Le Devoir Éditorial | Un laboratoire pour le Québec [laïcité in education]

Legitimate concerns regarding Bedford and the influence of more fundamentalist Muslim educators:

L’école Bedford nous a offert un concentré des dangers qui guettent l’école québécoise : déni de laïcité, refus de l’égalité hommes-femmes, gouvernance scolaire anémiée, mépris des besoins particuliers de certains élèves et incompétence pédagogique. Ce quintette délétère est au cœur du plan d’action rendu public vendredi. Les experts Jean-Pierre Aubin et Malika Habel invitent le gouvernement Legault à faire de Bedford l’aiguillon d’une réforme qui dépasse les frontières de cette école prise en otage par un clan dominant d’enseignants d’origine principalement maghrébine.

Leur ambition est justifiée. Un si grand mal ne saurait s’accommoder d’une réponse simpliste. Même s’il constitue un cas atypique tant par sa gravité que par son intensité, Bedford n’est pas un cas unique, comme en témoignent la poignée d’enquêtes ouvertes dans la foulée de la mise au jour du scandale, et alors que 11 de ses professeurs sont toujours en examen, avec plein salaire. Cela en fait au contraire le laboratoire idéal pour tester les limites des leviers prévus à la Loi sur l’instruction publique (LIP).

Si on arrive à Bedford à faire en sorte de clarifier une fois pour toutes la différence « entre discipline et violence », entre « bienveillance et laxisme », entre « difficultés d’apprentissage et paresse intellectuelle », comme le prescrivent les deux experts, c’est qu’on sera en mesure de faire de même partout au Québec. Qui s’élèverait contre cet objectif à l’heure où l’école connaît une telle crise de confiance ?

L’accent a été largement mis sur la proposition de soumettre l’ensemble des enseignants québécois à une évaluation de leurs compétences tous les deux ans. À raison, c’est l’épine dorsale de ce plan, qui cherche à rétablir les équilibres délicats entre la nécessaire préservation de l’autonomie professionnelle de l’enseignant et l’indispensable assurance de sa responsabilisation.

De telles évaluations sont courantes dans la plupart des milieux de travail. Pour les parents comme pour les élèves, cette mesure fait miroiter la promesse d’un programme enfin suivi à la lettre et d’un climat en classe conforme aux attentes. Pour les enseignants eux-mêmes, elle ouvre la porte à une uniformisation des pratiques professionnelles, ce qui évitera, par effet de domino, qu’une majorité ait à souffrir les guerres de chapelle que des groupes minoritaires voudraient leur imposer, comme ce fut le cas à Bedford.

Bien accueillie par le ministre de l’Éducation comme par le Centre de services scolaire de Montréal, la mesure, et plus largement le plan d’action qui l’encourage, a suscité quelques réticences, notamment de la part de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui s’élève contre l’imposition généralisée de solutions forgées sur mesure pour Bedford. À ses yeux, les leviers législatifs existants sont suffisants pour superviser et évaluer adéquatement le travail des enseignants. Si cela n’a pas été fait à Bedford — et si ce n’est pas toujours fait ailleurs, comprend-on entre les lignes —, c’est « faute de temps et de ressources », argue la CSQ.

Il est vrai que la pénurie de personnel et les compressions dans les services aux élèves mettent en péril la qualité éducative du réseau. Le ministre de l’Éducation aurait tort de s’imaginer qu’il peut effacer ces facteurs fragilisants de l’équation. Mais ce que conclut le rapport d’enquête comme le plan d’action, c’est qu’il est aussi trop facile pour les directions d’écoles de passer outre aux leviers législatifs actuels, que ce soit par manque de temps, faute de conviction ou même sous la pression d’un corporatisme malavisé.

C’est pourquoi vouloir mettre les écoles à l’abri de dérives comme celles qui ont permis l’instauration d’un climat de peur et d’intimidation à Bedford passe par un dépoussiérage législatif, défendent les deux experts. Ceux-ci prescrivent notamment l’ajout d’une clarification des concepts de culture et de religion dans la loi. Partisans d’une ligne franche, ils recommandent d’y inscrire noir sur blanc que l’école doit être préservée de toute manifestation du fait religieux, pendant et après les classes. Ils suggèrent aussi d’évaluer la possibilité d’y intégrer l’obligation de parler français dans tous les espaces susceptibles d’être fréquentés par les élèves.

Ce faisant, le duo fait preuve d’une bonne dose de courage en affirmant sans détour ce que plusieurs, y compris des intervenants en éducation, se refusent à reconnaître. À savoir que les leviers prévus dans la LIP ne suffisent plus, dans le contexte explosif de 2025, à offrir aux élèves un milieu d’apprentissage sain et sécuritaire à l’abri de toute forme d’intimidation ou de violence.

Ce plan, qui s’accompagne d’un projet pilote pour en tester les grandes lignes, compte, en plus de ses impératifs législatifs costauds, des appétits financiers qui risquent de poser de grands défis au ministre. Bernard Drainville jongle déjà avec la « discipline » prescrite par le ministre des Finances pour affronter un contexte budgétaire jugé difficile, sinon sombre. Il ne faudrait pas que cette ligne dure ait le dessus sur un dépoussiérage dont on ne devrait pas faire l’économie pour les élèves du Québec.

Source: Éditorial | Un laboratoire pour le Québec

Le Devoir Éditorial | Une fierté nationale mal placée

More of the proposed Quebec National Museum of History:

On ne peut pas reprocher à François Legault de manquer de persistance en culture. En dépit des quelques revers qu’il a essuyés en ces matières fortes en symbole, son engagement exalte un attachement inusable. Certains diront un attachement téflon tant il n’en fait qu’à sa tête. On en a eu une nouvelle preuve avec l’annonce en grande pompe de la création d’un nouveau musée national — une rareté qui aurait normalement dû lui valoir des hourras.

L’idée de se doter d’un Musée national de l’histoire du Québec n’est pas mauvaise, au contraire. La nation québécoise — irréductible mais fragile fleur francophone posée au creux d’un massif de vivaces anglophones envahissantes — vaut bien cet hommage que nombre de sociétés se sont offert avant nous. Notre fierté nationale pourrait même gagner gros à étendre ses bourgeons sur un tuteur aussi structurant.

Se doter d’un musée national est en effet une excellente façon d’honorer un legs compliqué, à la fois sombre et lumineux, qu’on a fâcheusement tendance à négliger au Québec. Pour cela, le regard que l’on pose sur notre histoire commune doit être capable d’accueil comme d’autocritique, en plus d’être scientifiquement irréprochable, a mis en garde un contingent de spécialistes déconcertés par ce lapin sorti sans consultation du chapeau de M. Legault.

C’est d’abord là que le bât blesse. Le gouvernement a eu beau s’adjoindre les conseils de l’historien Éric Bédard, cela ne l’a pas empêché de multiplier les bourdes en s’improvisant expert dirigiste là où on l’attendait plutôt en pollinisateur inspirant. Invité à préciser sa vision, le premier ministre a commencé par montrer l’étendue de ses oeillères. Notre histoire nationale, a-t-il expliqué, a commencé, rêvé et prospéré par et pour les Canadiens français. Et les autres ? Tous relégués au rôle ingrat de figurants.

Sa façon spécialement cavalière de minimiser l’apport des nations autochtones à la société québécoise est indigne d’une nation qui prétend parler d’égal à égal avec ces peuples. Quiconque replonge dans l’épopée de Champlain — point zéro du récit national caquiste, on le rappelle — sait pourtant qu’il ne pourra le faire sans s’enfarger dans tout ce que ces nations ont pu apporter aux premiers colons, puis plus largement à la société québécoise au fil du temps. Et pas qu’en adversité, mais aussi bien en émulation qu’en imagination.

Son silence radio sur l’apport des autres communautés — on pense aux vagues migratoires, mais aussi aux Anglos — a fait le reste, nourrissant une déferlante de malaises autant chez les spécialistes que chez nombre de Québécois qui ne se sont pas reconnus dans sa vision rétrécie de la nation. Il est vrai que, jusqu’ici, le discours politique n’a pas été à la hauteur des promesses qui viennent avec l’érection d’un musée national moderne, décomplexé et rassembleur.

Bien sûr, l’histoire n’est jamais neutre. Mais un musée digne de ce nom, même national, ne saurait se résumer à une vitrine politique, encore moins à la vitrine d’une seule vision politique. Les Québécois n’ont pas besoin d’un musée de pureté idéologique. Ce qui n’empêche pas le fait qu’il y a du bon dans le projet du gouvernement Legault. Les Espaces bleus n’avaient pas d’avenir : trop chers et sans vision commune. Le Musée national de l’histoire du Québec, érigé à même leurs cendres malheureuses, ne part pas grevé de la sorte.

D’abord, il plantera ses racines dans un écrin magnifique, le pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, rénové au coût de 92 millions. Ensuite, il arrive sur un terrain encore fertile, celui des musées d’État. S’il est bien fait, son ajout au noyau formé du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée national des beaux-arts du Québec et du Musée de la civilisation (MCQ) permettra de repenser ce qui lie nos musées nationaux entre eux afin d’en faire un réseau exemplaire dont la solidité, si elle s’avère, percolera jusqu’aux musées régionaux.

Le rêve esquissé par François Legault se frottera bientôt à un réel qu’il a, en vérité, mieux balisé que son annonce mal ficelée. Le MCQ, qui aura la tâche de concevoir les contenus et d’aménager les espaces d’exposition de ce nouveau musée national, a en effet les ressources et le savoir nécessaires pour y arriver. Il pourra au surplus compter sur les lumières d’un comité scientifique, de même que sur celle d’un duo d’éclaireurs formé d’Éric Bédard et de Jenny Thibault, qui veilleront sur les destinées historiques et numériques du nouveau musée.

Espérons seulement que le gouvernement Legault aura l’humilité de s’appuyer sur leur vision commune pour la suite du projet. Car le bon récit national, celui qui a le pouvoir d’élever et de rassembler un peuple derrière lui, peut, oui, devenir un formidable legs, pour peu qu’il ne se conjugue pas qu’au « je ». Conjugué aussi au « nous », son engagement en faveur de notre fierté nationale pourrait même constituer un vigoureux — et redoutable ! — cultivar. S’il est planté dans un sol adéquat, bien sûr.

Source: Éditorial | Une fierté nationale mal placée

Soucy: Cohérence médicale pour les migrantes enceintes

Soucy makes a valuable distinction between birth tourists and vulnerable and precarious migrant women, some 2,000 according to RAMQ. Will be interesting to see whether Quebec provides a waiver to the non-resident medical surcharge or not:

Les enfants ne naissent pas d’une fleur : la santé de la mère est intimement liée à celle de l’enfant. La jolie formule utilisée par Médecins du monde résume bien l’incohérence de refuser aux mères ce qu’on a bien voulu accorder à leurs petits à venir, soit une couverture de santé bétonnée par un accès sans condition (sinon celle d’être présents sur le territoire plus de six mois) aux régimes d’assurance maladie et d’assurance médicaments, peu importe leur lieu de naissance ou le statut migratoire de leurs parents.

Il n’est pas inutile de rappeler que le projet de loi 83, qui a permis cette avancée, a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en juin 2021. Guidés par des objectifs « d’équité et de solidarité », les partis n’avaient alors pas manqué de réclamer la même chose pour les mères en devenir. Il est bien documenté que l’absence de suivi de grossesse vient avec des risques accrus notamment de fausse couche et de césarienne, mais aussi de prématurité, de détresse foetale et de petits poids chez les nouveau-nés.

Outre leurs effets délétères sur les humains concernés, ces éléments pèsent lourd sur notre système de santé engorgé, en plus de nous coûter collectivement plus cher à long terme. Sensible à tous ces arguments tant éthiques et sanitaires qu’économiques, le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait immédiatement mandaté la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) afin qu’elle évalue les options qui s’offrent pour combler cette brèche.

Déposé en juin dernier, son rapport présente quatre solutions, dont le statu quo, qui va contre la volonté parlementaire. Au vu et au su des cas déchirants rapportés par les médias ces derniers mois, et dont le nombre grandit à vue d’oeil, il est clair que cette option n’en est pas une. Au Québec, un accouchement sans complications après un suivi de grossesse normal aura coûté entre un peu moins de 10 000 $ et jusqu’à près de 20 000 $ à qui n’a pas d’assurance maladie. Pour nombre de femmes enceintes à statut précaire, une facture de cette ampleur agit non seulement comme un frein, mais aussi comme un accélérateur de paupérisation terrible.

Ceux qui agitent l’épouvantail du tourisme médical dans ce dossier n’ont pas complètement tort. Ce phénomène existe bel et bien au Canada, nourri notamment par ce qu’on pourrait appeler une double citoyenneté de complaisance. Le Québec n’y échappe pas, lui qui a un fructueux historique en matière de tourisme obstétrique, rappelle la RAMQ. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici.

Ce dont il est question, c’est d’une couverture d’assurance maladie pour les soins de santé sexuelle et reproductive accessible à toutes les femmes qui vivent au Québec (et non pas celles qui y transitent pour en soutirer le meilleur avant de repartir avec leur petit bonheur sous le bras), indépendamment de leur statut migratoire. Plusieurs pays offrent déjà ce genre de formules, comme la France, la Belgique, l’Allemagne et même quelques États du voisin américain, pourtant peu réputé pour sa générosité en matière de soins de santé.

Le Québec peut en faire autant pour les quelque 2000 femmes concernées par année, selon l’évaluation de la RAMQ. Celle-ci a retenu trois formules qui pourraient avoir des bienfaits notables dans la trajectoire de ces femmes et de leurs enfants à naître. Cela va de l’élimination de la surcharge de 200 % des coûts engagés imposée actuellement à la gratuité pour toutes, en passant par la gratuité pour les femmes migrantes qui répondent à des critères de vulnérabilité (comme la pauvreté et la sous-scolarisation).

Le ministre Dubé dit attendre les conclusions du groupe de travail censé soupeser ces options et en évaluer la faisabilité pour trancher. L’affaire n’est pas simple : il faudra être équitable tout en empêchant tous les abus possibles afin de garder une saine gestion du régime. Souhaitons, surtout, qu’il ne tarde pas.

À force de se déchirer sur le chemin Roxham, on a fini par perdre de vue une valeur cardinale chère aux Québécois, celle de prendre soin de notre monde. Indépendamment du nombre d’immigrants que le Québec veut ou peut accueillir — et qu’il faudra bien définir un jour —, des femmes sans statut vivent leur grossesse ici, maintenant. C’est fâcheux, mais une grossesse ne se met pas sur la glace.

Source: Cohérence médicale pour les migrantes enceintes

Rioux Soucy: Entrave Canada [passport, visa and immigration delays]

More on backlogs and delays:

L’administration canadienne est-elle en train de s’écrouler sous le poids de sa propre incurie ? Dans l’ombre de la crise des passeports et des longs reports déplorés par d’infortunés prestataires de l’assurance-emploi, d’autres crises — celles des visas, des permis d’études pour les étudiants étrangers et des permis de travail pour les travailleurs étrangers — font rage. Les chiffres et les témoignages colligés par Le Devoir ces derniers jours montrent que tous les indicateurs sont au rouge. Un rouge très foncé.

L’Orchestre de la francophonie a dû se résoudre à faire le deuil de plusieurs stagiaires estivaux, faute de visas obtenus à temps. Une première depuis que l’académie s’est ouverte au monde, en 2009. Le Festival international Nuits d’Afrique, lui, a vu la porte se refermer au nez de sa tête d’affiche. Ces dernières semaines, le passeport de la vedette pop nigériane Yemi Alade l’aura fait voyager en Grande-Bretagne, en France et en Belgique. Pas ici, on a eu trop peur qu’elle et son orchestre s’enracinent au pays.

Dans le milieu culturel, on est familiarisé avec ce type d’embûches, qui n’ont cessé de se multiplier, notamment pour les festivals, force vive et carte de visite mondiale de la culture d’ici. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) compte sur une Unité des événements spéciaux avec laquelle les organisations ont douloureusement appris à travailler. Elle aurait même développé une certaine expertise, blaguent mi-figue, mi-raisin, certains programmateurs.

Mais à l’image de l’administration canadienne, la fameuse Unité connaît « des délais plus longs que d’habitude », admet candidement IRCC. Avec pour effet que de nombreux invités internationaux du congrès mondial en agroforesterie à l’Université Laval, en majorité des Africains, n’ont pas pu faire le voyage jusqu’au Québec. On craint maintenant la même chose pour la venue de centaines de spécialistes africains à une conférence internationale sur le sida qui s’ouvrira vendredi, à Montréal. Un point commun entre ces déconfitures en série ? Les voyageurs recalés viennent en majorité d’Afrique, ou de certaines zones d’Amérique du Sud ou d’Asie.

Pour un pays qui se drape dans les vertus d’un multiculturalisme tous azimuts, cette frilosité étonne. Elle a toutes les allures d’un système discriminatoire. Une compilation du Devoir montre que le Canada met jusqu’à cinq mois pour traiter une demande dans certains pays. Du jamais vu. Les disparités par pays sont énormes, avec des pics évidents au Moyen-Orient et en Afrique. Si on attend son visa entre 10 et 20 jours au Royaume-Uni ou au Suriname, à l’autre bout du spectre, l’Arabie saoudite remporte la palme des pires délais avec 219 jours d’attente. Le Bénin suit avec 177 jours.

IRCC nie tout parti pris : les demandes seraient examinées de « façon uniforme », et avec « les mêmes critères ». Un exercice semblable mené par Le Devoir pour décortiquer les délais auxquels se heurtent les travailleurs étrangers pour l’obtention d’un permis de travail expose pourtant une répartition en tous points semblable à celle des visas, avec des pics vertigineux de plus d’un an dans certaines régions du monde. Sur le terrain, les employeurs s’arrachent les cheveux, au point de faire parfois une croix sur les pays qui affichent les pires bilans. Trop long, trop incertain, trop paupérisant.

Il est consternant de constater combien la machine canadienne est aveugle à ses propres turpitudes. Non, elle ne voit pas le déséquilibre que nos cartes permettent de voir en un clin d’oeil. Pire, elle s’illusionne en publiant des délais estimés de traitement qui n’ont parfois rien à voir avec la réalité. Les voyageurs qui ont attendu leur passeport ont déjà joué dans ce mauvais film. C’est le cas aussi pour des étudiants étrangers en attente d’un permis d’études. IRCC évalue leur traitement à 12 semaines. Le Devoir a montré ce week-end que des dizaines d’étudiants francophones africains admis dans des universités canadiennes attendent plutôt leur précieux sésame depuis de longs mois, certains depuis plus d’un an.

Le gouvernement Trudeau admet que ses services sont surchargés, mais il refuse l’idée qu’ils soient rendus dysfonctionnels. Il préfère se réfugier derrière le commode paravent pandémique. Sclérosante pour toutes les organisations, la COVID-19 a certainement mis du sable dans l’engrenage. Mais cet engrenage, on le savait déjà passablement mal huilé. En 2017, une étude du World Economic Forum plaçait le Canada 120e sur 136 pays en matière de visa, voyant sa politique en la matière comme l’une des plus alambiquées et opaques au monde. En 2019 ? 125e sur 139.

Avec la pandémie, cette étude annuelle a été mise sur pause, mais on peut parier qu’avec les délais que l’on connaît cette année, le Canada n’a pas pu améliorer son score. Le contrôle des frontières est légitime, mais il y a la manière. Ce n’est pas la première fois qu’IRCC se fait rappeler d’être plus transparent et, surtout, plus juste. À force de reporter ce chantier, le Canada joue sa réputation.

Source: Entrave Canada

En ligne avec Kafka

More harsh commentary on the passport wait times:

L’attente et le blocage inexcusables à Service Canada témoignent de la culture de non-responsabilisation à Ottawa.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la très ordinaire moyenne au bâton de Service Canada ne s’améliore pas. L’agence gouvernementale a déjà été passablement sur la sellette cette année avec des reports inexcusables pouvant atteindre jusqu’à des mois pour certains malheureux prestataires de l’assurance-emploi. Monsieur et madame Tout-le-Monde découvrent maintenant que cette apathie a gagné jusqu’aux bureaux des passeports, ce qui menace ainsi leurs vacances tout en éprouvant solidement leur patience.

Un problème de riches, le goulot d’étranglement qui paralyse la délivrance et le renouvellement des passeports d’un océan à l’autre ? Forcément. Mais pas seulement, en ce sens qu’il vient braquer les projecteurs sur tout ce qui fait défaut au point d’accès unique, et plus largement au gouvernement Trudeau, en matière de prestation de services.

Certes, les retards et les ratés du fédéral dans la prestation de service ne sont pas exclusifs aux libéraux, mais leur extrême frilosité à intervenir auprès de la fonction publique, elle, l’est. Épinglé plus tôt cette année pour des délais éhontés sur le front de l’immigration — le ministre responsable, Sean Fraser, a lui-même qualifié ces retards d’« incroyablement frustrants » —, ce gouvernement semble au surplus incapable de voir venir les crises. Pis, même une fois qu’il a les deux pieds dedans, sa courte vue l’empêche d’en prendre la pleine mesure, et donc d’intervenir en conséquence.

Il y avait quelque chose de douloureux à écouter la ministre responsable du dossier, Karina Gould, tenter de minimiser la crise il y a encore deux semaines. Mal informée, elle s’était embrouillée dans les temps d’attente, niant même jusqu’à l’existence de pratiques douteuses pourtant largement documentées sur le terrain, comme cette fameuse règle secrète voulant que seules les demandes déposées à moins de 48 heures, voire 24 heures, du départ soient traitées dans certains bureaux.

Pressée de toutes parts, la ministre Gould a finalement admis avoir dû clarifier plusieurs points la semaine dernière. Elle a en outre annoncé une panoplie de mesures (dont l’embauche prochaine de 600 personnes, des heures de service allongées, y compris le week-end, et un outil pour évaluer les délais d’attente). De belles promesses que les fonctionnaires sur le plancher, même avec la meilleure volonté du monde, n’arrivent toujours pas à concrétiser. Car il n’y a pas que les Canadiens qui font les frais de ce ratage spectaculaire, les employés de Service Canada paient aussi le prix fort de cette absence de vision.

Sur le terrain, c’est encore la débrouille qui règne (et un peu la colère, avec des interventions policières çà et là pour faire retomber la pression). Il était pourtant écrit dans le ciel que les Canadiens se bousculeraient au portillon de Service Canada sitôt que les conditions sanitaires le permettraient. Plus de deux ans de surplace pandémique donnent la bougeotte. Nous ne sommes pas les seuls. Les Américains, les Anglais ou encore les Australiens vivent des affres similaires, a mollement argué la ministre Gould. À la différence près, qu’ici, Service Canada a sciemment mis le couvercle sur la marmite.

Pendant qu’ils rêvaient d’évasion sagement confinés à la maison, les plus prévoyants qui ont voulu profiter de l’accalmie pour renouveler leur passeport ont plutôt été découragés. On a aussi fait complètement abstraction du fait que les premiers passeports valides pour dix ans (permis depuis le 1er juillet 2013) allaient bientôt massivement arriver à leur terme. Résultat : du 1er avril 2020 au 31 mars 2021, le Canada n’a délivré que 363 000 passeports, soit 20 % de son volume habituel. Normalement, Service Canada recense 5000 appels par jour en lien avec un renouvellement de passeport. Il en recense maintenant plus de 200 000.

Ces chiffres ont artificiellement mis la table pour la débandade que l’on connaît. Et les voyageurs ne sont pas au bout de leurs peines. Contre toute logique, Ottawa n’a jamais cessé de défendre bec et ongles sa très imparfaite application ArriveCAN, source de plusieurs mécontentements chez les voyageurs qui ont eu maille à partir avec elle. Pour certains, faute d’avoir rempli le formulaire à temps, cela s’est traduit par une quarantaine forcée, même si leur vaccination était en règle et que leur test PCR était nickel.

Disposé à jeter du lest, le gouvernement a annoncé que l’obligation pesant sur les voyageurs de fournir une preuve vaccinale contre la COVID-19 avant de monter à bord d’un avion ou d’un train au pays serait abrogée à partir lundi. La logique aurait voulu qu’ArriveCAN, dont la raison d’être est liée au statut vaccinal des voyageurs, passe à la trappe en même temps. Mais Ottawa la maintient, comprenne qui pourra.

Voilà de toute évidence un gouvernement plus attaché à dicter la norme qu’à mettre la main à la pâte pour la faire respecter. Cela dépasse largement l’anecdote. Réticent à intervenir auprès de la fonction publique, même quand celle-ci aurait besoin d’une direction plus affirmée, il cultive une culture de la non-responsabilisation dont témoigne cet épisode aussi navrant que kafkaïen.

Source: En ligne avec Kafka