Cornellier | Nos esclaves

Interesting history of slavery in Quebec:

Quand on parle de la présence de l’esclavage en Nouvelle-France, j’ai mal à mon identité. L’idée que mes ancêtres aient pu s’adonner à cette pratique inhumaine me blesse. Je sais bien, comme le montrent de récentes études, que l’esclavage traverse toute l’histoire du monde, et ce, presque partout sur la planète, mais j’aurais souhaité que mon peuple n’ait pas trempé dans cette calamité.

Les faits, malheureusement, me forcent à déchanter. Dès 1960, en effet, l’historien Marcel Trudel, après de rigoureuses recherches dans les registres de l’état civil (baptêmes, mariages et sépultures), établissait que la Nouvelle-France, elle aussi, avait bel et bien été, à sa mesure, esclavagiste, comme la mère patrie et comme la Grande-Bretagne.

Dans son Dictionnaires des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, publié en 1990, Trudel identifiait 4092 esclaves sur un siècle, dont 2692 Autochtones et 1400 Noirs. Les Autochtones asservis, précisait-il dans Mythes et réalités dans l’histoire du Québec (BQ, 2006), ne provenaient pas des peuples alliés aux Français. Il s’agissait plutôt de membres de la nation des Panis, dont le territoire se situait dans le bassin du Missouri.

En faisant la traite des fourrures, des commerçants français recevaient « en cadeau », de leurs alliés autochtones, des personnes, souvent très jeunes, et en faisaient leurs propriétés. Les esclaves noirs, quant à eux, sont souvent un « butin de guerre pris sur les Anglais à l’occasion d’incursions dans le New York ou dans le Massachusetts ou acquis par les marchands dans leurs courses aux Antilles », écrit Trudel.

Dans le numéro de printemps 2024 de l’excellente Revue d’histoire de la Nouvelle-France, une équipe de chercheuses, dirigée par l’historienne Dominique Deslandres, spécialiste du Québec ancien, revient sur le dossier en le poussant un cran plus loin.

Trudel, dit Deslandres, a réalisé un extraordinaire travail de pionnier, mais il a considéré l’esclavage ici « comme un phénomène mineur », comme l’affaire de quelques riches qui auraient souvent traité leurs esclaves avec une certaine bienveillance. Ce faisant, ajoute l’historienne, il a nourri le mythe d’un esclavage doux.

Trudel, pourtant, n’est pas si naïf. Dans Mythes et réalités dans l’histoire du Québec, il conteste le « tableau idyllique », tracé par « des historiens de grandes familles », qui montre des « esclaves noirs ou amérindiens parfaitement intégrés à leur milieu ». Dans l’ancienne bourgeoisie, précise-t-il, le domestique n’est jamais considéré comme membre de la famille et l’esclave, inférieur dans l’échelle sociale, encore moins.

Deslandres, pour illustrer la cruauté du phénomène, fait ressortir « l’extrême jeunesse d’une grande partie de la population autochtone asservie ». Entre 1632 et 1760, on recense 2199 esclaves. On connaît l’âge de 1574 d’entre eux et on constate que 734 de ces derniers ont moins de 12 ans. Selon la chercheuse Cathie-Anne Dupuis, jusqu’en 1759, « la moitié des esclaves masculins autochtones meurent avant 17 ans ». Après la Conquête et jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1834, c’est pire : l’âge médian au décès est de 11 ans. Pour les femmes esclaves autochtones, les chiffres équivalents sont de 21 ans et de 13 ans.

Selon Deslandres, la bizarre idée d’avoir un enfant esclave s’expliquerait par le désir de « s’assurer une retraite paisible à l’abri de l’avidité des héritiers ». Ces enfants, donnés « en cadeau » par des alliés autochtones déjà familiers de cette pratique avant l’arrivée des Européens, se sont fait voler leur destin.

Les historiennes engagées dans cette recherche s’intéressent notamment à l’agentivité des esclaves, c’est-à-dire à leur capacité d’agir par eux-mêmes. En fouillant les archives judiciaires et notariales, Catherine Lampron a découvert l’histoire de cinq esclaves, dont la fameuse Marie-Josèphe-Angélique, accusée d’avoir mis le feu à Montréal en 1734, qui se sont retrouvés devant les tribunaux après des gestes de révolte. La liberté empêchée est rarement source de bonheur tranquille.

Dans une émouvante contribution, la doctorante Astrid Girault, originaire de la Guadeloupe, se penche sur la pratique des danses africaines par les esclaves des Petites Antilles françaises au XVIIe siècle, afin d’illustrer la lutte de ces asservis pour leur survie culturelle.

Deux missionnaires français s’étonnent que les esclaves profitent de tout leur temps libre, incluant la nuit, pour danser, malgré leur fatigue. Ils ne comprennent pas, dit Girault, que ces danses ont une dimension spirituelle et culturelle pour les esclaves. Elles « sont donc essentielles à leur survie dans un environnement hostile qui vise à leur enlever tout ce qui fait leur essence ».

Le désir de liberté et l’expression de l’identité sont irrépressibles et magnifiques.

Source: Chronique | Nos esclaves

Cornellier: De l’huile sur le feu

More Quebec discussions on integration:

Cet été, dans un parc de Joliette, je travaillais mes coups de tennis avec mon lance-balles. Cette machine suscite toujours la curiosité des enfants. Ce soir-là, donc, un enfant de sept-huit ans est entré sur le court pour observer ça et pour m’aider à ramasser mes 75 balles. Nous avons jasé un peu. Il m’a dit s’appeler Mohammed et aller à l’école du quartier. Sa petite soeur est venue se joindre à nous, mais n’a pas pu participer à la conversation puisque, n’ayant pas commencé l’école, elle ne parlait qu’en arabe.

En retournant chez moi, je me disais, rempli d’optimisme, que tout était là : si on veut que l’immigration soit une chance et non une menace pour le Québec, il faut aller à la rencontre des nouveaux arrivants, les accueillir chaleureusement, leur parler, en français, comme à des amis, leur offrir la vie avec nous, qui sommes là depuis un bout, comme une aventure commune. Je n’ai pas peur de Mohammed et de sa petite soeur. Je souhaite, au contraire, les entendre dire « nous autres », en parlant des Québécois, dans dix ans.

Je sais bien qu’on ne fait pas de politique avec de pareils bons sentiments et que l’intégration des nouveaux arrivants ne va pas sans défi. Mon anecdote vise simplement à illustrer que je n’adhère pas à la théorie du « grand remplacement » et que je crois à la possibilité d’une intégration réussie des immigrés, moyennant des compromis de part et d’autre.

Dans Les déclinistes (Écosociété, 2023, 152 pages), l’essayiste Alain Roy, directeur de la revue L’Inconvénient, critique avec sévérité le discours de certains intellectuels opposés à l’immigration, surtout si elle est musulmane. Renaud Camus, Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, Mathieu Bock-Côté, Michel Houellebecq et Michel Onfray sont dans sa ligne de mire.

Roy leur reproche de manquer de rigueur intellectuelle, d’ébaucher des scénarios alarmistes au mépris des données statistiques et de n’avoir aucune solution crédible à proposer aux problèmes qu’ils déplorent. Ces essayistes, écrit-il, jettent de l’huile sur le feu en nourrissant l’islamophobie.

Roy vise juste concernant Camus, Zemmour et Houellebecq, quand celui-ci oublie d’être romancier. Voici, en effet, trois trublions prêts à dire n’importe quoi pour se rendre intéressants, même si cela signifie alimenter un climat de guerre civile en France sur le dos des musulmans.

À l’heure actuelle, les immigrés représentent 10,2 % de la population française. Les personnes de culture musulmane représentent environ 8 % de la population. Parmi elles, seulement 25 % affirment être pratiquantes. On est loin du « grand remplacement ».

Au Québec, 3 % des citoyens sont musulmans. Selon le démographe Guillaume Marois (Le Journal de Québec, 4 septembre 2018), si les tendances actuelles en immigration se poursuivent, les musulmans représenteront 14 % de la population en 2061. Dans le scénario improbable où l’immigration de culture musulmane doublerait, les citoyens qui s’identifient à cette confession représenteraient 19 % de la population. Ainsi, Marois conclut que « le Québec n’est pas en voie de devenir une société musulmane », tout en ajoutant qu’il doit demeurer intransigeant envers les manifestations de l’islam politique.

Alain Roy a donc raison de qualifier de délirante la thèse du « grand remplacement ». Ses critiques, cependant, tournent parfois les coins ronds. Roy, par exemple, dit juste en notant que Bock-Côté, qui ne manquera pas de s’en défendre, est plus un polémiste qu’un essayiste, en ce sens que « sa pensée [est] entièrement déterminée par ses prémisses ». Or, c’est aussi le cas de Roy lui-même.

J’en veux pour preuve le traitement qu’il réserve à Finkielkraut. Ce dernier, c’est vrai, a parfois eu des formules malheureuses dans ce débat. Néanmoins, accuser son essai L’identité malheureuse (Stock, 2013) d’islamophobie est injuste. Contrairement à ce qu’affirme Roy, Finkielkraut n’écrit pas que les musulmans sont des « citoyens inassimilables ». Il note que la diversité culturelle se transforme parfois en chocs culturels, mais il ajoute qu’« aucune de ces différences n’est immuable » ou insurmontable. Il souligne, plus loin, que des Français d’adoption, en 1940, ont rejoint le général de Gaulle dans son combat pour la France et cite Lévinas disant que cette dernière « est une nation à laquelle on peut s’attacher par le coeur aussi fortement que par les racines ».

Finkielkraut insiste aussi sur le fait qu’il est « impératif » de ne pas « faire payer tous les musulmans pour le radicalisme islamique ». Avec Claude Lévi-Strauss, il plaide à la fois contre « la tentation ethnocentrique de persécuter les différences » et contre « la tentation pénitentielle de nous déprendre de nous-mêmes pour expier nos fautes ». Ça se défend.

C’est d’ailleurs comme ça, fraternellement, mais sans m’effacer, que je veux accueillir Mohammed.

Essayiste et poète, Louis Cornellier enseigne la littérature au collégial.

Source: De l’huile sur le feu

Cornellier review of Meggs: Immigration 101

Good summary of her book and of interest more generally given Quebec indépendantiste perspective and areas where future Quebec governments may push for additional powers with respect to temporary workers, students among others. Relatively silent on the imbalance of settlement service funding where Quebec maintains its share of funding irrespective of its declining share of immigrants to Canada:

Les enjeux liés à l’immigration au Canada et au Québec n’ont pas fini de faire la manchette. Au Québec, l’an dernier, selon l’Institut de la statistique du Québec, il y a eu 80 700 naissances et 78 400 décès. Comme la tendance devrait se maintenir, cela signifie que, désormais, seule l’immigration pourra contribuer au maintien et à la croissance de la population québécoise.

On peut toutefois se demander, dans l’état actuel des choses, si une telle croissance est nécessairement un bienfait. Quand on considère le problème aigu de la pénurie de logements, le manque de places dans les services de garde et l’état précaire de notre système de santé et de services sociaux, sans parler des défis engendrés par une croissance de ce type dans le dossier de l’avenir du français au Québec, ce n’est pas une évidence.

Pour réfléchir rigoureusement et sereinement à cette question, Anne Michèle Meggs est la personne toute désignée. D’origine ontarienne, Meggs est diplômée en études canadiennes et vit en français, à Montréal, depuis des décennies. Elle a dirigé le cabinet du ministre ontarien des Affaires francophones avant de travailler comme directrice de la planification au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec.

Dans L’immigration au Québec. Comment on peut faire mieux (Renouveau québécois, 2023, 204 pages), un recueil de chroniques d’abord parues dans L’aut’journal depuis 2019, elle montre avec efficacité que le dossier de l’immigration au Québec est complexe, souffre d’une gestion désordonnée et charrie son lot de mythes.

Meggs ne s’oppose pas à l’immigration. Cette dernière, note-t-elle, « fait partie de l’histoire de l’humanité » et n’a rien de condamnable. On migre pour avoir une meilleure qualité de vie, pour fuir les conflits, la persécution ou les catastrophes naturelles, et ça se comprend. « L’immigration est un projet foncièrement humain », écrit Meggs.

Pour être couronnée de succès, cette démarche doit se faire dans le respect des personnes qui migrent, de la société d’accueil et de la société d’origine. Cela exige, de la part de la société d’accueil, d’avoir « une vision claire soutenue par une infrastructure législative et administrative efficace ». Or, au Canada et au Québec, cette vision, pour l’instant, fait défaut.

D’abord, les idées fausses entretenues au sujet de l’immigration nuisent à la rigueur du débat. Non, redit Meggs en citant des experts, l’immigration n’est pas une solution à la pénurie de main-d’oeuvre et au vieillissement de la population. Non, ajoute-t-elle, le déclin du français n’est pas d’abord le résultat de l’immigration, mais celui du faible taux de natalité des francophones, de leur anglicisation et de leurs comportements linguistiques : engouement pour la culture et pour les cégeps anglophones, indifférence à l’égard du statut du français, exigence de l’anglais en entreprise, etc.

« La société d’accueil, écrit Meggs, a le devoir de créer un espace propice à l’intégration en français [des personnes immigrantes]. » Elle est souvent loin d’être à la hauteur de cette mission. Les efforts de francisation déployés par le gouvernement du Québec, notamment en milieu de travail, ne méritent pas non plus la note de passage.

Le principal obstacle à une bonne compréhension du dossier de l’immigration au Québec est toutefois le tripotage des chiffres. Alors qu’on se demande si notre capacité d’accueil — une notion qui n’a jamais été rigoureusement définie — est de 30 000 ou de 70 000 immigrants, le Québec en accueillait, en 2022, 155 400, c’est-à-dire 68 700 personnes admises à la résidence permanente et 86 700 personnes détentrices d’un permis de séjour temporaire (étudiants étrangers et travailleurs), cela sans compter les demandeurs d’asile.

Tout le débat, dans ces conditions, est faussé puisque les temporaires, plus nombreux que les permanents, échappent à la réflexion sur les seuils et aux efforts d’intégration en français qui devraient être déployés par le gouvernement du Québec.

En vertu de l’Accord Canada-Québec sur l’immigration signé en 1991, explique Meggs, le Québec pourrait exiger que les immigrants temporaires soient inclus dans le calcul annuel du nombre d’immigrants qu’il veut recevoir. Il pourrait aussi ajouter des conditions linguistiques à cet accueil, mais il ne le fait pas, sauf quand il déplore, mollement, le refus fédéral des demandes de permis d’études pour de jeunes Africains francophones.

Pour avoir une politique d’immigration efficace et humaine, le Québec devrait pouvoir gérer seul l’ensemble du dossier, c’est-à-dire être indépendant, note justement Meggs. En attendant, Justin Trudeau et François Legault disent et font un peu n’importe quoi.

Chroniqueur (Présence Info, Jeu), essayiste et poète, Louis Cornellier enseigne la littérature au collégial.

Source: Immigration 101

Cornellier: Besoin de Montréal

Of note, Montreal vs the regions and the multiculturalism/interculturalism debates:

Si le Québec veut réussir dans le dossier de l’intégration des immigrants, il aura besoin de la contribution de la Ville de Montréal. C’est là, en effet, que la majorité des immigrants décident de vivre. En 2016, ces personnes représentaient 34,3 % de la population de Montréal, 28,5 % de celle de Laval et 20,3 % de celle de Longueuil. Dans le reste du Québec, les personnes immigrantes ne représentent qu’environ 4 % de la population. On voit donc toute l’importance qu’a la région montréalaise dans cette mission.

La Ville de Montréal est-elle à la hauteur des attentes québécoises dans ce dossier ? C’est la question que pose le politologue David Carpentier dans La métropole contre la nation ? (PUQ, 2022, 232 pages), un éclairant essai issu d’un mémoire de maîtrise. « Que fait concrètement la Ville de Montréal pour favoriser l’intégration de ces populations sur son territoire ? » demande Carpentier. Va-t-elle dans le sens préconisé par l’État québécois ou contredit-elle l’action de ce dernier ?

Carpentier est un chercheur. Son essai n’a rien de polémique. Il reste que sa conclusion selon laquelle « il se déploie ainsi dans la métropole une forme dissimulée de multiculturalisme donnant libre cours à une vie civique affranchie du cadre national » fera réagir à juste titre. Selon Carpentier, en effet, « les principes sur lesquels repose une certaine conception de l’intégration, établie par les processus démocratiques québécois, se voient court-circuités par la Ville de Montréal », sans véritable légitimité politique.

Selon la Constitution canadienne, l’immigration est une compétence partagée entre les provinces et l’État central. Les municipalités, quant à elles, jouissent des responsabilités que veulent bien leur déléguer les gouvernements provinciaux.

Au Québec, de plus, l’affaire se complique du fait que nous sommes une nation minoritaire dans un État dont la politique d’intégration, le multiculturalisme, entre en concurrence avec la nôtre, l’interculturalisme. À titre de « créatures de la province » sur le plan juridique, les municipalités devraient donc être soumises à l’application de la politique québécoise, mais un certain flou, dans cette dernière, vient gripper la machine.

Le multiculturalisme canadien est une politique officielle depuis 1971. Il « valorise la manifestation des particularismes d’ordre ethnoculturel, religieux et linguistique dans l’espace public », résume Carpentier, et affirme qu’il « n’existerait pas au pays une culture ou un groupe ayant préséance ». Comme le note le politologue, le Canada a beau jeu de ne pas insister sur la nécessité de l’intégration à une société d’accueil puisque la présence de cette dernière s’impose de fait, « étant donné le statut hégémonique de la tradition anglo-saxonne et sa réalité démographique majoritaire ».

Nation minoritaire, le Québec ne peut se permettre ce luxe, d’où son adhésion à l’interculturalisme, une « voie mitoyenne », précise Carpentier, entre l’assimilationnisme et le multiculturalisme. L’interculturalisme valorise le pluralisme, mais accorde une place prioritaire à la culture majoritaire d’accueil, à laquelle doivent s’intégrer les nouveaux arrivants et qui se fonde sur l’« égalité des genres, la démocratie, la laïcité, le français comme langue publique commune, l’État de droit [et] le respect des droits et libertés de la personne », résume le politologue. Or, ce modèle d’intégration n’a jamais été officialisé par le gouvernement du Québec, ce qui rend son application incertaine.

Dans certains documents publics, la Ville de Montréal affirme adhérer à un interculturalisme minimaliste. Dans les faits, toutefois, son action révèle souvent l’« adhésion tacite de la municipalité au modèle canadien et son contournement du discours que promeut l’État québécois », constate Carpentier.

Dans des interventions publiques, par exemple, le maire Coderre et la mairesse Plante ont tous deux plaidé pour une laïcité dite ouverte et pour plus de flexibilité dans l’usage de l’anglais. Ainsi, au nom de la différence montréalaise, ils ont contesté deux des principaux socles de l’interculturalisme québécois.

Selon Carpentier, les acteurs de la politique montréalaise d’intégration se diviseraient en deux camps : les partisans de l’interculturalisme, principalement des fonctionnaires et des chercheurs, et ceux du multiculturalisme, qu’on retrouve surtout chez les élus et les acteurs associatifs. Pour le moment, à cause du flou juridique et politique entourant le statut de l’interculturalisme, ce sont les seconds qui s’imposent, entraînant ainsi une dramatique « déconnexion » entre la métropole et le reste du Québec.

Qu’attend donc le gouvernement du Québec pour faire de l’interculturalisme sa politique d’intégration officielle sur tout le territoire national ? Ça devrait faire partie d’un programme sérieux de réveil national.

Source: Besoin de Montréal

Ethnie-fiction et indépendance

Reminder how some Quebec intellectuals remain mired in Québecois de souche as the benchmark rather than language, in this critique by Charles Castonguay:

Dans sa chronique intitulée « Blues souverainistes » du 8 août dernier, Louis Cornellier souligne que « le poids des Québécois d’ascendance canadienne-française diminue sans cesse. Le chercheur Charles Gaudreault a montré qu’il était passé de 79 %, en 1971, à 64,5 %, en 2014 ». Selon Cornellier, il conviendrait « de constater une réalité qui rend l’indépendance de plus en plus improbable ».

Dans la revue L’Inconvénient (no 81, été 2020), Ugo Gilbert Tremblay enfonce le clou. « Or qu’en est-il exactement ? Quelle est la réalité sur laquelle plusieurs parmi les souverainistes préfèrent fermer les yeux ? [Le] chercheur Charles Gaudreault a voulu jeter un regard froidement objectif sur la question. La conclusion de son étude est que, de 1971 à 2014, [le poids] des Canadiens français est passé de 79 % à 64,5 % […] En projetant sur les prochaines décennies un flux migratoire comparable à celui des années précédentes, Gaudreault prédit que les Canadiens français deviendront minoritaires en sol québécois dès 2042 et que leur poids ne sera plus que de 45 % en 2050 […] Il me semble qu’un souverainiste mature devrait être capable de réfléchir — sans hargne ni rancune — aux implications de ces changements démographiques. »

Tout cela repose, cependant, sur de l’ethnie-fiction. Les projections en question ne tiennent pas la route.

Par exemple, Gaudreault définit le « groupe ethnique canadien-français » comme étant formé des descendants des colons français arrivés entre 1608 et 1760. Pour estimer son effectif en 1971, il utilise toutefois la population qui, au recensement, s’est déclarée d’origine française. Or, cette population découle aussi de deux bons siècles d’assimilation par voie de métissage ou d’adoption de personnes d’origine allemande, amérindienne, irlandaise, etc. ainsi que d’un siècle de nouvelle immigration française depuis 1870.

Gaudreault soutient également qu’en 1971, les répondants au recensement ne pouvaient indiquer qu’une seule origine. C’est faux. Ils pouvaient parfaitement en déclarer deux, trois ou plus. Statistique Canada a tout simplement éliminé les déclarations multiples avant la publication des données, en assignant à chaque répondant en cause une seule de ses origines déclarées.

Gaudreault affirme en outre que les données de 1971 sont les dernières observations fiables sur l’origine ethnique depuis 50 ans du fait qu’elles se fondent sur des « choix fermes », alors que tous les recensements suivants ont procédé par autoénumération. Faux encore. L’autorecensement a débuté en 1971 même, et Statistique Canada a recueilli des données fiables sur l’origine française jusqu’en 1991 inclusivement.

Les projections de Gaudreault excluent ensuite tout nouvel apport — même celui de nouveaux immigrants français — à sa population de départ, soit la population d’origine française énumérée en 1971. Pas surprenant, alors, qu’à force de faire mourir une population fermée et foncièrement sous-féconde, Gaudreault aboutisse, sous l’hypothèse d’une immigration non française abondante et soutenue, à un moignon de « Canadiens français ». Semblable appareil de projection réduirait en peu de temps n’importe quelle majorité à un statut minoritaire.

Dérapage

Notons qu’après une répartition égale des déclarations d’origines multiples entre les origines déclarées, le poids de la population d’origine française recensée en 1991 s’élevait à 77,5 %, en baisse de seulement 1,5 point de pourcentage depuis 1971. Par comparaison, les « descendants de Canadiens français » de Gaudreault en perdent 5, plongeant en 1991 à 74 %. Les projections de Gaudreault dérapent sérieusement, donc, dès 1991, soit 20 ans seulement après leur point de départ.

L’étude de Gaudreault a été mise en ligne en 2019 par la revue Nations and Nationalism. L’Action nationale en a repris l’essentiel en mars dernier, bonifié de quelques pages additionnelles dans lesquelles Gaudreault accuse Statistique Canada de ne pas avoir recueilli de données valables sur la langue depuis 1971. Faux toujours. Il y gratifie même Navdeep Bains, ministre responsable de Statistique Canada, et Anil Arora, son statisticien en chef, tous deux d’ascendance indienne, de remarques gentiment racistes.

Bel exemple de « regard froidement objectif ».

C’est d’ailleurs en fonction de la langue, et non de l’origine ethnique, qu’on juge du caractère français du Québec ou de l’appui éventuel à l’indépendance. Le poids de la population québécoise parlant le français comme langue principale à la maison est d’abord passé de 80,8 % en 1971 à près de 83 % en 1991, puis est revenu à 80,6 % en 2016. Dans cette optique, tout ne serait pas encore perdu.

Source: Ethnie-fiction et indépendance