Lanctôt: Préparer l’avenir [future waves of climate refugees]
2023/02/25 Leave a comment
Reminder that today’s problems may be insignificant compared to the futuree:
Puisqu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud et qu’on fait tout pour qu’il le demeure, nous y voilà encore. La panique entourant le chemin Roxham semble s’être installée pour de bon, dans les termes déplorables qu’on connaît. Si au moins il s’agissait de braquer les projecteurs sur le drame humain qui se joue dans l’espace liminal des frontières, ce serait une chose. Or, c’est sur le « fardeau » de l’accueil qu’on se focalise, pendant que les demandeurs d’asile eux-mêmes flottent en périphérie de la discussion, comme une simple variable dans un calcul qui se fait sur leur dos, mais sans eux.
C’est ainsi que, cette semaine, le premier ministre François Legault s’est adressé directement à son homologue fédéral, Justin Trudeau, pour exiger qu’Ottawa agisse pour soulager le Québec de la pression exercée par les demandeurs d’asile sur sa société. La lettre est remarquable en ce qu’elle condense, en quelques paragraphes, plusieurs années d’une construction méticuleuse de la version toute québécoise du discours sur le péril migratoire aux frontières.
Les États-Unis, l’Europe aussi, ont une longueur d’avance à ce chapitre, alors que ces discours se construisent, se reconfigurent et se peaufinent depuis bien plus longtemps. Mais alors que la migration d’urgence s’intensifie partout dans le monde, le Québec fait face soudain, lui aussi, à une détresse qu’il lui était autrefois plus facile d’ignorer. Sans surprise, on réagit en important les dispositifs idéologiques qui, partout ailleurs, président au durcissement des frontières et à la construction de la figure du migrant comme menace.
François Legault l’a bien compris, et sa lettre à Justin Trudeau est une formidable radiographie de la panique migratoire telle qu’elle se vit chez nous. Le premier ministre québécois campe d’abord ses revendications sur le terrain de la défense des services publics, soulignant que l’arrivée « massive » de demandeurs d’asile au Québec pèse bien lourd sur des institutions déjà à bout de souffle.
Il ne se trouvera personne pour le contredire : les services publics, tout comme les groupes communautaires — à qui l’on demande d’éponger le trop-plein du réseau public avec une fraction des ressources —, sont poussés à bout de manière structurelle. La crise est chronique, et elle a été délibérément fabriquée par des décennies de gouvernance néolibérale.
Il est vrai que les ressources manquent pour accompagner les demandeurs d’asile de manière digne. Les histoires que l’on entend brisent le coeur ; des familles qui passent d’un refuge à l’autre, des gens contraints de dormir dans la rue après avoir traversé la frontière par Roxham, une attente interminable pour obtenir de l’aide financière, et le dépassement bien réel des organismes qui prodiguent de l’aide immédiate. Tout cela est insupportable, sauf qu’on pose le problème à l’envers : notre échec à accueillir correctement ces personnes est le symptôme de carences préexistantes, et non leur cause. On pointe la lune et on regarde le doigt.
Il faudrait plutôt renverser la question : comment se fait-il que le Québec n’ait rien de mieux à offrir que l’itinérance et des dédales administratifs déshumanisants à des personnes qui ne demanderaient pas mieux que de pouvoir contribuer à la société québécoise ?
François Legault brandit le chiffre de 39 000 migrants arrivés de manière irrégulière en 2022, ajoutant que cela s’ajoute aux 20 000 personnes admises par voie régulière. Il veut souligner, on l’imagine, l’ampleur de la contribution du Québec. Or, comme le remarquait la directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, France-Isabelle Langlois, dans une lettre parue dans ces pages, on compte actuellement 100 millions de personnes déplacées de force à travers le monde. À travers les Amériques, la Colombie accueille à elle seule 1,8 million de personnes. On estime par ailleurs que d’ici 2050, plus de 200 millions de personnes seront déplacées par la crise climatique à l’échelle mondiale.
Qu’à cela ne tienne, le Québec, lui, a déjà statué quant à sa responsabilité dans la prise en charge des mouvements de population mondiaux : « La capacité d’accueil du Québec est désormais largement dépassée », écrit le premier ministre. François Legault le dit sans détour : il ne veut pas améliorer la capacité d’accueil du Québec. Il ne demande pas à Ottawa plus de ressources pour mieux accueillir. Il affirme au contraire que le Québec en a déjà fait assez, et qu’il espère même être dédommagé pour les efforts déjà déployés.
Il fait ensuite un pas de côté pour mentionner le déclin du français à Montréal, qu’il associe, d’ailleurs, à l’arrivée de tous les migrants, pas seulement les demandeurs d’asile — après tout, il a une base à exciter. Puis, il réclame l’élargissement de l’entente sur les tiers pays sûrs à tous les points d’entrée au Canada, et la fermeture complète du chemin Roxham. Comme si l’interdiction de demander l’asile au Canada par voie terrestre, ainsi que la fermeture d’un seul point d’entrée devenu emblématique n’allaient pas tout simplement pousser plus de gens sur des routes clandestines.
Au-delà de ce que cette lettre dit de la situation présente, on y lit aussi l’ébauche, plus troublante, d’une vision à plus long terme. François Legault prépare le terrain, il entame doucement la normalisation du mot d’ordre qui sera celui de l’avenir cauchemardesque de la crise climatique : laissez-les se débrouiller.
Source: Préparer l’avenir