Nicolas: «Représenter»
2024/01/12 Leave a comment
Hard to disagree with overall arguments in favour of diverse representation and lived experiences. However, there is a risk in conflating the simpler diversity of appearance and identity with the more complex diversity of perspectives and thought. Governments and organizations have a tendency to choose representatives for such bodies from organizations and individuals generally in agreement with their preferred policy directions, a recent example being the federal Employment Equity Act Review Task Force:
En décembre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé la composition de son comité de sages sur l’identité de genre, lequel n’avait jamais été réclamé ni par les regroupements ni par les experts québécois liés à l’identité de genre. Parmi les trois personnes choisies, aucune n’est trans ou non binaire.
Dès l’annonce, des voix se sont élevées dans les communautés LGBTQ+ pour dénoncer l’initiative caquiste. Du bout des lèvres, la ministre de la Famille, Suzanne Roy, a fini par admettre qu’une personne trans ou non binaire aurait pu avoir un rôle de « représentation » sur le comité, mais que le gouvernement avait « décidé de faire autrement ».
Je pense qu’il y a dans ce fiasco une occasion de se pencher davantage sur cette notion de « représentation », qui a pris de plus en plus de place dans notre compréhension de l’équité et de l’inclusion sociale dans la dernière décennie.
Depuis décembre, plusieurs ont déjà fait le parallèle avec la question des femmes. Oserait-on aujourd’hui créer un comité de sages sur la condition féminine — ou même sur l’avortement, plus précisément — sans qu’il y ait de femmes autour de la table ? Bien sûr que non. Mais pourquoi ?
Non seulement parce que les femmes doivent être « représentées » lorsqu’on discute de ce qui les concerne. Mais aussi parce que les femmes disposent d’une expérience de vie qui, lorsqu’elle se conjugue à une quête de savoir et de compréhension de ce vécu, aboutit à une expertise de la condition féminine difficilement égalable. Parce que la médecine a été développée par et pour les hommes, un ensemble de savoirs sur leur propre corps dont les femmes disposaient a longtemps été dévalorisé par la science occidentale. Et encore aujourd’hui, la sous-représentation des femmes dans les sciences à l’université joue un rôle dans les priorités qui sont établies en recherche médicale. Plusieurs aspects de la santé reproductive sont sous-étudiés parce que les gens qui gèrent les fonds dans ces domaines ne sont pas à l’image de la population.
Il ne s’agit pas ici, donc, de simple « représentation ». Mais d’une perspective intégrant un vécu, ainsi que d’une expertise développée par une soif de connaissance quasi obsessive, qu’il est rare de développer à un tel niveau à moins que ce savoir ne soit lié à notre récit de vie.
Il y a aussi un souci du détail, un perfectionnisme, voire une absence de « droit à l’erreur » qui s’installent lorsqu’on sait que presque aucune personne qui nous ressemble n’a accès au lieu de pouvoir auquel on accède. Lorsqu’on sait qu’une bourde pourrait avoir une incidence sur toute une communauté déjà marginalisée et fragilisée socialement, mais qui nous est chère et avec laquelle on partage une partie de notre quotidien et de nos relations les plus intimes, on développe un sens éthique particulier dans notre rapport au travail.
Si le comité de sages sur l’identité de genre adopte des recommandations qui font du mal, au bout du compte, aux jeunes trans et non binaires du Québec, ses membres auront-ils, de la manière dont leurs cercles sociaux sont établis, à regarder ces jeunes dans les yeux, dans leur vie personnelle, une fois leur mandat public terminé ? Ou pourront-ils se soustraire aux conséquences de leurs actes en éteignant leur télévision et en refermant leurs journaux ?
Ce ne sont là que quelques aspects de cette notion de « représentation » rarement explicités dans nos débats sociaux sur la « diversité » dans les lieux de pouvoir. La superficialité avec laquelle la question est comprise mène à des bourdes dont les conséquences ne sont justement pas vécues par les gens qui les commettent.
Lorsque le comité a été annoncé, la ministre de la Condition féminine, Martine Biron, a quant à elle vu dans la composition un groupe qui sera « capable de s’élever un peu ». Il y a dans cette perspective une croyance populaire à laquelle il est aussi opportun de s’attarder.
Si les minorités d’une société (ou les personnes que l’on a minorisées dans les lieux de pouvoir, comme les femmes) sont souvent perçues comme des « représentantes » des groupes auxquels elles appartiennent, les individus issus des groupes majoritaires, eux, seraient « neutres », au-dessus de la mêlée, objectifs, mieux capables d’indépendance intellectuelle.
Or, ce n’est pas parce qu’un individu a moins été forcé par sa société à développer une réflexion explicite sur les groupes auxquels il appartient qu’il appartient moins à ces groupes. La majorité est un groupe. Les personnes cisgenres, dans le cas qui nous occupe, aussi.
On le voit bien dans le discours caquiste sur les inquiétudes de « la population » relatives aux questions de genre. Le sous-texte de toutes les déclarations du parti, c’est que « la population », « les parents inquiets » et « le monde ordinaire » n’incluent pas les personnes trans et non binaires.
Peu importe ce que pensent les trois personnes qui ont été nommées au comité, il faut comprendre que la Coalition avenir Québec les y a placées dans l’espoir d’en faire des « représentants » de cette « population » comprise comme excluant les minorités de genre. Il n’y a donc pas de « représentation » pour ces minorités et de « neutralité » pour les « sages ». Mais bien un choix politique de ne représenter que la perspective majoritaire dans un comité chargé de se pencher sur les minorités de genre.
Car l’expérience de vie et le vécu ne font pas qu’influer sur l’expertise développée par les personnes issues de groupes minoritaires : tous les humains sont constitués à partir de leur expérience de vie et de leur capacité plus ou moins développée à éprouver de l’empathie et de la curiosité pour les gens qui ne leur ressemblent pas.
Il n’y a pas, du côté majoritaire, l’universel et la « capacité à s’élever un peu », et, de l’autre, le « particularisme ». La société est formée par nos perspectives, nos angles morts, nos réseaux et nos intérêts, pour tous, partout, en tout temps.
Source: «Représenter»
