanitaire non pas par dégoût de la solidarité sociale, mais parce que face à des institutions jugées « vendues », on préfère se fier à son propre jugement, à ses sources « alternatives », et se démerder seuls.

Avec ce deuxième groupe, on peut absolument parler de santé publique, parce que le souci du bien-être collectif est présent et partagé. Mais avec lui, il ne suffira pas de déplorer la désinformation ou de ressasser les dernières connaissances scientifiques pour rebâtir la sacro-sainte confiance à l’égard des institutions. Il faudra aussi admettre les failles du système, nommer ce qui n’y tourne pas rond, en altérer la logique. Non pas tenter de convaincre les individus, un par un, de faire des « choix » plus centristes, mais plutôt « prescrire » des changements institutionnels profonds. En commençant par un examen de ce néolibéralisme et de ses conséquences.

Source: Libres de quoi?

Nicolas: Les réacs attaquent

Of note:

Croyant que les «woke» posent une menace de censure, les républicains censurent.

Enfant, il m’arrivait d’être frustrée que mes séries américaines préférées soient télédiffusées avec deux, trois, voire quatre saisons de retard, dans leur version doublée, par rapport à leur version originale. Ça me donnait l’impression de vivre en décalage, et me donnait hâte de comprendre assez l’anglais pour « aller dans le futur ». Bien sûr, le « retard » n’existerait pas si on ne consommait que des créations locales. Ce sentiment qu’on absorbe des éléments de la culture américaine, comme francophones, avec quelques saisons de retard persiste encore souvent chez moi — et je ne parle pas ici seulement de télévision.

Du moins, c’est ainsi que je m’explique la mode des mots « woke » et « wokisme » au Québec depuis à peu près un an. Fox News et le Parti républicain ont mis en avant ce dispositif rhétorique il y a quelques années pour contrer la sympathie grandissante du public américain pour les revendications du mouvement Black Lives Matter. On s’en est aussi servi pour décrédibiliser toute mesure visant à rectifier l’exclusion historique des femmes et des minorités de la vie universitaire américaine. Du moins, c’est un synopsis qu’on pourrait offrir pour présenter une première saison de « Les wokes attaquent ». Une production de Rupert Murdoch, bien sûr.

Alors qu’on savoure ici les premiers moments de ce grand spectacle télévisuel, vous me permettrez de vous divulgâcher platement la suite. Quelques saisons plus tard, la série introduit un nouveau mot-clé : la critical race theory, ou théorie critique de la race (TCR). En juin et juillet 2021 seulement, Fox News a mentionné l’expression 1914 fois en ondes, selon le Washington Post. Un total de 1914 fois en deux mois. Qu’est-ce que la théorie critique de la race, au juste ? Au sens propre, il s’agit d’un champ de recherche des sciences sociales qui étudie l’histoire du racisme et ses effets contemporains. Au sens de Fox News, il s’agit, comme pour le mot « woke », d’une expression fourre-tout indéfinissable. On ne sait plus trop exactement ce que ça veut dire, mais on sait que c’est haïssable.

De manière générale, on comprend que la TCR, c’est l’opposé du patriotisme, voire une arme de culpabilisation et de dévalorisation massive de la fierté américaine (conservatrice). Le Projet 1619 du New York Times Magazine, qui raconte les origines de l’esclavage sur le territoire ? C’est de la TCR. Les activités de formation continue sur l’équité et l’inclusion dans les entreprises ? Encore de la TCR. Un enseignant qui parle en classe des privilèges sociaux ? Toujours de la TCR. De ses milliers de mentions en ondes découle une mobilisation de parents à travers le pays, qui implorent les conseils scolaires de bannir la TCR de l’enseignement primaire et secondaire (même si la définition pré-Fox News du terme se réfère à une branche de recherche en sciences sociales qui n’a jamais touché les enfants). Tout enseignant qui mentionne en classe un aspect de l’histoire qui ne glorifie pas l’Amérique blanche conservatrice risque de se faire accuser d’avoir « commis » de la TCR. Les enseignants qui ne sont eux-mêmes pas des blancs conservateurs sont particulièrement à risque, bien entendu.

Dans les derniers épisodes de « Les wokesattaquent », on s’est toutefois lassé de la rhétorique, et on est passé à l’action. Alors que Fox News a progressivement diminué l’emploi de l’expression critical race theory vers la fin de l’été, neuf États américains avaient adopté des lois « anti-TCR » à la fin de 2021 : l’Idaho, l’Oklahoma, le Tennessee, le Texas, l’Iowa, le New Hampshire, la Caroline du Sud, l’Arizona et le Dakota du Nord. En étudiant le recensement que l’Institut Brookings a fait de ses différentes pièces législatives, on voit qu’on a aussi profité du mouvement anti-TCR pour compliquer l’enseignement de notions liées au sexe et au genre. Certaines de ces lois posent des limites à ce qui peut être enseigné au primaire, au secondaire, et dans les universités de l’État. D’autres interdisent les formations en équité, diversité et inclusion pour les employés des services publics.

Leur vocabulaire a été choisi avec soin. Au Texas, par exemple, un enseignant causant de « l’inconfort, de la culpabilité, de l’angoisse ou toute autre forme de détresse psychologique » à des étudiants en lien avec leurs identités raciales ou sexuelles en abordant des sujets délicats contrevient à la loi. On interdit aussi de remettre en question l’idée de la méritocratie, d’avancer que l’esclavage est central à la fondation des États-Unis ou d’enseigner que le racisme est « autre chose qu’une déviation, une trahison ou un échec à faire vivre les authentiques principes fondateurs des États-Unis, qui incluent la liberté et l’égalité ». On prohibe aussi carrément le recours en classe du fameux Projet 1619 du New York Times Magazine. On ne manque pas de précision.

Des élus de l’Alabama, de l’Alaska, de l’Arkansas, de la Floride, du Kentucky, de la Louisiane, du Maine, du Michigan, du Mississippi, du Missouri, du New Jersey, de New York, de la Caroline du Nord, de l’Ohio, de la Pennsylvanie, du Rhode Island, de la Virginie-Occidentale, du Wisconsin et du Wyoming ont déposé des projets de loi qui vont dans le même sens. Six initiatives législatives similaires ont aussi été proposées au Congrès américain. On parle ici d’interdire l’enseignement de concepts « divisifs » liés à la race et au genre, là de renvoyer des enseignants ou de réduire les fonds publics aux « promoteurs » de la TCR. Décidément, la saison 2022 de « Les wokes attaquent » s’annonce pleine d’action. Ne devrait-on pas renommer la série « Les réacs attaquent », d’ailleurs ?

Nombreux sont les fans de l’émission qui ont accroché à la saison 1 à cause de la force du thème de la liberté d’expression dans la trame narrative. Comme on vient de le voir, le récit évolue plutôt vers une campagne de censure étatique en bonne et due forme visant les milieux d’enseignement. Si ce que j’ai divulgâché nous intéresse moins, il est encore temps de changer de poste

Source: Les réacs attaquent

Nicolas: Une confusion cultivée [regarding systemic racism]

Good column by Nicholas:

Soixante-six pour cent des Québécois reconnaissent que le racisme systémique existe. À l’échelle du pays, 67 % des Canadiens admettentsans problème que le concept a un sens. Du moins, ce sont là les résultats d’un sondage publié la semaine dernière par Léger Marketing pour le compte de l’Association des études canadiennes. Sur cette question, le caractère « distinct » du Québec ne tiendrait donc qu’à un seul petit point de pourcentage.

La donnée est remarquable, car si le racisme systémique existe partout, le discours sur le racisme systémique n’est pas le même d’un océan à l’autre. Depuis qu’une coalition d’acteurs de la société civile (dont je faisais partie) a interpellé le gouvernement du Québec pour demander une consultation publique sur la question en 2016, la notion est devenue, particulièrement au Québec, la cible d’une campagne politique et médiatique continue de désinformation et de confusion. Il y a aussi, bien sûr, de la désinformation qui circule ailleurs. Simplement, sur ce point particulier, c’est ici que les démonstrations de mauvaise foi se sont montrées les plus énergiques, disons, dans l’histoire récente.

Des définitions du racisme systémique plus farfelues les unes que les autres ont en effet défilé en ondes au fil des années, souvent à heure de grande écoute. « Procès des Québécois ». « Être systématiquement raciste ». « Se lever le matin avec l’intention de discriminer les minorités ». Le premier ministre François Legault a ajouté une nouvelle couche de désinformation, mardi, en réaction au rapport de la coroner Géhane Kamel sur la mort de Joyce Echaquan, affirmant que reconnaître le racisme systémique, « ça voudrait dire que tous les dirigeants de tous les ministères ont une approche discriminatoire qui est propagée dans tous les réseaux ». On aurait pu en rire, si la mauvaise blague était venue d’un quidam.

Dans un de nos grands médias (vous savez lequel), vous pourrez retrouver plusieurs dizaines de billets sur le « racisme antiblanc », une notion qui n’a aucune crédibilité scientifique, et qui a été popularisée par le Front national de Jean-Marie Le Pen. On « thèse » aussi un peu partout sur le « wokisme », que personne n’a défini, sinon Fox News. Mais François Legault répète que le racisme systémique est un concept trop « mal défini » pour être utile.

Pourtant, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec a une définition du racisme systémique, comme ses équivalents à travers le pays ont aussi les leurs. Le Barreau du Québec en a déjà proposé une. La Ville de Montréal en a aussi une, depuis la consultation municipale sur la question. On ne compte plus les rapports et les articles scientifiques, ici et ailleurs, qui font appel à la notion.

Chaque organisme formule les choses à sa façon, pour essentiellement dire la même chose. Tout comme chaque organisme scientifique ne met pas exactement la virgule à la même place dans sa définition des changements climatiques, et que vous n’arriverez pas, en mettant tous les économistes dans une même pièce, à une définition immuable de l’économie. Mais que personne (de sérieux) n’utilise cette réalité pour avancer que les changements climatiques ou l’économie n’existent pas.

Le racisme systémique fait référence aux façons de faire (processus, décisions, pratiques) qui favorisent ou défavorisent certaines personnes en fonction de leur identité raciale. Il s’agit de dire que nos grands systèmes — de santé, d’éducation, de justice, de services sociaux — ont été pensés par et pour la majorité. Encore aujourd’hui, ce sont les approches qui conviennent le mieux à cette majorité qui dominent, et elles ne sont pas présentées comme culturellement spécifiques, mais comme « le sens commun », voire des « règles objectives ».

Si le système de santé est conçu par et pour la majorité plutôt que pour les personnes autochtones, par exemple, cela veut dire que des professionnels de la santé peuvent être diplômés après 3, 5, 10 ans de formation universitaire sans avoir aucune compétence culturelle pour interagir avec une clientèle autochtone. Si ces professionnels, faute de formation, agissent avec les mêmes préjugés que le citoyen moyen exposé aux stéréotypes véhiculés par la culture populaire, il n’y a pas non plus de processus interne efficace pour reconnaître le problème et le corriger. Dans un système par et pour la majorité, rien de tout cela n’apparaît comme un besoin criant.

Autre exemple : une formation médicale conçue par et pour la majorité blanche utilise presque exclusivement des images de personnes blanches pour apprendre aux futurs médecins à reconnaître les symptômes d’une maladie. Plusieurs études ont déjà démontré que les patients à la peau foncée reçoivent souvent un mauvais diagnostic, plus tardif, pour des problèmes de santé visibles à l’œil nu. Est-ce que l’infirmière ou la dermatologue qui ne reconnaissent pas un problème sur une peau foncée haïssent personnellement les Noirs, ou, pour reprendre les propos du premier ministre, « ont une approche discriminatoire propagée dans tout le réseau » ? Non. Le problème vient des écoles de médecine, de leurs curriculums qui mènent à désavantager certains patients en fonction de leur identité raciale. Soit la définition du racisme systémique. Déclarer qu’on n’est « pas raciste » ne réglera rien si l’on n’est pas prêt à investir temps et énergie pour corriger les failles de la formation de base (lire : pour la majorité). Quitte à passer pour un « woke ».

Dans les pires cas, ces deux exemples peuvent mener à des morts inutiles. Soixante-six pour cent des Québécois arrivent à comprendre cette réalité du racisme systémique, malgré la désinformation ambiante. On peut imaginer que si ce n’était des efforts particulièrement soutenus pour embrouiller les gens, les Québécois accepteraient la notion dans une proportion bien plus importante que la moyenne canadienne.

Il y a là, il me semble, un signal assez encourageant sur la teneur de ces fameuses « valeurs québécoises ».

Source: https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/638610/chronique-une-confusion-cultivee?utm_source=infolettre-2021-10-07&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

Nicholas: Why the English election debate tripped the Quebec campaign

Good sophisticated and nuanced discussion of context. That being said, the pandering of all political leaders to Quebec’s sensitivities and calls for apologies miss the point that Bill 21 is intrinsically discriminatory hence the use of the notwithstanding clause:

As someone who has played an active role in the fight against ill-advised secularism bills as well as the push for the Quebec government to recognize systemic racism, I know very well how communicating publicly around those issues can feel like walking on eggshells. You’re out there, trying to speak your truth, while navigating accusations of “putting Quebecers on trial” (of course not) and “stigmatizing Francophones, like the British elites used to do” (do I look like a Red Coat to you?). Frankly, it’s exhausting.

Then, invariably, someone from the rest of the country walks in. They often have more resources than local voices, and feel like this positions them for ‘national leadership’ despite relative cluelessness in the local context. If they are not careful, their communication style can be the equivalent of bringing matches in a basement full of gas that they (alone) cannot smell. BIPOC advocates and their allies in Quebec are left to clear the mess, deal with the consequences, and fend even stronger accusations of “Quebec-bashing” (are we not Quebecers?) and “undermining Quebec values” (don’t we also get to decide what Quebec values are?).

Such interventions feel many things. Helpful is rarely one of them.

In the last weeks, many Canadians have felt frustrated to see federal leaders repeating they would not initiate a federal court challenge against Bill 21. Yet it rarely occurs to them that several progressive Quebeckers have advised Justin Trudeau, Jagmeet Singh and others not to, fearing it would only make the francophone social dialogue even more acrimonious—on top of being useless, given that people within Quebec are already challenging the law themselves. If a federal party was to take such an initiative, they would create a wedge amongst some of the strongest local voices against the bill. Most probably unhelpful. Again.

Don’t get me wrong. I understand why people across Canada would want to join the opposition movement against Bill 21 and would like the Quebec premier to acknowledge that systemic racism exists there like everywhere else. And it’s certainly not my place to tell anyone how to feel or what to do. Most people would agree, however, that taking your cues from people most-impacted by an issue and being curious of local context are good organizing principles.

So here’s some of that context.

***

In 2013, Parti Quebecois premier Pauline Marois put forward the Charter of Quebec values, the (failed) predecessor of now (in)famous Bill 21. On television, I watched commentators repeating that separation of church and state in Quebec was complete since the 60’s Quiet Revolution, and that religious minorities wearing ‘ostentatious’ religious signs were the main threat to that accomplishment now.

I would have laughed if it wasn’t so sad.

I was baptized in the Catholic faith a few weeks after birth. The baptism certificate was used to enroll me in the Quebec public school system. Only with the 1994 Civil Code reform did such church documents cease to hold legal value in the province. Since obtaining an official birth certificate from the state was often expensive, generations of  poor families have been enjoined to baptize their children when they came of school age. This way was often faster, and always free.

I grew up in the small town of Lévis, near Quebec City. In my (yes, public) elementary school, catechism was part of the curriculum. The parish’s priest used to come to class and explain to us what lent was. He also enrolled us into the church basement after-school activities, where we prepared for our first communion and confirmation sacraments.

Back then, Quebec secularism in a ‘région’ meant that the one kid who was not baptized and the set of twins who happened to be Anglicans  were allowed to leave the catechism class to attend a non-denominational ‘moral’ lesson while the rest of us sang about Jesus and prepared a nativity scene for the Christmas mass. Of course, children are curious. The three outliers have been subjected to many a ‘why aren’t you normal’ type of question during recesses.

I attended a private high school. When I say that in Ontario, it creates confusion. No, my family wasn’t rich. Private schools in Quebec are subsidized by the state. Why? The Catholic church used to basically control the Quebec education system. The Quiet Revolution created the public system as we know it today, but also funded the long-established denominational schools (of the French-Canadian elites), as a way to ease the transition. The measure was supposed to be temporary. It still holds today. The tuition fees are too high for the working class, yet low enough (much less than what Ontarian parents pay annually in childcare) that many middle-class families make sacrifices and put their kids through the selection process. The result is a two-tier education system, the most unequal in all the country.

How was it to attend a publicly-funded private school that had just crossed ‘convent’ from its official name? Unlike in the Ontario system, non-Catholic children were allowed to enroll—and gaze with us at the crucifix above the blackboard. The priest would still come to school. Want to volunteer in the community? Go see the pastoral officer. Some of my teachers were nuns. One even made us say our prayers before starting class. I’ve learned some basic Latin. Our sex-ed classes (also taught by a nun) were…interesting.

Lévis is quite socially conservative, but still. I’m a 33 year-old millennial. I’m describing the 2000’s here. Not the 1950’s.

Things are different now, it’s true. With the 2008 school reform, the generation of small-town kids that follows me doesn’t have to actively opt out of general Catholic education anymore.

Pauline Marois and others were not wrong to say, in 2013,  that the role of religion in Quebec changed drastically over the course of the 20th century. But there is still a wide array of attitudes towards faith today. There is an urban-rural and an intergenerational and a cross-cultural and a linguistic and an ideological divide, as well as several cultural and institutional leftovers from the former Catholic domination. In short, it’s messy.

***

Civil society opposition to the 2013 Charter of Quebec values, which I was a part of, was led by a collection of strange bedfellows. There were of course Sikh, Jewish and Muslim human rights activists, including hijab-wearing women who were afraid to be barred from certain professions. There were the small-l liberal lawyers, who did not necessarily see how systemic discrimination and racism could tarnish everyday life in pernicious ways, but were not about to let pass a legislation that flew in the face of established Charter rights. There were the life-long sovereigntists, who felt it was profoundly dangerous to associate the proposed bill with nationalist pride, and that on the long-run, such policies would kill their dream of a country. And there were people like myself, not a religious minority yet racialized, who knew first-hand how explosive public debates can make the prejudiced even bolder in their words and actions.

Indeed, hate crimes against religious minorities increased in the years that followed. Even though the Parti Quebecois had lost power before passing the bill, some the media commentary aired in the context of that debate led to many feeling confident in expressing that Islam was fundamentally incompatible with ‘our values’. The bill intended to ban religious symbols from certain jobs. Some misunderstood that as a license to harass visibly religious folks on the street. Attacks against mosques became banal. We all know where that led.

Now, the people who backed the Charter of Quebec values then and the Bill 21 afterwards are also a motley crew, to say the least. Yes, there are some overtly Islamophobic groups. Yet there are also those who were fighting for laicité long before the post-9/11 identity politics became fashionable, and who vehemently oppose the school “catho-secularism” I just exposed. Some of them go further, and push for laicité to mean the establishment of atheism as the new state religion (basically). They are part of a French intellectual tradition that goes back to the Enlightenment, and associates all faiths, including Christianity, with irrationality and dark ages.

Proponents of such bills also included some of the most prominent figures of Quebecois feminism. For example, the 2013 Janettes movement was led by Janette Bertrand, a former TV host who could remember the days when the clergy would force French-Canadian women to have more babies, and then some, until they would die in childbirth. She represented a generation that associated freedom from religion with women’s liberation. Of course, there is ethnocentrism in that view: why would one’s own experience of religion be the only valid one? But there is also deep, valid trauma there. Convincing Quebec’s mainstream feminist organizations (including Quebec solidaire) that French-Canadian trauma could not be equated with a universal experience took time. And a lot of tact. It was messy, and at times violent. Several intersectional feminists burnt out in the process. Yet thanks to their efforts, many in the Quebec institutional left have come to see things differently by now.

Most people in the rest of Canada also do not realize that if they were to debate Bill 21 in a mainstream Quebec media today, their vis-à-vis would probably be someone like Bloc Quebecois candidate Ensaf Haidar, whose husband is a political prisoner in Saudi Arabia. While the overwhelming majority of Muslims oppose the legislation, some new Quebeckers with personal experience of political violence in Muslim-majority countries have been active in the Bloc, the PQ and the CAQ, telling party members that political Islam is a threat in Canada and that they are right to support the bill. There again, understandable trauma, and blurred lines.

Those are some of the many reasons why it’s fundamentally a trap to oppose Bill 21 by speculating on intent (“All those who support it hate Muslims”) rather than insisting on impact (the legislation bans some Quebeckers from certain jobs, which is the textbook definition of employment discrimination).

During last week’s English-language debate, the moderator could have asked: “Mr. Blanchet, what do you say to Quebec Superior Court Marc-André Blanchard who has described Bill 21 as discriminatory? And if you believe it not to be discriminatory, why do you support the preemptive use of the notwithstanding clause?” If the question had been phrased as such, the English Debate Commission would not have become the main story in the Quebec campaign, overshadowing actual candidates.

***

Personally, I’d like to see the problematic articles of Bill 21 revoked, yet I also worry about the consequences of Canadians focusing the fight against, say, Islamophobia, on the National Assembly’s bill. I know that depictions of Islam as politically incompatible with Western values and of Muslims as infiltrated enemies have spread all across North America and Europe since 9/11. I worry that with the political climate created by the advance of the Taliban, we could see even more Trump-like country bans and Harper-style no-fly lists in the near future. I see that virtually all Western leaders speak as if their Geneva-convention duty to welcome Afghan refugees did not extend beyond the group they used to employ. I fear the proliferation of hate speech and attacks like the one we just witnessed in London, Ont.

During the campaign, I’ve watched Yves-François Blanchet, the only party leader who is not running to become prime minister, becoming the target of all questions relating to the treatment of religious minorities—leaving everyone else off the hook. I fail to understand how that serves the interests of anyone who cares about such issues.

Or am I missing something?

One thing is at least for sure. Both François Legault claiming he alone defines what Quebeckers stand for, and people from Ontario, B.C. or Alberta deriving from Legault’s speeches a general characterization of Quebec operate from the same premise. They reduce Quebec society to a rather conservative brand of nationalism. They speak as if millions of people of all walks of life in the province—especially younger generations—don’t exist. They paint homogeneous blocks, and completely erase the complexity and diversity of the place.

Those are not the most insightful takes, to say the least.

Quebec-ROC feuds like the one we’ve been going through this last week usually lead to minorities within Quebec being even less heard when they beg to differ from dominant narratives. Consequences could be felt long after the federal campaign is over. Is this really what we want?

Source: Why the English election debate tripped the Quebec campaign

Nicholas: L’amnésie du Canada missionnaire

Important reminder of the cultural genocide impact of missionaries:

Ce sont d’abord les noms qui m’ont mis la puce à l’oreille. Les porte-parole de la Nation Tk’emlúps te Secwépemc, où l’on a retrouvé les restes des 215 enfants du pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique, s’appellent notamment Baptiste, Jules, Casimir, Michel, Gosselin, Antoine, Lampreau. Pourquoi ?

J’ai donc replongé dans Le Canada français missionnaire de Lionel Groulx, paru pour la première fois en 1962. « En bref, je voudrais raconter la grande aventure d’un petit peuple qui, à peine né, se jette dans la conquête religieuse de l’Indien en Amérique du Nord », commence-t-il. La phrase décrit bien le projet de l’essai, qui recense la longue liste des missions catholiques canadiennes-françaises au fil des siècles, de l’Atlantique au Pacifique à l’Arctique et aux États-Unis, puis celles de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique latine, de la Caraïbe. Tout y passe, méticuleusement. Il s’agit, pour le chanoine Groulx, de démontrer que l’esprit impérialiste fait toujours partie de l’âme des gens d’ici, malgré la Conquête : « Son empire de jadis, il semble […] qu’il le veuille reconstituer sur un plan supérieur, le plan spirituel cette fois, avec des frontières indéfiniment extensibles ».

L’essai débute au temps de la Nouvelle-France, où il vante « l’audace conquérante » des premiers missionnaires, qui a persisté sous le régime anglais. Il déplore qu’au XIXe siècle, « les épreuves ou misères n’ont que très peu changé depuis le temps de la Nouvelle-France. Le Sauvage reste encore sauvage, ou peu s’en faut : homme-enfant, léger, fantasque, incapable d’efforts soutenus, mal débarrassé de son vieux paganisme ». Il ajoute : « Comme aux temps anciens l’alcool le fascine ; le concubinage sévit ».

Les descriptions racistes ne sont pas accessoires au livre, mais une partie importante de l’argumentaire. C’est qu’il n’y aurait pas autant de noblesse dans le missionnariat si les Autochtones n’étaient pas dépeints comme des sous-humains en attente de rédemption. Par exemple, le chanoine nous décrit les Dénés (Territoires du Nord-Ouest) comme « barbares, presque sataniques », mais tient à nous rassurer. Au contact des missionnaires, « les infanticides, le cannibalisme, souvent provoqués par la misère, disparaissent ».

Dans son récit, le chanoine Groulx insiste sur le rôle des Oblats de Marie-Immaculée, ordre français que l’évêque de Montréal Ignace Bourget invite, en 1841, à s’établir près de lui pour recruter activement au sein de la population du Bas-Canada. Les Oblats « se livrent aux missions indiennes avec une véritable fougue évangélique », nous assure Groulx. Ainsi des missions sont lancées un peu partout au Québec et au Canada bien avant l’ouverture officielle des pensionnats autochtones. Lorsque ceux-ci sont mis en place, on se porte volontaire pour les faire fonctionner. Ainsi, au moins 57 des 139 pensionnats financés par le gouvernement du Canada ont été gérés par les Oblats durant leurs années d’opération. Riches de leur expérience dans l’Ouest, ils font d’ailleurs pression sur les députés francophones du gouvernement Mackenzie King, dans les années 1930, afin que des pensionnats soient aussi ouverts au Québec.

C’est ainsi que des religieuses de la vallée du Saint-Laurent partent nombreuses « à l’aventure », notamment dans l’Ouest. Les frères emploient les Sœurs de l’Assomption de la Sainte Vierge pour s’occuper du pensionnat de Onion Lake, en Saskatchewan. Les Sœurs missionnaires du Christ Roi, après avoir géré des camps de concentration pour les Canadiens d’origine japonaise durant la Deuxième Guerre mondiale, sont assignées aux « écoles indiennes ». Les Sœurs de Sainte-Croix et des Sept-Douleurs ouvrent quant à elle un pensionnat à Moricetown, au nord-est de Prince Rupert. Et les Sœurs de Sainte-Anne, originaires de Saint-Jacques-de-l’Achigan, dans Lanaudière, se chargent notamment des « écoles indiennes de Kamloops, de Kuper Island et des Songhees », en Colombie-Britannique.

Finalement, on commence à comprendre le pourquoi de ces noms à consonance francophone des membres de la Nation Tk’emlúps te Secwépemc, où ont été retrouvés les 215 enfants du pensionnat de Kamloops.

On commence à comprendre qu’on avait peut-être tort de présenter la découverte macabre des restes des enfants de Kamloops avec une plus grande distance, ici, parce que « l’Ouest, c’est loin de nous ». On commence à voir que ce qui s’est passé au Québec comme dans les Prairies, le Grand Nord ou l’Ouest s’est déroulé avec la participation de certains de nos grands-oncles, de nos grands-tantes, dont le lien avec l’Église faisait la fierté et l’orgueil de bien des familles d’ici. On aperçoit aussi que l’amnésie collective sur les pensionnats autochtones est bien étrange, alors que certains de nos intellectuels les plus célèbres et célébrés se sont même vantés du rôle de l’Église canadienne-française dans leur établissement, afin d’y puiser un sentiment de fierté nationale.

Cette Église, et cette vision du nationalisme, bien des Québécois en ont un souvenir douloureux, et s’en sont dissociés à l’époque même des pensionnats et de Lionel Groulx, et bien sûr ensuite. Mais la dissociation peut-elle justifier les trous de mémoire ? L’anachronisme qui sépare l’Ouest canadien de l’histoire des francophones ? La prétention que ces administrateurs coloniaux ne font pas partie de nos histoires familiales ? Le détachement de ce qui s’est passé ici même au Québec ?

Rappelons-nous que la commission qui a fait la lumière sur les pensionnats s’appelle Vérité et Réconciliation. Et cette vérité inclut que les idées du chanoine Groulx fassent écho à une vision sociale et politique qui a influencé, pour le meilleur et pour le pire, les rapports entre les peuples autochtones et les francophones de partout au pays pendant plusieurs décennies. Sans vérité, quelle réconciliation est possible ?

Source: L’amnésie du Canada missionnaire

Nicholas: La honte [history of France’s suppression of minority languages and related issues]

Refreshing reminder of history and its impact:

On prend rarement le temps, au Québec, de rappeler qu’il n’y a pas si longtemps que tous les Français parlent français.

C’est que l’Europe s’est développée au Moyen Âge comme un ensemble de royaumes aux frontières instables, et donc les monarques se mariaient entre eux, évoluant dans un univers culturel et linguistique à part de populations très diversifiées. Et la France ne fait pas exception. L’occitan, le catalan, le breton, le picard, l’alsacien, le basque ne sont que quelques-unes des langues autochtones de la France, parlées comme langues maternelles et souvent comme seules langues de bien des sujets de la France de l’Ancien Régime, dans l’indifférence quasi totale de la monarchie. Ce qui importait au pouvoir politique des rois qui ont administré notamment la Nouvelle-France, c’était surtout que le français soit normé et imposé comme langue de l’État et de l’administration pour supplanter le latin, et donc le pouvoir de l’Église.

C’est principalement avec la Révolution française qu’on s’est mis à s’intéresser à cette diversité linguistique, perçue alors comme un obstacle à la circulation des idées politiques républicaines et laïques. Et après la période de va-et-vient politique qu’a connue la France au XIXe siècle, la Troisième République instaure dans les années 1880 une série de lois sur l’instruction primaire obligatoire — en français — sur l’ensemble du territoire. On veut alors une république, unie et unitaire. Et avec l’industrialisation et la montée du capitalisme, la bourgeoisie dominante a avantage à créer une masse qui suit les mêmes normes, travaille de la même manière, consomme les mêmes produits et les mêmes journaux.

Dans les écoles de France, on déploie un ensemble de châtiments, souvent physiques, pour punir les enfants qui parlent leur langue maternelle. On leur enseigne finalement non seulement le français, mais aussi l’infériorité de leur culture et de leur milieu familial. En occitan, on parle de vergonha pour nommer l’effet des politiques républicaines sur la psyché populaire. La honte. C’est par la honte, et souvent par la violence envers les enfants, que le français est devenu la langue de la République. Le projet linguistique républicain est donc fondamentalement un projet disciplinaire. Il faut parler le français, le bon, le patriotique, le beau, l’exact, le supérieur, le vrai, le pur. Une liste de notions qui, faut-il le spécifier, n’ont d’assises dans aucune science du langage. Les dogmatiques les plus orthodoxes de la langue française n’ont souvent (nécessairement) aucune notion de sociolinguistique.

L’unitarisme républicain a bien sûr été amené dans les colonies françaises au même moment qu’il a été imposé en France même. On a aussi tenté, tant bien que mal, d’enseigner aux fils des potentats « indigènes » non seulement le français, mais aussi la fierté et le sentiment de supériorité qui viennent avec le rapprochement avec la norme, ainsi que la honte et le mépris de sa langue maternelle ou des variants locaux du français. Cette honte, elle laisse des traces, d’une génération à l’autre, tant en France que dans son (ex) empire.

Après des décennies de lavage de cerveau, une France transformée par cet idéal politique « redécouvre » le Québec, et sa langue qui a échappé à cette entreprise de réingénierie sociale républicaine. Et une partie des élites québécoises, à son contact, internalisent aussi cette honte et la transmettent à leur tour aux gens d’ici, au nom, paradoxalement, de la fierté nationale. Frustrés d’être l’objet des moqueries des Hexagonaux, on se moque à son tour des Saguenéens ou des gens d’Hochelaga. Des Parisiens disent aux élites montréalaises qu’elles sonnent comme le Moyen Âge, et elles, à leur tour, traitent les Acadiens, les Cajuns et les Franco-Manitobains comme des vestiges du passé.

Si l’on prend rarement le temps d’expliquer cette histoire de la langue française au Québec, c’est notamment que l’on se préoccupe, avec raison, de la place prépondérante de l’anglais en Amérique du Nord, et surtout de cet autre projet impérialiste qu’est le Régime britannique à l’origine du Canada moderne. On croit que nos insécurités linguistiques nous viennent de cette situation de minoritaires sur le continent. C’est vrai, en bonne partie. Mais il ne faut pas non plus oublier d’examiner cette francophonie, le projet politique qu’elle porte, ses effets insécurisants et sa logique disciplinaire génératrice de honte et de hiérarchie qui pèsent sur les francophones « hors norme » de tous les continents, Européens y compris.

Il faut réfléchir à la langue française en Amérique non seulement face à l’anglais, mais aussi face à elle-même, dans toute sa complexité. Qu’est-ce que cela veut dire de dénoncer les tentatives d’assimilation et de stigmatisation vécues par les enfants francophones des Amériques aux mains des Britanniques et des Américains, tout en ayant participé à des projets missionnaires visant à assimiler les enfants haïtiens, sénégalais ou innus et à stigmatiser leur langue maternelle ? Qu’est-ce que ça signifie de dénoncer le règlement 17 qui a longtemps compliqué l’enseignement du français en Ontario pendant que l’État québécois s’acharne à franciser les jeunes du Nunavik ? Qu’est-ce qui se produit quand des militants de gauche, qui militent pour l’équité et l’inclusion, s’en prennent à l’orthographe des internautes moins scolarisés qu’eux plutôt qu’à leurs idées ? Ou lorsqu’on « se donne un accent » pour faire sérieux à la télévision d’État ou à l’université ?

Dénonce-t-on les effets néfastes de l’impérialisme britannique parce qu’on est anti-impérialiste ou parce qu’on lui aurait préféré un impérialisme différent, où l’on aurait été plus dominant ? Est-on contre le mépris des Franco-Québécois ou contre le mépris tout court ? Se pencher sur ces questions, c’est s’interroger sur ce que l’on veut que notre francophonie signifie à la face du monde, et aussi sur la manière dont les francophones se traitent entre eux, et sur le rapport traversé de contradictions, d’émotions et souvent d’insécurité de chacun envers sa langue et son identité. À nous de voir, avec les francophones de partout dans le monde, ce que signifie parler français, de mettre en question ses normes et de s’approprier (enfin) sa langue

Source: La honte

Nicolas: Manque de vision (Quebec anti-racism strategy)

Good dissection of the weaknesses and lack of concrete action:

Des actions concrètes. Une approche pragmatique. À partir des constats déjà connus. C’est ce que nous avait promis le premier ministre François Legault en lançant en juin son Groupe d’action contre le racisme. On pourrait traduire : pas le temps de niaiser. Pas le temps de poser le problème auquel on s’attaque, d’expliquer comment il opère dans la société, et comment les mesures proposées pourront altérer positivement cet état de fait.

François Legault, Nadine Girault et Lionel Carmant nous disent qu’ils ne veulent pas parler de racisme systémique. Mais ils ne disent pas non plus de quoi ils veulent parler, eux.

Sur les 25 « actions concrètes » du rapport du Groupe d’action, une douzaine peut se résumer à des campagnes d’information et d’éducation. On veut former les policiers, les enseignants, les employés de l’État et les jeunes en âge scolaire, sensibiliser les ordres professionnels, informer les propriétaires et les locateurs et développer une campagne de sensibilisation qui ne vise rien de moins que l’ensemble de la population — et même, de manière étrangement spécifique, l’industrie de la construction, et cette industrie seulement. Les former, les sensibiliser à quoi ? Le racisme, c’est mal ? Le racisme, tolérance zéro ? Mais encore ?

Est-ce qu’on formera à l’impact des biais cognitifs sur les processus décisionnels, ou est-ce que les recherches en psychologie menées de front notamment par l’Université Harvard seront aussi considérées comme dangereuses pour le « consensus » québécois ? Est-ce qu’on formera à la réalité des Premières Nations et des Inuits en parlant de la colonisation des territoires autochtones notamment par le gouvernement du Québec, ou est-ce que ce serait aussi faire le « procès » de la majorité francophone ? Il semble qu’on a balayé en avant, avec ce rapport, tout le débat qu’on souhaitait éviter. On réalisera bien, en tentant de le mettre en œuvre, qu’il est impossible de lutter contre le racisme sans poser d’abord ce qu’il est.

Par exemple, les auteurs du rapport souhaitent s’en prendre au profilage racial des corps policiers en interdisant une fois pour toutes les interpellations policières aléatoires. Il faudra désormais que les policiers interpellent un citoyen en se basant sur des « soupçons raisonnables » et des « faits observables ». Très bien. Alors, si un agent scanne les plaques d’immatriculation des hommes noirs qu’il croise au volant et interpelle tous ceux qui conduisent une voiture enregistrée au nom de leur conjointe ou de leur mère (comme c’est parfois le cas), s’agit-il là d’un « soupçon raisonnable » de vol ou d’une pratique raciste ? Si un corps de police se met à pratiquer plutôt le « profilage criminel » en associant la criminalité à des traits et à des comportements qui sont plus communs parmi les Noirs, les Autochtones et les Arabes, est-ce là du racisme, du profilage racial, une interpellation non aléatoire ?

Les questions posées ne relèvent pas de la conjecture: c’est déjà souvent ainsi qu’on opère le déni de profilage racial au sein des corps policiers, malgré tous les rapports qui condamnent de telles pratiques. Une action efficace contre le racisme dans les corps policiers est une mesure qui anticipe le naturel qui revient au galop au fil des réformes, enveloppé dans de nouveaux prétextes politiquement corrects, et qui prévoit comment contrecarrer ces pièges.

Avec ce rapport, on est loin du compte. On déclare que l’on veut « rendre l’évaluation des compétences par les ordres professionnels plus rapide et flexible », ce qui est répété par tous les partis politiques au pouvoir depuis des décennies. On n’explique pas comment, cette fois, on réussira. On veut « augmenter, d’ici cinq ans, le taux de présence des membres des minorités visibles au sein de l’effectif de la fonction publique ». On ne précise même pas quel taux on souhaite atteindre, d’ici ces cinq années, ni avec quelles mesures.

C’est avec la comparaison qu’on voit le mieux le peu de substance qui nous est présenté cette semaine. Imaginons un plan d’action contre les changements climatiques dont près de la moitié des mesures pourraient être résumées à de la sensibilisation et à de l’information des individus, où l’autre moitié ne contiendrait aucun objectif chiffré, où le gouvernement du Québec parlerait simplement « d’inciter » certaines entreprises à agir et où on ne définirait même pas les changements climatiques, sous prétexte que chaque environnementaliste que l’on a rencontré a défini la notion en ses propres mots, que les climatosceptiques existent et qu’il y a donc absence de consensus social sur ce dont on parle. Pourrait-on aussi imaginer, en 2020, un plan de lutte contre le sexisme et la violence faite aux femmes où l’on garderait secrète la liste des organismes et des expertes rencontrés, et qui n’annoncerait aucuns fonds publics pour les organismes qui mènent la lutte sur le terrain depuis des décennies ?

Pour plusieurs observateurs mal avisés, le rapport ne semblera pas si mal, au premier coup d’œil. Ce sera parce que nos standards en matière de lutte contre le racisme sont extrêmement bas — ce qui n’est pas nécessairement la faute de la CAQ. Le rapport Racisme au Québec : tolérance zéron’est pas particulièrement plus faible que les documents fades auxquels les gouvernements libéraux qui ont précédé à M. Legault nous avaient habitués. C’est notamment que ceux-ci n’avaient rien à gagner, politiquement, à poser la question du racisme trop sérieusement : Montréal, où vit la majorité des personnes racisées, était considérée comme acquise, et on courtisait le vote francophone des régions.

Une CAQ plus ambitieuse pourrait chercher à convaincre des électeurs à l’extérieur de sa base actuelle. Ce n’est pas le choix qu’on a fait avec la stratégie annoncée cette semaine.

Source: https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/591727/manque-de-vision?utm_source=infolettre-2020-12-15&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

The more neutral news article:

A task force of three ministers and four Coalition Avenir Québec (CAQ) backbenchers is calling for action by the province to crack down on racial profiling, and on discrimination in hiring and housing affecting Quebecers of colour, Indigenous peoples and other minority groups.

The province will pursue 25 anti-racism goals, which the CAQ task force detailed in a report released on Monday.

The first target is racial profiling by police, who have been known to stop minority young people in parks or to pull over cars driven by racial minorities without legal cause.

Junior Health Minister Lionel Carment explained that police will now be required to give someone stopped the reason why they are being stopped, and this will allow someone who has been stopped to make a complaint if a reason is not given.

Quebec’s government also plans to train teachers and other public sector employees about racism and how to correct it.

Immigration Minister Nadine Girault said the proposed goals are ‘’measured’’ and there will be follow-ups on their progress.

‘’We’re an action-oriented government,’’ Girault said, adding that the Quebec government has not had a campaign against racism in 20 years.

To ensure their report, commissioned by Premier François Legault in June, would live up to its commitments, Girault called for designating a minister responsible for its implementation.

Legault named the task force at a time when when the Black Lives Matter movement was vocal in Quebec, following police abuses in the United States, notably the killing of George Floyd by a Minneapolis police officer after Floyd had allegedly tried to use a counterfeit bill. The premier insisted then there was no parallel between racism in the United States and the situation in Quebec.

But in September, when Joyce Echaquan, a 37-year-old Atikamekw mother of seven died in a Joliette, Que., hospital, she was called by many “Quebec’s George Floyd.”

Echaquan’s suffering in hospital, and racial insults she received from hospital staff, were recorded because her cell phone was on and broadcasting her treatment on Facebook.

Legault refused in naming the task force to accept the term “systemic racism” and he did not change his mind when there was an outcry in reaction of Echaquan’s death.

The premier did say the treatment she received was “unacceptable” and changed his Aboriginal affairs minister at the time, replacing Sylvie d’Amours with Ian Lafrenière, a former Montreal police force spokesman.

Legault has said applying the term “systemic” could suggest Quebecers are racist, which he rejects.

The premier says instead that there is racism in Quebec and naming the task force was his way of indicating he wants the problem to be dealt with.

Fabrice Vil, a lawyer from Montreal’s Black community, said proposals by the task force to raise awareness about racism are essential, but expressed dismay that the term “systemic racism” was avoided.

“We should call a cat a cat,” Vil said. “Words are important.”

Ghislain Picard, Assembly of First Nations chief for Quebec and Labrador, was also disappointed.

“They haven’t identified the causes and dealt with the causes,” Picard said.

At the news conference on Monday, Lafrenière said he is moving to implement the Viens report, sparked by reports of abusive treatment of Indigenous women in Val d’Or, a northern Quebec mining town. Justice Jacques Viens concluded there was “systemic discrimination” affecting Indigenous peoples in the province.

Lafrenière has announced funding for better training for Indigenous police and with the City of Montreal, a program to house homeless First Nations and Inuit people living in Montreal.

Girault said the approach of the task force was to avoid victimization, without downplaying the real consequences of racism in the province.

Asked about avoidance of the “systemic’’ label by the task force, Girault, who is Black and says she has faced racial discrimination in Quebec, said that in discussions with Quebec’s minorities the same themes came up. She noted that Quebec’s public sector will be recruiting more minorities.

As well, starting in 2022, the ethics and culture program taught in Quebec schools will also deal with racism.

The task force also recommended that professional corporations establish equivalencies to make it easier for doctors and other professionals to practise in Quebec. Immigrants to the province who qualified in their home countries in medicine, engineering and other professions currently face hurdles seeking access to the same professions in Quebec.

Source: Quebec task force sets markers for ‘significant impact’ fighting racism