Les baby-boomers du Québec ne sont pas «pure laine» à 95%

Of note:

Selon M. Charles Gaudreault, ingénieur chez H2O Innovation, il faudrait s’attendre à un effondrement de la population québécoise d’« origine ethnique française » allant jusqu’à 45 % en 2050. Préoccupé par l’impact de l’immigration sur les populations des pays d’accueil comme le Canada et ses provinces, il n’a élaboré qu’un seul scénario pour couvrir huit décennies dans la revue Nations and Nationalism.

Ses inspirations lui viennent d’abord du Britannique David Coleman, pour qui « la population britannique blanche devrait tomber à moins de 56 % de la population du Royaume-Uni en 2056 ». Elles proviennent aussi des Américains James Smith et Barry Edmonston, qui ont prévu que la population blanche des États-Unis — à l’exclusion des Hispaniques — ne compterait plus que pour 51 % en 2050.
 
Considérant à tort que le recensement de 1971 offre les données les plus sûres sur l’origine ethnique, M. Gaudreault a effectué sa projection à partir d’un Québec dénombrant 6 millions d’habitants. À cette époque, les Québécois d’origine ethnique française comptaient pour 79 % de la population. Ne restent alors que 21 % pour englober toutes les autres origines, notamment les Premières Nations, les Britanniques, les communautés italiennes et grecques.

Pour justifier son choix, Gaudreault se base sur deux sources dont il a pris connaissance de manière distraite. D’une part, il prétend devoir faire un retour à « la démographie ethnique » après que « les démographes se [sont] tournés vers la démographie linguistique ». D’autre part, il s’appuie sur une étude généalogique d’un groupe de chercheurs sous la direction d’Hélène Vézina.

Il est faux d’affirmer qu’une « démographie ethnique » a déjà existé. S’il y a eu jadis rapprochement entre l’origine ethnique et la langue maternelle, c’était par intérêt pour cette dernière. Richard Arès n’a-t-il pas fait remarquer que « plus on va vers l’ouest, plus les chances du français s’effritent » chez les Canadiens français ?

Ensuite, affirmer « que les ancêtres des baby-boomers étaient à 95 % d’origine française », c’est confondre l’origine ethnique des personnes recensées en 1971 avec 2000 généalogies « contenant plus de cinq millions de mentions d’ancêtres », dont la plupart sont arrivés au XVIIe siècle, prenant ainsi une avance jugée « insurmontable ».

M. Gaudreault a ventilé ses résultats en trois classes étanches, plutôt que de les rendre perméables les unes aux autres, comme chez les démographes. Il y a d’abord les Canadiens français (Ethnic French Canadians). Ensuite, les Autochtones, les Britanniques et tous les autres groupes ethniques recensés en 1971 sont identifiés sous l’appellation Non French Canadians. Enfin, tous les immigrants arrivés depuis 1971, leurs enfants et leurs descendants forment une classe à part (Immigrants and Descendants – IAD).

Notons que le troisième groupe (IAD) réunit tous les immigrants originaires de pays francophones (France, Sénégal, Vietnam, Haïti, etc.) ainsi que tous les enfants que la loi 101 conduit, depuis 1977, dans nos écoles françaises ! Partant donc de zéro en 1971, les effectifs de ce groupe sont les seuls à augmenter sous l’effet de l’immigration. Les deux premiers groupes ne peuvent qu’être marginalisés avec le temps.

Le talon d’Achille : la rétroprojection

La partie rétrospective appartenant déjà à l’histoire, nous avons évalué les résultats de M. Gaudreault pour le groupe IAD à partir des faits démographiques observés entre 1971 et 2001.

Charles Gaudreault affirme que « la sous-population des IAD affiche une augmentation constante, de 0,8 million en 2000, à 2 millions en 2020, à 3 millions en 2035, puis à 4,1 millions en 2050 ». Cette suite de résultats dessine une équation mathématique qui ne tient pas compte des fluctuations de l’immigration. Au départ, il y a une sous-estimation de 29 % (1971-1976), suivie d’une surestimation de 24 % (1977-1988), et ainsi de suite.

Au recensement de 2001, on a dénombré au Québec 510 100 personnes immigrées arrivées durant les trois dernières décennies du XXe siècle. Parmi ces personnes, on comptait 150 800 femmes en âge d’avoir des enfants en 2001. Tous calculs faits, parmi ces Québécois recensés en 2001, nous avons estimé que 118 500 personnes âgées de 30 ans ou moins étaient issues des immigrantes de cette époque.

Selon nos calculs, la somme des immigrés de la période 1971-2001 et de leurs descendants n’est que de 617 000 personnes au lieu des 860 000 obtenues selon la projection de Charles Gaudreault. Force est de reconnaître qu’il y a surestimation de 243 000 personnes du groupe IAD. En pourcentage, cette surestimation est très importante : 39,5 % !

La partie rétroactive de la projection de Charles Gaudreault conduit à une proportion d’Ethnic French Canadians de 64,5 % en 2014. Puisque nos calculs donnent une proportion de 71,2 % pour une sous-estimation de près de 7 points, le maintien des mêmes hypothèses jusqu’en 2050 ne peut que produire, après 35 ans, des résultats sans commune mesure avec les données historiques probantes.

Source: Les baby-boomers du Québec ne sont pas «pure laine» à 95%

Ethnie-fiction et indépendance

Reminder how some Quebec intellectuals remain mired in Québecois de souche as the benchmark rather than language, in this critique by Charles Castonguay:

Dans sa chronique intitulée « Blues souverainistes » du 8 août dernier, Louis Cornellier souligne que « le poids des Québécois d’ascendance canadienne-française diminue sans cesse. Le chercheur Charles Gaudreault a montré qu’il était passé de 79 %, en 1971, à 64,5 %, en 2014 ». Selon Cornellier, il conviendrait « de constater une réalité qui rend l’indépendance de plus en plus improbable ».

Dans la revue L’Inconvénient (no 81, été 2020), Ugo Gilbert Tremblay enfonce le clou. « Or qu’en est-il exactement ? Quelle est la réalité sur laquelle plusieurs parmi les souverainistes préfèrent fermer les yeux ? [Le] chercheur Charles Gaudreault a voulu jeter un regard froidement objectif sur la question. La conclusion de son étude est que, de 1971 à 2014, [le poids] des Canadiens français est passé de 79 % à 64,5 % […] En projetant sur les prochaines décennies un flux migratoire comparable à celui des années précédentes, Gaudreault prédit que les Canadiens français deviendront minoritaires en sol québécois dès 2042 et que leur poids ne sera plus que de 45 % en 2050 […] Il me semble qu’un souverainiste mature devrait être capable de réfléchir — sans hargne ni rancune — aux implications de ces changements démographiques. »

Tout cela repose, cependant, sur de l’ethnie-fiction. Les projections en question ne tiennent pas la route.

Par exemple, Gaudreault définit le « groupe ethnique canadien-français » comme étant formé des descendants des colons français arrivés entre 1608 et 1760. Pour estimer son effectif en 1971, il utilise toutefois la population qui, au recensement, s’est déclarée d’origine française. Or, cette population découle aussi de deux bons siècles d’assimilation par voie de métissage ou d’adoption de personnes d’origine allemande, amérindienne, irlandaise, etc. ainsi que d’un siècle de nouvelle immigration française depuis 1870.

Gaudreault soutient également qu’en 1971, les répondants au recensement ne pouvaient indiquer qu’une seule origine. C’est faux. Ils pouvaient parfaitement en déclarer deux, trois ou plus. Statistique Canada a tout simplement éliminé les déclarations multiples avant la publication des données, en assignant à chaque répondant en cause une seule de ses origines déclarées.

Gaudreault affirme en outre que les données de 1971 sont les dernières observations fiables sur l’origine ethnique depuis 50 ans du fait qu’elles se fondent sur des « choix fermes », alors que tous les recensements suivants ont procédé par autoénumération. Faux encore. L’autorecensement a débuté en 1971 même, et Statistique Canada a recueilli des données fiables sur l’origine française jusqu’en 1991 inclusivement.

Les projections de Gaudreault excluent ensuite tout nouvel apport — même celui de nouveaux immigrants français — à sa population de départ, soit la population d’origine française énumérée en 1971. Pas surprenant, alors, qu’à force de faire mourir une population fermée et foncièrement sous-féconde, Gaudreault aboutisse, sous l’hypothèse d’une immigration non française abondante et soutenue, à un moignon de « Canadiens français ». Semblable appareil de projection réduirait en peu de temps n’importe quelle majorité à un statut minoritaire.

Dérapage

Notons qu’après une répartition égale des déclarations d’origines multiples entre les origines déclarées, le poids de la population d’origine française recensée en 1991 s’élevait à 77,5 %, en baisse de seulement 1,5 point de pourcentage depuis 1971. Par comparaison, les « descendants de Canadiens français » de Gaudreault en perdent 5, plongeant en 1991 à 74 %. Les projections de Gaudreault dérapent sérieusement, donc, dès 1991, soit 20 ans seulement après leur point de départ.

L’étude de Gaudreault a été mise en ligne en 2019 par la revue Nations and Nationalism. L’Action nationale en a repris l’essentiel en mars dernier, bonifié de quelques pages additionnelles dans lesquelles Gaudreault accuse Statistique Canada de ne pas avoir recueilli de données valables sur la langue depuis 1971. Faux toujours. Il y gratifie même Navdeep Bains, ministre responsable de Statistique Canada, et Anil Arora, son statisticien en chef, tous deux d’ascendance indienne, de remarques gentiment racistes.

Bel exemple de « regard froidement objectif ».

C’est d’ailleurs en fonction de la langue, et non de l’origine ethnique, qu’on juge du caractère français du Québec ou de l’appui éventuel à l’indépendance. Le poids de la population québécoise parlant le français comme langue principale à la maison est d’abord passé de 80,8 % en 1971 à près de 83 % en 1991, puis est revenu à 80,6 % en 2016. Dans cette optique, tout ne serait pas encore perdu.

Source: Ethnie-fiction et indépendance