Idées | La montée du wokisme… de droite

Along with “snowflakes:”

Dès son assermentation, Donald Trump a signé un décret intitulé « Pour restaurer la liberté d’expression », mais peu après, des mots et des expressions comme « équité », « genre » et « discours haineux » ont disparu des sites Web fédéraux. Après avoir fustigé la fixation du wokisme sur l’identité de genre et de race, le président états-unien a accueilli comme réfugiés des fermiers blancs soi-disant victimes de racisme en Afrique du Sud. Le vice-président Vance a quant à lui accusé les Européens de bafouer la liberté d’expression en malmenant les médias de droite, alors que Trump écartait les journalistes qui s’opposent à ses politiques ou qui, simplement, refusent d’employer l’expression « Gulf of America » pour parler du golfe du Mexique.

Ce ne sont là que quelques exemples. La liste des assauts de Trump contre le wokisme est longue. Mais quand on l’examine, on constate que ceux-ci ne font en fait que substituer une forme de wokisme à une autre. « Trump is going woke », écrivait d’ailleurs Thomas L. Friedman dans le New York Times.

Des mesures « antiwoke » ayant tous les attributs du wokisme minent la liberté d’expression chez nos voisins depuis quelques années déjà. Des professeurs ont été menacés de renvoi en Floride s’ils soutenaient de leur témoignage la contestation d’une loi électorale restrictive. Des législatures républicaines ont adopté des lois qui « encadrent » l’enseignement de certaines matières. Un rapport de PEN America signale que plus de 10 000 bouquins ont été bannis des écoles publiques en 2023-2024, la plupart concernant les personnes de couleur et issues de la communauté LGBTQ+.

Le phénomène a attiré le regard d’observateurs de divers horizons avant même que Donald Trump n’entame son second mandat. Sous le titre « The Regrettable Rise of Right-Wing Wokeism », The Imaginative Conservative remarquait que la droite woke utilise l’histoire exactement de la même façon que la gauche woke, « la réinventant pour nous éloigner de nos mythes fondateurs dans l’espoir que nous embrassions sa vision de l’avenir ».

La revue The Atlantic titrait pour sa part « How the Woke Right Replaced the Woke Left ». Thomas Chatterton Williams y stigmatisait les dérives linguistiques du wokisme de gauche, mais il ajoutait qu’en dépit de son décret sur la liberté d’expression, Trump avait imposé sa propre liste de mots et d’expressions à bannir. « Cette fois-ci, disait-il, les règles ont la force du gouvernement. »

Dans un article paru dans Le Devoir il y a quelques années, le linguiste Gabriel Martin expliquait que le mot « wokisme », qui décrit une idéologie de gauche radicale structurée en fonction de questions identitaires, désignait à l’origine une sensibilisation accrue à la justice sociale.

En dehors du milieu concerné, on ne s’est pas formalisé de cette récupération qui dénaturait le sens original du mot. En revanche, l’expression « wokisme de droite » illustre les nouvelles dérives de la droite américaine sans dénaturer le sens courant du mot, puisque le wokisme repose sur des enjeux identitaires et qu’il se manifeste par l’intolérance, la censure et en corollaire, la rectitude. La droite américaine a simplement remplacé les enjeux identitaires de genre et de race par ceux de l’homme blanc, de préférence chrétien. Pour le reste, le wokisme de droite se manifeste lui aussi par l’intolérance, la censure et la rectitude, et c’est sans retenue qu’il embrasse la culture de l’annulation.

L’ex-chroniqueuse du New York Times Bari Weiss affirmait il y a quelques années que les gens sont toujours plus nombreux à s’autocensurer par crainte d’être attaqués par une horde woke. Aujourd’hui, ce sont aussi les sanctions du gouvernement que ses concitoyens risquent de s’attirer s’ils négligent de s’autocensurer.

Ce wokisme de droite qui touche nos voisins a aussi des effets chez nous. Parce que des chercheurs de l’Université de Montréal en font les frais, le recteur Daniel Jutras considère cet « autoritarisme à la Trump » comme une menace plus grande à la liberté académique que ce qu’il nomme le « wokisme interne ». Le recteur ne nie pas pour autant le danger de ce wokisme interne, « une menace réelle — disait-il en entrevue au Journal de Montréal —, mais qui a parfois été exagérée par certains commentateurs ».

On nous répète que le « wokisme interne », ou de gauche, est né dans les universités américaines avant d’essaimer chez nous. Le wokisme de droite, né dans l’esprit des gouverneurs et des législateurs de certains États américains, est maintenant embrassé par le gouvernement Trump. Ainsi soutenu par le pouvoir, il est d’autant plus efficace… et dangereux ! Il mérite donc d’être surveillé avec la même vigilance et dénoncé avec la même vigueur que sa contrepartie de gauche. « On a fermé la lumière aux États-Unis sur plusieurs sujets dont l’étude permet de faire progresser la société […] Il ne faut pas que la même chose se produise ici », disait la rectrice Sophie d’Amours, de l’Université Laval, lors d’un récent colloque sur la liberté académique.

Source: Idées | La montée du wokisme… de droite

Upon his swearing-in, Donald Trump signed a decree entitled “To restore freedom of expression”, but soon after, words and expressions such as “fairness”, “gender” and “hate speech” disappeared from federal websites. After criticizing the fixation of wokism on gender and racial identity, the US president welcomed white farmers so-called victims of racism in South Africa as refugees. Vice-President Vance accused Europeans of flouting freedom of expression by mistruting the right-wing media, while Trump dismissed journalists who oppose his policies or who simply refuse to use the expression “Gulf of America” to talk about the Gulf of Mexico.

These are just a few examples. The list of Trump’s assaults against wokism is long. But when we examine it, we see that they are in fact only substituting one form of wokism for another. “Trump is going woke,” wrote Thomas L. Friedman in the New York Times.

“Anti-woke” measures with all the attributes of wokism have been undermining freedom of expression among our neighbors for a few years now. Teachers were threatened with return to Florida if they supported their testimony to challenge a restrictive electoral law. Republican legislatures have adopted laws that “frame” the teaching of certain subjects. A PEN America report reports that more than 10,000 books were banned from public schools in 2023-2024, most of them concerning people of color and people from the LGBTQ+ community.

The phenomenon attracted the attention of observers from various backgrounds even before Donald Trump began his second term. Under the title “The Regrettable Rise of Right-Wing Wokeism”, The Imaginative Conservative noted that the right woke uses history in exactly the same way as the left woke, “reinventing it to take us away from our founding myths in the hope that we embrace its vision of the future”.

The Atlantic magazine headlined “How the Woke Right Replaced the Woke Left”. Thomas Chatterton Williams stigmatized the linguistic drifts of leftist wokism, but added that despite his decree on freedom of expression, Trump had imposed his own list of words and expressions to be banned. “This time,” he said, “the rules have the strength of the government. ”

In an article in Le Devoir a few years ago, linguist Gabriel Martin explained that the word “wokism”, which describes a radical left-wing ideology structured according to identity issues, originally referred to increased awareness of social justice.

Outside the environment concerned, we have not formalized this recovery which distorted the original meaning of the word. On the other hand, the expression “right-wing wokism” illustrates the new drifts of the American right without distorting the common meaning of the word, since wokism is based on identity issues and is manifested by intolerance, censorship and in corollary, rectitude. The American right has simply replaced the identity issues of gender and race with those of the white man, preferably Christian. For the rest, right-wing wokism is also manifested by intolerance, censorship and rectitude, and it is without restraint that it embraces the culture of cancellation.

Former New York Times columnist Bari Weiss said a few years ago that more and more people are self-censoring for fear of being attacked by a woke horde. Today, it is also the government’s sanctions that its fellow citizens are likely to attract if they neglect to self-censorship.

This right-wing wokism that affects our neighbors also has effects on us. Because researchers at the University of Montreal pay the price, Rector Daniel Jutras considers this “Trump-style authoritarianism” as a greater threat to academic freedom than what he calls “internal wokism”. The rector does not deny the danger of this internal wokism, “a real threat – he said in an interview with the Journal de Montréal -, but which has sometimes been exaggerated by some commentators”.

We are told that “internal wokism”, or leftist, was born in American universities before swarming at home. Right-wing wokism, born in the minds of the governors and legislators of some American states, is now embraced by the Trump government. Thus supported by the government, it is all the more effective… and dangerous! He therefore deserves to be monitored with the same vigilance and denounced with the same vigor as his left-wing counterpart. “We have closed the light in the United States on several subjects whose study makes it possible to advance society […] The same thing must not happen here,” said Rector Sophie d’Amours, of Laval University, at a recent symposium on academic freedom.