Dejean | Faut-il tolérer la tenue d’activités religieuses dans l’espace public?

The latest Quebec religion/laïcité debate:

Une prière organisée le dimanche 16 juin par une communauté musulmane dans le parc des Hirondelles (Ahuntsic-Cartierville) a suscité une controverse, au point que la mairesse de l’arrondissement est allée en ondes pour justifier la tenue de l’événement. Il faut souligner qu’il ne s’agissait pas d’une première fois, mais la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant des musulmans, en marge d’un rassemblement en soutien à la Palestine, priant aux intersections de Stanley et Sainte-Catherine n’est sans doute pas étrangère à la controverse.

Ces deux événements posent plusieurs questions : faut-il tolérer la tenue d’activités religieuses dans l’espace public ? Et si oui, à quelles conditions ? Et parmi les traditions religieuses qui organisent des activités religieuses dans l’espace public, l’islam fait-il l’objet d’un traitement différentiel ?

Dans une chronique en date du 12 juin, Richard Martineau déclarait : « Imaginez des gens avec des croix qui décident, eux autres, en plein milieu du centre-ville de Montréal, ils arrivent et puis ils prient avec des croix et puis Jésus et puis tout ça. On aurait raison de dire : “ça, c’est des crinqués”. Les gens diraient : “L’extrême droite chrétienne, l’extrême droite catholique, ça a pas de bon sens.” »

J’invite donc le chroniqueur à participer le 13 juillet prochain à La marche pour Jésus, qui correspond précisément à ce qu’il décrit. Lors de l’édition de 2023, plusieurs centaines de chrétiens — majoritairement protestants évangéliques — défilaient dans le centre-ville de Montréal (sur René-Lévesque et Sainte-Catherine), distribuaient des dépliants qui invitaient les passants à « donner leur vie à Jésus », tandis que des haut-parleurs diffusaient de la musique pop chrétienne. Étrangement, personne ne s’en est ému.

De la même façon, la présence de membres de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, plus connus sous le nom des « hare krishna » en référence au mantra que les fidèles scandent en musique, à proximité de certaines stations de métro de Montréal ou encore les opérations de prosélytisme de prédicateurs évangéliques dans les transports en commun ne suscitent pas vraiment de réaction.

La controverse autour de la prière dans le parc des Hirondelles, tout comme La marche pour Jésus ou encore les nombreuses processions organisées par des groupes religieux à proximité de leurs lieux de culte, remet sur le devant de la scène la question de savoir si l’expression collective du religieux doit être autorisée dans l’espace public. Quand un chroniqueur comme Richard Martineau, dans la même chronique que celle citée précédemment, déclare : « Que tu pries dans une mosquée, que tu pries chez toi, j’en ai rien à foutre. Mais prier dans la rue, c’est une manifestation de force, c’est un symbole », il se positionne en faveur d’une limitation du religieux à l’espace domestique ou cultuel.

Cette position, assez courante, se fonde sur l’idée que la neutralité de l’État passe nécessairement par l’évacuation de toute manifestation religieuse de l’espace public. Une telle idée est rendue possible par l’ambiguïté de l’expression « espace public », à la fois « sphère publique » (domaine du politique et de la discussion démocratique) et espace géographique de circulation ouvert à toutes et tous (les rues, les places, les parcs…).

Si la laïcité implique bien une neutralité de la sphère publique envers les différentes traditions religieuses, il n’en va pas de même de l’espace public au sein duquel les différentes visions du monde (notamment religieuses) peuvent s’exprimer librement, dans les limites de ce qui est autorisé par la loi. Il serait d’ailleurs malvenu dans une société libre et démocratique que l’État en vienne à réguler l’expression des convictions de ces citoyennes et citoyens.

Pour autant, faut-il accepter toutes formes d’expression collective du religieux sur la base du respect de la liberté de conscience et de religion énoncées dans les chartes ? Il apparaît que non, et l’on a tendance à oublier que le premier article de la Charte des droits et libertés de la personne rappelle que ceux-ci ne sont pas absolus et peuvent être restreints « dans des limites qui y sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

Ajoutons que, sur un plan pratique, la Ville de Montréal possède un Règlement concernant la paix et l’ordre sur le domaine public qui permet d’encadrer la tenue d’activités, quelle qu’en soit la nature. Par exemple, l’article 10 stipule que « l’initiateur ou l’organisateur de tout défilé, parade, procession, marathon, tour cycliste, doit présenter au directeur du Service de la circulation et du transport une demande d’autorisation à cette fin, au moins 30 jours avant la date prévue pour l’événement ». Sur cette base, il est possible d’évaluer de façon objective les conséquences, et les nuisances potentielles, de la tenue d’activités dans l’espace public.

Frédéric Dejean est professeur au département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal.

Source: Idées | Faut-il tolérer la tenue d’activités religieuses dans l’espace public?

More reasonable, IMO, than the contrary view expressed by Nadia El-Mabrouk and the Rassemblement pour la laïcité: Idées | Les parcs ne sont pas des lieux de culte

La lutte contre l’islamophobie est un écran de fumée

Extreme take IMO but valid critique of the some of the polemic around CRA audits and reflects the tensions between the more and less secular:

Lors de l’annonce du poste de représentant canadien à la lutte contre l’islamophobie, nous avons été nombreux à souligner l’utilisation abusive et militante de ce terme qui confond dans son usage le respect de la personne de conviction musulmane avec le respect absolu des préceptes de l’islam.

Le dernier sondage Angus Reid illustre bien notre propos en reconduisant une telle confusion. Selon ce sondage, les Québécois auraient une opinion plus négative de l’islam que la moyenne canadienne et seraient davantage favorables à la loi 21.

On le sait, le Québec a une vision plus négative que le reste du Canada de toutes les religions et une plus grande aspiration à la laïcité. Cela découle de son parcours historique et de son attachement à un modèle de vivre ensemble basé sur des valeurs citoyennes communes. Or, la firme Angus Reid ne manque pas de conclure que les Québécois seraient plus islamophobes, au sens de racistes, que le reste du Canada. La lutte contre l’islamophobie consisterait-elle, au nom d’un antiracisme dévoyé, à inculquer une vision positive de l’islam ? Faudrait-il en faire autant pour toutes les religions ?

Ce que cache la lutte contre l’islamophobie

Plus concrètement, on vient d’apprendre que la Division de la revue et de l’examen (DRE) de l’Agence du revenu du Canada, chargée de veiller à ce que les organisations caritatives ne soient pas utilisées pour financer le terrorisme, fait l’objet d’une enquête en raison d’allégations d’islamophobie. Les plaignants font notamment valoir que 75 % des organismes dont le statut d’organisme de bienfaisance a été révoqué sont musulmans. Il appartiendra à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement de trancher après enquête, mais soulignons d’emblée qu’un tel écart statistique ne présume aucunement d’une injustice.

Parmi les organisations révoquées, les médias ont déjà rapporté le cas du Centre islamique d’Ottawa pour promotion de la haine et de l’intolérance, de l’IRFAN-Canada pour financement du Hamas ou de l’ISNA pour financement de Jamaat-e-Islami, tous deux inscrits sur la liste des entités terroristes du Canada. Un simple parcours de cette liste permet d’ailleurs de constater qu’elle est constituée dans sa grande majorité de groupes islamistes. Du reste, un document sur la stratégie antiterroriste du Canada tire la même conclusion : « L’extrémisme islamique violent est la principale menace pour la sécurité nationale du Canada ».

En fait, suspendre les travaux de la DRE était l’une des recommandations du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) lors du sommet national sur l’islamophobie de 2021 ayant mené à la création du poste de représentant canadien à la lutte contre l’islamophobie. Parmi ses autres recommandations, le CNMC appelle le gouvernement à interrompre sa stratégie nationale de lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation, ainsi qu’à surveiller les organismes de sécurité nationale, dont le Service canadien du renseignement de sécurité et l’Agence des services frontaliers du Canada. Pourquoi ? Le CNMC les soupçonne de racisme, d’islamophobie et exige même une étude sur « la pénétration de la suprématie blanche » en leur sein.

Faire cesser la surveillance des organisations susceptibles de financer le terrorisme et mettre sous contrôle les organismes de sécurité nationale sous prétexte de racisme, est-ce à cela que contribuera le poste de représentant canadien à la lutte contre l’islamophobie ? Les Canadiens prennent-ils la pleine mesure de ce que tout ceci implique ?

La laïcité comme arme de diabolisation massive

À la suite du sondage Angus Reid, les médias ont relayé des propos outranciers sur la supposée « islamophobie » rampante au Québec, le CNMC allant même jusqu’à parler de danger de mort pour les musulmans.

À ce propos, Fatima Aboubakr a apporté un témoignage éclairant sur la façon dont la loi 21 était utilisée, quitte à exagérer son champ d’application, pour diaboliser le Québec et faire avancer des objectifs islamistes. Témoin de la radicalisation de jeunes de son entourage, Mme Aboubakr a participé à la fondation d’une association arabo-musulmane à vocation humaniste et laïque pour aider ces jeunes. Or, cette vocation humaniste a rapidement été mise à mal par des pressions interdisant tout propos favorable à la laïcité. Elle témoigne aussi de l’état de dépendance dans lequel se trouvent de nombreux immigrants embrigadés par des intervenants associatifs en rupture avec leur société d’accueil.

Ce n’est pas la première fois qu’un tel constat est brossé. En 2016, dans le cadre du départ d’une dizaine de jeunes du cégep Maisonneuve vers la Syrie, un rapport du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence faisait état d’un climat polarisant entretenu par des « agents de radicalisation » manipulant le sentiment de victimisation des jeunes en instrumentalisant le projet de Charte de la laïcité. Ces agents de radicalisation auraient considérablement contribué « à semer la haine chez les jeunes, en insistant sur le rejet collectif des musulmans et de l’islam de la part de la société québécoise ».

La lutte contre l’islamophobie est un écran de fumée permettant à des individus peu scrupuleux ou radicalisés de maintenir leurs concitoyens dans un état d’enfermement communautaire les isolant du reste du Québec, sans parler d’OBNL à vocation religieuse profitant de l’impunité qui en découle pour servir de courroie de transmission au financement du terrorisme international.

Si le gouvernement canadien doit assurément lutter contre la haine, il ne doit pas se laisser berner par l’usage volontairement confus du terme « islamophobie » au point d’entraver le bon fonctionnement des organismes de sécurité nationale. Son rôle premier est d’assurer la sécurité de ses citoyens tout en préservant sa crédibilité à l’étranger.

Source: La lutte contre l’islamophobie est un écran de fumée