Nicolas: Claquer la porte 

Always interesting commentaries by Nicolas, and, given the variety of identities many of us have, of “slamming the door shut” rather than understanding and engaging:

Comme je suis liée au milieu universitaire, à la société civile puis au monde médiatique torontois, et du reste du Canada plus largement, depuis près de 13 ans, ma compréhension de notions comme le Québec bashing s’est nuancée au fil des années. On me permettra de partager ici quelques réflexions sur le sujet.

Notons que le concept de Québec bashing n’est pas utilisé ici de manière interchangeable avec la notion de « francophobie », qui regroupe un ensemble d’attitudes touchant directement les francophones qui sont en situation minoritaire, à l’extérieur du Québec. On pourra y revenir dans un autre texte.

Est-ce que « les Anglais nous méprisent et nous haïssent », comme l’avancent certains tribuns et autres fins sociologues peu réputés pour faire dans la dentelle ? La vérité, c’est que, tout comme la société québécoise s’est profondément transformée au cours des dernières décennies, le reste du pays n’est aussi plus ce qu’il était. Tout comme au Québec, donc, il y a ailleurs au Canada un clivage générationnel important entre ceux qui se souviennent des négociations constitutionnelles et des référendums, et ceux qui étaient trop jeunes. J’ai surtout été témoin, parmi les générations plus âgées, de deux attitudes principales.

La première est surtout nourrie par une lassitude : on n’a jamais vraiment compris (ou voulu comprendre) la différence québécoise, et on a l’impression que le Québec, politiquement, est une espèce d’enfant gâté qui utilise son poids politique dans la fédération pour ne pas jouer selon les mêmes règles que tout le monde. On a pu lire souvent, par exemple, que si Justin Trudeau n’a pas critiqué aussi vertement François Legault que Doug Ford pour leurs usages récents de la disposition de dérogation, c’est parce que le Québec fait l’objet d’un traitement de faveur.

La deuxième s’appuie sur une fascination parfois très sincère, parfois quelque peu fétichisée pour le Québec. Parce qu’on a encore un souvenir très vif de la fragilité de la fédération, une certaine élite canadienne exprime sa passion pour « l’unité nationale » par une curiosité particulière pour le Québec et son évolution.

Chez les plus jeunes (et les plus récemment arrivés au Canada), la question se pose autrement. Tant ici qu’ailleurs au pays, la question de « la différence québécoise » au sein du Canada a émergé politiquement pour les millénariaux et la génération qui les suit non pas par le débat sur la souveraineté, mais d’abord à travers toute la saga des accommodements raisonnables, puis par le débat sur la Charte des valeurs, le racisme systémique, les lois 21 et 96, etc.

Il y a une différence fondamentale — j’insiste, fondamentale — entre un jeune de Scarborough ou de Mississauga, immigrant ou enfant d’immigrant, qui n’entend parler politiquement du Québec qu’à travers le refus de sa classe politique de reconnaître le racisme systémique ou de nommer l’islamophobie, et un conservateur de l’Ontario ou du Manitoba rural qui a absorbé, un peu par osmose, les vieilles rengaines orangistes de ses aïeux. J’ai été beaucoup en contact avec l’un, par exemple, lorsque j’étais chargée de cours à l’Université de Toronto, alors que j’ai surtout vu l’autre sévir dans les sections commentaires de certains journaux.

Les deux posent, lorsqu’ils en ont l’occasion, des questions que l’on peut sentir empreintes d’une méconnaissance profonde de la société québécoise dans toute sa complexité et ses nuances. Mais les postures de base et les dynamiques de pouvoir qu’elles sous-tendent ne pourraient être plus diamétralement opposées. Je ne peux pas répondre à mon étudiante qui se préoccupe de l’impact des débats identitaires québécois sur le reste du climat politique canadien — et donc, en fin de compte, sur sa propre sécurité, comme s’il s’agissait de la réincarnation de James Wolfe prêt à revenir brûler nos villages avec son armée.

Cette différence, on est trop peu nombreux à la saisir au Québec. Pour la faire, il faudrait que ceux qui commentent ces questions se sortent eux-mêmes, un tant soit peu, de leur propre lassitude, indifférence, et ignorance du Canada dans toute sa complexité et ses nuances. Depuis le temps que je parcours la 401 dans un sens comme dans l’autre, il y a au moins une chose qui m’apparaît claire : dans ce pays, le sens de la caricature a toujours été parfaitement bilingue.• • • • •

Dans le contexte, on me demande parfois pourquoi je reste dans le dialogue avec le reste du Canada, ou pourquoi je ne claque pas la porte d’un média qui a déjà publié des opinions douteuses sur le Québec dans le passé. Serais-je ainsi complice du Québec bashing ?

La réponse, c’est que je suis une Québécoise francophone de même que je suis une femme, une personne noire et une personne queer. Si je croyais opportun de claquer la porte de toutes les salles de rédaction qui publient des opinions qui viennent heurter mon vécu personnel et familial tant sur le plan de la langue, de la race que du genre, je ne travaillerais plus nulle part, dans aucune langue. Personnellement, je préfère ne pas hiérarchiser les différents aspects de qui je suis, et tente de rester cohérente dans ma manière de réagir à toutes les attaques.

On en comprend que l’impatience, le brûlage de pont et le claquage de porte, donc, sont surtout des réflexes politiques partagés par les personnes socialisées comme majoritaires au sein de leur société. Il faut avoir le luxe, en quelque sorte, de savoir qu’on peut toujours éviter les dialogues difficiles en se repliant vers un monde où les normes sont pensées pour nous. Remarquons enfin que les francophones des autres provinces ont, de manière générale, développé une culture de la résistance politique très différente de celle qui s’affiche souvent au Québec.

Source: Nicolas: Claquer la porte 

About Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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