Nicholas | Petit peuple

A lire:

J’ai eu envie de revisiter Rhinocéros, parce qu’on nous demande beaucoup de nous montrer forts face à Donald Trump. Quelle est, au fond, cette force que l’on nous demande ? Une force de domination de raison ou du cœur ? Face à la brutalité du trumpisme, qui avons-nous envie d’être ?

Il y a aussi ce poème du pasteur allemand Martin Niemöller, qui regagne en popularité. « Ils sont d’abord venus chercher les socialistes, et je n’ai rien dit parce que je n’étais pas socialiste. Puis, ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n’ai rien dit, parce que je n’étais pas syndicaliste. Puis, ils sont venus chercher les Juifs, et je n’ai rien dit parce que je n’étais pas juif. Puis, ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre. »

Le premier ministre ontarien, Doug Ford, a dit mardi, alors qu’il ne savait pas qu’un micro était ouvert : « Le jour de l’élection, étais-je heureux que ce gars-là [Trump] gagne ? À 100 % ! » Il continue : « Mais le gars a sorti un couteau et il m’a poignardé. »

Well, M. Ford, karma is a b***. Plus je réfléchis, plus je me dis que ces menaces de tarifs douaniers peuvent sérieusement affecter notre économie, et peut-être racheter nos consciences. Ou du moins, la conscience d’hommes tentés par la rhinocérite — pardon, le trumpisme — et qui ne comprenaient pas la violence politique avant d’en sentir eux-mêmes le poignard. Des hommes qui ne bronchaient pas trop quand ils sont venus pour les « wokes », les antiracistes, les personnes trans, les féministes, les musulmans, les immigrants, les journalistes, les scientifiques, les travailleurs précaires, tout le peuple palestinien. Par un coup de chance tragique, ils sont venus chercher la classe dirigeante canadienne avant qu’il ne reste plus personne pour les défendre.

La vitesse avec laquelle Donald Trump s’est retourné contre nous, le principal allié historique des États-Unis, nous offre une chance de réfléchir collectivement à notre rapport à la force.

En 1976, René Lévesque disait à la population québécoise : « On n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple. » On comprend le moment de l’histoire où ces mots ont été prononcés. Face au trauma qui a marqué le parcours de tellement de francophones, le premier ministre nous incitait, avec raison, à relever la tête.

Près de 50 ans plus tard, l’humeur collective a profondément changé. Lévesque choisirait sûrement d’autres mots pour traduire la même émotion. Je ne crois pas que je serai la seule à avouer qu’il peut me prendre l’envie, devant le feu de poubelle qu’est l’état de la planète, d’emmerder profondément les grands de ce monde, tout comme l’idée même d’aspirer politiquement à la grandeur. J’avance trop au ras des pâquerettes pour ne pas savoir que les grands, les puissants, les empires, ces admirables nations qui aspirent à l’universalisme, qui veulent rendre tout le monde à leur image, finissent par piétiner quantité d’humains avec leurs sabots, leurs cuirasses, leurs armes.

Ces grands qui, hier encore, dessinaient la carte de l’Afrique dans une conférence à Berlin, ou rêvaient de faire plier l’échine des Amériques sous leurs bottes de cow-boy, sont encore là à planifier la transformation de la bande de Gaza en jolie Côte d’Azur. J’ai envie, pour ma part, d’appartenir à un peuple qui n’en a rien à foutre de cette grandeur-là.

Comme Québécois, il devrait nous être plus facile de ne pas être séduits par l’idée de la domination, de la force brute, de la loi du plus fort : le plus fort, en Amérique, ne sera jamais francophone. Certains de nos compatriotes d’ici ou d’ailleurs au Canada se sont pourtant pris au jeu d’être un pays du G7. Ça leur est monté à la tête. On dessaoule ces jours-ci. On comprend que, face à l’empire américain, nous appartenons nous aussi au camp des petits.

Et c’est tant mieux. La prochaine étape de guérison, de maturité collective, c’est d’assumer qu’il n’y a absolument rien de mal ou de honteux à être un petit peuple. Au contraire. Pour résister aux sirènes de la violence politique, à cette épidémie de rhinocérite qui s’empare de l’époque, il nous faudrait reconnaître chez les petits du monde qu’ils viennent chercher… notre humanité en partage.

« Make America Great Again », beuglent-ils. Le vaccin contre la rhinocérite, c’est de savoir répondre : greatness is overrated. C’est ainsi que jusqu’à la toute fin, comme Bérenger face à tous les rhinocéros, nous ne capitulerons pas.

Source: Chronique | Petit peuple

I wanted to revisit Rhinoceros, because we are asked a lot to be strong against Donald Trump. What is, basically, this strength that we are asked of? A force of domination of reason or of the heart? Faced with the brutality of Trumpism, who do we want to be?

There is also this poem by German pastor Martin Niemöller, which is regaining popularity. “They first came for the socialists, and I didn’t say anything because I wasn’t a socialist. Then they came to get the trade unionists, and I didn’t say anything, because I wasn’t a trade unionist. Then they came to get the Jews, and I didn’t say anything because I wasn’t Jewish. Then, they came to look for me, and there was no one left to defend me. ”

Ontario Prime Minister Doug Ford said on Tuesday, when he did not know that a microphone was open: “On election day, was I happy that this guy [Trump] was winning? 100%! He continues: “But the guy took out a knife and stabbed me. ”

Well, Mr. Ford, karma is a b***. The more I think, the more I tell myself that these threats of tariffs can seriously affect our economy, and perhaps redeem our consciences. Or at least, the conscience of men tempted by rhinoceritis – sorry, Trumpism – and who did not understand political violence before feeling the dagger themselves. Men who didn’t flinch too much when they came for “wokes”, anti-racists, trans people, feminists, Muslims, immigrants, journalists, scientists, precarious workers, all the Palestinian people. By a tragic stroke of luck, they came to look for the Canadian ruling class before there was no one left to defend them.

The speed with which Donald Trump has turned against us, the main historical ally of the United States, gives us a chance to collectively reflect on our relationship with strength.

In 1976, René Lévesque told the Quebec population: “We are not a small people, we are perhaps something like a great people. We understand the moment in history when these words were spoken. Faced with the trauma that has marked the journey of so many Francophones, the Prime Minister was rightly urging us to raise our heads.

Nearly 50 years later, the collective mood has profoundly changed. Lévesque would surely choose other words to translate the same emotion. I don’t think I’ll be the only one to admit that it can take away my desire, in front of the garbage fire that is the state of the planet, to deeply annoy the greats of this world, just like the very idea of politically aspiring to greatness. I advance too far with the daisies not to know that the great, the powerful, the empires, these admirable nations that aspire to universalism, who want to make everyone in their image, end up trampling on many humans with their hooves, their breastpies, their weapons.

These adults who, until yesterday, drew the map of Africa in a conference in Berlin, or dreamed of bending the spine of the Americas under their cowboy boots, are still there planning the transformation of the Gaza Strip into a pretty Côte d’Azur. For my part, I want to belong to a people who don’t give a damn about this greatness.

As Quebecers, it should be easier for us not to be seduced by the idea of domination, brute force, the law of the strongest: the strongest, in America, will never be French-speaking. Some of our compatriots from here or elsewhere in Canada have nevertheless taken the game of being a G7 country. It went to their heads. We’re unleasing these days. We understand that, in the face of the American empire, we also belong to the camp of children.

And that’s all the better. The next step of healing, of collective maturity, is to assume that there is absolutely nothing wrong or shameful about being a small people. On the contrary. To resist the sirens of political violence, to this epidemic of rhinocerite that is taking hold of the time, we would have to recognize among the little ones of the world that they come to look for… our humanity in sharing.

“Make America Great Again,” they yell. The rhinoceritis vaccine is to know how to answer: greatness is overrated. This is how until the very end, like Bérenger in front of all rhinos, we will not capitulate.

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

Leave a comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.