Rioux: Un parfum de colonialisme
2023/09/23 Leave a comment
Good column on the questionable morality of recruiting skilled healthcare workers from developing countries. Of course, individuals from this countries naturally seek better opportunities:
Il y a des nouvelles qui tombent à plat. Sitôt apparues, elles disparaissent comme par enchantement dans le grand trou noir de l’information. C’est comme si tout le monde, les politiques, les médias et même le public, se donnait le mot pour regarder ailleurs en attendant qu’on parle d’autre chose.
C’est un peu ce qui s’est passé la semaine dernière avec cette information révélant que les campagnes de recrutement de personnel de la santé que mène régulièrement le Québec en Afrique contribuent à fragiliser encore plus des pays africains dont la situation sanitaire est déjà précaire.
À l’encontre de toutes les politiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Québec mène depuis longtemps des campagnes de recrutement dans des pays comme le Bénin, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Togo. L’an dernier, il annonçait vouloir recruter 1000 infirmières étrangères, pour la plupart africaines. Souvent des infirmières expérimentées. Dans quelques jours débuteront d’ailleurs des entretiens d’embauche avec des candidats du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du Togo, sélectionnés dans le cadre des Journées Québec Afrique subsahariennes. Depuis 2017, le Québec aurait ainsi recruté plus de 1900 travailleurs de la santé, dont de nombreuses infirmières, provenant de 24 pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Europe.
Faut-il en conclure que le Québec ne se gêne pas pour participer sans retenue au pillage des cerveaux de ces pays pauvres ? À titre d’exemple, le Cameroun et le Bénin possèdent respectivement moins de 2 et 3 infirmières pour 10 000 habitants alors que, pour la même population, le Québec n’en compte pas moins de 77 ! L’OMS n’est pas seule à penser que ce pillage organisé est indigne du Québec. L’Association des infirmières et infirmiers marocains avait déjà accusé le Canada d’« épuiser les ressources infirmières des autres pays dans lesquels il y a également une pénurie ».
En guise de réponse, nos responsables se contentent généralement de regarder la pointe de leurs souliers en balbutiant du bout des lèvres qu’ils font un recrutement… éthique ! Personne n’aime se faire dire ses quatre vérités, surtout pas les partisans de l’immigration de masse, qui prétendent chaque fois se porter ainsi au secours de l’humanité souffrante. Et si cet « immigrationisme » vertueux n’était au fond que le nouveau visage du bon vieux colonialisme affublé d’un beau tampon humanitaire ?
Il y a longtemps que des chercheurs comme le démographe Emmanuel Todd ont expliqué le fait que, dans un monde où la communication mène le bal, le pillage des cerveaux avait remplacé celui des ressources naturelles. Cette « véritable prédation démographique », écrit-il, serait même plus grave que celle des ressources naturelles, car elle met aujourd’hui « en péril le développement de pays qui décollent ».
Parmi les milliers de migrants qui ont littéralement envahi l’île de Lampedusa la semaine dernière, personne ne s’est demandé — pas même le pape — combien il y avait de mécaniciens, de boulangers ou d’aides-infirmières qui désertent ainsi leurs pays. L’ancien journaliste de Libération Stephen Smith, professeur d’études africaines à l’Université Duke, en Caroline du Nord, a montré dans ses études que, contrairement à ce que sérine la presse, ce ne sont pas les plus pauvres qui émigrent. Ceux-là, en général, n’en ont pas les moyens. En cas de nécessité, ils se déplacent dans un pays voisin. Ceux qui se retrouvent chez nous sont ceux qui peuvent se le payer et qui pourraient donc au mieux contribuer à consolider la classe moyenne de leur pays.
Dans notre vision misérabiliste de l’Afrique — une vision encore aggravée par le catastrophisme climatique —, il ne nous viendrait pas à l’idée que les pays africains qui progressent, et il y en a, ont un urgent besoin de ces travailleurs pour se sortir de la misère. À Madagascar, en 2016, alors qu’il distribuait des bourses d’études, Philippe Couillard s’était ainsi fait rappeler à l’ordre par la ministre de l’Enseignement supérieur de Madagascar, qui lui dit que la plupart de ces boursiers ne revenaient jamais au pays. Et qu’ils étaient donc une perte sèche pour l’île. Belle charité que celle qui ne sert que le bienfaiteur. Ce jour-là, Philippe Couillard avait lui aussi longuement regardé ses souliers.
Dans ce que le politologue Pierre-André Taguieff appelle « l’utopie messianique du salut par l’immigration » — un mal très répandu au Canada —, il y a un mépris profond pour les peuples de nos pays, qui n’auraient d’avenir démographique, économique et culturel qu’en accueillant le plus d’étrangers possible.
Il y a aussi un mépris pour l’Afrique, car il sera toujours plus valorisant de s’épandre en larmes sur la misère africaine que d’appeler ces pays à se prendre en main et de les y aider à le faire. Ce qui me frappe toujours chez ceux qui ne jurent que par cette immigration providentielle, c’est leur désintérêt à peu près complet pour les pays pauvres. Comme si le seul avenir des Africains était de se déverser en nombre toujours plus grand dans nos beaux et grands pays riches et démocratiques. Ne sentez-vous pas là un étrange parfum de colonialisme ?
Source: Un parfum de colonialisme
