Lisée: Bonne semaine pour la haine

On “useful idiots” and fanaticism:

Au moment où ces lignes étaient écrites, les missiles israéliens avaient déjà quintuplé la mise. En riposte aux actes barbares du Hamas contre 1000 civils et militaires israéliens, les bombes de l’État hébreu ont fait plus de 5000 victimes civiles, hommes, femmes et enfants agonisant sous les gravats. À ce point du récit, et alors que se réunissent les conditions du débordement du conflit du Liban au Yémen à l’Iran, l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat, suivi d’une mise sous tutelle de Gaza par l’ONU, semble à mon humble avis la seule posture prudente et humaine possible.

Il n’est pas étonnant que, sur le globe, les passions s’enflamment. Que, parmi les pro-israéliens, on entende des appels à éradiquer le Hamas, quoi qu’il en coûte en victimes civiles. Que, chez les propalestiniens, on mette en cause l’existence même de l’État d’Israël.

Dans le tumulte, les idiots utiles s’expriment. Telle la lettre où 74 étudiants en droit (en droit !) de l’Université métropolitaine de Toronto affirment « être solidaires de la Palestine et de toutes les formes de résistance palestinienne », ce qui, par définition, n’exclut pas les techniques infanticides du Hamas. Deux associations étudiantes de l’Université York, à Toronto, ont diffusé un communiqué similaire, comme l’ont fait plusieurs groupes étudiants d’universités américaines.

L’outrance épistolaire juvénile est certes condamnable, mais ces exagérations tendent à s’estomper avec l’âge. Plus graves sont les paroles et les gestes des foules multigénérationnelles ces derniers jours. À Toronto, toujours, une manifestation propalestinienne d’un millier de personnes se tenait la semaine dernière devant un immeuble où avait lieu une assemblée pro-israélienne. Dans la vidéo de l’événement, on entend clairement quelqu’un crier au micro : « Que fait-on avec les Juifs ? » Et des manifestants répondre : « On leur coupe la tête. » À répétition.

En Australie, sur les marches du magnifique opéra de Sydney, autant de manifestants ont scandé un slogan qui optait pour une autre abjecte solution : « Gazez les Juifs. » Samedi dernier, à Montréal, des manifestants propalestiniens ont lancé crachats, roches et briques en direction de manifestants pro-israéliens. La police a procédé à 15 arrestations. À Amsterdam, tous tabous tombés, quelques manifestants ont fièrement brandi d’énormes drapeaux noirs du groupe État islamique.

Le plus étonnant est de ne pas voir des images de pacifistes, égarés dans ces manifs, fuyant à toutes jambes lorsqu’ils entendent des appels à l’éradication d’un peuple et d’une religion. Il est vrai qu’une autre religion est présente, puisque parmi les slogans on entend aussi régulièrement « Dieu est grand », la divinité en question étant, toujours, Allah. Dans plusieurs villes européennes, et à Toronto, certaines manifestations se transforment en prières musulmanes collectives, dans la rue, devant un poste diplomatique israélien. C’est l’utilisation politique de la prière.

Je n’ignore pas que des actes antimusulmans abjects ont été commis, ici comme ailleurs. Mais on ne voit pas, dans nos villes, de foules réclamer l’annihilation de tous les Arabes ou de tous les musulmans.

L’appel par le Hamas à une journée de « djihad mondial » s’est soldé par une poignée d’attentats en Europe. On peut penser que le nombre de djihadistes prêts à passer à l’acte fut faible. Mais on doit constater qu’ils disposent d’un écho favorable plus important qu’on ne pouvait l’espérer. Après que l’un d’eux a assassiné un enseignant français à Arras, une minute de silence fut organisée dans les écoles de l’Hexagone. Le ministère de l’Éducation a relevé 500 cas de perturbations, par des élèves, au moment du recueillement. Parmi eux, 183 élèves ont été suspendus pour « menaces à l’encontre d’enseignants » ou « apologie du terrorisme ».

Au lendemain de l’assassinat par un djihadiste de deux touristes suédois en Belgique, des élèves musulmans d’une école voisine ont demandé à leur professeur de faire une prière… pour le tueur. L’enseignant d’une autre école belge rapporte : « J’ai été choqué de voir que les élèves s’échangeaient entre eux des photos des personnes tuées […] Ils rigolaient. »

L’école doit être le lieu premier de socialisation, mais des élèves musulmans sont en contact permanent avec un autre univers, explique ce prof. « C’est via TikTok et d’autres sites qu’ils fabriquent leur islam, leur religion. Ils écoutent des prêcheurs sur Internet. La mosquée, elle est sur leur téléphone ! » Manifestement, ajoute-t-il, « certains élèves sont fanatisés par les réseaux sociaux ».

À la télé française, l’entrevue d’un ami du tueur d’Arras a levé le voile sur le type de discussion qui se tient dans ces milieux. « On avait les mêmes idéologies, dit-il, sauf pour aller tuer les gens, ça ne m’a jamais intéressé. Et puis, ce n’est pas normal, sauf dans une guerre sainte. » Sauf dans une guerre sainte. Bon à savoir.

J’insiste sur la distinction entre l’opinion outrancière, qui peut évoluer, et la conviction religieuse, qui est par nature fixée une fois pour toutes — sauf si on en sort —, car dite d’inspiration divine.

L’écrivain roumain Emil Cioran le résumait ainsi il y a un demi-siècle : « Le fanatisme est la mort de la conversation. On ne bavarde pas avec un candidat au martyre. Que dire à quelqu’un qui refuse de pénétrer vos raisons et qui, du moment que l’on ne s’incline pas devant les siennes, aimerait mieux périr que céder ? »

Source: Bonne semaine pour la haine

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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