Dejean | Faut-il tolérer la tenue d’activités religieuses dans l’espace public?
2024/06/20 Leave a comment
The latest Quebec religion/laïcité debate:
Une prière organisée le dimanche 16 juin par une communauté musulmane dans le parc des Hirondelles (Ahuntsic-Cartierville) a suscité une controverse, au point que la mairesse de l’arrondissement est allée en ondes pour justifier la tenue de l’événement. Il faut souligner qu’il ne s’agissait pas d’une première fois, mais la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant des musulmans, en marge d’un rassemblement en soutien à la Palestine, priant aux intersections de Stanley et Sainte-Catherine n’est sans doute pas étrangère à la controverse.
Ces deux événements posent plusieurs questions : faut-il tolérer la tenue d’activités religieuses dans l’espace public ? Et si oui, à quelles conditions ? Et parmi les traditions religieuses qui organisent des activités religieuses dans l’espace public, l’islam fait-il l’objet d’un traitement différentiel ?
Dans une chronique en date du 12 juin, Richard Martineau déclarait : « Imaginez des gens avec des croix qui décident, eux autres, en plein milieu du centre-ville de Montréal, ils arrivent et puis ils prient avec des croix et puis Jésus et puis tout ça. On aurait raison de dire : “ça, c’est des crinqués”. Les gens diraient : “L’extrême droite chrétienne, l’extrême droite catholique, ça a pas de bon sens.” »
J’invite donc le chroniqueur à participer le 13 juillet prochain à La marche pour Jésus, qui correspond précisément à ce qu’il décrit. Lors de l’édition de 2023, plusieurs centaines de chrétiens — majoritairement protestants évangéliques — défilaient dans le centre-ville de Montréal (sur René-Lévesque et Sainte-Catherine), distribuaient des dépliants qui invitaient les passants à « donner leur vie à Jésus », tandis que des haut-parleurs diffusaient de la musique pop chrétienne. Étrangement, personne ne s’en est ému.
De la même façon, la présence de membres de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, plus connus sous le nom des « hare krishna » en référence au mantra que les fidèles scandent en musique, à proximité de certaines stations de métro de Montréal ou encore les opérations de prosélytisme de prédicateurs évangéliques dans les transports en commun ne suscitent pas vraiment de réaction.
La controverse autour de la prière dans le parc des Hirondelles, tout comme La marche pour Jésus ou encore les nombreuses processions organisées par des groupes religieux à proximité de leurs lieux de culte, remet sur le devant de la scène la question de savoir si l’expression collective du religieux doit être autorisée dans l’espace public. Quand un chroniqueur comme Richard Martineau, dans la même chronique que celle citée précédemment, déclare : « Que tu pries dans une mosquée, que tu pries chez toi, j’en ai rien à foutre. Mais prier dans la rue, c’est une manifestation de force, c’est un symbole », il se positionne en faveur d’une limitation du religieux à l’espace domestique ou cultuel.
Cette position, assez courante, se fonde sur l’idée que la neutralité de l’État passe nécessairement par l’évacuation de toute manifestation religieuse de l’espace public. Une telle idée est rendue possible par l’ambiguïté de l’expression « espace public », à la fois « sphère publique » (domaine du politique et de la discussion démocratique) et espace géographique de circulation ouvert à toutes et tous (les rues, les places, les parcs…).
Si la laïcité implique bien une neutralité de la sphère publique envers les différentes traditions religieuses, il n’en va pas de même de l’espace public au sein duquel les différentes visions du monde (notamment religieuses) peuvent s’exprimer librement, dans les limites de ce qui est autorisé par la loi. Il serait d’ailleurs malvenu dans une société libre et démocratique que l’État en vienne à réguler l’expression des convictions de ces citoyennes et citoyens.
Pour autant, faut-il accepter toutes formes d’expression collective du religieux sur la base du respect de la liberté de conscience et de religion énoncées dans les chartes ? Il apparaît que non, et l’on a tendance à oublier que le premier article de la Charte des droits et libertés de la personne rappelle que ceux-ci ne sont pas absolus et peuvent être restreints « dans des limites qui y sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».
Ajoutons que, sur un plan pratique, la Ville de Montréal possède un Règlement concernant la paix et l’ordre sur le domaine public qui permet d’encadrer la tenue d’activités, quelle qu’en soit la nature. Par exemple, l’article 10 stipule que « l’initiateur ou l’organisateur de tout défilé, parade, procession, marathon, tour cycliste, doit présenter au directeur du Service de la circulation et du transport une demande d’autorisation à cette fin, au moins 30 jours avant la date prévue pour l’événement ». Sur cette base, il est possible d’évaluer de façon objective les conséquences, et les nuisances potentielles, de la tenue d’activités dans l’espace public.Frédéric Dejean est professeur au département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal.
Source: Idées | Faut-il tolérer la tenue d’activités religieuses dans l’espace public?
More reasonable, IMO, than the contrary view expressed by Nadia El-Mabrouk and the Rassemblement pour la laïcité: Idées | Les parcs ne sont pas des lieux de culte
