Lanctôt | Une «belle victoire» pour la Loi sur la laïcité

A critical perspective:

Il s’agit, à n’en point douter, d’une grande victoire pour le gouvernement Legault dans le dossier de la Loi sur la laïcité de l’État. Jeudi, la Cour d’appel du Québec a confirmé la validité de la Loi, affirmant les conclusions de la Cour supérieure quant à l’application des dispositions de dérogation et en annulant l’exception qui avait été accordée par la Cour supérieure au système scolaire anglophone.

« La Cour vient confirmer le droit du Québec de prendre ses propres décisions, c’est vraiment une belle victoire pour la nation québécoise », déclarait le premier ministre, François Legault, en conférence de presse, quelques heures après la publication du jugement.

En 2021, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure du Québec avait déjà maintenu l’essentiel de la « loi 21 » en concluant à la validité de l’utilisation préventive de la disposition de dérogation aux droits fondamentaux garantis par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.

Toutefois, le jugement formulait des commentaires inquiets quant à une utilisation aussi large de la disposition de dérogation. Le juge Blanchard notait que la loi 21 constituait le premier texte législatif dérogeant simultanément aux articles des deux chartes garantissant presque l’ensemble des droits et libertés dans la province. « Peu importe la perspective que l’on entretient face à la loi 21, notait-il, il faut souligner qu’il ne s’agit pas là d’une mince affaire. »

Sur le fond, il notait par ailleurs qu’il semblait « incontestable » que plusieurs dispositions de la loi violent non seulement les droits garantis par les chartes, mais aussi les droits découlant des instruments internationaux dont le Québec est signataire, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Là encore, dira-t-on, pas une mince affaire. Or, l’état du droit canadien, et c’est ce dont le gouvernement Legault et les défenseurs de la loi 21 se réjouissaient jeudi, le permet. Pour le dire vite, et reprenant l’analyse qu’ont fait tant la Cour supérieure que la Cour d’appel, en vertu de l’arrêt Ford de 1988, il suffit aux législatures des provinces d’inscrire les dérogations désirées dans la loi pour les soustraire au contrôle judiciaire.

Cet outil, quoique pertinent, est particulier au droit constitutionnel canadien : il tempère, d’une part, l’équilibre entre les provinces et le gouvernement fédéral. Il permet aussi de préserver l’autonomie de la législature face aux tribunaux.

Le Québec n’est pas la seule province à faire usage des dispositions de dérogation : le gouvernement de Doug Ford l’a fait en 2022, et plus récemment, la Saskatchewan aussi. Au Québec, en revanche, cet instrument, on le voit ces jours-ci, est chargé politiquement : déroger à cette vilaine Charte canadienne « qu’on n’a pas signée », ou encore à cette Charte québécoise qui, soi-disant, confère aux tribunaux un pouvoir démesuré, est devenu un marqueur politique clair, un appel du pied pour un certain électorat.

Ironiquement, la décision que le gouvernement Legault applaudit aujourd’hui témoigne que les tribunaux font preuve d’une grande déférence à l’égard de la législature. La décision de la Cour d’appel formule des remarques intéressantes à ce titre, en rappelant qu’il ne lui appartient pas de juger des motifs de suspendre les droits fondamentaux des citoyens ; et que le débat sur la portée des dispositions de dérogation a déjà eu lieu.

La Cour note ensuite qu’il revient aux citoyens, à la société civile, de décider si cette façon de faire du législateur lui convient. Votez en conséquence, dit-on en gros, cela n’est pas l’affaire des tribunaux.

Je crois qu’il s’agit en effet de la question fondamentale qu’il faut se poser en tant que citoyen.

Si les dispositions de dérogation agissent comme un contre-pouvoir face à Ottawa, face au contrôle judiciaire des lois en général, les droits fondamentaux, entre les mains des citoyens, constituent aussi un contre-pouvoir. On parle de préserver l’autonomie du législateur face aux tribunaux, mais qu’en est-il de protéger les citoyens face aux dérives législatives ?

L’équilibre est-il atteint ici, alors que l’on suspend la quasi-totalité des droits garantis par la Charte québécoise, pour une seule loi visant une affirmation nationale abstraite plus qu’elle ne répond à un enjeu réel ?

Dans ce dossier, on parle souvent de la nécessité de tempérer les droits individuels au profit des droits collectifs. Sauf que les droits collectifs sont toujours conditionnés par la possibilité d’exercer les droits individuels. Ces droits collectifs ne s’exercent pas dans l’abstrait, ils sont la somme des droits et des conditions d’existence que l’on garantit aux citoyens. Cela étant dit, est-on à l’aise avec l’érosion manifeste des droits des minorités religieuses provoquée ici ?

La réponse, on le comprend, est oui — en témoigne l’appui, auprès d’une certaine génération du moins, à la loi 21.

Je pense au contraire que nous nous tirons dans le pied et que nous fragilisons le tissu social en nous comportant de manière aussi ouvertement méprisante à l’égard des droits des minorités — pas juste religieuse, d’ailleurs. Construire, affirmer une identité collective « contre » quelque chose n’a jamais mené à de belles choses.

Le feuilleton de la « laïcité » (insistons sur les guillemets) a déjà laissé des cicatrices profondes dans la société québécoise, parce que ce « débat » a été mené sans égard à son effet stigmatisant sur l’ensemble des minorités. On prétend que l’affirmation du « nous » de la majorité y a gagné au change, alors au diable les dégâts collatéraux. Il me semble au contraire que les divisions n’ont jamais été aussi profondes, de toutes parts.

Aurélie Lanctôt, Chroniqueuse spécialisée dans les enjeux de justice environnementale, l’autrice est doctorante en droit à l’Université McGill.

Source: Chronique | Une «belle victoire» pour la Loi sur la laïcité

Lanctôt: Préparer l’avenir [future waves of climate refugees]

Reminder that today’s problems may be insignificant compared to the futuree:

Puisqu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud et qu’on fait tout pour qu’il le demeure, nous y voilà encore. La panique entourant le chemin Roxham semble s’être installée pour de bon, dans les termes déplorables qu’on connaît. Si au moins il s’agissait de braquer les projecteurs sur le drame humain qui se joue dans l’espace liminal des frontières, ce serait une chose. Or, c’est sur le « fardeau » de l’accueil qu’on se focalise, pendant que les demandeurs d’asile eux-mêmes flottent en périphérie de la discussion, comme une simple variable dans un calcul qui se fait sur leur dos, mais sans eux.

C’est ainsi que, cette semaine, le premier ministre François Legault s’est adressé directement à son homologue fédéral, Justin Trudeau, pour exiger qu’Ottawa agisse pour soulager le Québec de la pression exercée par les demandeurs d’asile sur sa société. La lettre est remarquable en ce qu’elle condense, en quelques paragraphes, plusieurs années d’une construction méticuleuse de la version toute québécoise du discours sur le péril migratoire aux frontières.

Les États-Unis, l’Europe aussi, ont une longueur d’avance à ce chapitre, alors que ces discours se construisent, se reconfigurent et se peaufinent depuis bien plus longtemps. Mais alors que la migration d’urgence s’intensifie partout dans le monde, le Québec fait face soudain, lui aussi, à une détresse qu’il lui était autrefois plus facile d’ignorer. Sans surprise, on réagit en important les dispositifs idéologiques qui, partout ailleurs, président au durcissement des frontières et à la construction de la figure du migrant comme menace.

François Legault l’a bien compris, et sa lettre à Justin Trudeau est une formidable radiographie de la panique migratoire telle qu’elle se vit chez nous. Le premier ministre québécois campe d’abord ses revendications sur le terrain de la défense des services publics, soulignant que l’arrivée « massive » de demandeurs d’asile au Québec pèse bien lourd sur des institutions déjà à bout de souffle.

Il ne se trouvera personne pour le contredire : les services publics, tout comme les groupes communautaires — à qui l’on demande d’éponger le trop-plein du réseau public avec une fraction des ressources —, sont poussés à bout de manière structurelle. La crise est chronique, et elle a été délibérément fabriquée par des décennies de gouvernance néolibérale.

Il est vrai que les ressources manquent pour accompagner les demandeurs d’asile de manière digne. Les histoires que l’on entend brisent le coeur ; des familles qui passent d’un refuge à l’autre, des gens contraints de dormir dans la rue après avoir traversé la frontière par Roxham, une attente interminable pour obtenir de l’aide financière, et le dépassement bien réel des organismes qui prodiguent de l’aide immédiate. Tout cela est insupportable, sauf qu’on pose le problème à l’envers : notre échec à accueillir correctement ces personnes est le symptôme de carences préexistantes, et non leur cause. On pointe la lune et on regarde le doigt.

Il faudrait plutôt renverser la question : comment se fait-il que le Québec n’ait rien de mieux à offrir que l’itinérance et des dédales administratifs déshumanisants à des personnes qui ne demanderaient pas mieux que de pouvoir contribuer à la société québécoise ?

François Legault brandit le chiffre de 39 000 migrants arrivés de manière irrégulière en 2022, ajoutant que cela s’ajoute aux 20 000 personnes admises par voie régulière. Il veut souligner, on l’imagine, l’ampleur de la contribution du Québec. Or, comme le remarquait la directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, France-Isabelle Langlois, dans une lettre parue dans ces pages, on compte actuellement 100 millions de personnes déplacées de force à travers le monde. À travers les Amériques, la Colombie accueille à elle seule 1,8 million de personnes. On estime par ailleurs que d’ici 2050, plus de 200 millions de personnes seront déplacées par la crise climatique à l’échelle mondiale.

Qu’à cela ne tienne, le Québec, lui, a déjà statué quant à sa responsabilité dans la prise en charge des mouvements de population mondiaux : « La capacité d’accueil du Québec est désormais largement dépassée », écrit le premier ministre. François Legault le dit sans détour : il ne veut pas améliorer la capacité d’accueil du Québec. Il ne demande pas à Ottawa plus de ressources pour mieux accueillir. Il affirme au contraire que le Québec en a déjà fait assez, et qu’il espère même être dédommagé pour les efforts déjà déployés.

Il fait ensuite un pas de côté pour mentionner le déclin du français à Montréal, qu’il associe, d’ailleurs, à l’arrivée de tous les migrants, pas seulement les demandeurs d’asile — après tout, il a une base à exciter. Puis, il réclame l’élargissement de l’entente sur les tiers pays sûrs à tous les points d’entrée au Canada, et la fermeture complète du chemin Roxham. Comme si l’interdiction de demander l’asile au Canada par voie terrestre, ainsi que la fermeture d’un seul point d’entrée devenu emblématique n’allaient pas tout simplement pousser plus de gens sur des routes clandestines.

Au-delà de ce que cette lettre dit de la situation présente, on y lit aussi l’ébauche, plus troublante, d’une vision à plus long terme. François Legault prépare le terrain, il entame doucement la normalisation du mot d’ordre qui sera celui de l’avenir cauchemardesque de la crise climatique : laissez-les se débrouiller.

Source: Préparer l’avenir