I’m with Pratte but appreciate the discussion and the contrasting perspectives. And for MBC to accuse Pratte of “ne soit pas conscient de ses propres mécanismes mentaux,” the same could be said by MBC:
Dans une chronique publiée dans Le Journal de Montréal samedi dernier, Mathieu Bock-Côté (MBC) accuse le Parti libéral du Québec de tenir un discours qui «repose explicitement sur la mise en minorité démographique des Québécois francophones par l’immigration massive pour fabriquer un nouveau Québec. Ce discours souhaite la disparition de notre peuple.»
Témoin à charge numéro un: Balarama Holness, qui s’est présenté aux élections de 2022 à la tête de son propre parti, Bloc Montréal. Celui-ci a recueilli moins de 0,2% du vote dans la province. M. Holness ne représente en rien le PLQ; c’est un marginal.
Témoin numéro deux: la militante Idil Issa, qui n’est pas membre du PLQ.
En quoi les propos supposément «haineux» de ces deux personnes démontrent-ils quoi que ce soit au sujet du Parti libéral du Québec?
Le fond
J’aimerais m’arrêter au fond de ce qu’avance M. Bock-Côté: le PLQ manœuvrerait pour noyer le Québec francophone par une immigration massive devant produire «un nouveau Québec». Cette thèse, proche du «grand remplacement» des complotistes français, ne tient tout simplement pas la route.
D’abord, parce que le PLQ, s’il prône une hausse raisonnable de l’immigration afin de combler les besoins de main-d’œuvre, n’a jamais soutenu qu’il fallait une «immigration massive» au Québec, à l’image de l’Initiative du siècle proposée à l’échelle canadienne par le comité Barton.
Encore faut-il savoir ce qui, aux yeux de MBC, constitue une «immigration massive». Le seuil actuel, 50 000 nouveaux immigrants permanents par année, est clairement excessif à ses yeux. Qu’est-ce qui serait raisonnable: 30 000? 10 000? Zéro?
Quoi qu’il en soit, les projections de Statistique Canada montrent bien que même dans le cas d’une immigration beaucoup plus nombreuse qu’aujourd’hui, les immigrants et résidents non permanents ne représenteraient toujours que 27% de la population totale du Québec en 2041, contre 23% sous un scénario de faible immigration. De quelle «disparition» MBC parle-t-il?
Par ailleurs, des projections publiées par l’Office québécois de la langue française démontrent que même si les immigrants choisis par le Québec parlaient tous français à leur arrivée – c’est l’objectif du gouvernement Legault – cela ne changerait pas grand-chose aux grands indicateurs démolinguistiques. Le français langue maternelle continuerait de diminuer lentement – c’est le fait inexorable de la faible natalité chez les Québécois dits «de souche». L’élément le plus important, la connaissance du français au sein de la population québécoise, y compris les immigrants, resterait très élevée à près de 95%.
Main-d’œuvre
Il est vrai que depuis quelques années, le nombre de résidents non permanents a considérablement augmenté au Canada, entre autres au Québec. Cela est dû aux besoins croissants en main-d’œuvre et à la hausse du nombre d’étudiants étrangers. À un point tel que le ministre fédéral de l’Immigration a récemment évoqué la possibilité de limiter le nombre d’étudiants internationaux admis au pays.
On se serait attendu à des applaudissements venant de François Legault, grand admirateur de MBC. Eh! non, l’intention fédérale a été dénoncée parce qu’il s’agirait d’une violation des compétences provinciales, tandis que les universités et collèges en région ont souligné l’importance cruciale pour eux de cette clientèle internationale. Il faudrait se décider: ou l’immigration est une menace, ou c’est une richesse?
Les libéraux du Québec, eux, optent avec conviction pour la seconde option. Il suffit de commencer à dresser la longue liste de Québécois de souche immigrante qui ont fait leur marque ici, en français, dans les domaines politique, économique et culturel pour confirmer cette vision positive des choses.
Si M. Bock-Côté fréquentait les libéraux du Québec au lieu de les imaginer dans ses cauchemars, il saurait combien ils aiment le Québec français et y sont profondément enracinés. Les accuser, sans fondement, de «souhaiter la mort de notre peuple» est faux et injuste.
André Pratte, Coprésident du Comité sur la relance du Parti libéral du Québec
RÉPONSE DE MATHIEU BOCK-CÔTÉ
Oui, le PLQ instrumentalise politiquement l’immigration. Voyons pourquoi.
Le PLQ a-t-il intérêt à accélérer la transformation démographique du Québec?
C’est ce que je soutenais dans ma chronique de jeudi.
André Pratte soutient le contraire dans sa réplique, et semble même scandalisé qu’on puisse le suggérer. André Pratte fait semblant d’oublier que son parti, le Parti libéral du Québec, obtient moins de 5% d’appuis chez les Québécois francophones, et qu’il ne se maintient électoralement que grâce à l’appui des anglophones et de l’électorat issu de l’immigration.
Il veut nous faire croire, probablement, que son parti ne s’en rend pas compte, et que son appui aux seuils d’immigration très élevés des dernières années n’a aucun lien avec cela. Non. Du tout. Zéro.
D’ailleurs, le PLQ ne favoriserait pas une immigration massive – les seuils d’immigration fixés par les libéraux correspondraient seulement aux besoins des entreprises, ce qui est une fumisterie, mais j’y reviendrai une autre fois.
Base électorale
Et si André Pratte dit ne pas se rallier à l’Initiative du siècle d’Ottawa, il préfère rester dans le Canada avec la «noyade» démographique (je reprends ici la formule de René Lévesque) annoncée qu’envisager la possibilité de l’indépendance.
Le français se porterait même mieux que jamais au Québec: pour en arriver à cette conclusion loufoque, Pratte est évidemment obligé de prendre l’indicateur linguistique le moins significatif.
Il est possible que Pratte ne soit pas conscient de ses propres mécanismes mentaux. Je n’exclus pas cette possibilité.
Si le PLQ est aujourd’hui chassé du Québec francophone, c’est qu’il l’a renié, en assimilant la moindre affirmation de son identité au souffle de «l’intolérance».
La trudeauisation idéologique du PLQ sous Philippe Couillard a correspondu à son suicide électoral chez les Québécois francophones. Autrefois, le PLQ a porté une vision québécoise du Canada: il porte aujourd’hui une vision canadienne du Québec. Son objectif: toujours ramener à la baisse les critères d’adhésion du Québec au fédéralisme, et le transformer de telle manière que la question nationale se dissolve.
Le PLQ, rationnellement, cherche à élargir sa base électorale: cette stratégie l’a bien servi depuis 20 ans. La transformation de Laval en extension politique et sociologique du West Island en témoigne. Ce sera demain ou après-demain le tour des deux 450 – comme le reconnaissent bien des stratèges libéraux en privé, soit dit en passant.
Évidemment, le PLQ ne va pas en criant sur les toits qu’il est favorable à une transformation démographique du Québec entraînant la mise en minorité progressive du Québec francophone. Il se contente de fonder son action politique sur cette logique.
Question nationale
Certains, parmi les multiculturalistes les plus militants, se permettent de le dire: j’en ai cité deux dans mon texte.
Je les recite pour m’assurer que les lecteurs ne les oublient pas.
Balarama Holness affirmait ainsi que le PLQ aura besoin «de deux décennies pour se renforcer en région, le temps qu’il y ait des changements démographiques». Autrement dit, moins les régions seront francophones, plus le PLQ y progressera.
Je recite aussi Idil Issa, la militante multiculturaliste : «C’est les demographics qui vont gagner, finalement. Le Québec de Mathieu Bock-Côté, c’est le Québec du passé. Ils essaient de prendre une photo et de figer le Québec d’une ancienne manière. Nous sommes diverses, le Québec est différent maintenant. On doit être inclusifs. On doit pas aliéner les jeunes. On doit leur donner une place. Je veux que tout le monde qui aimerait être enseignante étudie l’éducation, étudie le droit. Ne soyez pas peur, la loi 21, ça restera pas au Québec, ça, c’est certain. Comme j’ai dit, que ce soit l’année 2300, on ira jusqu’au bout.»
J’en cite un autre, sans savoir s’il est fédéraliste ou souverainiste, mais qui théorise les effets de cette révolution démographique pour le Québec. Amadou Sadjo Barry, dans Diversité culturelle et immigration (2023), qui écrit: «[…] on pourrait penser que dans les prochaines décennies, la population québécoise sera largement majoritaire en immigrants de première ou de deuxième génération et, par conséquent, aucun groupe, même les francophones descendants des Canadiens français, ne pourrait constituer la majorité. […] Le temps viendra où l’Europe et l’Occident ne suffiront plus comme références pour comprendre le peuple québécois et le définir. Ce temps, ce sera celui du grand déracinement auquel notre monde sera confronté». (p. 148)
Et qu’on me permette d’en citer un dernier: le philosophe Daniel Weinstock.
Il ainsi affirmait en octobre 2009: «Manifestement, la préoccupation identitaire des Québécois est plus forte que dans le reste du Canada. Le Canadien anglais, c’est déjà un “post-ethnique”, une personne qui peut aussi bien être de souche écossaise que polonaise ou sud-américaine. Les Québécois, eux, ont toujours cette idée qu’ils ont un “nous” à protéger. […]. Quand Montréal comptera un aussi haut pourcentage d’immigrants que Toronto, ces questions ne se poseront plus avec autant d’acuité. Et encore moins quand on constatera qu’on n’a pas les moyens de se priver, par exemple, d’une infirmière, “hijab ou pas”». Autrement dit, la question identitaire québécoise allait se dissoudre au rythme de la transformation démographique de la société québécoise et de la mise en minorité des Québécois francophones. La société multiculturelle à laquelle rêvait Weinstock, et qui correspond globalement à la vision que le Canada de 1982 a de lui-même, présupposait pour se concrétiser une recomposition démographique québécoise.
Ce discours est courant, même si les médias y accordent peu d’attention. Je me corrige: il est possible d’en parler si c’est pour s’en réjouir. On chantera alors la diversification croissante du Québec. Si on s’en inquiète, on est accusé du pire. Il faudrait cesser, comme le fait Pratte, d’assimiler toute réflexion sur les effets démographiques et identitaires de l’immigration à la «théorie du grand remplacement», dont nulle figure publique ne se réclame au Québec – cette méthode relève à la fois de la malhonnêteté intellectuelle et de l’intimidation idéologique.
C’est le simple bon sens: quand un pays reçoit davantage d’immigrés qu’il ne peut en accueillir, il favorise la formation de communautarismes dans ses frontières. Si les décennies passent, que l’immigration massive se poursuit, et que la machine à intégrer ne fonctionne toujours pas, c’est l’identité profonde de ce pays qui se transformera et sa majorité historique qui se minorisera.
Mais revenons au PLQ. Il ne me semble pas inutile de rappeler qu’Ottawa, en 1995, a utilisé l’immigration massive à la manière d’un verrou démographique sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec. Plus la majorité historique francophone fondra démographiquement, et moins le Québec aura de chances d’accéder à l’indépendance.
L’ex-député libéral Christos Sirros l’avait dit mot pour mot au lendemain du référendum: «le désir d’indépendance des Québécois allait s’éteindre avec l’immigration». Il ne faisait que dire tout haut ce que les partisans du plan B dans les années postréférendaires pensaient tout bas.
En cherchant à casser la structure démographique du Québec, Ottawa entend en finir une fois pour toutes avec la possibilité de l’indépendance, et c’est dans cet esprit, encore une fois, qu’au lendemain du dernier référendum, dès sa reprise du pouvoir, le PLQ a haussé les seuils.
Qu’on me comprenne bien: je ne réduis évidemment pas l’immigration à son utilisation politique par le PLQ.
Il y a de belles histoires d’intégration, d’ailleurs, comme Pratte le rappelle, et nul ne le contestera. Qui serait assez sot pour dire d’un phénomène de grande ampleur comme l’immigration qu’il est exclusivement positif ou exclusivement négatif?
Régime canadien de 1982
Mais la dynamique de fond, portée par le régime canadien, favorise davantage l’intégration des immigrés aux Canadiens anglais du Québec qu’aux Québécois francophones, et rien ne laisse croire que la tendance basculera à court ou moyen terme.
Cette intégration à la communauté anglophone passe normalement par une identification privilégiée à Montréal, métropole bilingue aux deux langues officielles, fondée sur le principe du bonjour-hi. Le français, dans cette perspective, devient optionnel. La loi 101 n’entend plus ici assurer l’intégration identitaire des nouveaux arrivants à la majorité historique francophone mais conserver le droit pour cette dernière de se faire servir en français. Ce n’est plus une loi mettant le français au pouvoir mais assurant les droits minoritaires des francophones.
Alors revenons au sujet de notre discorde: autant il serait hasardeux de réduire la question de l’immigration à son usage politique par les partis, autant il serait absurde de nier cette dimension.
Ce qui nous ramène à cette évidence: l’immigration massive est une richesse électorale pour le Parti libéral. Il est de bonne guerre qu’André Pratte le nie. Mais le fait que cette vérité soit désagréable ne la transforme pas soudainement en fausseté.
Mathieu Bock-Côté
Source: Réplique d’André Pratte à Mathieu Bock-Côté: une analyse injuste du PLQ qui ne tient pas la route