Rioux | Victoires à la Pyrrhus

One pessimistic longer term take on the French election results:

« Il faut que tout change pour que rien ne change », dit le dicton attribué à Tancrède, le jeune noble interprété par Alain Delon dans Le guépard de Visconti. Rarement une phrase aura mieux décrit le psychodrame qui s’est joué en France depuis trois semaines.

Tel est en effet le bilan de ces élections législatives déclenchées sur un coup de tête par Emmanuel Macron dans des délais qui ignorent toute exigence démocratique. Comment qualifier autrement des élections qui auront tout au plus permis à un président narcissique de revenir au centre du jeu, pour un temps du moins, et enfoncé le pays dans une forme de paralysie durable dont il ne pourra pas sortir avant un an, une nouvelle dissolution n’étant pas possible plus tôt ? À moins que le cauchemar ne dure jusqu’à la prochaine présidentielle, dans un peu moins de trois ans.

Car les « barrages » ne font ni un programme ni une majorité. On aura beau tourner les résultats dans tous les sens, personne ne sort victorieux de cette inutile saga électorale. Quel qu’il soit, le prochain gouvernement devra gouverner par ordonnances et faire passer ses lois à coups de procédures d’exception.

À tout seigneur tout honneur, commençons par la gauche, qui est la seule à crier victoire dans la cacophonie ambiante. Avec 182 députés, le bloc de gauche du Nouveau Front populaire arrive miraculeusement en tête, mais à des kilomètres de la majorité absolue (289). Cette pseudo-victoire n’a été possible qu’avec une alliance contre nature, qui a même vu l’ancien premier ministre Édouard Philippe voter communiste pour la première fois de sa vie ! La gauche a d’autant moins raison de crier victoire que sa propre union ressemble à un panier de crabes, où l’on trouve indifféremment un ancien président discrédité comme François Hollande, un « antifa » fiché par les services de police comme Raphaël Arnault, ainsi que des sociaux-démocrates ragaillardis, mais dont le leader Raphaël Glucksmann n’a cessé de traiter d’antisémite celui qui demeure le seul véritable patron de la gauche, Jean-Luc Mélenchon.

Sans oublier que son programme économique, avec ses 230 milliards d’euros de dépenses supplémentaires d’ici 2027, plongerait dans un chaos indescriptible un pays déjà considéré comme l’homme malade de l’Europe et déclassé par les agences de notation. L’arrivée d’un premier ministre comme Jean-Luc Mélenchon apparaîtrait comme un coup fatal. D’autant que le pays devra justifier dès l’automne des compressions de 20 milliards d’euros dans ses budgets.

Avec 168 élus, l’ancienne majorité présidentielle évite la déroute, mais à quel prix ? Le président a peut-être démontré son habileté tactique, mais, dans son camp, son autorité est plus qu’émoussée. Même son premier ministre, Gabriel Attal, a pris ses distances, affirmant n’avoir pas choisi cette dissolution et avoir « refusé de la subir ». Les électeurs n’auront finalement accordé à Emmanuel Macron qu’une forme de sursis, alors qu’il s’apprête à présider un pays qui ressemble plus à la IVe République qu’à celle voulue par le général de Gaulle en 1958. De triste mémoire, cette IVe République avait connu 22 gouvernements en 12 ans, dont 9 avaient duré moins de 41 jours.

Au fond, le portrait qu’offre cette nouvelle Assemblée est à l’opposé de celui que dessinent les suffrages exprimés. À cause du front dit « républicain » contre une « extrême droite » à laquelle les Français croient de moins en moins, le parti le moins représenté à l’Assemblée se trouve être celui qui a recueilli le plus de voix. Avec ses 8,7 millions de voix (contre 7,4 millions à l’alliance de gauche et 6,5 millions à celle du centre), le RN est le champion toutes catégories du vote populaire. Sa progression depuis 2022 est historique. C’est de plus le seul parti qui progresse avec l’apport de voix propres et non d’alliances circonstancielles.

Force est pourtant de constater que le « cordon sanitaire » — que l’ancien premier ministre Lionel Jospin avait lui-même qualifié de « théâtre antifasciste » — fonctionne toujours. Avec pour conséquence que la France se retrouve dans la situation absurde d’un pays qui n’a jamais été aussi à droite, alors même que le résultat de dimanche pourrait entraîner logiquement un tour de vis à gauche et la nomination d’un premier ministre de gauche.

Plus grave encore, les Français ne cessent de répéter qu’après le « pouvoir d’achat », l’immigration et l’insécurité sont leurs principales préoccupations. Deux mots qui figurent à peine dans les programmes du centre et de la gauche. Les idées du RN n’ont jamais été aussi populaires — et sa représentation, si élevée — , mais le parti n’a toujours pas le droit de s’approcher du pouvoir. Lundi, l’ancien conseiller de François Mitterrand Jacques Attali faisait le parallèle avec les élections législatives de 1978, où le Parti socialiste avait lui aussi remporté le premier tour, mais perdu le second. Trois ans plus tard, il entrait à l’Élysée.

Tout cela n’est peut-être que partie remise. En attendant, ces élections ne pourront qu’accentuer le ressentiment. Un ressentiment qui, contrairement aux scrutins précédents, risque de s’exprimer dans une forme de chaos non plus seulement dans la rue, mais aussi à l’Assemblée.

Nous n’avons encore rien vu.

Source: Chronique | Victoires à la Pyrrhus

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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