ICYMI: Nicolas | L’autoritarisme qui épuise
2024/10/22 Leave a comment
A lire:
Vendredi dernier, Gabor Maté, médecin canadien de renom et expert de l’impact du traumatisme sur la santé, a publié une lettre ouverte fascinante dans The Guardian : « Nous avons tous un nazi en nous. Nous devons comprendre les racines psychologiques de l’autoritarisme. » L’auteur de plusieurs succès de librairie internationaux est aussi un survivant de l’Holocauste : son titre retient l’attention.
Le texte est un condensé d’un des chapitres de son plus récent essai, The Myth of Normal: Trauma, Illness and Healing in a Toxic Culture. La lettre ouverte comme le chapitre nous offrent une comparaison des traits psychologiques de Donald Trump et d’Adolf Hitler. Maté nous parle de leur propension au mensonge, leur méfiance proche de la paranoïa, leur opportunisme crasse, leur penchant pour la cruauté, leur mégalomanie, leur impulsivité sans borne et leur mépris pour la faiblesse.
Ce qui est intéressant, c’est qu’au-delà de l’opinion, on s’appuie sur les dernières études en santé mentale pour voir dans ces traits les signes caractéristiques d’une enfance marquée par le trauma.
En s’appuyant sur l’expertise de plusieurs collègues, Gabor Maté nous apprend notamment que plus un enfant aura été exposé à un style parental autoritaire et punitif, plus il sera prompt à soutenir des options politiques autoritaristes et violentes une fois adulte. Particulièrement s’il n’est jamais passé par une psychothérapie — et s’il est un homme.
L’auteur nous indique aussi que l’amygdale, soit la région du cerveau responsable de la peur, a tendance à être plus grosse et plus active chez les gens qui sont plus à droite, qui sont attirés par des figures autoritaires « fortes » et qui affichent une méfiance marquée pour les étrangers et la différence. Et, bien sûr, le développement du cerveau est influencé par le contexte dans lequel un enfant évolue.
Si je peux résumer dans mes mots : un enfant qui a été méprisé et ridiculisé, voire violenté pour sa « faiblesse » et son besoin de protection, aura tendance, à moins d’une guérison, à se transformer en adulte qui méprise la vulnérabilité — la sienne et celle des autres — et à se protéger de toute forme d’humiliation future en devenant lui-même l’intimidateur en chef, ou en gravitant autour de leaders qui opèrent avec une vision du monde similaire.
Ce plongeon dans les écrits de Gabor Maté m’a aidée à écouter le débat présidentiel américain de mardi avec une attention particulièrement… « clinique ». Parce des notions de neurosciences peuvent certes nous aider à comprendre Donald Trump, son admiration pour des figures autoritaires comme Viktor Orbán ou Vladimir Poutine ainsi que son attrait pour sa base. Elles peuvent aussi nous donner des pistes pour mieux saisir ce qui se passe en nous-mêmes lorsque nous l’écoutons. Le mot-clé, ici, c’est une sensation d’épuisement.
Nous sommes plusieurs ces temps-ci à évoquer la « loi de Brandolini », soit l’idée qu’il est bien plus énergivore de réfuter des sottises que d’en débiter. Trump ment pratiquement par automatisme : il invente une réalité dont il est le héros, au fur et à mesure, pour éviter de faire face au réel. Répondre à ses mensonges suscite à la fois un épuisement, un dégoût, mais aussi une fascination — un mélange d’émotions qu’on pouvait d’ailleurs lire sur le visage de Kamala Harris mardi. Raconter que des immigrants dévorent les animaux de compagnie des Américains, par exemple : vraiment, il faut le faire. Toute personne saine d’esprit prendra un moment pour se demander comment c’est possible. Cette stupéfaction nous tirera de l’énergie.
L’univers de paranoïa dans lequel nous plonge le trumpisme, ainsi que les droites autoritaires de manière plus générale, est tout aussi énergivore. Si l’on croit fondamentalement que toute « faiblesse » est à refouler, mépriser, écraser et éliminer, on ne viendra jamais à bout de l’ennemi, puisque le monde ne cessera jamais de produire de la vulnérabilité et de la différence.
C’est une vision du monde qui explique le mépris des femmes — associées dans l’imaginaire à la sensibilité — et de leurs droits fondamentaux. Et on le sait, la suprématie blanche a aussi profondément marqué l’Amérique : si l’on tient à imaginer la majorité de l’humanité comme barbare, « sauvage », on se sent nécessairement constamment en danger, assiégé par la figure de l’étranger, de l’immigrant, du racisé.
Dans le mode de pensée autoritariste, on croit sincèrement qu’un leader « fort », c’est-à-dire violent envers un Autre qu’on imagine capable de ne comprendre que la violence punitive, est notre seul rempart contre le chaos et l’insécurité. On a là affaire à une lointaine descendance de la pensée politique de l’influent philosophe Thomas Hobbes, qui imaginait comme d’autres avant lui que « l’homme est un loup pour l’homme » dans « l’état de nature ». C’est un univers psychologique qui est profondément dangereux pour ceux qui en font les frais, mais aussi angoissant pour ceux qui y adhèrent.
On aura tellement dit de choses sur Donald Trump depuis 2016. Mais je crois qu’on sous-estime encore comment son existence publique agit comme un vortex énergivore de classe mondiale. Nous sommes nombreux à avoir côtoyé dans nos vies personnelles des personnes blessées, restées émotionnellement immatures, et qui ne guérissent pas. Dans les cas extrêmes, elles deviennent des trous noirs d’attention qui absorbent les forces vitales de leur environnement et qui nous enferment dans la gestion de leur volatilité. Mais lorsque ce type de profil est celui de l’un des hommes les plus puissants du monde, c’est la planète qui risque de voir son niveau d’échanges rabaissé à celui de ce tyran et de ses sautes d’humeur.
Mardi soir, 90 minutes de télévision nous ont réexposés à un homme qui affiche une peur morbide de grands pans du réel, et qui se défend en niant le réel par le mensonge ou en promettant d’écraser le réel par la violence politique. Si 90 minutes suffisent à générer un profond sentiment d’épuisement, je n’ose pas imaginer quatre autres.
