Labelle: Amira Elghawaby et le 59% de racistes québécois

The poll referred to in the Elghawaby/Farber op-ed was in 2019, not 2007, and discomfort with Muslims in Quebec has polled somewhat higher than elsewhere in Canada over various polls and time periods.

Quebec periodically has these debates, as Labelle is right to remind us, and of course polling reflects the issues and controversies of the day, and the specific formulation of questions:

Les déclarations de l’ancienne journaliste Amira Elghawaby, nommée au poste de représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, suscitent un tollé, avec raison. Elle a, entre autres fausses nouvelles, fait référence aux résultats d’un sondage réalisé en 2007 par la firme Léger selon lesquels 59 % des Québécois se considéraient comme racistes. En tant que journaliste, elle aurait pu examiner de plus près ce sondage pour en constater les failles. Mais un quelconque objectif plus ou moins caché l’aura sans doute emporté sur son éthique de travail.

Le fatidique sondage de 2007

Le 15 janvier 2007, en plein contexte de débats intenses sur les accommodements raisonnables, après que le conseil municipal d’Hérouxville eut adopté un code de conduite ciblant les accommodements religieux, Le Journal de Montréal publiait un sondage réalisé par la firme Léger Marketing par le biais de deux sondages Internet, entre décembre 2006 et janvier 2007, avec un titre choc : « 59 % des Québécois se disent racistes ».

Or, à l’instar de mes collègues Rachad Antonius et Jean-Claude Icart, chercheurs spécialisés comme moi en sociologie du racisme, ces résultats m’apparaissaient immédiatement suspects. Dans la foulée, nous avons publié deux articles à ce sujet, l’un dans La Presse, l’autre dans la revue Éthique publique. Selon notre analyse, plusieurs raisons expliquaient ces résultats aberrants : une définition douteuse du racisme, l’agrégation de catégories non agrégeables, ce que l’on apprenait des attitudes concernant les accommodements raisonnables en comparaison, et l’absence des Premières Nations.

Une définition douteuse et des résultats contradictoires

La définition scientifique du racisme consiste en ceci : « Une idéologie qui se traduit par des préjugés, des pratiques de discrimination, de ségrégation et de violence, impliquant des rapports de pouvoir entre des groupes sociaux, qui a une fonction de stigmatisation, de légitimation et de domination, et dont les logiques d’infériorisation et de différenciation peuvent varier dans le temps et l’espace ».

Or, les sondés devaient réagir à une définition lacunaire : « … au niveau populaire, tous comportements, paroles, gestes ou attitudes désagréables, si mineurs soient-ils à l’égard d’une autre culture… ». Il est peu probable que tous aient saisi la signification profonde du terme « racisme » pour ensuite se juger « racistes ». En fait, ils devaient répondre à des questions (12 à 22) concernant davantage les relations interculturelles, voire l’ethnocentrisme, plutôt que le racisme. Il y avait donc d’entrée de jeu une utilisation déficiente du mot racisme pour exprimer toute une gamme d’attitudes délicates interprétables de façon variable.

Un deuxième problème était le regroupement des sous-catégories (fortement raciste, moyennement raciste, faiblement raciste, pas du tout raciste). Ceux et celles qui se disaient fortement racistes étaient fusionnés avec ceux et celles qui se disaient moyennement ou faiblement racistes, d’où le fameux total de 59 %. Or, que signifiaient exactement le « moyennement raciste » ou le « légèrement raciste » ?

Autre donnée contradictoire : la grande majorité des Québécois (77 %), tout comme la majorité des membres des « communautés culturelles » (80 %) estimaient qu’il n’y a pas de « races » humaines plus douées que d’autres (question 3). Et 78 % des membres des dites « communautés culturelles » déclaraient se sentir bien accueillis.

Comment expliquer ces résultats si 59 % des Québécois étaient racistes ?

D’autres contradictions sur les accommodements raisonnables

Il faut souligner que le sondage Léger Marketing de janvier 2007 s’est tenu dans un contexte chargé. L’opinion publique était chauffée à blanc par les politiciens et les médias sur la question des accommodements raisonnables à caractère religieux.

Dans le même sondage, Léger a donc cru bon d’introduire deux questions sur cet enjeu de société : « Quel énoncé correspond le mieux à votre opinion ? 1. Tous les immigrants devraient respecter les lois et règlements du Québec même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles ; 2 « Il est nécessaire d’adopter des accommodements à nos lois et règlements pour ne pas obliger les immigrants à aller à l’encontre de leurs croyances religieuses ou pratiques culturelles ». Le résultat obtenu fut le suivant : « La très grande majorité des Québécois (83 %) croient que les immigrants devraient respecter les lois et les règlements du Québec, même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles. Chez les membres des communautés culturelles, 74 % sont du même avis ».

En conclusion, on peut aussi se demander pourquoi le sondeur distinguait « communautés culturelles » et « Québécois », une question de fond dont l’importance politique et citoyenne est immense. Et pourquoi la dimension autochtone a été alors complètement évacuée de l’enquête  Le Journal de Montréal publiait en janvier 2007 un tableau intitulé « L’immigration en 5 minutes », dans lequel les 130 165 membres des « Premières Nations » figuraient parmi les « importantes communautés culturelles du Québec » issues de l’immigration ! Une gaffe désespérante…

On peut aussi se demander s’il ne serait pas pertinent de mener des sondages sur les types de préjugés relevant du Québec bashing systémique qui sévit au sein des minorités (un prototype étant celui pratiqué par Mme Elghawaby), à l’égard des Québécois dits « de souche », un incontestable tabou à affronter.

Source: Amira Elghawaby et le 59% de racistes québécois

Labelle: L’immigration, McKinsey et le diktat de la mobilité internationale

Of interest although I think she overstates the reduction of state powers due to increased mobility:

Romain Schué et Thomas Gerbet viennent de dévoiler, le 4 janvier dernier, l’influence de la firme américaine McKinsey sur la politique d’immigration du gouvernement Trudeau et les coûts faramineux payés à cette entreprise. Cette firme aurait conseillé l’accueil de 465 000 immigrants en 2023 pour atteindre 500 000 en 2025, dont 60 % seraient de la catégorie économique. A-t-elle aussi conseillé l’augmentation fulgurante des travailleurs temporaires ? Le contrôle des frontières et des demandeurs d’asile ? Une transformation démographique du Canada postnational dont se vante Justin Trudeau ? Une réorganisation du système informatique, une meilleure gestion des passeports (ce serait alors une faillite) ? L’information est bloquée pour le moment. Mais de quel droit tout cela ?

Faut-il s’étonner de ce recours à une multinationale pour influer sur les affaires internes canadiennes ? Non, si on le met en relation avec le développement hégémonique d’une théorie sociologique de la mobilité qui domine aujourd’hui au point de rendre les gouvernements dépendants des multinationales comme McKinsey.

Pour comprendre ce changement de paradigme, un retour en arrière s’impose.

Le paradigme de la mobilité adopté par le fédéral depuis des décennies

Le paradigme de la mobilité (mobility studies) n’a fait que se renforcer depuis la fin des années 1990. En 2005, le sociologue John Urry publiait un texte édifiant et quelque peu délirant dans Les Cahiers internationaux de sociologie pour décrire le monde en mouvement : demandeurs d’asile, terroristes, touristes, diasporas, étudiants internationaux, entrepreneurs, sportifs, randonneurs, prostituées sont en mouvement, écrivait-il. Le sociologue reprochait à ses pairs d’avoir négligé le phénomène de la mobilité et d’avoir jusqu’ici insisté plutôt sur le rôle de structures sociales figées au sein de la société ou de l’État-nation obsolète.

John Urry en appelait à une « reformulation de la sociologie dans sa phase post-sociétale », dont l’objet majeur ne serait plus les sociétés dans leur spécificité, mais « les diverses mobilités des peuples, des objets, des images, des informations et des déchets [sic] ». Depuis, ce paradigme concurrence diverses perspectives « post » , y compris la thèse de la superdiversité, très en vogue dans les universités anglophones, où l’on parle avec une délicatesse douteuse « d’itinérants transculturels ». Le multiculturalisme est pour ainsi dire dépassé, on nage désormais dans l’univers trans. Toutes remettent en cause les frontières politiques et symboliques des États-nations, ainsi que les significations de la citoyenneté et de l’appartenance.

Cette mouvance est à mettre en relation avec la création du réseau international Metropolis fondé en 1996 à l’initiative du ministre Sergio Marchi, et dont Meyer Burstein a été codirecteur exécutif, ainsi qu’avec le discours du fédéral sur la rentabilisation du multiculturalisme et la stratégie d’innovation du Canada. En 2004, le document « Élaboration de l’analyse de rentabilisation du multiculturalisme » précisait que les transilient immigrants font partie d’une nouvelle « classe créative », apte à mobiliser leurs réseaux internationaux en vue d’investissements et de bonnes pratiques commerciales.

Les immigrants et les « minorités visibles » y sont vus comme « un réservoir de compétences culturelles et linguistiques auquel les industries canadiennes peuvent faire appel pour leurs opérations à l’étranger ou pour prendre de l’expansion sur les marchés internationaux », écrivait déjà en 2004 l’ex et puissant directeur d’Immigration et Citoyenneté Canada, Meyer Burstein.

Les liens que les diverses « communautés culturelles et raciales entretiennent avec presque tous les pays du monde sont synonymes de prospérité économique et ont contribué à susciter l’intérêt du gouvernement du Canada à l’égard du multiculturalisme », statuait à son tour Patrimoine canadien (2005). On ne peut donc s’étonner du recours aux tentacules internationaux de la firme McKinsey. Et Justin Trudeau ne peut être que d’accord avec ce niveau d’interférence dans un pays qu’il conçoit et présente comme postnational.

Les effets pervers de la mobilité sur les personnes et le pouvoir des États

L’immigration internationale concerne plusieurs catégories de personnes aux statuts social et politico-juridique différents. Or, les pays doivent choisir entre deux catégories principales de transfrontaliers sur le plan économique : les travailleurs étrangers qualifiés, hautement mobiles, et les travailleurs non qualifiés.

La mobilité des premiers est vue comme un signe d’ouverture envers le pays d’accueil. Désirable sur le plan économique, elle ne pose pas de défis d’intégration, soutient-on à tort. Dans cette perspective, la chasse aux cerveaux (ou plutôt l’exode des cerveaux, vu sous un autre angle) apparaît souhaitable pour les États demandeurs et les institutions qui ont besoin de professionnels ou d’étudiants internationaux afin de favoriser l’investissement, la recherche et l’innovation.

Au contraire, les mouvements de la main-d’oeuvre à bon marché et souvent déclassée sont à contrôler afin de ne pas provoquer un sentiment d’envahissement dans la société d’accueil. C’est la raison pour laquelle cette force de travail fait l’objet d’un sempiternel débat public sur la naturalisation, l’intégration civique et les exigences linguistiques. Sans compter qu’en Amérique du Nord, pour un immigrant indépendant jouissant du statut de résidence, on compterait une cinquantaine d’immigrants parrainés, compte tenu des réseaux et des liens transnationaux des migrants.

Enfin, ce paradigme de la mobilité provoque également l’obligation de repenser les notions de citoyenneté et de souveraineté de l’État, jugées obsolètes dans un monde globalisé. Les chercheurs ont beau spéculer sur la beauté du transnationalisme, on peut pourtant constater que tous les États aspirent à contrôler l’immigration selon leurs intérêts propres en matière de sécurité et d’ordre public, de légalité, de réunification des familles, de dépenses publiques et de problèmes urbains, d’intégration sociale et politique, voire d’identité nationale. En ce sens, le paradigme de la mobilité véhiculé par des instances supraétatiques ne peut qu’entamer le pouvoir de l’État.

Enfin, il serait intéressant de savoir ce que pensent les conseillers de McKinsey sur les dysfonctionnements et l’éventuelle crise sociale qu’entraîne la mobilité incarnée par la traversée du chemin Roxham. Les demandeurs d’asile qui arrivent par milliers aux frontières comptent-ils dans l’objectif des 465 000 à 500 000 migrants souhaités sur cinq ans ? En dépit du fait que ce système donne lieu à de l’exploitation, à un trafic reconnu et à des réseaux internationaux de passeurs bien organisés et sans doute sans pitié ? Une situation que le gouvernement Trudeau ne semble pas avoir le courage de regarder en face et devant laquelle le Québec semble impuissant.

Source: L’immigration, McKinsey et le diktat de la mobilité internationale