Moreau: Être ou ne pas être, les impasses de l’auto-identification

Self-identification and identity. Recently, most of the cases have been with respect to Indigenous identity, As ancestries become mixed over time, challenges for self-identification, and for organizations, will continue to increase:

Les mesures de « discrimination positive » imposées aux universités pour leur recrutement de professeurs-chercheurs soulèvent bien des questions en lien avec la justice, le caractère égalitaire, la transparence des processus d’embauche, sans compter le rôle de l’excellence dans le choix des meilleurs candidats. Ces enjeux, fondamentaux dans une démocratie, ont été mentionnés et analysés par de nombreux commentateurs. Il en est un, en revanche, qui n’a pas encore faire l’objet de toute l’attention qu’il mérite : celui qui entoure le principe de l’auto-identification.

On demande en effet aux postulants, dans le cadre de ces mesures d’action positive, de s’auto-identifier comme étant des Autochtones, des personnes en situation de handicap, des femmes, ou encore comme appartenant à l’une ou l’autre des minorités racisées ou de genre.

Or, au fur et à mesure que les demandes d’auto-identification du genre vont se multiplier (et on peut être certain qu’elles se multiplieront), tout en devenant de plus en plus impératives pour l’obtention d’une chaire du Canada, puis d’un poste à l’université, dans les institutions culturelles, dans les diverses administrations, etc., elles vont immanquablement donner lieu à de fausses déclarations.

On a déjà vu, ces dernières années, au Canada, au moins trois femmes se faire passer pour autochtones, alors que, semble-t-il, elles ne l’étaient pas : la cinéaste Michelle Latimer, en 2020 ; la prétendue « gardienne du savoir » Suzy Kies, également coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada et, accessoirement, instigatrice d’autodafés en Ontario ; et, plus récemment, la chercheuse Carrie Bourassa, de l’Université de la Saskatchewan, qui était aussi directrice scientifique de l’Institut de santé des Autochtones.

« Autoautochtonisation »

Et on peut être absolument certain qu’il y en aura d’autres, tout comme on verra monter en flèche le nombre de candidats à des postes ici ou là qui feront valoir leur appartenance à une minorité racisée ou de genre, puisque ces auto-identifications deviendront des sésames recherchés.

Si l’on en doute, il suffit pour s’en convaincre de considérer qu’un mot a déjà été inventé pour définir le premier phénomène : « l’autoautochtonisation ». Selon la Loi sur l’équité en matière d’emploi, il suffit d’avoir un parent issu d’une « minorité visible » pour être réputé appartenir à une « minorité visible », ce qui ouvre la porte à des recherches généalogiques intéressées. Tandis que le fait de se déclarer non binaire ou bisexuel, par exemple, n’engage à rien de très précis en termes de comportement ou de relations amoureuses.

À leur tour, ces auto-identifications frauduleuses obligeront évidemment les institutions concernées à se livrer à des vérifications de plus en plus poussées. Mais comment ? D’ores et déjà, à la suite de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Carrie Bourassa », l’Université de la Saskatchewan a modifié ses règles d’embauche. L’auto-identification ne suffit plus, il faut désormais prouver son identité, ce qui ne manque pas d’engendrer d’autres imbroglios.

Ainsi, cette université a rejeté il y a quelque temps la candidature de Réal Carrière, un professeur d’études autochtones qui avait été sélectionné par un jury unanime et lui-même composé de professeurs autochtones, car il ne pouvait pas fournir de preuves écrites de son identité supposée.

Faudra-t-il alors remettre à l’honneur ces « statuts de pureté du sang » qui avaient cours autrefois dans l’empire espagnol et exiger de chaque candidat qu’il prouve, arbre généalogique en main, la fiabilité de son identité à travers l’exposé public de ses origines ? Faudra-t-il également que l’État remette son nez dans les chambres à coucher de ces mêmes candidats pour s’assurer qu’ils appartiennent bien à une minorité sexuelle ou de genre ?

Ce genre d’immixtion dans la vie privée risque de devenir inévitable dans la vérification de ces identités revendiquées. D’autant plus que les litiges qui ne manqueront pas de surgir à ce sujet aboutiront inéluctablement devant les tribunaux, qui auront donc la charge délicate de trancher ces questions identitaires, de décréter qui est vraiment autochtone, réellement racisé, authentiquement non binaire, etc. Bonne chance !

Pour régler cette question de façon définitive, on pourrait aussi faire en sorte, comme on le fait sous d’autres cieux pour l’appartenance religieuse, que cette identité se voie inscrite dans les documents officiels et les pages intérieures de nos passeports. Nul besoin alors de continuer à s’auto-identifier. Le problème serait enfin résolu. Mais à quel prix ? Et serait-ce vraiment un progrès ?

L’auteur est professeur de littérature à Montréal, rédacteur en chef de la revue Argument et essayiste. Il a notamment publié Ces mots qui pensent à notre place (Liber, 2017) et La prose d’Alain Grandbois. Ou lire et relire Les voyages de Marco Polo (Nota bene, 2019).

Source: Être ou ne pas être, les impasses de l’auto-identification

Moreau: Êtes-vous caucasien ?

More word games than anything else. Whatever the label or term, being able to analyse and understand differences in socioeconomic outcomes between groups, whether by ethnic ancestry, visible or religious minority or affiliation, is important:

Comme on sait, le terme « caucasien » est utilisé depuis plus d’un siècle aux États-Unis pour qualifier la population d’origine européenne. J’ai eu récemment la surprise de le voir également mentionné, à titre d’exemple, dans un formulaire rempli ici à Montréal, où l’on me demandait, comme cela se fait couramment chez nos voisins du Sud, de décliner mon « identité » ethnique ou raciale.

Ce que l’on sait moins, c’est que ce terme étrange, qui réfère à cette chaîne de montagnes située au sud de la Russie, entre la mer Caspienne et la mer Noire, provient des thèses de Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), scientifique allemand qui, à la fin du XVIIIe siècle, distinguait cinq « races » humaines, dont la « race caucasique », autrement dit la « race blanche ».

Pourquoi situait-il l’origine de celle-ci dans le Caucase ? Cela remontait à l’idée selon laquelle l’humanité était née dans la région caucasienne, idée qui découlait notamment d’une lecture littérale de la Bible, où il était raconté que l’Arche de Noé, lors de la décrue qui avait fait suite au Déluge, s’était échouée sur le mont Ararat, donc non loin de l’isthme caucasien. On peut constater au passage à quel point la manière d’établir des « preuves » scientifiques pouvait être en ce temps assez éloignée de celle qui prévaut de nos jours.

Qu’il fut impropre et douteux d’un point de vue scientifique n’empêcha pas le mot « caucasien » de connaître un succès durable et de se retrouver même au coeur d’un imbroglio juridique qui l’amena jusque devant la Cour suprême des États-Unis.

Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, la possibilité d’être naturalisé citoyen américain avait été restreinte, puis totalement interdite aux immigrants d’origine asiatique (à l’exception des Philippins, puisque les Philippines furent, entre 1898 et 1946, une colonie états-unienne). Elle était donc réservée aux « personnes blanches », ainsi qu’aux Noirs, en raison du Quatorzième amendement adopté au lendemain de l’abolition de l’esclavage lors de la guerre de Sécession.

Un immigrant japonais, M. Ozawa, argua du fait qu’il avait le teint clair pour revendiquer le droit de devenir citoyen. Les juges de la Cour suprême le déboutèrent toutefois, en alléguant que la notion de « personne blanche » renvoyait moins à la couleur concrète de la peau qu’à l’appartenance à la « race caucasienne ». En tant queJaponais, M. Ozawa, ajoutèrent-ils, appartenait à la race « mongole » (autre « race » définie par J. F. Blumenbach) et ne pouvait donc prétendre à la naturalisation.

Ce jugement donna alors l’idée à un immigrant d’origine indienne de se présenter à son tour devant la cour afin de revendiquer le droit d’accéder à la citoyenneté. M. Bhagat Singh Thind avait un excellent argument : dans l’anthropologie de l’époque, les Indiens, en tant qu’« Aryens », étaient en effet classés dans cette fameuse « race caucasienne » ou « caucasique ».

La Cour suprême le débouta cependant lui aussi et, répudiant l’appareil « scientifique » mobilisé quelque temps plus tôt pour repousser l’argument de M. Ozawa, décréta, à l’encontre du demandeur, qu’il fallait entendre « caucasien » dans le sens que donnerait à ce mot un « homme ordinaire », autrement dit comme désignant une personne dont la peau était « blanche », ce que l’épiderme de M. Bhagat Singh Thind n’était pas.

Il fallut finalement attendre 1952 pour que la loi McCarran-Walter supprime, dans le droit états-unien, toutes ces barrières à la naturalisation fondées sur la « race ».

Catégories raciales

Que peut-on tirer comme conséquence de ces deux jugements que résume Daniel Sabbagh, dans un article sur « Le statut des “Asiatiques” aux États-Unis » paru dans la revue Critique internationale, en 2003 ?

Primo, qu’il n’est pas judicieux d’user du mot « caucasien », hormis pour désigner les populations variées de trans et de subcaucasie (Tcherkesses, Tchétchènes, Ingouches, Ossètes, Koumyks, Géorgiens, etc.).

Secundo, que les cours, même suprêmes, ne méritent peut-être pas l’idolâtrie dont elles font l’objet actuellement : les juges, y compris les plus hauts magistrats du pays, étant assujettis eux aussi aux préjugés, aux biais cognitifs, aux passions politiques qui sont ceux de leurs concitoyens et de leur temps.

Tertio, que l’on a beau user de termes qui se veulent scientifiques ou de tous les euphémismes que l’on voudra, les catégories raciales en usage sont toujours incohérentes, voire absurdes.

Quarto, peut-être faudrait-il en déduire finalement que ces supposées « races » ne sont pas un bon moyen de classer les humains.

Quinto, si un jour, on vous demande de cocher la case « caucasien » dans un quelconque formulaire, refusez ; à moins, bien sûr, que vous ne soyez tcherkesse, tchétchène, ingouche, ossète, koumyk, géorgien, etc.

Patrick Moreau est professeur de littérature à Montréal, rédacteur en chef de la revue Argument et essayiste. Il a notamment publié Ces mots qui pensent à notre place (Liber, 2017) et contribué à l’ouvrage collectif dirigé par R. Antonius et N. Baillargeon Identité, « race », liberté d’expression, qui vient de paraître aux P.U.L.

Source: Êtes-vous caucasien ?

Le Québec «bashing» ou la tolérance à deux vitesses

Sigh. Not to mention the inverse, Canada bashing on the part of some intellectuals…

Le Canada se drape de tolérance envers les minorités — tout en assumant des épisodes de Québec bashing, devenus chroniques dans l’histoire des deux solitudes. Ce paradoxe, commun au monde anglo-saxon, remonte à l’origine même du libéralisme britannique, estime Patrick Moreau, professeur au collège Ahuntsic qui participait, mercredi, à un colloque consacré à « la condescendance francophobe en contexte canadien ».

« Les sociétés anglo-saxonnes en général — et la société canadienne en particulier — se présentent toujours comme très libérales, très à cheval sur les droits individuels et la tolérance, explique M. Moreau, qui collabore par ailleurs à la section Idées du Devoir. En même temps, elles ont souvent, à travers l’histoire, connu des accès d’intolérance. »

Pour le professeur, invité à prendre la parole au congrès de l’Acfas mercredi, « le ver est dans le fruit » depuis la naissance de la tolérance religieuse proclamée au XVIIe siècle par le pouvoir anglican. « L’Angleterre autorisait toutes les sectes protestantes, ce qui était exceptionnel en Europe, à l’époque. En revanche, cette tolérance excluait les catholiques et les athées. Nous sommes tolérants, mais pas à l’égard de toutes et de tous. »

Ce même réflexe s’applique encore aujourd’hui envers le Québec, maintient le professeur Moreau. Le Canada anglais prétend accueillir et célébrer les différences. Sauf certaines, souvent québécoises.

« Dès qu’on nous montre la diversité canadienne, il faut qu’on nous montre une femme voilée, un turban, etc., poursuit le chercheur, en entrevue au Devoir. Comme si la seule différence admissible était en réalité superficielle. Si les Québécois se contentaient d’être une minorité parmi d’autres, arborant la ceinture fléchée lors de la Saint-Jean, le Canada s’en réjouirait et les tolérerait comme il tolère n’importe quel costume de n’importe quelle minorité ethnique ou religieuse. »

Or, le Québec dérange au point de devenir intolérable, soutient M. Moreau, parce que la différence qu’il revendique réfute la suprématie du modèle anglo-saxon.

« Ce qui est inacceptable aux yeux du Canada anglais, c’est cette volonté du Québec de faire société en français et selon des termes politiques qui ne sont pas ceux de la philosophie politique anglo-saxonne. Autrement dit, de revendiquer des droits linguistiques collectifs. […] La laïcité, c’est un peu la même chose, poursuit le professeur Moreau. On refuse, au Canada anglais, de voir la laïcité comme un modèle légitime de gestion de la diversité. On veut à tout prix y voir l’expression d’une intolérance ethnique à l’égard des autres minorités religieuses. »

Un Québec bashing progressiste

Cette discrimination à l’égard des francophones, M. Moreau note qu’elle a évolué au tournant du XXIe siècle. « La francophobie canadienne était, jusque dans les années 2000, plutôt conservatrice. C’était vraiment une francophobie coloniale issue d’un sentiment de supériorité très britannique et protestant à l’égard de Canadiens français, jugés arriérés, et catholiques, en plus. »

Plus récemment, avance le chercheur, « nous sommes passés à un Québec bashing progressiste, c’est-à-dire que nous allons reprocher au Québec d’être intolérant à l’égard des minorités, de créer une discrimination à l’égard des minorités, donc finalement de refuser les normes du multiculturalisme trudeauiste actuel. »

La saga entourant l’Université d’Ottawa et l’usage du mot en « n » dans une salle de cours a jeté une lumière crue sur le paradoxe de la tolérance canadienne envers ses minorités, insiste le professeur de littérature au collège Ahuntsic. « Il y a eu un glissement que je trouve personnellement assez épatant de la part de gens qui se prétendent fondamentalement antiracistes, mais qui vont insulter des professeurs en les traitant de fucking frogs. Bref, en utilisant un vocabulaire qui est très clairement raciste. »

À son avis, le Québec bashing a encore de beaux jours devant lui. Tant mieux, souligne-t-il, puisque sa disparition voudrait dire la fin d’un Québec qui revendique son droit à faire société autrement.

« Le jour où le Québec bashing va disparaître, ce ne sera pas vraiment une bonne nouvelle pour le Québec, avance M. Moreau. Ça voudra dire, je pense, que le Québec aura renoncé à faire société d’une façon différente du Canada. Autrement dit, il aura adopté le modèle dominant du libéralisme canadien. À ce moment-là, il sera devenu acceptable », conclut le professeur.

Source: Le Québec «bashing» ou la tolérance à deux vitesses