Idées | Les leçons de l’expérience française sur la laïcité à l’école et la limite des lois
2024/12/11 Leave a comment
Thoughtful discussion and recognition that coercive measures are ineffective in improving the “vivre ensemble”
Maintenant que 17 établissements scolaires font déjà l’objet d’enquêtes pour de possibles manquements à la laïcité et que l’école Saint-Maxime de Laval fait les manchettes, les enjeux entourant la laïcité détonnent de plus belle. Un rapport détaillé sur ces cas est attendu en janvier.
Cette situation soulève des questions fondamentales sur l’application de la laïcité, une valeur profondément ancrée en France, mais aussi au Québec. Présentée comme garante de la neutralité de l’État face aux religions et protectrice des libertés individuelles, la laïcité, lorsqu’elle se traduit en législation scolaire restrictive, peut devenir une source de divisions plutôt qu’un facteur de cohésion. La France, pionnière dans la mise en œuvre de telles politiques depuis la fin des années 1980, offre un exemple clé pour l’analyse de leurs effets sur le climat scolaire et les relations interculturelles.Des restrictions qui n’améliorent pas le respect de la laïcité
L’un des principaux arguments avancés pour ces lois est qu’elles renforceraient la laïcité en garantissant un espace neutre où toutes les croyances sont respectées. Cependant, en interdisant certaines pratiques religieuses, cette législation donne souvent l’impression de cibler des communautés spécifiques, ce qui crée un sentiment de stigmatisation et de discrimination.
En France, les lois sur la laïcité ont principalement affecté les jeunes filles musulmanes portant le hidjab. Ce ciblage a donné lieu à des accusations de traitement inégal et à des débats sur l’incompatibilité supposée entre l’islam et les valeurs dites « républicaines ». Or, la laïcité, idéalement, ne devrait ni exclure ni contraindre, mais offrir à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire. Les restrictions imposées par les lois sur les signes religieux dans les écoles publiques compromettent cet équilibre en associant la laïcité à un outil coercitif plutôt qu’à un cadre émancipateur.Un climat scolaire exacerbé par les tensions
Loin d’apaiser les tensions dans les établissements scolaires, les lois restrictives tendent à les exacerber. Dans l’affaire de Creil et dans les années qui ont suivi, de nombreux cas similaires ont mis en lumière l’instrumentalisation des écoles comme champ de bataille idéologique. Cela détourne les enseignants et les élèves de leur mission première : apprendre et grandir ensemble.
Des études menées en France montrent que l’application de la loi de 2004 a conduit à une augmentation des conflits dans les établissements touchés. Comme l’avait souligné la chercheuse Françoise Lorcerie en 2008, la législation prohibitive ne fait qu’accroître les tensions, souvent accompagnées d’une spirale médiatique et politique. Ce type d’escalade installe rarement le climat propice à la discussion de ce genre d’enjeu, comme la France a pu le voir lors de la commission Stasi, qui a mené aux lois prohibitives de 2004. La surreprésentation du camp prohibitionniste dans les médias fut soulevée dans la recherche (Thomas, 2008).Ces lois ont également renforcé un climat de suspicion envers les élèves issus de minorités et fait en sorte que les professeurs se sentent parfois pris dans un rôle de police des comportements religieux. Ce type d’interventions n’encourage ni la compréhension mutuelle ni l’intégration, mais peut au contraire favoriser un repli identitaire chez les jeunes concernés.
Des relations interculturelles mises en péril
Une des promesses implicites de ces lois est qu’elles favoriseraient l’intégration des élèves dans la société laïque. Pourtant, l’effet inverse semble souvent se produire. Les interdictions rigides de pratiques religieuses, même dans un cadre scolaire, peuvent être perçues comme une négation de l’identité culturelle et spirituelle des élèves concernés.
En France, l’application de ces lois a parfois contribué à marginaliser des groupes minoritaires, alimentant un sentiment de rejet et une méfiance accrue envers les institutions publiques. Dans ce contexte, les établissements scolaires, qui devraient être des lieux de dialogue interculturel et de formation citoyenne, risquent de devenir des espaces de division.
Au-delà des murs de l’école, ces lois ont également un impact sur la perception des valeurs d’accueil dans la société. Plutôt que de renforcer une laïcité apaisée, elles alimentent le discours de l’exclusion et du « nous contre eux ». Les jeunes issus de ces minorités religieuses font ainsi face à un dilemme : renoncer à une partie de leur identité pour se conformer, ou résister, au risque de se voir rejetés davantage.Pour une approche équilibrée de la laïcité
L’exemple français devrait servir de mise en garde pour le Québec envisageant de légiférer dans le même sens. Si l’objectif est de promouvoir la laïcité et le vivre-ensemble, des mesures coercitives ne sont pas la solution. La laïcité doit être perçue comme une valeur d’union et de respect mutuel, et non comme un instrument de contrôle ou d’assimilation forcée.
En fin de compte, les écoles devraient être des lieux où les enfants apprennent à vivre ensemble dans la diversité, et non des arènes de conflits idéologiques. Loin de résoudre les problèmes auxquels elles prétendent s’attaquer, les lois restrictives sur la laïcité risquent de creuser les fractures qu’elles cherchent à combler. L’expérience française, marquée par des décennies de controverses sur le sujet, montre qu’une approche plus nuancée et inclusive à la québécoise est non seulement souhaitable, mais aussi nécessaire pour bâtir une société véritablement respectueuse des différences.
Source: Idées | Les leçons de l’expérience française sur la laïcité à l’école et la limite des lois
Now that 17 schools are already being investigated for possible breaches of secularism and the Saint-Maxime de Laval school is making headlines, the issues surrounding secularism are more in tune. A detailed report on these cases is expected in January.
This situation raises fundamental questions about the application of secularism, a value deeply rooted in France, but also in Quebec. Presented as a guarantor of the neutrality of the State in the face of religions and a protector of individual freedoms, secularism, when it translates into restrictive school legislation, can become a source of division rather than a factor of cohesion. France, a pioneer in the implementation of such policies since the late 1980s, offers a key example for the analysis of their effects on the school climate and intercultural relations.
Restrictions that do not improve respect for secularism
One of the main arguments put forward for these laws is that they would strengthen secularism by guaranteeing a neutral space where all beliefs are respected. However, by prohibiting certain religious practices, this legislation often gives the impression of targeting specific communities, which creates a sense of stigmatization and discrimination.
In France, the laws on secularism have mainly affected young Muslim girls wearing the hijab. This targeting has given rise to accusations of unequal treatment and debates about the supposed incompatibility between Islam and so-called “republican” values. However, secularism, ideally, should neither exclude nor constrain, but offer everyone the freedom to believe or not to believe. The restrictions imposed by the laws on religious signs in public schools compromise this balance by associating secularism with a coercive tool rather than an emancipatory framework.
A school climate exacerbated by tensions
Far from easing tensions in schools, restrictive laws tend to exacerbate them. In the Creil case and in the years that followed, many similar cases highlighted the instrumentalization of schools as an ideological battlefield. This distracts teachers and students from their primary mission: to learn and grow together.
Studies conducted in France show that the application of the 2004 law has led to an increase in conflicts in affected institutions. As researcher Françoise Lorcerie pointed out in 2008, prohibitive legislation only increases tensions, often accompanied by a media and political spiral. This type of escalation rarely sets the climate conducive to the discussion of this kind of issue, as France was able to see during the Stasi commission, which led to the prohibitive laws of 2004. The overrepresentation of the prohibitionist camp in the media was raised in the research (Thomas, 2008).
These laws have also reinforced a climate of suspicion towards students from minorities and ensured that teachers sometimes feel caught in a role of police of religious behavior. This type of intervention does not encourage mutual understanding or integration, but can on the contrary promote an identity retreat among the young people concerned.
Intercultural relationships at risk
One of the implicit promises of these laws is that they would promote the integration of students into secular society. However, the opposite effect often seems to occur. Rigid prohibitions of religious practices, even in a school setting, can be perceived as a negation of the cultural and spiritual identity of the students concerned.
In France, the application of these laws has sometimes contributed to marginalizing minority groups, fueling a feeling of rejection and increased distrust of public institutions. In this context, schools, which should be places of intercultural dialogue and civic education, risk becoming spaces of division.
Beyond the walls of the school, these laws also have an impact on the perception of welcoming values in society. Rather than strengthening a peaceful secularism, they feed the discourse of exclusion and “we against them”. Young people from these religious minorities thus face a dilemma: giving up part of their identity to conform, or resist, at the risk of being further rejected.
For a balanced approach to secularism
The French example should serve as a warning for Quebec considering legislating in the same direction. If the objective is to promote secularism and living together, coercive measures are not the solution. Secularism should be perceived as a value of union and mutual respect, and not as an instrument of control or forced assimilation.
At the end of the day, schools should be places where children learn to live together in diversity, not arenas of ideological conflicts. Far from solving the problems they claim to tackle, restrictive laws on secularism risk deepening the fractures they seek to fill. The French experience, marked by decades of controversy on the subject, shows that a more nuanced and inclusive Quebec approach is not only desirable, but also necessary to build a society that truly respects differences.
