Nicolas: Voiler la rentrée

Another take on the latest Quebec secularism debate along with broader discussion of charter rights:

…C’est donc en cette semaine de rentrée — existe-t-il des hasards dans les calendriers politiques sur lesquels un gouvernement a le parfait contrôle ? — qu’on rend public le rapport du Comité d’étude sur le respect des principes de la Loi sur la laïcité de l’État et sur les influences religieuses, créé en mars dernier.

La recommandation du rapport qui, nécessairement, attire toute l’attention : une proposition d’élargir l’interdiction du port de signes religieux aux éducatrices des centres de la petite enfance (CPE) et des garderies subventionnées. Profession où il y a déjà une pénurie documentée, qui affecte les parents exténués.

La Coalition avenir Québec (CAQ) patauge dans le caniveau des sondages, une grande partie de la population se préoccupe de l’état de nos services publics et on semble dire : « Regardez, là-bas ! Un oiseau (voilé) ! »

Le débat sur les signes religieux a été fait, refait et surfait au Québec depuis 20 ans. Je ne sais pas s’il reste des alignements de mots inusités dans le dictionnaire pour décrire la contradiction béante entre la discrimination à l’emploi, par l’État, des femmes sur la base de leurs vêtements et de leur foi, d’une part, et l’objectif de l’égalité homme-femme, d’autre part. À ce stade-ci, je ne sais plus quoi dire de plus.

Mais je peux tout de même, peut-être, demander si l’on comprend que nos élus instrumentalisent cette obsession pour le voile pour faire de la diversion et de la manipulation politique ?

Qu’on soit pour ou contre la loi 21, on peut comprendre que de lancer ce rapport-là en pleine rentrée a quand même été pensé. Pour qu’on se chicane entre nous là-dessus et pour nous distraire du reste ?

Je pense aussi qu’on peut être à l’unisson peu impressionnés par le fait que les deux personnes chargées de rédiger un tel rapport sont Christiane Pelchat, qui a défendu comme avocate pro bono le groupe militant pour la loi 21 Pour les droits des femmes, et Guillaume Rousseau, qui était conseiller politique de Simon Jolin-Barrette au moment de l’adoption de la loi 21. Avec une couleur politique si lourdement affichée, on ne s’étonnera pas de la faible participation du public (323 réponses citoyennes sur 9,1 millions de Québécois) ou des organismes représentant des groupes minoritaires potentiellement affectés par les actions du gouvernement.

On a reproduit ici le modèle de « consultation » du Comité des sages sur l’identité de genre, où l’on pouvait deviner les conclusions du rapport en regardant la main qui tenait le crayon. Ce comité-là avait conclu, aussi sans grande surprise, que le gouvernement avait les « bonnes » orientations sur l’identité de genre — et ce, sans que les personnes appartenant aux minorités de genre se sentent entendues ou respectées par le processus. On manufacture ainsi de toutes pièces un avis « externe » qui nous invite à aller plus loin dans la direction qui nous chantait déjà.

Cette manière de « consulter » affecte pour le moment deux des principales minorités qui font l’objet d’une obsession politique — les communautés musulmanes et les minorités de genre. J’insiste : pour le moment. Si on ne lève pas de drapeau rouge sur cette manière de procéder maintenant, ne serait-ce que parce qu’on « aime » les conclusions de ce rapport-ci, la pratique s’étendra à d’autres aspects de l’action gouvernementale. Jusqu’à ce que certaines personnes qui ne se sentent pas concernées aujourd’hui par la méthode commencent à la trouver moins drôle.

C’est déjà le cas pour la clause de dérogation dite « nonobstant », qui permet de faire fi de certains pans de la Charte des droits et libertés canadienne. En l’utilisant de manière péremptoire dans l’adoption de la loi 21, Québec a empêché la société civile de faire valoir une bonne partie de ses arguments devant les tribunaux. Depuis, on a un effet de mode. La Saskatchewan a utilisé en 2023 la clause de dérogation pour limiter la capacité des parents d’enfants trans et non binaires de contester sa loi sur l’usage des prénoms et pronoms choisis par les élèves dans les salles de classe. L’Ontario l’avait déjà utilisé en 2022 pour suspendre le droit de grève des travailleuses du secteur de l’éducation.

On s’en est souvenu avec le cas d’Air Canada : le gouvernement fédéral utilise aussi ses propres mécanismes pour suspendre de plus en plus systématiquement le droit de grève des travailleurs — un droit qui découle de la liberté d’association, aussi protégé par nos Chartes des droits et libertés. Le gouvernement du Québec cherche aussi à limiter ce droit à sa manière, avec son projet de loi 89, adopté en mai.

Après le droit du travail, qu’est-ce qui suivra ?

Banaliser et fragiliser des droits fondamentaux sur lesquels le monde s’était mis de peine et de misère à peu près d’accord dans la Déclaration universelle de 1948, après le choc d’horreurs indicibles, c’est un boomerang qui finit par revenir dans le front des gens qui n’étaient pas d’abord ciblés. Potentiellement, à peu près tout le monde.

Peut-être que ça, avec la fragilisation de l’État de droit chez nos voisins du Sud, voire un peu partout dans le monde, on le constatera plus facilement aujourd’hui que dans les années 2000 ou 2010.

Source: Voiler la rentrée

… It is therefore in this back-to-school week — are there any coincidences in the political calendars over which a government has perfect control? — that the report of the Study Committee on Respect for the Principles of the Act on the Secularism of the State and Religious Influences, created last March, is made public.

The report’s recommendation, which necessarily attracts full attention: a proposal to extend the ban on the wearing of religious signs to educators in early childhood centres (EPCs) and subsidized daycare centers. Profession where there is already a documented shortage, which affects exhausted parents.

The Coalition avenir Québec (CAQ) is wading in the polls gutter, a large part of the population is concerned about the state of our public services and we seem to say: “Look, over there! A bird (veiled)! ”

The debate on religious signs has been done, redone and overrated in Quebec for 20 years. I do not know if there are still any unusual word alignments in the dictionary to describe the gaping contradiction between discrimination against employment, by the state, of women on the basis of their clothing and faith, on the one hand, and the objective of gender equality, on the other hand. At this point, I don’t know what else to say.

But I can still, perhaps, ask if we understand that our elected officials exploit this obsession with the veil to make diversion and political manipulation?

Whether we are for or against Law 21, we can understand that launching this report in the middle of the start of the school year was still thought. So that we can quarrel with each other about it and to distract ourselves from the rest?

I also think that we can be unimpressed in unison by the fact that the two people in charge of writing such a report are Christiane Pelchat, who defended as a pro bono lawyer the group campaigning for Law 21 For Women’s Rights, and Guillaume Rousseau, who was Simon Jolin-Barrette’s political advisor at the time of the adoption of Bill 21. With a political color so heavily displayed, we will not be surprised by the low participation of the public (323 citizen responses out of 9.1 million Quebecers) or organizations representing minority groups potentially affected by government actions.

The “consultation” model of the Committee of Wise men on gender identity was reproduced here, where we could guess the conclusions of the report by looking at the hand that held the pencil. That committee had concluded, also without much surprise, that the government had the “right” guidelines on gender identity – and this, without people belonging to gender minorities feeling heard or respected by the process. We thus manufacture from scratch an “external” opinion that invites us to go further in the direction that was already singing to us.

This way of “consulting” currently affects two of the main minorities who are the subject of a political obsession – Muslim communities and gender minorities. I insist: for the moment. If we do not raise a red flag on this way of proceeding now, if only because we “like” the conclusions of this report, the practice will extend to other aspects of government action. Until some people who do not feel concerned about the method today begin to find it less funny.

This is already the case for the so-called “notwithstanding” exemption clause, which makes it possible to ignore certain parts of the Canadian Charter of Rights and Freedoms. By using it in a peremptory way in the adoption of Bill 21, Quebec prevented civil society from asserting a good part of its arguments in the courts. Since then, we have had a fashion effect. Saskatchewan used the exemption clause in 2023 to limit the ability of parents of trans and non-binary children to challenge its law on the use of first names and pronouns chosen by students in classrooms. Ontario had already used it in 2022 to suspend the right to strike for workers in the education sector.

We remembered this with the Air Canada case: the federal government is also using its own mechanisms to increasingly systematically suspend workers’ right to strike — a right that stems from freedom of association, also protected by our Charters of Rights and Freedoms. The Quebec government is also seeking to limit this right in its own way, with its Bill 89, adopted in May.

After labor law, what will follow?

Trivializing and weakening fundamental rights on which the world had put itself of pain and misery roughly agreed in the Universal Declaration of 1948, after the shock of unspeakable horrors, it is a boomerang that ends up returning to the front of people who were not first targeted. Potentially, just about everyone.

Perhaps this, with the weakening of the rule of law among our southern neighbors, or even everywhere in the world, we will see it more easily today than in the 2000s or 2010s.

Nicolas: Chers collègues

Of note. One question that I always have is the degree to which Palestinian journalists can report on domestic issues and politics, not just the obvious and needed coverage of Israeli actions:

…Troisièmement, j’aimerais qu’on se parle de la place qu’on fait dans toute cette destruction et cette horreur aux voix qui sont elles-mêmes palestiniennes — et même arabes, de manière plus générale.

Vu les positions que je prends moi-même dans mes chroniques, j’ai reçu les confidences de plusieurs collègues qui travaillent ou ont travaillé comme recherchistes dans différents médias francophones et anglophones. On m’a parlé à plusieurs reprises d’une hésitation à mettre en ondes des invités pourtant compétents et qualifiés, mais arabes, sur des questions liées au « Moyen-Orient ». Du surtravail effectué en préentrevue, pour bien vérifier que tout sera bon, lorsqu’on se rend même à l’étape de la discussion.

La question a aussi été dénoncée ces dernières années par des journalistes qui sont eux-mêmes arabes ou palestiniens, surtout dans le Canada anglophone, certains après avoir démissionné de salles de nouvelles et s’être dits fatigués d’être constamment soupçonnés de « manquer d’objectivité », d’être moins professionnels à cause de leurs origines.

Pour les journalistes qui sont eux-mêmes à Gaza — pendant qu’il en reste —, j’aimerais finalement nous amener à réfléchir au fait que la simple notoriété internationale peut rendre politiquement plus épineux de bombarder des individus. Le fait d’interviewer des gens qui vivent un conflit garde non seulement le public informé sur ce qui se passe sur le terrain, mais, dans le contexte, peut aussi être une manière directe de contribuer à sauver des vies.

Source: Chers collègues

Nicolas: De Los Angeles à Kananaskis

Discomforting possible parallel. We will see this upcoming weekend:

….Ce qui se passe à Los Angeles représente un tournant, sur deux principaux aspects.

Premièrement, sur le fond, soit la violence politique envers les personnes immigrantes. Les agents de contrôle de l’immigration (ICE) arrêtent des parents sur leurs lieux de travail pendant que leurs enfants sont à l’école et tentent de se déployer dans des écoles primaires pour y interroger des enfants. On a vu d’autres enfants être privés de leur droit à être représentés par un avocat et être interrogés seuls par les autorités. On a déjà vu aussi, un peu partout au pays, des gens être « déportés » vers des prisons du Salvador et à Guantánamo. J’utilise le mot « déportés » entre guillemets, puisqu’il n’est pas question de retourner les gens vers leur pays d’origine : il s’agit plus de kidnappings. Dans une ville comme Los Angeles, s’en prendre à la population immigrante au statut irrégulier, c’est s’en prendre au tissu social, économique et communautaire de la métropole. La population résiste, parce que les personnes qui sont ciblées par ICE sont indissociables de la population même.

Si l’on considère que les personnes qui ne possèdent pas la citoyenneté d’un pays n’ont pas de droits fondamentaux, la démocratie est déjà mise à mal.

Deuxièmement, sur la résistance politique qui se déploie face à ICE. Lorsque des citoyens décident de dénoncer le fait que des parents soient séparés brutalement de leurs enfants, ou que des enfants soient séparés brutalement de leurs parents, ils exercent leur liberté de conscience politique, leur liberté d’expression et leurs droits civiques. En déployant des agents militaires sans le consentement du gouverneur de l’État, et sans que la situation le justifie, Trump franchit encore une autre ligne. La question grave qui se pose désormais, c’est : existe-t-il dorénavant une possibilité que les élections de mi-mandat ne soient pas des élections libres ? Parce que lorsqu’on commence à gérer le débat politique par l’intimidation armée, où et quand s’arrête-t-on, et pourquoi ?

Revenons au Canada, et à la tentation, qui remonte par soubresauts, de « normaliser » nos relations avec États-Unis. Bien sûr, vu que notre économie est en jeu, ça se comprend tout à fait. Mais il existe un risque sérieux, vu le rythme où Washington s’enfonce, que nos liens avec nos voisins nous entraînent aussi vers l’abysse avec eux. Et par abysse, j’entends ici une forme d’abysse morale. Si la démocratie est précieuse pour les Canadiens, on ne peut s’attacher aussi intimement à un régime déterminé à la fragiliser, chez nous comme chez eux.

Alors que le G7 s’ouvre à Kananaskis, en Alberta, j’ai certaines appréhensions. L’Histoire ne se répète jamais, mais je crois que l’on peut tout de même tirer certaines leçons de l’échec monumental des Accords de Munich de 1938. J’espère que les chefs d’État seront plus rapides, cette fois-ci, à reconnaître en leur sein l’acteur qui affiche un mépris ouvert pour la règle de droit.

Source: De Los Angeles à Kananaskis

…. What is happening in Los Angeles represents a turning point, on two main aspects.

First, on the substance, either political violence against immigrants. Immigration Control Officers (ICE) arrest parents at their workplaces while their children are in school and try to deploy to primary schools to interview children. Other children have been deprived of their right to be represented by a lawyer and questioned alone by the authorities. We have also seen, all over the country, people being “deported” to prisons in El Salvador and Guantánamo. I use the word “deported” in quotation marks, since there is no question of returning people to their country of origin: it is more about kidnappings. In a city like Los Angeles, attacking the irregular immigrant population is attacking the social, economic and community fabric of the metropolis. The population resists, because the people who are targeted by ICE are inseparable from the population itself.

If we consider that people who do not have the citizenship of a country do not have fundamental rights, democracy is already being damaged.

Secondly, on the political resistance that is unfolding against ICE. When citizens decide to denounce the fact that parents are abruptly separated from their children, or that children are abruptly separated from their parents, they exercise their freedom of political conscience, their freedom of expression and their civil rights. By deploying military agents without the consent of the governor of the state, and without the situation justifying it, Trump crosses yet another line. The serious question that now arises is: is there now a possibility that midterm elections are not free elections? Because when we begin to manage the political debate through armed intimidation, where and when do we stop, and why?

Let’s go back to Canada, and to the temptation, which is rising by ups, to “normalize” our relations with the United States. Of course, since our economy is at stake, it is quite understandable. But there is a serious risk, given the pace at which Washington is sinking, that our links with our neighbors also lead us to the abyss with them. And by abyss, I mean here a form of moral abyss. If democracy is valuable to Canadians, we cannot be so intimately attached to a regime determined to weaken it, both at home and at home.

As the G7 opens in Kananaskis, Alberta, I have some apprehensions. History never repeats itself, but I believe that we can still learn some lessons from the monumental failure of the 1938 Munich Agreements. I hope that the Heads of State will be quicker, this time, to recognize within them the actor who displays an open contempt for the rule of law.

Nicholas | Petit peuple

A lire:

J’ai eu envie de revisiter Rhinocéros, parce qu’on nous demande beaucoup de nous montrer forts face à Donald Trump. Quelle est, au fond, cette force que l’on nous demande ? Une force de domination de raison ou du cœur ? Face à la brutalité du trumpisme, qui avons-nous envie d’être ?

Il y a aussi ce poème du pasteur allemand Martin Niemöller, qui regagne en popularité. « Ils sont d’abord venus chercher les socialistes, et je n’ai rien dit parce que je n’étais pas socialiste. Puis, ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n’ai rien dit, parce que je n’étais pas syndicaliste. Puis, ils sont venus chercher les Juifs, et je n’ai rien dit parce que je n’étais pas juif. Puis, ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre. »

Le premier ministre ontarien, Doug Ford, a dit mardi, alors qu’il ne savait pas qu’un micro était ouvert : « Le jour de l’élection, étais-je heureux que ce gars-là [Trump] gagne ? À 100 % ! » Il continue : « Mais le gars a sorti un couteau et il m’a poignardé. »

Well, M. Ford, karma is a b***. Plus je réfléchis, plus je me dis que ces menaces de tarifs douaniers peuvent sérieusement affecter notre économie, et peut-être racheter nos consciences. Ou du moins, la conscience d’hommes tentés par la rhinocérite — pardon, le trumpisme — et qui ne comprenaient pas la violence politique avant d’en sentir eux-mêmes le poignard. Des hommes qui ne bronchaient pas trop quand ils sont venus pour les « wokes », les antiracistes, les personnes trans, les féministes, les musulmans, les immigrants, les journalistes, les scientifiques, les travailleurs précaires, tout le peuple palestinien. Par un coup de chance tragique, ils sont venus chercher la classe dirigeante canadienne avant qu’il ne reste plus personne pour les défendre.

La vitesse avec laquelle Donald Trump s’est retourné contre nous, le principal allié historique des États-Unis, nous offre une chance de réfléchir collectivement à notre rapport à la force.

En 1976, René Lévesque disait à la population québécoise : « On n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple. » On comprend le moment de l’histoire où ces mots ont été prononcés. Face au trauma qui a marqué le parcours de tellement de francophones, le premier ministre nous incitait, avec raison, à relever la tête.

Près de 50 ans plus tard, l’humeur collective a profondément changé. Lévesque choisirait sûrement d’autres mots pour traduire la même émotion. Je ne crois pas que je serai la seule à avouer qu’il peut me prendre l’envie, devant le feu de poubelle qu’est l’état de la planète, d’emmerder profondément les grands de ce monde, tout comme l’idée même d’aspirer politiquement à la grandeur. J’avance trop au ras des pâquerettes pour ne pas savoir que les grands, les puissants, les empires, ces admirables nations qui aspirent à l’universalisme, qui veulent rendre tout le monde à leur image, finissent par piétiner quantité d’humains avec leurs sabots, leurs cuirasses, leurs armes.

Ces grands qui, hier encore, dessinaient la carte de l’Afrique dans une conférence à Berlin, ou rêvaient de faire plier l’échine des Amériques sous leurs bottes de cow-boy, sont encore là à planifier la transformation de la bande de Gaza en jolie Côte d’Azur. J’ai envie, pour ma part, d’appartenir à un peuple qui n’en a rien à foutre de cette grandeur-là.

Comme Québécois, il devrait nous être plus facile de ne pas être séduits par l’idée de la domination, de la force brute, de la loi du plus fort : le plus fort, en Amérique, ne sera jamais francophone. Certains de nos compatriotes d’ici ou d’ailleurs au Canada se sont pourtant pris au jeu d’être un pays du G7. Ça leur est monté à la tête. On dessaoule ces jours-ci. On comprend que, face à l’empire américain, nous appartenons nous aussi au camp des petits.

Et c’est tant mieux. La prochaine étape de guérison, de maturité collective, c’est d’assumer qu’il n’y a absolument rien de mal ou de honteux à être un petit peuple. Au contraire. Pour résister aux sirènes de la violence politique, à cette épidémie de rhinocérite qui s’empare de l’époque, il nous faudrait reconnaître chez les petits du monde qu’ils viennent chercher… notre humanité en partage.

« Make America Great Again », beuglent-ils. Le vaccin contre la rhinocérite, c’est de savoir répondre : greatness is overrated. C’est ainsi que jusqu’à la toute fin, comme Bérenger face à tous les rhinocéros, nous ne capitulerons pas.

Source: Chronique | Petit peuple

I wanted to revisit Rhinoceros, because we are asked a lot to be strong against Donald Trump. What is, basically, this strength that we are asked of? A force of domination of reason or of the heart? Faced with the brutality of Trumpism, who do we want to be?

There is also this poem by German pastor Martin Niemöller, which is regaining popularity. “They first came for the socialists, and I didn’t say anything because I wasn’t a socialist. Then they came to get the trade unionists, and I didn’t say anything, because I wasn’t a trade unionist. Then they came to get the Jews, and I didn’t say anything because I wasn’t Jewish. Then, they came to look for me, and there was no one left to defend me. ”

Ontario Prime Minister Doug Ford said on Tuesday, when he did not know that a microphone was open: “On election day, was I happy that this guy [Trump] was winning? 100%! He continues: “But the guy took out a knife and stabbed me. ”

Well, Mr. Ford, karma is a b***. The more I think, the more I tell myself that these threats of tariffs can seriously affect our economy, and perhaps redeem our consciences. Or at least, the conscience of men tempted by rhinoceritis – sorry, Trumpism – and who did not understand political violence before feeling the dagger themselves. Men who didn’t flinch too much when they came for “wokes”, anti-racists, trans people, feminists, Muslims, immigrants, journalists, scientists, precarious workers, all the Palestinian people. By a tragic stroke of luck, they came to look for the Canadian ruling class before there was no one left to defend them.

The speed with which Donald Trump has turned against us, the main historical ally of the United States, gives us a chance to collectively reflect on our relationship with strength.

In 1976, René Lévesque told the Quebec population: “We are not a small people, we are perhaps something like a great people. We understand the moment in history when these words were spoken. Faced with the trauma that has marked the journey of so many Francophones, the Prime Minister was rightly urging us to raise our heads.

Nearly 50 years later, the collective mood has profoundly changed. Lévesque would surely choose other words to translate the same emotion. I don’t think I’ll be the only one to admit that it can take away my desire, in front of the garbage fire that is the state of the planet, to deeply annoy the greats of this world, just like the very idea of politically aspiring to greatness. I advance too far with the daisies not to know that the great, the powerful, the empires, these admirable nations that aspire to universalism, who want to make everyone in their image, end up trampling on many humans with their hooves, their breastpies, their weapons.

These adults who, until yesterday, drew the map of Africa in a conference in Berlin, or dreamed of bending the spine of the Americas under their cowboy boots, are still there planning the transformation of the Gaza Strip into a pretty Côte d’Azur. For my part, I want to belong to a people who don’t give a damn about this greatness.

As Quebecers, it should be easier for us not to be seduced by the idea of domination, brute force, the law of the strongest: the strongest, in America, will never be French-speaking. Some of our compatriots from here or elsewhere in Canada have nevertheless taken the game of being a G7 country. It went to their heads. We’re unleasing these days. We understand that, in the face of the American empire, we also belong to the camp of children.

And that’s all the better. The next step of healing, of collective maturity, is to assume that there is absolutely nothing wrong or shameful about being a small people. On the contrary. To resist the sirens of political violence, to this epidemic of rhinocerite that is taking hold of the time, we would have to recognize among the little ones of the world that they come to look for… our humanity in sharing.

“Make America Great Again,” they yell. The rhinoceritis vaccine is to know how to answer: greatness is overrated. This is how until the very end, like Bérenger in front of all rhinos, we will not capitulate.

Nicolas: Le choix des mots

Another good column on the differences on how groups are portrayed differently, particularly Ukrainian compared to other refugees:

L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a débuté qu’il y a une semaine. L’issue de la situation demeure incertaine. Toutefois, il apparaît déjà clair qu’il s’agit d’un conflit pas comme les autres, et surtout d’un conflit dont on ne parle pas comme les autres.

D’abord, on assiste à un mouvement de solidarité quasi unanime envers le peuple ukrainien. Au Conseil des droits de l’homme de l’ONU mardi, la presque totalité des diplomates a quitté la salle lorsque le ministre des Affaires étrangères russe a commencé son allocution. Des manifestations en appui aux Ukrainiens sont organisées partout dans le monde, et la colère face à l’invasion de l’armée russe semble tout aussi forte même au Canada. Un sondage de la firme Maru publié cette semaine montre que 91 % des Canadiens sont en « opposition totale avec la tyrannie de la Russie de Vladimir Poutine ». J’aurais du mal à nommer une autre situation de guerre où l’opinion publique mondiale s’est montrée aussi campée, aussi rapidement, contre une agression armée. Il semble plus simple de décrire l’horreur d’une bombe qui tombe sur des civils innocents lorsque cette bombe n’est pas, par exemple, américaine.

Ensuite, la vague de solidarité pro-ukrainienne ne semble pas, du moins pour le moment, se traduire en tsunami de haine envers le peuple russe ou les personnes d’origine russe. Plusieurs leaders importants ont donné rapidement le ton, à commencer par le président ukrainien lui-même, Volodymyr Zelensky, suivi par la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, aussi d’origine ukrainienne. Tous deux ont lancé des messages au cours des derniers jours pour marteler que le conflit en cours n’est pas avec le peuple russe, mais avec le président Vladimir Poutine et son entourage. On relaie également des images de manifestations antiguerre dans les grandes villes de Russie — des rassemblements qui seraient certainement encore plus importants si ce n’était de la violence de la répression policière dans ce pays. À la télévision, on semble éviter d’utiliser des formulations comme « les Russes » pour désigner des responsables de l’agression militaire, préférant parler de Vladimir Poutine lui-même ou de son régime.

Cette conscience du poids des mots et du risque de dérapage est rafraîchissante. On sait que les débuts de la pandémie dans la région de Wuhan et que les relations diplomatiques pour le moins tendues avec la Chine ont donné lieu à toutes sortes de commentaires sur « les Chinois » et à une montée des crimes haineux envers les personnes d’origine asiatique.

On sait aussi qu’un nombre déplorable de nos concitoyens n’hésitent pas à dériver d’une critique du régime saoudien ou d’un groupe comme Daech vers des généralisations sur « les Arabes » ou sur « les musulmans ». Pas plus tard que l’été dernier, des imbéciles ont aussi commis une série d’actes antisémites dans l’arrondissement de Saint-Laurent, comme s’il s’agissait là d’une manière de critiquer l’État d’Israël. Et on se rappelle que, durant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a notamment cru bon d’interner ses propres citoyens d’origine japonaise.

Puisque la liste de tristes précédents est longue, le souci actuel des mots détonne. Je ne vois personne de sérieux lancer l’hypothèse que l’autoritarisme de Poutine trouverait ses sources dans une tare particulière de la religion orthodoxe ou que la culture russe prendrait ses racines dans un éloge unique de la violence. L’analyse porte surtout sur les enjeux politiques, économiques et humanitaires. Enfin, croisons les doigts pour que ça dure.

Finalement, des réfugiés ne se sont pas présentés comme des menaces à refouler aux frontières. Le président de la Bulgarie, Roumen Radev, a peut-être eu la déclaration la plus candide à ce sujet. « Ce sont des Européens », a-t-il lancé plus tôt cette semaine. « Ces personnes sont intelligentes, éduquées… Ce ne sont pas les vagues de réfugiés auxquelles nous sommes habitués, des gens à l’identité incertaine, aux passés incertains, qui auraient même pu être des terroristes. » Des commentateurs, des experts et des journalistes ont aussi parlé de leur choc devant la guerre touchant le monde « civilisé » — omettant de transmettre du même coup une liste des régions du monde « barbares ». Cette nouvelle ouverture aux victimes de la guerre semble donc venir de l’identité des Ukrainiens : on leur ouvre les portes au nom de leur européanité et non de leur humanité. Le mauvais traitement réservé aux Africains et aux Asiatiques résidant en Ukraine à la frontière polonaise, dénoncé mardi par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, vient d’ailleurs démonter cette nuance importante.

L’humanisation particulière du peuple ukrainien joue un rôle positif très important dans le sort de cette population. Il y a la guerre, les blessés, la mort, les familles déchirées. Il y aura encore peut-être la faim, le manque d’eau et de ressources, et on ne sait quoi encore. Aucun individu ne devrait avoir à endurer ces horreurs, déjà. Il est encore plus abject d’avoir à affronter en plus, au milieu de ces tourments, l’indifférence du monde, ou son hostilité. Pour le moment, le respect de la dignité de la population ukrainienne semble être une préoccupation centrale d’une grande partie de la planète. Espérons que ça durera et que d’autres victimes des guerres contemporaines pourront bientôt en bénéficier.

Je ne veux pas ici faire un portrait jovialiste de la couverture de la guerre en Ukraine. L’actualité des dernières semaines est très difficile, ses implications sont historiques, et les défis qu’elle implique sont nombreux. Cela dit, j’ai rarement vu un souci d’humanisation aussi généralisé des parties prenantes d’un conflit, et je crois qu’il est important de le souligner. Plusieurs semblent regarder ce qui se passe dans l’est de l’Europe en se disant : « Ces gens sont comme moi, ça pourrait être moi. » La vérité, c’est que chaque être humain est en bonne partie comme soi, et qu’il offre un miroir de soi. C’est une chose de le dire, et une autre de transformer son regard sur les nouvelles internationales à partir de ce principe.

Source: Le choix des mots

Nicolas: Libres de quoi? [on Neo-liberalism]

Strong critique:

On sait que la malbouffe et le trop-plein de sucre, c’est mauvais pour la santé. Se demande-t-on pourquoi les principaux commerces de proximité vendent surtout des chips, des jujubes, des boissons gazeuses et autres aliments surtransformés ? Non. Mais on nous conseille de faire des choix individuels santé.

On sait que la sédentarité augmente le risque de maladies chroniques. Réglemente-t-on l’étalement urbain et densifie-t-on les villes pour endiguer la dépendance à la voiture ? Veille-t-on à ce que les quartiers où le transport actif est possible restent abordables ? Non. Mais c’est à chacun de faire le choix de l’exercice physique quotidien.

On sait que l’anxiété et la dépression sont en hausse depuis des années, sous l’effet du stress croissant des études et du travail. Met-on en place la semaine de quatre jours ? Non. Mais on télécharge une appli de méditation ou on fait du yoga. À chacun d’entraîner son « mental » pour mieux endurer le quotidien.

L’idéologie néolibérale a tellement imbibé le discours populaire dans le domaine de la santé qu’il est devenu difficile d’en expliciter le fonctionnement. Tentons-le. Le néolibéralisme croit qu’une société bonne est une société libre, et que cette liberté passe par des institutions qui tentent de laisser le secteur privé exempt de réglementations, et les individus libres de leurs choix.

Dans une société néolibérale, il est donc inapproprié de trop encadrer les compagnies dont le modèle d’affaires rend carrément malade, que ce soit en invitant la population à ingérer des calories vides bon marché, en polluant l’air ou les cours d’eau, ou en exploitant des employés au statut précaire. Les entreprises doivent rester le plus libres possible dans leurs activités, et nous, en contrepartie, sommes libres d’y travailler ou pas, de consommer leurs produits ou pas.

Dans une société néolibérale, les professionnels de la santé nous parlent de changer nos choix de vie, de prendre des habitudes plus responsables. Mais il est incongru qu’un groupe de diététiciennes fassent une sortie commune contre l’abondance de malbouffe dans les chaînes de dépanneurs et la persistance des déserts alimentaires ; il est presque tabou que des médecins se mobilisent pour une réforme du Code du travail ; et il est impensable que la direction d’un CIUSSS demande plus d’espaces verts sur son territoire.

Dans une société néolibérale, le tout est fait d’une somme d’individus auxquels il faut séparément enseigner à choisir des aliments et des loisirs qui maximisent l’espérance de vie. Les membres du personnel soignant qui voudraient « prescrire » des lois, des politiques, des réglementations, des réformes institutionnelles pour améliorer la santé de toute une collectivité passent pour des hurluberlus. Celles et ceux qui préconisent l’action à la source, c’est-à-dire sur les déterminants sociaux de la santé, sont le plus souvent à la marge de leur ordre professionnel.

Dans une société néolibérale, l’individu est un agent rationnel, responsable de ses choix. Les individus qui font les moins bons choix sont donc moins rationnels, et moins responsables. Les inégalités sociales, notamment sur le plan de la santé, sont donc légitimes : les populations les plus amochées n’ont qu’à faire de meilleurs choix. Ces meilleurs choix sont surtout accessibles aux mieux nantis ? Il fallait aussi faire les bons choix de vie pour arriver à ce niveau de confort matériel qui permet de choisir le bio, de choisir le week-end en nature au chalet, de choisir de se renseigner sur les aliments bons pour prévenir le cancer. Il y a les gagnants, et il y a les perdants. Dans une société néolibérale, il y a de bonnes chances de tomber sur un médecin qui te soigne, certes, mais en te jugeant intérieurement de t’être rendu malade, avec tes choix de perdants.

Dans une société néolibérale, le rôle du gouvernement en santé publique, c’est au mieux de sensibiliser les individus à l’importance de faire les choix les plus gagnants possibles. Ce n’est certainement pas — un exemple comme ça — de réglementer plus sévèrement la qualité de l’air dans les écoles comme dans les usines, et de rendre l’environnement public et privé moins propice à la maladie.

Dans une société néolibérale aux prises avec une crise sanitaire, une partie de la population aura intériorisé ce gospel de la liberté individuelle et (surtout) d’entreprise. Des gens, donc, se braqueront contre une mesure sanitaire ou un vaccin parce qu’en les recommandant, le gouvernement outrepassera son étroit petit rôle de protection des choix des individus et (surtout) de la liberté des business. On s’insurge, en bref, contre le spectre menaçant d’un « gouvernemaman ».

Dans une société néolibérale aux prises avec une crise sanitaire, il y aura aussi des gens déjà critiques de la logique néolibérale qui se demanderont si les institutions obéissent trop au capital pour agir dans l’intérêt public. On a donc un groupe qui peut rejeter une mesure sanitaire non pas par dégoût de la solidarité sociale, mais parce que face à des institutions jugées « vendues », on préfère se fier à son propre jugement, à ses sources « alternatives », et se démerder seuls.

Avec ce deuxième groupe, on peut absolument parler de santé publique, parce que le souci du bien-être collectif est présent et partagé. Mais avec lui, il ne suffira pas de déplorer la désinformation ou de ressasser les dernières connaissances scientifiques pour rebâtir la sacro-sainte confiance à l’égard des institutions. Il faudra aussi admettre les failles du système, nommer ce qui n’y tourne pas rond, en altérer la logique. Non pas tenter de convaincre les individus, un par un, de faire des « choix » plus centristes, mais plutôt « prescrire » des changements institutionnels profonds. En commençant par un examen de ce néolibéralisme et de ses conséquences.

Source: Libres de quoi?

Nicolas: Les réacs attaquent

Of note:

Croyant que les «woke» posent une menace de censure, les républicains censurent.

Enfant, il m’arrivait d’être frustrée que mes séries américaines préférées soient télédiffusées avec deux, trois, voire quatre saisons de retard, dans leur version doublée, par rapport à leur version originale. Ça me donnait l’impression de vivre en décalage, et me donnait hâte de comprendre assez l’anglais pour « aller dans le futur ». Bien sûr, le « retard » n’existerait pas si on ne consommait que des créations locales. Ce sentiment qu’on absorbe des éléments de la culture américaine, comme francophones, avec quelques saisons de retard persiste encore souvent chez moi — et je ne parle pas ici seulement de télévision.

Du moins, c’est ainsi que je m’explique la mode des mots « woke » et « wokisme » au Québec depuis à peu près un an. Fox News et le Parti républicain ont mis en avant ce dispositif rhétorique il y a quelques années pour contrer la sympathie grandissante du public américain pour les revendications du mouvement Black Lives Matter. On s’en est aussi servi pour décrédibiliser toute mesure visant à rectifier l’exclusion historique des femmes et des minorités de la vie universitaire américaine. Du moins, c’est un synopsis qu’on pourrait offrir pour présenter une première saison de « Les wokes attaquent ». Une production de Rupert Murdoch, bien sûr.

Alors qu’on savoure ici les premiers moments de ce grand spectacle télévisuel, vous me permettrez de vous divulgâcher platement la suite. Quelques saisons plus tard, la série introduit un nouveau mot-clé : la critical race theory, ou théorie critique de la race (TCR). En juin et juillet 2021 seulement, Fox News a mentionné l’expression 1914 fois en ondes, selon le Washington Post. Un total de 1914 fois en deux mois. Qu’est-ce que la théorie critique de la race, au juste ? Au sens propre, il s’agit d’un champ de recherche des sciences sociales qui étudie l’histoire du racisme et ses effets contemporains. Au sens de Fox News, il s’agit, comme pour le mot « woke », d’une expression fourre-tout indéfinissable. On ne sait plus trop exactement ce que ça veut dire, mais on sait que c’est haïssable.

De manière générale, on comprend que la TCR, c’est l’opposé du patriotisme, voire une arme de culpabilisation et de dévalorisation massive de la fierté américaine (conservatrice). Le Projet 1619 du New York Times Magazine, qui raconte les origines de l’esclavage sur le territoire ? C’est de la TCR. Les activités de formation continue sur l’équité et l’inclusion dans les entreprises ? Encore de la TCR. Un enseignant qui parle en classe des privilèges sociaux ? Toujours de la TCR. De ses milliers de mentions en ondes découle une mobilisation de parents à travers le pays, qui implorent les conseils scolaires de bannir la TCR de l’enseignement primaire et secondaire (même si la définition pré-Fox News du terme se réfère à une branche de recherche en sciences sociales qui n’a jamais touché les enfants). Tout enseignant qui mentionne en classe un aspect de l’histoire qui ne glorifie pas l’Amérique blanche conservatrice risque de se faire accuser d’avoir « commis » de la TCR. Les enseignants qui ne sont eux-mêmes pas des blancs conservateurs sont particulièrement à risque, bien entendu.

Dans les derniers épisodes de « Les wokesattaquent », on s’est toutefois lassé de la rhétorique, et on est passé à l’action. Alors que Fox News a progressivement diminué l’emploi de l’expression critical race theory vers la fin de l’été, neuf États américains avaient adopté des lois « anti-TCR » à la fin de 2021 : l’Idaho, l’Oklahoma, le Tennessee, le Texas, l’Iowa, le New Hampshire, la Caroline du Sud, l’Arizona et le Dakota du Nord. En étudiant le recensement que l’Institut Brookings a fait de ses différentes pièces législatives, on voit qu’on a aussi profité du mouvement anti-TCR pour compliquer l’enseignement de notions liées au sexe et au genre. Certaines de ces lois posent des limites à ce qui peut être enseigné au primaire, au secondaire, et dans les universités de l’État. D’autres interdisent les formations en équité, diversité et inclusion pour les employés des services publics.

Leur vocabulaire a été choisi avec soin. Au Texas, par exemple, un enseignant causant de « l’inconfort, de la culpabilité, de l’angoisse ou toute autre forme de détresse psychologique » à des étudiants en lien avec leurs identités raciales ou sexuelles en abordant des sujets délicats contrevient à la loi. On interdit aussi de remettre en question l’idée de la méritocratie, d’avancer que l’esclavage est central à la fondation des États-Unis ou d’enseigner que le racisme est « autre chose qu’une déviation, une trahison ou un échec à faire vivre les authentiques principes fondateurs des États-Unis, qui incluent la liberté et l’égalité ». On prohibe aussi carrément le recours en classe du fameux Projet 1619 du New York Times Magazine. On ne manque pas de précision.

Des élus de l’Alabama, de l’Alaska, de l’Arkansas, de la Floride, du Kentucky, de la Louisiane, du Maine, du Michigan, du Mississippi, du Missouri, du New Jersey, de New York, de la Caroline du Nord, de l’Ohio, de la Pennsylvanie, du Rhode Island, de la Virginie-Occidentale, du Wisconsin et du Wyoming ont déposé des projets de loi qui vont dans le même sens. Six initiatives législatives similaires ont aussi été proposées au Congrès américain. On parle ici d’interdire l’enseignement de concepts « divisifs » liés à la race et au genre, là de renvoyer des enseignants ou de réduire les fonds publics aux « promoteurs » de la TCR. Décidément, la saison 2022 de « Les wokes attaquent » s’annonce pleine d’action. Ne devrait-on pas renommer la série « Les réacs attaquent », d’ailleurs ?

Nombreux sont les fans de l’émission qui ont accroché à la saison 1 à cause de la force du thème de la liberté d’expression dans la trame narrative. Comme on vient de le voir, le récit évolue plutôt vers une campagne de censure étatique en bonne et due forme visant les milieux d’enseignement. Si ce que j’ai divulgâché nous intéresse moins, il est encore temps de changer de poste

Source: Les réacs attaquent

Nicolas: Une confusion cultivée [regarding systemic racism]

Good column by Nicholas:

Soixante-six pour cent des Québécois reconnaissent que le racisme systémique existe. À l’échelle du pays, 67 % des Canadiens admettentsans problème que le concept a un sens. Du moins, ce sont là les résultats d’un sondage publié la semaine dernière par Léger Marketing pour le compte de l’Association des études canadiennes. Sur cette question, le caractère « distinct » du Québec ne tiendrait donc qu’à un seul petit point de pourcentage.

La donnée est remarquable, car si le racisme systémique existe partout, le discours sur le racisme systémique n’est pas le même d’un océan à l’autre. Depuis qu’une coalition d’acteurs de la société civile (dont je faisais partie) a interpellé le gouvernement du Québec pour demander une consultation publique sur la question en 2016, la notion est devenue, particulièrement au Québec, la cible d’une campagne politique et médiatique continue de désinformation et de confusion. Il y a aussi, bien sûr, de la désinformation qui circule ailleurs. Simplement, sur ce point particulier, c’est ici que les démonstrations de mauvaise foi se sont montrées les plus énergiques, disons, dans l’histoire récente.

Des définitions du racisme systémique plus farfelues les unes que les autres ont en effet défilé en ondes au fil des années, souvent à heure de grande écoute. « Procès des Québécois ». « Être systématiquement raciste ». « Se lever le matin avec l’intention de discriminer les minorités ». Le premier ministre François Legault a ajouté une nouvelle couche de désinformation, mardi, en réaction au rapport de la coroner Géhane Kamel sur la mort de Joyce Echaquan, affirmant que reconnaître le racisme systémique, « ça voudrait dire que tous les dirigeants de tous les ministères ont une approche discriminatoire qui est propagée dans tous les réseaux ». On aurait pu en rire, si la mauvaise blague était venue d’un quidam.

Dans un de nos grands médias (vous savez lequel), vous pourrez retrouver plusieurs dizaines de billets sur le « racisme antiblanc », une notion qui n’a aucune crédibilité scientifique, et qui a été popularisée par le Front national de Jean-Marie Le Pen. On « thèse » aussi un peu partout sur le « wokisme », que personne n’a défini, sinon Fox News. Mais François Legault répète que le racisme systémique est un concept trop « mal défini » pour être utile.

Pourtant, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec a une définition du racisme systémique, comme ses équivalents à travers le pays ont aussi les leurs. Le Barreau du Québec en a déjà proposé une. La Ville de Montréal en a aussi une, depuis la consultation municipale sur la question. On ne compte plus les rapports et les articles scientifiques, ici et ailleurs, qui font appel à la notion.

Chaque organisme formule les choses à sa façon, pour essentiellement dire la même chose. Tout comme chaque organisme scientifique ne met pas exactement la virgule à la même place dans sa définition des changements climatiques, et que vous n’arriverez pas, en mettant tous les économistes dans une même pièce, à une définition immuable de l’économie. Mais que personne (de sérieux) n’utilise cette réalité pour avancer que les changements climatiques ou l’économie n’existent pas.

Le racisme systémique fait référence aux façons de faire (processus, décisions, pratiques) qui favorisent ou défavorisent certaines personnes en fonction de leur identité raciale. Il s’agit de dire que nos grands systèmes — de santé, d’éducation, de justice, de services sociaux — ont été pensés par et pour la majorité. Encore aujourd’hui, ce sont les approches qui conviennent le mieux à cette majorité qui dominent, et elles ne sont pas présentées comme culturellement spécifiques, mais comme « le sens commun », voire des « règles objectives ».

Si le système de santé est conçu par et pour la majorité plutôt que pour les personnes autochtones, par exemple, cela veut dire que des professionnels de la santé peuvent être diplômés après 3, 5, 10 ans de formation universitaire sans avoir aucune compétence culturelle pour interagir avec une clientèle autochtone. Si ces professionnels, faute de formation, agissent avec les mêmes préjugés que le citoyen moyen exposé aux stéréotypes véhiculés par la culture populaire, il n’y a pas non plus de processus interne efficace pour reconnaître le problème et le corriger. Dans un système par et pour la majorité, rien de tout cela n’apparaît comme un besoin criant.

Autre exemple : une formation médicale conçue par et pour la majorité blanche utilise presque exclusivement des images de personnes blanches pour apprendre aux futurs médecins à reconnaître les symptômes d’une maladie. Plusieurs études ont déjà démontré que les patients à la peau foncée reçoivent souvent un mauvais diagnostic, plus tardif, pour des problèmes de santé visibles à l’œil nu. Est-ce que l’infirmière ou la dermatologue qui ne reconnaissent pas un problème sur une peau foncée haïssent personnellement les Noirs, ou, pour reprendre les propos du premier ministre, « ont une approche discriminatoire propagée dans tout le réseau » ? Non. Le problème vient des écoles de médecine, de leurs curriculums qui mènent à désavantager certains patients en fonction de leur identité raciale. Soit la définition du racisme systémique. Déclarer qu’on n’est « pas raciste » ne réglera rien si l’on n’est pas prêt à investir temps et énergie pour corriger les failles de la formation de base (lire : pour la majorité). Quitte à passer pour un « woke ».

Dans les pires cas, ces deux exemples peuvent mener à des morts inutiles. Soixante-six pour cent des Québécois arrivent à comprendre cette réalité du racisme systémique, malgré la désinformation ambiante. On peut imaginer que si ce n’était des efforts particulièrement soutenus pour embrouiller les gens, les Québécois accepteraient la notion dans une proportion bien plus importante que la moyenne canadienne.

Il y a là, il me semble, un signal assez encourageant sur la teneur de ces fameuses « valeurs québécoises ».

Source: https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/638610/chronique-une-confusion-cultivee?utm_source=infolettre-2021-10-07&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

Nicholas: Why the English election debate tripped the Quebec campaign

Good sophisticated and nuanced discussion of context. That being said, the pandering of all political leaders to Quebec’s sensitivities and calls for apologies miss the point that Bill 21 is intrinsically discriminatory hence the use of the notwithstanding clause:

As someone who has played an active role in the fight against ill-advised secularism bills as well as the push for the Quebec government to recognize systemic racism, I know very well how communicating publicly around those issues can feel like walking on eggshells. You’re out there, trying to speak your truth, while navigating accusations of “putting Quebecers on trial” (of course not) and “stigmatizing Francophones, like the British elites used to do” (do I look like a Red Coat to you?). Frankly, it’s exhausting.

Then, invariably, someone from the rest of the country walks in. They often have more resources than local voices, and feel like this positions them for ‘national leadership’ despite relative cluelessness in the local context. If they are not careful, their communication style can be the equivalent of bringing matches in a basement full of gas that they (alone) cannot smell. BIPOC advocates and their allies in Quebec are left to clear the mess, deal with the consequences, and fend even stronger accusations of “Quebec-bashing” (are we not Quebecers?) and “undermining Quebec values” (don’t we also get to decide what Quebec values are?).

Such interventions feel many things. Helpful is rarely one of them.

In the last weeks, many Canadians have felt frustrated to see federal leaders repeating they would not initiate a federal court challenge against Bill 21. Yet it rarely occurs to them that several progressive Quebeckers have advised Justin Trudeau, Jagmeet Singh and others not to, fearing it would only make the francophone social dialogue even more acrimonious—on top of being useless, given that people within Quebec are already challenging the law themselves. If a federal party was to take such an initiative, they would create a wedge amongst some of the strongest local voices against the bill. Most probably unhelpful. Again.

Don’t get me wrong. I understand why people across Canada would want to join the opposition movement against Bill 21 and would like the Quebec premier to acknowledge that systemic racism exists there like everywhere else. And it’s certainly not my place to tell anyone how to feel or what to do. Most people would agree, however, that taking your cues from people most-impacted by an issue and being curious of local context are good organizing principles.

So here’s some of that context.

***

In 2013, Parti Quebecois premier Pauline Marois put forward the Charter of Quebec values, the (failed) predecessor of now (in)famous Bill 21. On television, I watched commentators repeating that separation of church and state in Quebec was complete since the 60’s Quiet Revolution, and that religious minorities wearing ‘ostentatious’ religious signs were the main threat to that accomplishment now.

I would have laughed if it wasn’t so sad.

I was baptized in the Catholic faith a few weeks after birth. The baptism certificate was used to enroll me in the Quebec public school system. Only with the 1994 Civil Code reform did such church documents cease to hold legal value in the province. Since obtaining an official birth certificate from the state was often expensive, generations of  poor families have been enjoined to baptize their children when they came of school age. This way was often faster, and always free.

I grew up in the small town of Lévis, near Quebec City. In my (yes, public) elementary school, catechism was part of the curriculum. The parish’s priest used to come to class and explain to us what lent was. He also enrolled us into the church basement after-school activities, where we prepared for our first communion and confirmation sacraments.

Back then, Quebec secularism in a ‘région’ meant that the one kid who was not baptized and the set of twins who happened to be Anglicans  were allowed to leave the catechism class to attend a non-denominational ‘moral’ lesson while the rest of us sang about Jesus and prepared a nativity scene for the Christmas mass. Of course, children are curious. The three outliers have been subjected to many a ‘why aren’t you normal’ type of question during recesses.

I attended a private high school. When I say that in Ontario, it creates confusion. No, my family wasn’t rich. Private schools in Quebec are subsidized by the state. Why? The Catholic church used to basically control the Quebec education system. The Quiet Revolution created the public system as we know it today, but also funded the long-established denominational schools (of the French-Canadian elites), as a way to ease the transition. The measure was supposed to be temporary. It still holds today. The tuition fees are too high for the working class, yet low enough (much less than what Ontarian parents pay annually in childcare) that many middle-class families make sacrifices and put their kids through the selection process. The result is a two-tier education system, the most unequal in all the country.

How was it to attend a publicly-funded private school that had just crossed ‘convent’ from its official name? Unlike in the Ontario system, non-Catholic children were allowed to enroll—and gaze with us at the crucifix above the blackboard. The priest would still come to school. Want to volunteer in the community? Go see the pastoral officer. Some of my teachers were nuns. One even made us say our prayers before starting class. I’ve learned some basic Latin. Our sex-ed classes (also taught by a nun) were…interesting.

Lévis is quite socially conservative, but still. I’m a 33 year-old millennial. I’m describing the 2000’s here. Not the 1950’s.

Things are different now, it’s true. With the 2008 school reform, the generation of small-town kids that follows me doesn’t have to actively opt out of general Catholic education anymore.

Pauline Marois and others were not wrong to say, in 2013,  that the role of religion in Quebec changed drastically over the course of the 20th century. But there is still a wide array of attitudes towards faith today. There is an urban-rural and an intergenerational and a cross-cultural and a linguistic and an ideological divide, as well as several cultural and institutional leftovers from the former Catholic domination. In short, it’s messy.

***

Civil society opposition to the 2013 Charter of Quebec values, which I was a part of, was led by a collection of strange bedfellows. There were of course Sikh, Jewish and Muslim human rights activists, including hijab-wearing women who were afraid to be barred from certain professions. There were the small-l liberal lawyers, who did not necessarily see how systemic discrimination and racism could tarnish everyday life in pernicious ways, but were not about to let pass a legislation that flew in the face of established Charter rights. There were the life-long sovereigntists, who felt it was profoundly dangerous to associate the proposed bill with nationalist pride, and that on the long-run, such policies would kill their dream of a country. And there were people like myself, not a religious minority yet racialized, who knew first-hand how explosive public debates can make the prejudiced even bolder in their words and actions.

Indeed, hate crimes against religious minorities increased in the years that followed. Even though the Parti Quebecois had lost power before passing the bill, some the media commentary aired in the context of that debate led to many feeling confident in expressing that Islam was fundamentally incompatible with ‘our values’. The bill intended to ban religious symbols from certain jobs. Some misunderstood that as a license to harass visibly religious folks on the street. Attacks against mosques became banal. We all know where that led.

Now, the people who backed the Charter of Quebec values then and the Bill 21 afterwards are also a motley crew, to say the least. Yes, there are some overtly Islamophobic groups. Yet there are also those who were fighting for laicité long before the post-9/11 identity politics became fashionable, and who vehemently oppose the school “catho-secularism” I just exposed. Some of them go further, and push for laicité to mean the establishment of atheism as the new state religion (basically). They are part of a French intellectual tradition that goes back to the Enlightenment, and associates all faiths, including Christianity, with irrationality and dark ages.

Proponents of such bills also included some of the most prominent figures of Quebecois feminism. For example, the 2013 Janettes movement was led by Janette Bertrand, a former TV host who could remember the days when the clergy would force French-Canadian women to have more babies, and then some, until they would die in childbirth. She represented a generation that associated freedom from religion with women’s liberation. Of course, there is ethnocentrism in that view: why would one’s own experience of religion be the only valid one? But there is also deep, valid trauma there. Convincing Quebec’s mainstream feminist organizations (including Quebec solidaire) that French-Canadian trauma could not be equated with a universal experience took time. And a lot of tact. It was messy, and at times violent. Several intersectional feminists burnt out in the process. Yet thanks to their efforts, many in the Quebec institutional left have come to see things differently by now.

Most people in the rest of Canada also do not realize that if they were to debate Bill 21 in a mainstream Quebec media today, their vis-à-vis would probably be someone like Bloc Quebecois candidate Ensaf Haidar, whose husband is a political prisoner in Saudi Arabia. While the overwhelming majority of Muslims oppose the legislation, some new Quebeckers with personal experience of political violence in Muslim-majority countries have been active in the Bloc, the PQ and the CAQ, telling party members that political Islam is a threat in Canada and that they are right to support the bill. There again, understandable trauma, and blurred lines.

Those are some of the many reasons why it’s fundamentally a trap to oppose Bill 21 by speculating on intent (“All those who support it hate Muslims”) rather than insisting on impact (the legislation bans some Quebeckers from certain jobs, which is the textbook definition of employment discrimination).

During last week’s English-language debate, the moderator could have asked: “Mr. Blanchet, what do you say to Quebec Superior Court Marc-André Blanchard who has described Bill 21 as discriminatory? And if you believe it not to be discriminatory, why do you support the preemptive use of the notwithstanding clause?” If the question had been phrased as such, the English Debate Commission would not have become the main story in the Quebec campaign, overshadowing actual candidates.

***

Personally, I’d like to see the problematic articles of Bill 21 revoked, yet I also worry about the consequences of Canadians focusing the fight against, say, Islamophobia, on the National Assembly’s bill. I know that depictions of Islam as politically incompatible with Western values and of Muslims as infiltrated enemies have spread all across North America and Europe since 9/11. I worry that with the political climate created by the advance of the Taliban, we could see even more Trump-like country bans and Harper-style no-fly lists in the near future. I see that virtually all Western leaders speak as if their Geneva-convention duty to welcome Afghan refugees did not extend beyond the group they used to employ. I fear the proliferation of hate speech and attacks like the one we just witnessed in London, Ont.

During the campaign, I’ve watched Yves-François Blanchet, the only party leader who is not running to become prime minister, becoming the target of all questions relating to the treatment of religious minorities—leaving everyone else off the hook. I fail to understand how that serves the interests of anyone who cares about such issues.

Or am I missing something?

One thing is at least for sure. Both François Legault claiming he alone defines what Quebeckers stand for, and people from Ontario, B.C. or Alberta deriving from Legault’s speeches a general characterization of Quebec operate from the same premise. They reduce Quebec society to a rather conservative brand of nationalism. They speak as if millions of people of all walks of life in the province—especially younger generations—don’t exist. They paint homogeneous blocks, and completely erase the complexity and diversity of the place.

Those are not the most insightful takes, to say the least.

Quebec-ROC feuds like the one we’ve been going through this last week usually lead to minorities within Quebec being even less heard when they beg to differ from dominant narratives. Consequences could be felt long after the federal campaign is over. Is this really what we want?

Source: Why the English election debate tripped the Quebec campaign

Nicholas: L’amnésie du Canada missionnaire

Important reminder of the cultural genocide impact of missionaries:

Ce sont d’abord les noms qui m’ont mis la puce à l’oreille. Les porte-parole de la Nation Tk’emlúps te Secwépemc, où l’on a retrouvé les restes des 215 enfants du pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique, s’appellent notamment Baptiste, Jules, Casimir, Michel, Gosselin, Antoine, Lampreau. Pourquoi ?

J’ai donc replongé dans Le Canada français missionnaire de Lionel Groulx, paru pour la première fois en 1962. « En bref, je voudrais raconter la grande aventure d’un petit peuple qui, à peine né, se jette dans la conquête religieuse de l’Indien en Amérique du Nord », commence-t-il. La phrase décrit bien le projet de l’essai, qui recense la longue liste des missions catholiques canadiennes-françaises au fil des siècles, de l’Atlantique au Pacifique à l’Arctique et aux États-Unis, puis celles de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique latine, de la Caraïbe. Tout y passe, méticuleusement. Il s’agit, pour le chanoine Groulx, de démontrer que l’esprit impérialiste fait toujours partie de l’âme des gens d’ici, malgré la Conquête : « Son empire de jadis, il semble […] qu’il le veuille reconstituer sur un plan supérieur, le plan spirituel cette fois, avec des frontières indéfiniment extensibles ».

L’essai débute au temps de la Nouvelle-France, où il vante « l’audace conquérante » des premiers missionnaires, qui a persisté sous le régime anglais. Il déplore qu’au XIXe siècle, « les épreuves ou misères n’ont que très peu changé depuis le temps de la Nouvelle-France. Le Sauvage reste encore sauvage, ou peu s’en faut : homme-enfant, léger, fantasque, incapable d’efforts soutenus, mal débarrassé de son vieux paganisme ». Il ajoute : « Comme aux temps anciens l’alcool le fascine ; le concubinage sévit ».

Les descriptions racistes ne sont pas accessoires au livre, mais une partie importante de l’argumentaire. C’est qu’il n’y aurait pas autant de noblesse dans le missionnariat si les Autochtones n’étaient pas dépeints comme des sous-humains en attente de rédemption. Par exemple, le chanoine nous décrit les Dénés (Territoires du Nord-Ouest) comme « barbares, presque sataniques », mais tient à nous rassurer. Au contact des missionnaires, « les infanticides, le cannibalisme, souvent provoqués par la misère, disparaissent ».

Dans son récit, le chanoine Groulx insiste sur le rôle des Oblats de Marie-Immaculée, ordre français que l’évêque de Montréal Ignace Bourget invite, en 1841, à s’établir près de lui pour recruter activement au sein de la population du Bas-Canada. Les Oblats « se livrent aux missions indiennes avec une véritable fougue évangélique », nous assure Groulx. Ainsi des missions sont lancées un peu partout au Québec et au Canada bien avant l’ouverture officielle des pensionnats autochtones. Lorsque ceux-ci sont mis en place, on se porte volontaire pour les faire fonctionner. Ainsi, au moins 57 des 139 pensionnats financés par le gouvernement du Canada ont été gérés par les Oblats durant leurs années d’opération. Riches de leur expérience dans l’Ouest, ils font d’ailleurs pression sur les députés francophones du gouvernement Mackenzie King, dans les années 1930, afin que des pensionnats soient aussi ouverts au Québec.

C’est ainsi que des religieuses de la vallée du Saint-Laurent partent nombreuses « à l’aventure », notamment dans l’Ouest. Les frères emploient les Sœurs de l’Assomption de la Sainte Vierge pour s’occuper du pensionnat de Onion Lake, en Saskatchewan. Les Sœurs missionnaires du Christ Roi, après avoir géré des camps de concentration pour les Canadiens d’origine japonaise durant la Deuxième Guerre mondiale, sont assignées aux « écoles indiennes ». Les Sœurs de Sainte-Croix et des Sept-Douleurs ouvrent quant à elle un pensionnat à Moricetown, au nord-est de Prince Rupert. Et les Sœurs de Sainte-Anne, originaires de Saint-Jacques-de-l’Achigan, dans Lanaudière, se chargent notamment des « écoles indiennes de Kamloops, de Kuper Island et des Songhees », en Colombie-Britannique.

Finalement, on commence à comprendre le pourquoi de ces noms à consonance francophone des membres de la Nation Tk’emlúps te Secwépemc, où ont été retrouvés les 215 enfants du pensionnat de Kamloops.

On commence à comprendre qu’on avait peut-être tort de présenter la découverte macabre des restes des enfants de Kamloops avec une plus grande distance, ici, parce que « l’Ouest, c’est loin de nous ». On commence à voir que ce qui s’est passé au Québec comme dans les Prairies, le Grand Nord ou l’Ouest s’est déroulé avec la participation de certains de nos grands-oncles, de nos grands-tantes, dont le lien avec l’Église faisait la fierté et l’orgueil de bien des familles d’ici. On aperçoit aussi que l’amnésie collective sur les pensionnats autochtones est bien étrange, alors que certains de nos intellectuels les plus célèbres et célébrés se sont même vantés du rôle de l’Église canadienne-française dans leur établissement, afin d’y puiser un sentiment de fierté nationale.

Cette Église, et cette vision du nationalisme, bien des Québécois en ont un souvenir douloureux, et s’en sont dissociés à l’époque même des pensionnats et de Lionel Groulx, et bien sûr ensuite. Mais la dissociation peut-elle justifier les trous de mémoire ? L’anachronisme qui sépare l’Ouest canadien de l’histoire des francophones ? La prétention que ces administrateurs coloniaux ne font pas partie de nos histoires familiales ? Le détachement de ce qui s’est passé ici même au Québec ?

Rappelons-nous que la commission qui a fait la lumière sur les pensionnats s’appelle Vérité et Réconciliation. Et cette vérité inclut que les idées du chanoine Groulx fassent écho à une vision sociale et politique qui a influencé, pour le meilleur et pour le pire, les rapports entre les peuples autochtones et les francophones de partout au pays pendant plusieurs décennies. Sans vérité, quelle réconciliation est possible ?

Source: L’amnésie du Canada missionnaire