Le Devoir editorial: Dialogue de sourds [immigration]
2025/11/10 Leave a comment
Biting editorial that notes the substantive convergence despite the ongoing politicization:
Les gouvernements d’Ottawa et de Québec parlent tout à coup la même langue en matière d’immigration. Après des années de profonds désaccords, entre l’accueil pléthorique obstiné du fédéral et les inquiétudes québécoises ignorées, tous deux s’entendent désormais, sous la gouverne recadrée du premier ministre canadien Mark Carney, sur les objectifs à cibler et les correctifs à apporter. Une soudaine convergence qui n’a toutefois pas mis fin à leur dialogue de sourds entêté.
La présentation des cibles d’immigration fédérales dans le premier budget de Mark Carney aurait pu être rédigée par le gouvernement caquiste de François Legault lui-même. Le « nouveau gouvernement du Canada », comme il prend encore le soin de se qualifier près de sept mois après son élection, reconnaît que le système d’immigration fédéral « n’est plus viable ». Le rythme d’accueil des dernières années « a commencé à dépasser la capacité habituelle du Canada à absorber et soutenir les nouveaux arrivants ». « Nous reprenons le contrôle », annoncent les libéraux, afin de ramener les seuils « à des niveaux acceptables ». Un choix de mots qui aurait été perçu par ces mêmes libéraux, il y a à peine un an, comme un désaveu de leurs valeurs et de leur ADN.
Or, en cette nouvelle ère, au fédéral comme au Québec, cette réduction de l’accueil passe par les nouveaux immigrants temporaires, tandis que l’accueil d’immigrants économiques permanents et la pérennisation de résidents temporaires déjà sur place sont privilégiés.
Qu’importe cette nouvelle harmonie idéologique, la Coalition avenir Québec de François Legault n’allait tout de même pas renoncer à une énième salve à l’endroit d’Ottawa, surtout dans le contexte de ses déboires actuels. Le choix de Québec de retenir le scénario de réduction de son immigration le plus modéré fut donc imputé au toujours commode adversaire fédéral, au lieu qu’il reconnaisse franchement, comme cela avait été entendu en commission parlementaire, qu’une réduction radicale des niveaux d’immigration en deçà de la cible retenue de 45 000 admissions permanentes (par rapport à 61 000 cette année) aurait été malavisée dans le présent contexte économique.
Québec s’inquiète, à juste titre, du plafond de 10 % de travailleurs à bas salaire imposé par Ottawa à toutes les entreprises, y compris en région, et déplore le fait que sa demande de droit acquis hors Montréal ou Laval n’a toujours pas été acceptée. La ministre fédérale de l’Immigration, Lena Diab, brille certes par son absence, et le bureau de M. Carney s’illustre dans ce dossier par son indolence. En coulisses, la CAQ et Ottawa s’entendent pourtant sur l’urgence de protéger ces emplois et les entreprises qui en dépendent en région. Ce qu’il reste à ficeler, c’est la solution.
Or, reconnaître la complexité de la situation aurait été plus ardu et moins payant que de marquer des points politiquement. D’autant que la CAQ évite ainsi d’avoir à justifier que ses seuils d’immigration permanente ne bougent à peu près pas, au bout du compte — outre la réduction découlant de l’élimination du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) —, pour ne se chiffrer qu’à peine en dessous de la précédente cible de 50 000 admissions.
D’autres gouvernements, avant la CAQ, ont ciblé l’accueil d’immigrants permanents selon le secteur et la région d’emploi — comme le prévoit le Programme de sélection des travailleurs qualifiés se substituant au PEQ et désormais comptabilisé à même la cible annuelle. Le gouvernement Legault devra néanmoins dissiper les craintes de délais en contrepartie exacerbés.
L’arithmétique créative est par ailleurs la même du côté d’Ottawa, où la « stabilisation » de l’immigration permanente est en fait une augmentation camouflée. Le plafond de 380 000 nouveaux résidents permanents par année, de 2026 à 2028, est plus élevé que l’était la cible de 365 000 prévue pour 2027 par l’ancien premier ministre Justin Trudeau. Seuil d’accueil auquel Mark Carney ajoute de surcroît 148 000 résidents permanents sur deux ans, en offrant ce statut à 115 000 réfugiés et 33 000 travailleurs temporaires. De part et d’autre, chacun fait bien dire ce qu’il veut à ses tableaux de colonnes de chiffres.
Quant à l’immigration temporaire, Ottawa la sabre de presque moitié (370 000 admissions d’ici 2028), tandis que Québec, qui l’inclut enfin à sa planification pluriannuelle, annonce qu’il la retranchera quelque peu, de 13 % par rapport à 2024 (quoique cette cible de 175 000 admissions dans quatre ans ne soit en réalité inférieure que de près de 1000 par rapport à cette année). Là encore, Québec modère son resserrement non pas en avouant répondre ainsi aux gens d’affaires qui ne peuvent s’en passer, mais plutôt en prétextant une réduction fédérale réclamée à grands cris, mais jugée trop importante aujourd’hui.
La CAQ et les libéraux fédéraux 2.0 se rejoignent davantage que ne veulent l’admettre les troupes de François Legault. Il ne leur reste plus qu’à se parler pour mieux s’arrimer. Si tant est que, pour les caquistes, améliorer l’accueil en terre québécoise, et non pas leur propre sort, soit réellement ce qui leur tient le plus à cœur.
Source: Dialogue de sourds
The Ottawa and Quebec governments suddenly speak the same language when it comes to immigration. After years of profound disagreements, between the obstinate reception of the federal government and the ignored Quebec concerns, both now agree, under the guidance of Canadian Prime Minister Mark Carney, on the objectives to be targeted and the corrections to be made. A sudden convergence that, however, did not end their dialogue of deaf-stubborn.
The presentation of federal immigration targets in Mark Carney’s first budget could have been written by François Legault’s Caquist government itself. The “new government of Canada”, as it still takes care to qualify itself almost seven months after its election, recognizes that the federal immigration system “is no longer viable”. The pace of reception in recent years “has begun to exceed Canada’s usual ability to absorb and support newcomers”. “We are regaining control,” the Liberals announce, in order to reduce the thresholds “to acceptable levels”. A choice of words that would have been perceived by these same liberals, just a year ago, as a disavowal of their values and DNA.
However, in this new era, both in federal and Quebec, this reduction in reception goes through new temporary immigrants, while the reception of permanent economic immigrants and the perpetuation of temporary residents already on site are preferred.
No matter this new ideological harmony, François Legault’s Coalition avenir Québec was still not going to give up yet another salvo against Ottawa, especially in the context of its current setbacks. Quebec’s choice to retain the most moderate immigration reduction scenario was therefore attributed to the always convenient federal opponent, instead of frankly recognizing, as had been heard in the parliamentary committee, that a radical reduction in immigration levels below the target of 45,000 permanent admissions (compared to 61,000 this year) would have been misreceived in the current economic context.
Quebec is rightly concerned about the 10% ceiling for low-wage workers imposed by Ottawa on all businesses, including in the region, and deplores the fact that its application for rights acquired outside Montreal or Laval has still not been accepted. The Federal Minister of Immigration, Lena Diab, certainly shines with her absence, and the office of Mr. Carney is distinguished in this file by his indolence. Behind the scenes, however, the CAQ and Ottawa agree on the urgency of protecting these jobs and the companies that depend on them in the region. What remains to be tied up is the solution.
However, recognizing the complexity of the situation would have been more difficult and less rewarding than scoring politically. Especially since the CAQ thus avoids having to justify that its permanent immigration thresholds do not move, in the end of the day — in addition to the reduction resulting from the elimination of the Quebec Experience Program (PEQ) — to be just below the previous target of 50,000 admissions.
Other governments, before the CAQ, targeted the reception of permanent immigrants by sector and region of employment — as provided for in the Skilled Worker Selection Program replacing the PEQ and now counted against the annual target. The Legault government will nevertheless have to dispel fears of exacerbated delays in return.
Creative arithmetic is also the same on the Ottawa side, where the “stabilization” of permanent immigration is in fact a camouflaged increase. The ceiling of 380,000 new permanent residents per year, from 2026 to 2028, is higher than the target of 365,000 set for 2027 by former Prime Minister Justin Trudeau. Reception threshold to which Mark Carney adds an additional 148,000 permanent residents over two years, offering this status to 115,000 refugees and 33,000 temporary workers. On both sides, everyone makes his tables of columns of numbers say what he wants.
As for temporary immigration, Ottawa knows it by almost half (370,000 admissions by 2028), while Quebec City, which finally includes it in its multi-year planning, announces that it will subtract it somewhat, by 13% compared to 2024 (although this target of 175,000 admissions in four years is actually only almost 1,000 lower than this year). Again, Quebec is moderating its tightening not by confessing to responding to business people who cannot do without it, but rather by pretexting a federal reduction that was called for, but considered too important today.
The CAQ and the Federal Liberals 2.0 join more than François Legault’s troops want to admit. All they have to do is talk to each other to better get together. If only, for the Caquistes, improving the welcome in Quebec land, and not their own fate, is really what is most important to them.
