While I wouldn’t class J.K. Rowling the same as the “pyromanes” Elon Musk and Donald Trump, valid point on the convergence of the nationalist right wing across countries:
Il y a désormais 20 ans, l’été normalement très peu politique des gens de Québec était interrompu par une manifestation de 50 000 personnes se portant à la défense de CHOI Radio X et de son animateur vedette Jeff Fillion alors que la licence de la station était menacée par une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC. Les voitures de mon quartier étaient placardées d’autocollants où on pouvait lire : « Liberté ! Je crie ton nom partout ! »
Liberté de quoi ? Liberté, pour Jeff Fillion, d’insulter les femmes, les immigrants, les gais, les pauvres, les politiciens : bref, à peu près tout le monde. Du moins, c’était là le type de propos dits « controversés » qui avaient justifié la décision du CRTC.
En septembre 2004, une élection partielle dans mon comté, Vanier, a fait entrer à l’Assemblée nationale un nouveau député de l’Action démocratique du Québec (ADQ), Sylvain Légaré. Le chef de l’ADQ, Mario Dumont, avait vu dans la mobilisation locale une occasion politique en or et avait fait campagne en se portant à la défense de Radio X.
Cette page d’histoire locale illustre bien le contexte social et politique dans lequel a émergé ce qu’on a appelé la « crise des accommodements raisonnables ». L’été 2004 représente en quelque sorte une version bêta de l’alliance entre personnalités médiatiques populistes et politiciens populistes qui permet aux uns de normaliser leurs idées dans l’espace public et aux autres de faire des gains électoraux à court terme.
La recette testée cet été-là a été adaptée à l’échelle de la province dans les années qui ont suivi. D’un côté, des anecdotes médiatiques du type « les immigrants et les minorités exagèrent » ont trouvé leur courroie de relais à l’Assemblée nationale. De l’autre, le nouveau paradigme parlementaire a décuplé la proportion du débat public québécois qui divise la population sur la base des attitudes face à « l’identitaire ». À bien des égards, on vit toujours dans ce paradigme.
La métamorphose politique de ces années-là n’est toutefois pas unique au Québec. L’alliance entre médias de droite populiste et mouvements politiques conservateurs a aussi été cimentée par des hommes bien plus puissants, tels que Rupert Murdoch, propriétaire de la chaîne américaine Fox News comme de plusieurs médias du même acabit au Royaume-Uni et en Australie, et Vincent Bolloré, propriétaire de CNews et de plusieurs autres chaînes françaises. Ces hommes ont transformé non seulement les médias, mais aussi le champ des idées politiques acceptables et la manière de débattre dans leurs pays d’activité respectifs.
À bien des égards, la dynamique politique des années 2000, c’était le bon vieux temps. L’enfance du problème, en quelque sorte.
Ou du moins, c’est ce qui m’appert alors que je regarde comment des présupposés sur l’identité religieuse du suspect dans une affaire de meurtre servent de bougie d’allumage à une vague d’émeutes violentes portée par des mouvements d’extrême droite en Grande-Bretagne. Ou quand je vois comment la Russie, frustrée d’être exclue des Jeux olympiques, contribue à semer le doute sur l’identité de genre d’une boxeuse algérienne, Imane Khelif, de manière à faire s’entre-déchirer tout l’Internet occidental pris au piège dans ses « guerres culturelles ».
Je suis tentée de distribuer à J.K. Rowling, Elon Musk et Donald Trump les trois médailles d’une nouvelle discipline olympique : celle de l’ultrariche pyromane. Je laisse au jury le soin de terminer à qui revient l’or, l’argent et le bronze, mais de toute évidence, ces trois-là ont formé le peloton de tête cette semaine.
Je dis que les années 2000 m’apparaissent comme un temps plus doux, parce que dans l’affaire Khelif, nos populistes locaux se sont simplement fait les perroquets de nos champions internationaux ultrariches pyromanes. Depuis l’avènement des médias sociaux et la montée mondiale du populisme de droite, les dérapages qui empoisonnent nos débats d’idées sont de moins en moins désignables comme « nos » dérapages.
Du temps du code de vie d’Hérouxville, ça chauffait, certes, mais on se sentait un peu moins directement comme les pantins des milliardaires de la mondialisation en manque d’attention. On pouvait se battre contre les préjugés toxiques à armes tout de même plus égales lorsqu’on n’avait pas carrément les algorithmes de plateformes comme X contre nous.
En 2008, le rapport Bouchard-Taylor avait désigné, finalement, la « crise des accommodements raisonnables » comme une crise de perception alimentée par des anecdotes montées en épingles par certains médias d’ici. Ce que l’actualité de la semaine démontre, en quelque sorte, c’est que le carburant de nos crises de perception est plus que jamais complètement sorti des champs de compétence provinciaux.
La « bollorisation » des médias français influence directement les élites politiques et médiatiques québécoises admiratives de l’Hexagone. Les guerres culturelles de Fox News sont adaptées à la sauce canadienne par le mouvement conservateur de Pierre Poilievre. Par TikTok et YouTube, les masculinistes parlent aux jeunes de partout dans le monde. Et les propagandistes russes alimentent les complotistes occidentaux sur des plateformes où la vérification des faits a pour ainsi dire pris le bord. En fin de compte, la circulation des idées réactionnaires sur l’immigration, les minorités, les femmes et l’identité de genre s’est accélérée et internationalisée de manière phénoménale depuis 2008.
Entendons bien : les idées ont toujours circulé et circuleront toujours. Cela dit, des commissaires auraient bien du mal, en 2024, à pointer une origine précisément locale à nos « crises de perception » contemporaines sur les drag queens, les trans, les femmes trop masculines, les immigrants qui prennent trop de place, etc.
C’est là un grand paradoxe des nationalismes conservateurs contemporains. Tout en vantant la nation, ils s’appuient sur des discours qui ont de moins en moins de contenu spécifiquement national. De la France au Royaume-Uni, des États-Unis à l’Italie, de l’Espagne au Canada, les scénarios semblent de plus en plus interchangeables — et la « question de l’heure », hors de notre contrôle.