Lisée | Le Khmer bleu
2024/09/05 Leave a comment
Another interesting article by Lisée. May suggest BQ is concerned about apparent increase in support of Conservatives in Quebec but his points about vitriol are valid:
Lorsque Stephen Harper a pris le pouvoir en 2006, une de ses tâches les plus délicates était de maintenir l’unité d’un caucus de 124 députés. Certains des membres provenaient de l’ancien Parti conservateur, plus centriste, d’autres de l’ancien Reform Party, plus radicalement conservateur.
Le député de Nepean-Carleton, Pierre Poilievre, avait 26 ans. Il était le plus jeune député de la Chambre. Chaque mercredi au caucus conservateur, il se présentait au micro pour prêcher la bonne parole du conservatisme fiscal.
Poilievre avait des alliés. C’est que, la veille du caucus s’était réuni un groupe de députés partageant la même vision des choses, et déterminés à coordonner leur action pour contrebalancer l’influence des centristes, ces dépensiers, ces mous, ces libéraux égarés dans la grande tente de Harper. Le groupe avait débattu du nom qu’il devait se donner. Poilievre avait suggéré le « Liberty Caucus ». D’autres avaient proposé « True Blue ». Mais le député de Saskatchewan Andrew Scheer et l’Ontarienne Cheryl Gallant se disputent la paternité du nom finalement choisi : les Khmers bleus.
L’appellation est audacieuse, car elle renvoie aux Khmers rouges, les communistes cambodgiens qui ont à leur actif d’avoir torturé et assassiné plus d’un million et demi de leurs concitoyens — 25 % de la population du pays — entre 1975 et 1979. Vous me savez charitable, je conclurai donc que ce choix n’attestait pas d’une volonté d’assassiner leurs adversaires politiques. Seulement de les torturer. Je veux dire : psychologiquement. Au fond, ils exprimaient ainsi leur penchant pour l’intransigeance idéologique. C’est déjà assez chargé, merci. Détail intéressant : Maxime Bernier en était membre.
Harper était ravi de l’existence du groupe. Selon Andrew Lawton, qui raconte cet épisode dans son récent Pierre Poilievre: A Political Life (Sutherland), le premier ministre a indiqué à un des Khmers bleus que « les Red Tories et les députés québécois [deux groupes souvent indiscernables] étaient ceux qui réclamaient le plus d’attention dans les rencontres et exerçaient par conséquent une influence disproportionnée ».
Il fallait leur faire contrepoids. Un des membres du groupe, l’Albertain Rob Anders, se souvient que les rencontres produisaient chaque fois un consensus. « Puis nous nous présentions au caucus le matin suivant pour le marteler pendant les 30 secondes allouées à chaque député ». Un des Red Tories, Peter MacKay, décrit le jeune Poilievre comme un « faucon » se jetant comme sur une proie sur toute nouvelle dépense gouvernementale. Maintenant que Pierre Poilievre est dans l’antichambre du pouvoir, un trait de caractère s’impose, aiguisé par les années qui passent : l’intransigeance. Nous sommes en présence d’un homme politique volontaire, constant, d’une intelligence vive. Mais aussi d’un homme qui devait être absent, ou distrait, ou dissident, le jour où fut enseigné l’art de la nuance. Le jour aussi où il fut question de civilité, d’empathie, de « fair-play ».
Comme les Khmers cambodgiens, mais sans leur goût pour l’hémoglobine, Poilievre est partisan de l’affrontement total, de la terre brûlée, de l’annihilation (politique) de l’ennemi. J’en tiens pour preuve qu’il n’a pas le moindre scrupule à utiliser l’insulte personnelle et le mensonge pour arriver à ses fins.
L’insulte ? Affirmer que le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, est « un vendu » et que la seule raison pour laquelle il tient le gouvernement Trudeau au pouvoir n’est pas, comme il le dit, pour assurer aux Canadiens une assurance dentaire ou des médicaments gratuits, mais pour s’assurer de toucher sa pension, relève d’une volonté de détruire une réputation. Pas un programme, pas une idéologie, pas une proposition trop coûteuse : une réputation.
Le mensonge ? Cet été, le parti de Poilievre a diffusé une publicité peignant Singh comme un élitiste aimant les montres de luxe (il en a deux, reçues en cadeau), les BMW (vrai), les vestons bien coupés (vrai) et qui a fait ses études à Beverly Hills. Oups. La publicité omet de dire que c’est Beverly Hills, dans le Michigan. La volonté de tromper l’auditeur est patente. On y apprend aussi que Singh est un vendu, car il a décidé « de se joindre à Trudeau pour augmenter les taxes, les crimes et le coût de l’habitation ». En échange, il peut rester député jusqu’en 2025 pour ainsi « toucher sa pension de deux millions de dollars ».
Une pension de deux millions ? C’est beaucoup. En fait, il ne pourra la toucher qu’en 2035. En fait, elle ne sera que de 45 000 $ par an. Pour arriver à deux millions, il faut présumer qu’il ne mourra qu’à 90 ans, ce qui est vraisemblable, mais nullement scandaleux.
Beaucoup d’énergies sont investies par Poilievre et son équipe de Khmers bleus pour détruire l’adversaire, à l’aide d’exagérations — ce qui est courant — et de mensonges — ce qui n’était pas encore normalisé dans le discours politique canadien. Poilievre est un agent de propagation de l’irrespect mutuel.
En avril dernier, à la frontière du Nouveau-Brunswick, Poilievre a vu de sa voiture un groupe de manifestants arborant un drapeau « Fuck Trudeau ». Il s’est arrêté pour les saluer et leur a dit, au sujet du premier ministre : « Tout ce qu’il dit est de la bullshit. Tout, sans exception. » Peut-on imaginer Joe Clark, Brian Mulroney, même Stephen Harper aller gaiement à la rencontre de gens portant un message aussi grossier, les encourager et manquer à ce point de respect pour leur adversaire politique ? La réponse est évidemment non.
Au moment où les Américains pourraient (j’insiste sur le conditionnel) tourner la page sur dix ans de vitriol, les Canadiens s’apprêtent, l’an prochain, à entrer dans la zone de fiel.
Source: Chronique | Le Khmer bleu
Computer translation:
When Stephen Harper took power in 2006, one of his most delicate tasks was to maintain the unity of a caucus of 124 MPs. Some of the members came from the former Conservative Party, more centrist, others from the former Reform Party, more radically conservative.
The deputy of Nepean-Carleton, Pierre Poilievre, was 26 years old. He was the youngest member of the House. Every Wednesday at the conservative caucus, he appeared at the microphone to preach the good word of fiscal conservatism.
Poilievre had allies. It is that, the day before the caucus, a group of deputies had met who shared the same vision of things, and determined to coordinate their action to counterbalance the influence of the centrists, these spendthrift, these soft, these liberals lost in Harper’s large tent. The group had debated the name it had to give itself. Poilievre had suggested the “Liberty Caucus”. Others had proposed “True Blue”. But Saskatchewan MP Andrew Scheer and Ontario Cheryl Gallant are fighting for the authorship of the name finally chosen: the Khmer Blue.
The name is bold, because it refers to the Khmer Rouge, the Cambodian communists who have tortured and murdered more than one and a half million of their fellow citizens – 25% of the country’s population – between 1975 and 1979. You know me charitable, so I will conclude that this choice did not attest to a desire to assassinate their political opponents. Only to torture them. I mean: psychologically. Basically, they expressed their penchant for ideological intransigence. It’s already busy enough, thank you. Interesting detail: Maxime Bernier was a member.
Harper was delighted with the existence of the group. According to Andrew Lawton, who recounts this episode in his recent Pierre Poilievre: A Political Life (Sutherland), the Prime Minister told one of the Khmer Blue that “the Red Tories and Quebec deputies [two often indistinguishable groups] were those who demanded the most attention in the meetings and consequently exerted disproportionate influence”.
They had to be counterweighted. One of the members of the group, the Albertan Rob Anders, remembers that the meetings produced a consensus each time. “Then we presented ourselves to the caucus the next morning to hammer it during the 30 seconds allocated to each deputy.” One of the Red Tories, Peter MacKay, describes the young Poilievre as a “hawk” throwing himself like a prey on any new government spending. Now that Pierre Poilievre is in the anteroom of power, a character trait is necessary, sharpened by the passing years: intransigence. We are in the presence of a strong-willed, constant politician with a lively intelligence. But also of a man who must have been absent, or distracted, or dissident, on the day the art of nuance was taught. Also the day when there was talk of civility, empathy, “fair play”.
Like the Cambodian Khmers, but without their taste for hemoglobin, Poilievre is a supporter of total confrontation, of the scorched earth, of the (political) annihilation of the enemy. I take it as proof that he has no qualms about using personal insult and lies to achieve his ends.
The insult? To say that the leader of the New Democratic Party (NDP), Jagmeet Singh, is “sold out” and that the only reason he holds the Trudeau government in power is not, as he says, to provide Canadians with dental insurance or free medication, but to ensure that he receives his pension, is a desire to destroy a reputation. Not a program, not an ideology, not a proposal that is too expensive: a reputation.
The lie? This summer, Poilievre’s party broadcast an advertisement painting Singh as an elitist who loves luxury watches (he has two, received as a gift), BMWs (real), well-cut jackets (true) and who studied in Beverly Hills. Oops. Advertising omits to say that it is Beverly Hills, Michigan. The desire to deceive the listener is patent. We also learn that Singh is a sold out, because he has decided “to join Trudeau to increase taxes, crimes and the cost of housing”. In exchange, he can remain a deputy until 2025 to “receive his pension of two million dollars”.
A pension of two million? That’s a lot. In fact, he will not be able to touch it until 2035. In fact, it will only be $45,000 per year. To get to two million, we must assume that he will only die at 90, which is likely, but in no way scandalous.
A lot of energy is invested by Poilievre and his team of Blue Khmers to destroy the opponent, using exaggerations – which is common – and lies – which was not yet normalized in Canadian political discourse. Poilievre is a spreading agent of mutual disrespect.
Last April, on the New Brunswick border, Poilievre saw from his car a group of demonstrators flying a “Fuck Trudeau” flag. He stopped to greet them and told them, about the Prime Minister: “Everything he says is bullshit. Everything, without exception. “Can we imagine Joe Clark, Brian Mulroney, even Stephen Harper cheerfully meeting people carrying such a rude message, encouraging them and disrespecting their political opponent so much? The answer is obviously no.
At a time when Americans could (I insist on the conditional) turn the page on ten years of vitriol, Canadians are preparing, next year, to enter the bile zone.
