Ravet | Une laïcité antireligieuse est une mauvaise voie

Important nuanced take on laïcité:

Le Rassemblement pour la laïcité est bien connu pour ses positions à l’égard de la religion, qu’il classe d’emblée comme facteur d’endoctrinement, de division et de conflits sociaux. De sa part, on sait toujours à quoi s’attendre de la religion, quelle qu’elle soit. Et le portait n’est guère reluisant. Se nourrissant exclusivement de ses pires expressions, il milite pour interdire toutes manifestations religieuses dans l’espace public au nom de la laïcité. Car selon sa conception de la laïcité, et la neutralité dont elle se réclame, tout ce qui relève du religieux devrait être refoulé le plus possible dans la sphère intime pour neutraliser les effets potentiellement néfastes sur la société.

Mais contrairement à ce qui est affirmé, la « laïcité » ainsi comprise n’est pas neutre à l’égard des religions, elle est farouchement contre. Les croyants sont d’emblée posés comme « objets » de la laïcité, jamais comme sujets, ni acteurs. Comment le pourraient-ils puisqu’ils sont la cible de ladite laïcité et que tout signe de croyance serait en soi signe de prosélytisme, d’embrigadement ou d’obscurantisme ?

Or, la laïcité n’est pas la propriété des non-croyants sauf à en faire une idéologie antireligieuse. Au nom du vivre ensemble et du bien commun, elle est une part commune à tous les citoyens, croyants et non croyants, nous renvoyant à notre humanité commune que nous sommes tous appelés à approfondir, à faire croître dans la part du monde qui nous est donnée. Les religions ont leur part à jouer.

L’article publié par huit membres du Rassemblement pour la laïcité (« Une réflexion sur la laïcité dans les cégeps s’impose », dans Le Devoir du 2 juillet) est symptomatique de cette orientation idéologique de la laïcité conçue au détriment de la religion et des croyants. Les auteurs peuvent ainsi affirmer sans justification à l’appui, comme si cela allait de soi, que « si la culture, ou même la politique, est bien au cœur de la vitalité académique des cégeps, il n’en va pas de même de la religion qui relève de croyances et facilite le cloisonnement communautaire ».

Cette affirmation sans nuances est éminemment réductrice puisqu’elle ne retient de la religion que ses manifestations sectaires. On pourrait, par ce même procédé, dénigrer tout autant la culture et la politique — qui relèvent aussi de croyances partagées, ce que feignent d’ignorer les auteurs — en ne retenant de celles-ci que leurs expressions fanatiques et sectaires. Cependant, s’il est possible de le faire aussi cavalièrement avec le religieux, c’est que s’impose de plus en plus une représentation sociale de la religion qui va dans cette direction.

Une réalité complexe

Le rapport d’enquête sur les cégeps Dawson et Vanier en est un bel exemple, qui reproduit les mêmes affirmations sans prendre le soin d’en donner les raisons, en ne citant qu’un article du Regroupement pour la laïcité sur un cégep et en ignorant un rapport de trois chercheurs universitaires portant sur 10 cégeps et 10 universités beaucoup plus nuancé. C’est inquiétant. Car on s’empêche ainsi de penser une réalité complexe qui a ses racines dans une part importante de la population.

Les médias ont d’ailleurs leur part de responsabilité dans ce phénomène en ne parlant généralement de la religion qu’en rapport à ses manifestations négatives, dogmatiques ou sectaires. Ce faisant, on ne se rend pas compte qu’on est en train de construire une société qui marginalise et invisibilise les « personnes concrètes » qui trouvent dans la religion une voie privilégiée d’humanisation — car elles n’ont pas droit de cité : cachez ce que vous êtes, car vous menacez le vivre ensemble. Un tel bannissement, en plus de favoriser le fanatisme religieux, qui se trouve conforté par cette exclusion sociale, peut faire obstacle à l’inculturation et à l’engagement citoyen de nouveaux arrivants qui proviennent de sociétés qui n’ont pas ce regard entièrement négatif du religieux et qui se sentent « dévalorisés » dans leur être même.

Comme rédacteur en chef de la défunte revue Relations, dans laquelle croyants et incroyants, ou « autrement-croyants », selon le mot heureux de Michel de Certeau, œuvraient conjointement pour une société juste, j’ai toujours plaidé pour ma part en faveur d’une compréhension de la laïcité qui n’est pas fondée sur l’invisibilisation des religions et des croyants, ni encore moins leur rejet, menant à faire de la laïcité une « religion dominante ». Le principe de neutralité religieuse propre à la laïcité ne vise pas à ignorer les religions, mais, au contraire, à accueillir sereinement ses expressions individuelles et collectives dans la sphère publique sans leur plaquer, sans autre forme de procès, les stigmates de l’anathème. Ce qui en est cependant exclu, dans l’espace public, c’est toute prétention, de leur part, à la vérité inquestionnable, à la domination, à l’embrigadement.

La laïcité ainsi comprise favorise l’humanisation de toutes croyances, tant culturelles, politiques que religieuses, en mettant de l’avant le travail interprétatif des croyances et leur mise en dialogue. Car la politique et la culture peuvent comme la religion devenir toxiques quand elles sont sous l’emprise idéologique qui sacralise une idée au point que l’humain est sacrifié sur son autel, et le réel réduit à cette idée.

Cessons donc de brandir l’épouvantail du prosélytisme ou du sectarisme religieux dans le but de promouvoir une laïcité qui serait en soi antireligieuse. La laïcité mérite mieux que ça.

Jean-Claude Ravet L’auteur, écrivain, a fait paraître «La nuit et l’aube. Résistance spirituelle à la destruction du monde» (Nota Bene, 2024).

Source: Idées | Une laïcité antireligieuse est une mauvaise voie

The Rally for Secularism is well known for its positions on religion, which it immediately classifies as a factor of indoctrination, division and social conflict. For its part, we always know what to expect from religion, whatever it may be. And the wear is hardly shiny. Feeding exclusively on his worst expressions, he campaigned to prohibit all religious manifestations in public space in the name of secularism. Because according to its conception of secularism, and the neutrality it claims, everything that is religious should be repressed as much as possible in the intimate sphere to neutralize the potentially harmful effects on society.

But contrary to what is claimed, the “secularism” thus understood is not neutral towards religions, it is fiercely against. Believers are immediately posed as “objects” of secularism, never as subjects or actors. How could they since they are the target of said secularism and that any sign of belief would in itself be a sign of proselytism, brigade or obscurantism?

However, secularism is not the property of non-beliefs except to make it an anti-religious ideology. In the name of living together and the common good, it is a common part of all citizens, believers and non-believers, referring us to our common humanity that we are all called upon to deepen, to grow in the part of the world that is given to us. Religions have their part to play.

The article published by eight members of the Rassemblement pour la laïcité (“A reflection on secularism in the CEGEPS is imposed”, in Le Devoir of July 2) is symptomatic of this ideological orientation of secularism conceived to the detriment of religion and believers. The authors can thus affirm without supporting justification, as if it were self-evident, that “if culture, or even politics, is at the heart of the academic vitality of CEGEPs, the same is not true of religion, which is a matter of beliefs and facilitates community partitioning”.

This unnuanted statement is eminently reductive since it retains from religion only its sectarian manifestations. We could, by this same process, denigrate culture and politics just as much – which are also shared beliefs, which the authors pretend to ignore – by retaining from them only their fanatical and sectarian expressions. However, if it is possible to do so cavally with the religious, it is because a social representation of religion that goes in this direction is increasingly necessary.

A complex reality

The survey report on the Dawson and Vanier CEGEPs is a good example, which reproduces the same statements without taking care to give the reasons, citing only one article of the Regroupement pour la la laïcité on a CEGEP and ignoring a report by three university researchers on 10 CEGEPs and 10 universities much more nuanced. It’s worrying. Because this prevents us from thinking about a complex reality that has its roots in a significant part of the population.

The media also have their share of responsibility for this phenomenon by generally speaking of religion only in relation to its negative, dogmatic or sectarian manifestations. In doing so, we do not realize that we are building a society that marginalizes and makes invisible the “concrete people” who find in religion a privileged way of humanization – because they have no right of citizenship: hide what you are, because you threaten living together. Such a banishment, in addition to promoting religious fanaticism, which is reinforced by this social exclusion, can hinder the inculturation and civic engagement of newcomers who come from societies that do not have this entirely negative view of the religious and who feel “devalued” in their very being.

As editor-in-chief of the defunct magazine Relations, in which believers and unbelievers, or “otherwise believers”, according to the happy word of Michel de Certeau, worked jointly for a just society, I have always argued for my part in favor of an understanding of secularism that is not based on the invisibilization of religions and believers, let alone their rejection, leading to making secularism a “dominant religion”. The principle of religious neutrality specific to secularism does not aim to ignore religions, but, on the contrary, to serenely welcome one’s individual and collective expressions in the public sphere without placing them, without any other form of trial, with the stigmas of the anathema. What is excluded, however, in the public space, is any claim, on their part, to the unquestionable truth, to domination, to embrigadement.

The secularism thus understood promotes the humanization of all beliefs, both cultural, political and religious, by highlighting the interpretative work of beliefs and their dialogue. Because politics and culture can become toxic like religion when they are under the ideological influence that sacralizes an idea to the point that the human being is sacrificed on his altar, and reality reduced to this idea.

So let’s stop brandishing the scarecrow of proselytism or religious sectarianism in order to promote a secularism that would in itself be anti-religious. Secularism deserves better than that.

Jean-Claude Ravet The author, writer, published “The night and the dawn. Spiritual resistance to the destruction of the world” (Nota Bene, 2024).

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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