Fréchette et Roberge comme cautions nationalistes à l’Énergie et à l’Immigration

Some analysis of the new Quebec immigration minister:

….À l’Immigration, l’arrivée de Jean-François Roberge est vue comme un moyen d’aligner les orientations du ministère avec le programme nationaliste de la Coalition avenir Québec (CAQ). Pour certains, Mme Fréchette — qui est ex-présidente-directrice générale de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal — est perçue comme étant trop près des demandes des associations patronales, qui réclament des hausses radicales des niveaux d’immigration.

Cela ne l’a pas empêchée de « livrer les commandes » qui lui ont été passées par la CAQ, observe une source du milieu économique. Ex-péquiste, Mme Fréchette avait claqué la porte du gouvernement Marois en 2014, incapable de défendre la Charte des valeurs que son parti allait proposer en campagne électorale.

Les talents de Mme Fréchette à l’Immigration ont été remarqués au bureau du premier ministre. La ministre a su calmer le jeu, surtout après le tollé causé par une affirmation de son prédécesseur. En pleine campagne électorale, en 2022, Jean Boulet avait déclaré que « 80 % des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ».

À l’aube d’élections fédérales, et vu l’explosion de l’immigration temporaire, les troupes de François Legault estiment que le moment est venu d’être plus revendicateur, plus « politique » dans ce ministère. Jean-François Roberge, notamment responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, apparaît tout désigné.

M. Roberge, ex-ministre de l’Éducation, fait partie de la frange nationaliste de la CAQ. « Jean-François, c’est un grand nationaliste, un enseignant, quelqu’un qui a à coeur le français », a dit à son sujet M. Legault après son assermentation. Dans ses fonctions actuelles, M. Roberge a notamment négocié une entente sur les langues officielles avec Ottawa. Quant à Christine Fréchette, elle est diplômée en administration et en relations internationales. Elle est souvent décrite comme une femme pugnace, mais discrète, capable d’obtenir les résultats qu’elle recherche….

Source: Fréchette et Roberge comme cautions nationalistes à l’Énergie et à l’Immigration

Computer translations:

…. At Immigration, the arrival of Jean-François Roberge is seen as a means of aligning the ministry’s orientations with the nationalist program of the Coalition avenir Québec (CAQ). For some, Ms. Fréchette — who is the former President and Executive Officer of the East Montreal Chamber of Commerce — is perceived as being too close to the demands of employers’ associations, which are calling for radical increases in immigration levels.

This did not prevent her from “delivering the orders” placed with her by the CAQ, observes a source from the economic community. Ex-Péquiste, Mrs. Fréchette slammed the door of the Marois government in 2014, unable to defend the Charter of Values that her party would propose in the election campaign.

Ms. Fréchette’s talents in Immigration were noticed in the Prime Minister’s office. The minister was able to calm the game, especially after the outcry caused by a statement by her predecessor. In the middle of the election campaign, in 2022, Jean Boulet said that “80% of immigrants go to Montreal, do not work, do not speak French or do not adhere to the values of Quebec society”.

On the eve of federal elections, and given the explosion of temporary immigration, François Legault’s troops believe that the time has come to be more demanding, more “political” in this ministry. Jean-François Roberge, in particular responsible for Canadian Relations and Canadian Francophonie, appears to be designated.

Mr. Roberge, former Minister of Education, is part of the nationalist fringe of the CAQ. “Jean-François is a great nationalist, a teacher, someone who cares about French,” said Mr. Legault after his oath. In his current duties, Mr. In particular, Roberge negotiated an agreement on official languages with Ottawa. As for Christine Fréchette, she has a degree in administration and international relations. She is often described as a pugnacious, but discreet woman, capable of obtaining the results she is looking for….

A related article, Le milieu de l’immigration craint que Roberge ne soit qu’un «ministre à temps partiel»

Nommer au ministère de l’Immigration Jean-François Roberge, qui détient déjà les portefeuilles de la Langue française et des Relations canadiennes, est « un choix cohérent » pour le gouvernement caquiste actuel, qui prône un nationalisme identitaire et économique et qui est engagé dans un bras de fer avec Ottawa. Mais l’Immigration est un véritable « monstre », qui demande une expertise complexe qui va au-delà des questions de langue et de main-d’oeuvre, indiquent des acteurs du milieu. M. Roberge est-il l’homme de la situation ?

« Je ne suis pas certain qu’il est très connaissant de tous les dossiers en immigration », dit Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), qui représente plus de 150 organismes communautaires. Il rappelle que, au point de vue du budget et du nombre d’employés, c’est la francisation qui occupe le plus de place au sein du ministère de l’Immigration. « J’imagine que c’est surtout ça qui va intéresser [le ministre]. On va voir. On va laisser une chance au coureur. »

M. Reichhold craint surtout que l’immigration ne reçoive pas toute l’attention qu’elle mérite. « Ce sera un ministre à temps partiel et, pour nous, c’est toujours très handicapant », dit-il. Il cite comme exemple des prédécesseurs de Christine Fréchette : Jean Boulet, qui était aussi ministre de l’Emploi, du Travail et de la Solidarité sociale, et Nadine Girault, qui avait aussi la responsabilité des Relations internationales et de la Francophonie. « Le plus gros problème, on l’a vécu avec Jean Boulet, c’est l’absence du ministre. »

Il dit toutefois avoir été bien servi avec la ministre Fréchette, dont l’immigration était l’unique responsabilité. « Elle maîtrisait bien ses dossiers, et même si on n’était pas toujours d’accord, il était possible d’avoir de bons échanges avec elle, raconte M. Reichhold. Je ne sais pas dans quelle mesure M. Roberge va être à l’écoute, mais on espère avoir de bonnes relations avec lui. »

Au début de l’année, Jean-François Roberge avait suscité l’ire de plusieurs immigrants et personnes travaillant dans le milieu en déclarant que le grand nombre de demandeurs d’asile menaçait les services et pourrait aller jusqu’à compromettre l’identité québécoise. Aura-t-il un accueil plus tiède du milieu ? « Difficile à dire », avance M. Reichhold. « Il calquait son discours sur celui du premier ministre. Ça va freiner ses ardeurs [de devenir] ministre de l’Immigration. Il va comprendre que ce n’est pas à son avantage de tenir ce type de propos. »

Le portefeuille de l’Immigration, « pas un cadeau »

Professeure adjointe au Département de science politique de l’Université de Montréal, Catherine Xhardez fait aussi remarquer que la ministre sortante avait réussi à piloter habilement les dossiers de l’Immigration pour plaire aux diverses « coalitions » — économiques, identitaires — de la Coalition avenir Québec. « Elle avait réussi à gagner le respect et la confiance de plusieurs groupes et à naviguer entre eux. C’est ça qui est le plus difficile. Ça va constituer un défi pour le nouveau ministre », dit la chercheuse spécialiste en politiques publiques et en immigration.

Le défi sera aussi de gagner la confiance des acteurs de la première ligne. « Quand on devient ministre de l’Immigration, on est confronté à toute cette complexité. C’est tellement hétéroclite. Il y a beaucoup de programmes. C’est un monstre, l’Immigration. Ce n’est pas un cadeau », constate-t-elle. C’est là une occasion pour le nouveau ministre de se plonger dans la réalité du terrain. « C’est son défi et en même temps une opportunité de gérer mieux, en synergie et de manière plus holistique », croit Mme Xhardez.

Et l’immigration, c’est beaucoup plus que de la francisation. « Pour être en mesure de négocier, il faut connaître sur le bout des doigts les programmes, les chiffres, comprendre les accords et rester compétitif par rapport au reste du Canada, et ça veut dire aussi comprendre les employeurs, le patronat, le milieu des affaires et comprendre les problèmes de terrain dans l’accueil et la disponibilité des services. »

Source: Le milieu de l’immigration craint que Roberge ne soit qu’un «ministre à temps partiel»

Appointing Jean-François Roberge, who already holds the French Language and Canadian Relations portfolios, to the Ministry of Immigration, is “a coherent choice” for the current Caquist government, which advocates identity and economic nationalism and is engaged in a tug-of-war with Ottawa. But Immigration is a real “monster”, which requires complex expertise that goes beyond language and labor issues, say actors in the field. Mr. Is Roberge the man of the situation?

“I’m not sure he’s very knowledgeable about all immigration issues,” says Stephan Reichhold, director of the Table for Concertations for Refugees and Immigrants (TCRI), which represents more than 150 community organizations. He recalls that, from the point of view of the budget and the number of employees, it is the francization that occupies the most space within the Ministry of Immigration. “I imagine that this is mainly what will interest [the minister]. We’ll see. We’ll give the runner a chance. ”

Mr. Reichhold fears above all that immigration will not receive all the attention it deserves. “It will be a part-time minister and, for us, it is always very disabling,” he says. He cites as an example Christine Fréchette’s predecessors: Jean Boulet, who was also Minister of Employment, Labour and Social Solidarity, and Nadine Girault, who was also responsible for International Relations and La Francophonie. “The biggest problem, we experienced it with Jean Boulet, is the absence of the minister. ”

However, he says he was well served with Minister Fréchette, whose immigration was the sole responsibility. “She mastered her files well, and even if we did not always agree, it was possible to have good exchanges with her,” says Mr. Reichhold I don’t know to what extent Mr. Roberge will be listening, but we hope to have good relations with him. ”

At the beginning of the year, Jean-François Roberge had aroused the ire of several immigrants and people working in the environment by stating that the large number of asylum seekers threatened the services and could go so far as to compromise Quebec identity. Will he have a lukewarm welcome from the environment? “Hard to say,” says Mr. Reichhold “He modelled his speech on that of the Prime Minister. It will curb his ardor [to become] Minister of Immigration. He will understand that it is not to his advantage to make this type of comment. ”

The Immigration portfolio, “not a gift”

Catherine Xhardez, an assistant professor in the Department of Political Science at the Université de Montréal, also notes that the outgoing minister had managed to skillfully manage immigration issues to please the various “coalitions” – economic, identity – of the Coalition avenir Québec. “She had managed to gain the respect and trust of several groups and navigate between them. That’s what’s the most difficult. It will be a challenge for the new minister, “says the researcher specializing in public policy and immigration.

The challenge will also be to gain the trust of front-line actors. “When you become Minister of Immigration, you are faced with all this complexity. It’s so heterogeneous. There are many programs. It’s a monster, Immigration. It’s not a gift,” she says. This is an opportunity for the new minister to immerse himself in the reality of the field. “This is his challenge and at the same time an opportunity to manage better, in synergy and in a more holistic way,” believes Ms. Xhardez.

And immigration is much more than francization. “To be able to negotiate, you have to know the programs, the numbers, understand the agreements and remain competitive with the rest of Canada, and it also means understanding employers, employers, the business community and understanding the field problems in the reception and availability of services. ”

Canadian provinces in open competition for economic immigrants

Summary of interesting research:

At a time of widespread labor shortages, the competition to attract and retain skilled immigrants isn’t just between countries; Canada’s provinces are also competing against each other. Catherine Xhardez, a professor in the Department of Political Science at Université de Montréal who studies immigration policy, discussed the trend in a talk on June 6 at the Forum sur l’intégration 2024 in Montreal.

Based on her recent study titled “‘Stand by me’: competitive subnational regimes and the politics of retaining immigrants,” Xhardez examined the strategies used by the provinces to attract, select and above all retain economic immigrants.

The work is published in the Journal of Ethnic and Migration Studies.

More immigration powers

While Quebec was the first province to gain increased powers over immigration, the other provinces quickly followed suit. Under bilateral agreements with the federal government, they now have significant powers, particularly over economic immigration.

“Of all the federated entities in the world, Canada’s provinces have the greatest say in immigration matters,” Xhardez said. “They have used their autonomy to develop policies for attracting, recruiting, selecting and receiving immigrants, as well as distribution strategies to spread newcomers across their territory.”

The instrument most frequently used by provinces to attract economic immigrants is the Provincial Nominee Program (PNP), which lets them directly select a significant portion of their skilled immigrants. In some cases, up to 90% of a province’s economic immigrants have been selected through the PNP.

After these targeted selection efforts, however, provinces face a major challenge in retaining the immigrants they have selected.

“Under the Canadian Charter of Rights and Freedoms, immigrants enjoy the same freedom of movement as Canadian citizens, with some qualifications, and can therefore change province at will,” Xhardez noted.

Varying retention rates

The data Xhardez gathered by reviewing provincial documents published between 2005 and 2022 and 63 economic immigration programs show significant interprovincial differences in retention five years after arrival.

British Columbia, Quebec and Alberta lead the way with retention rates of 86%, 85% and 83% respectively (5-year rates), all immigrant categories). At the other end of the scale, some Atlantic provinces struggle to hold onto immigrants: New Brunswick retains 50%, Newfoundland and Labrador 46%, and Prince Edward Island 31%.

Taking local ties into account

To maximize their chances of retaining economic immigrants, the provinces apply specific selection criteria, using PNPs not only as tools for attraction and selection but also as levers for retention.

Xhardez divides the provinces’ actions on this front into four categories:

  • Adaptability factors: Applicants are favored if they already have family, professional or educational ties to the province.
  • Demonstrated intent and ability to settle permanently: Some provinces, such as Manitoba, require proof of ties to the local community.
  • Detailed settlement plan: Applicants may be required to provide a concrete integration plan, including points such as place of residence and education for their children.
  • Exclusion criteria: Candidates may be rejected if, for example, they reside in another province or own property in another province.

These practices give rise to a new selection criterion: According to Xhardez, the “ideal migrant” is no longer just someone who has the required professional skills but also someone who shows a strong commitment to the host province.

“It remains to be seen whether these policies work in the long term and we need a better understanding of immigrants’ trajectories,” she said. There are, she noted, other factors that can influence the decision to stay in a province or leave.

Major financial and societal challenges

The importance that Canadian provinces attach to retaining economic immigrants “is due to the provinces’ investments and efforts in both attracting and integrating newcomers,” Xhardez observed. “The departure of an immigrant to another province is therefore a net loss for the original host province.”

Beyond the financial considerations, these retention strategies raise questions about the balance between the provinces’ economic needs and immigrants’ right to mobility. They also highlight the challenges of long-term integration of newcomers and building a sense of belonging.

“As the competition for talent intensifies, Canadian provinces continue to refine their approaches,” said Xhardez. “The effectiveness of these policies and their impact on the country’s demographic and economic distribution will remain subjects of study and debate in the years to come.”

Source: Canadian provinces in open competition for economic immigrants

La capacité d’accueil, un concept qui rebondit à travers l’histoire

Good discussion and analysis of absorptive capacity. Le Devoir’s Champagne is one of the few Quebec journalists focussing on immigration with considerable understanding and nuance:

Il n’y a pas de consensus scientifique sur la capacité d’accueil, une expression qui résonne de plus en plus souvent à Québec. À travers l’histoire et les idéologies politiques, des concepts analogues ont souvent été utilisés pour poser des limites à l’immigration et exprimer des malaises, voire de l’hostilité, disent deux politologues et un historien.

« Le concept est remis au goût du jour, ça revient cycliquement dans les débats, mais c’est vrai que ce n’est pas nécessairement nouveau », dit d’emblée Mireille Paquet, politologue à l’Université Concordia.

La capacité d’accueil n’appartient pas qu’au domaine mathématique, elle oscille plutôt entre « des discours d’opinion et des dialogues qu’on voudrait baser sur les données », selon elle. Au-delà de l’obsession pour les chiffres ces dernières années, c’est aussi une manière de « projeter beaucoup d’insécurité par rapport à l’immigration, sans utiliser les mots ou les concepts moins acceptables dans le discours public ».

C’est avant tout une expression liée à l’émotion, selon l’historien Pierre Anctil. « Souvent, les perceptions, les notions abstraites sont cachées sous un vocable rationnel, mais au fond, il y a une émotion négative. » Avec les expressions autour de « l’accueil », « on cherche une manière de déclarer notre hostilité sans être hostile », souligne aussi ce professeur émérite de l’Université d’Ottawa. Il y a aujourd’hui un amalgame de cette capacité avec des mots lourdement chargés, comme « menace », mais cette fois, elle est tournée principalement vers la langue.

Historique

Durant la première décennie du XXe siècle, la plus importante vague migratoire se déploie au pays, et Montréal y participe vigoureusement. Il arrive alors plus de deux millions de personnes au Canada. Entre 1911 et 1931, la proportion d’immigrants dans la population est alors de 22 %, et il faudra près d’un siècle (en 2021) pour retrouver un pourcentage aussi élevé.

Les communautés non catholiques et non chrétiennes sont alors perçues comme « menaçantes », explique M. Anctil, et il n’est pas besoin d’aller très loin pour comprendre « cette hostilité générale à toute forme d’immigration ». Cette méfiance est particulièrement exprimée dans Le Devoir, et de façon parfois très virulente, comme sous la plume du directeur Georges Pelletier dès 1913. Les Juifs sont alors décrits comme « les déchets de l’Europe » qui « vont nous nuire et qu’on ne réussira jamais à assimiler », raconte l’historien. Même à l’aube de la Seconde Guerre mondiale et après, les élites et la population ne souhaitent pas recevoir les victimes du régime nazi.

Il n’y a alors aucun effort qui est fait pour la francisation ou pour intervenir auprès des populations immigrantes afin de les aider à trouver un emploi ou un logement, « parce qu’essentiellement, on jugeait que c’était impossible », note M. Anctil. Il faudra attendre la Révolution tranquille, la création d’un ministère provincial de l’Immigration et la loi 101 pour que le Québec tente de trouver des solutions. Une fois le « quotient religieux retiré », il devient possible de devenir Québécois sans devoir se convertir. La situation globale du français s’est aussi améliorée, soutient le professeur. On le voit lorsque l’on compare les statistiques d’aujourd’hui avec celles des années 1970 et 1980, dit-il.

De concept en concept : absorption, intégration, accueil

Mais pour arriver à l’expression « capacité d’accueil », il faut encore reculer dans le temps. Cette idée que la société, le territoire ou le gouvernement peut recevoir un volume donné de nouveaux arrivants a surgi dans les années 1930 sous l’expression « absorptive capacity ». Elle est principalement utilisée par Mackenzie King, premier ministre du Canada durant trois mandats entre 1921 et 1948, qui cherche à justifier des limites posées à l’immigration.

Mais le terme est alors « vague et indéfini » et prend en compte les naissances en plus de l’immigration, signale Catherine Xhardez, professeure de science politique à l’Université de Montréal. Il n’est alors pas question de tenter d’en faire la comptabilité.

À l’époque, l’expression est aussi tout près des discours sur la possibilité ou non « d’assimiler » culturellement de grandes populations (voir l’encadré). « Dans l’histoire, ce concept de capacité d’absorption se basait sur l’ethnicité, sur la capacité à absorber ces gens non anglo-saxons dans la culture, par exemple », expose quant à elle Mme Paquet, aussi directrice scientifique de l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ERIQA).

Ce n’est qu’en 1962 que le Canada élimine les critères raciaux explicites dans sa politique d’immigration. Celle-ci devient alors encore plus foncièrement économique, même si elle cherche déjà depuis la fin du XIXe siècle à pourvoir des emplois précis. Dans ces mêmes années apparaît aussi peu à peu le concept de « capacité d’intégration », surtout au travail, dans le discours. Le taux idéal dépend alors du pouvoir de l’économie à fournir des emplois aux immigrants aux salaires qui ont cours.

En 2010, c’est au tour du Vérificateur général du Québec de reprocher au ministère provincial de l’Immigration de ne pas utiliser « d’indicateurs socioéconomiques pour bien cerner la capacité réelle » d’accueil de la province. « Vous n’évaluez pas les programmes d’immigration et il n’y a pas de suivi », disait en gros le rapport, selon Catherine Xhardez.

« Évidemment, il y a tout un champ d’évaluation des politiques publiques », rappelle-t-elle à propos de sa discipline. Les immigrants ont-ils accès aux mêmes emplois que les natifs ? Ont-ils les mêmes perspectives ou la même qualité de vie ? « Il y a des programmes qui fonctionnent très bien et des résultats sur le terrain. […] Moi, je crois à l’évaluation », dit la professeure.

Mais le débat sur la capacité d’accueil « semble dire autre chose », à savoir qu’un calcul permettrait de faire une prédiction, et non pas d’évaluer des politiques passées. « Il y a des politiques qui fonctionnent bien, il faut le dire, il y a des résultats sur le terrain. Mais il faut aussi pouvoir évaluer des systèmes qui ne fonctionnent pas et dire : “Ici on a investi, mais ça ne donne pas de résultats” », expose-t-elle.

L’insistance sur la capacité d’accueil « vient surtout chercher notre rêve de se dire : l’immigration, c’est compliqué, mais peut-être que si on trouvait la bonne formule, la bonne équation, ce serait mieux », explique Mireille Paquet.

Dans la littérature scientifique, rien ne semble indiquer qu’un « seuil magique » existe ou non, notamment quant à la réaction de la population. « Les backlashs ou les retours de flamme, ce n’est pas un nombre absolu à partir duquel les gens sont fâchés », note Catherine Xhardez. C’est plutôt le rythme d’arrivée, les augmentations subites, et surtout leur médiatisation accrue.

Politisation plutôt que calcul

Les partis politiques jouent un grand rôle en influençant et en donnant les termes du débat, disent ces deux spécialistes. Ensemble, elles ont étudié les programmes des partis politiques entre 1991 et 2018. Elles ont conclu que la Coalition avenir Québec (CAQ) a été un « agent de politisation » de l’immigration dès 2012, lorsque le parti a introduit dans son programme l’idée de diminuer les niveaux d’immigration.

La réduction proposée est de 20 %, pour que ces seuils reflètent « notre capacité d’accueil et d’intégration », est-il inscrit dans son programme.

Dès 2018, la CAQ reproche aussi au gouvernement libéral d’avoir « ouvert la porte à une forte remontée des immigrants temporaires, sans planifier d’aucune façon leur accueil et les impacts sur la langue, le logement ou les infrastructures ». Ce sont d’ailleurs les mêmes critiques qui sont maintenant adressées au gouvernement, alors que les résidents non permanents ont atteint des records.

Ces mêmes critiques leur sont maintenant adressées puisque le sujet de l’immigration temporaire rattrape le gouvernement depuis au moins un an, le nombre de résidents non permanents ayant atteint des records.

Y a-t-il une manière de sortir de la politisation ? La plupart des experts consultés sont incertains quant à la possibilité de calculer la capacité d’accueil. Doit-on la calculer sur une année ? Sur 10 ans ? Jusqu’à quel point les indicateurs peuvent-ils devenir objectifs ? L’appel récent aux projets de recherche diffusé par le ministère de l’Immigration répondra peut-être à certaines de ces questions, mais pour l’instant, ni Mme Xhardez ni Mme Paquet ne connaissent de chercheurs qui se sont lancés.

Source: La capacité d’accueil, un concept qui rebondit à travers l’histoire