Près de dix ans d’attente pour qu’un réfugié obtienne sa résidence permanente au Québec

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Les seuils d’immigration proposés par le gouvernement Legault menacent de faire exploser les délais des futurs résidents permanents dans la catégorie humanitaire. Tandis que s’amorceront dans moins de deux semaines les consultations publiques en immigration, Le Devoir a appris que le nombre de dossiers est tel qu’au rythme où vont les admissions au Québec, il faudra près de dix ans à un réfugié reconnu et à ses personnes à charge pour obtenir la résidence permanente.

Selon les données d’Immigration Canada, quelque 30 000 réfugiés reconnus vivant au Québec — soit des demandeurs d’asile à qui le gouvernement fédéral a donné le statut de « personnes à protéger », ce nombre comprenant leurs personnes à charge se trouvant à l’étranger — attendaient ce précieux sésame en date du 8 août. Or, la planification pluriannuelle soumise par la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, propose d’accueillir, pour chacune des quatre prochaines années, environ 3550 personnes dans la catégorie « réfugiés reconnus sur place ». Cette catégorie comprend les demandeurs d’asile arrivés au Québec notamment par voie terrestre, maritime et aérienne.

Une règle de trois montre qu’il faudra huit ans et demi pour écouler ces dossiers, sans compter que des milliers de nouveaux réfugiés reconnus vont venir ajouter le leur sur la pile. Rien qu’en 2022, 60 000 demandes d’asile de personnes vivant au Québec ont été déposées. Ces demandes ne seront toutefois pas toutes acceptées.

« Je suis abasourdie, même si les chiffres ne me surprennent pas tant que ça parce qu’il y a eu une hausse des demandes d’asile », a déclaré Stéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration. « Mais ce qui me surprend c’est quand on met [ce nombre] en parallèle avec les objectifs d’admission dans la planification du Québec. Il y a un décalage complet avec la réalité. »

« Le Québec se met la tête dans le sable », a déploré pour sa part Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. « Ces délais sont rattachés à des souffrances majeures pour les familles qui sont séparées et reconnues comme réfugiées. Qu’elles se fassent traiter comme ça, c’est absolument inacceptable. » Selon lui, le message qu’on leur envoie est clair : « Mieux vaut pour ces personnes déménager en Ontario ! »

Sans la résidence permanente, les réfugiés reconnus ne peuvent pas étudier, avoir accès aux garderies et occuper certains emplois, explique Me Valois. « Et pour la réunification familiale, c’est une catastrophe », dit-elle, en rappelant que, si les réfugiés reconnus sur place sont en sécurité au Québec, ce n’est pas toujours le cas de leurs proches. « J’ai beaucoup de clients du Soudan, et c’est la guerre là-bas. Même si le réfugié soudanais qu’on reconnaît comme personne à protéger se trouve ici, les membres de sa famille, eux, peuvent être bloqués à l’étranger dans une situation de danger. Ils ne peuvent pas attendre tout ce temps. »

Les partis d’opposition, choqués

Ces données sur le nombre de dossiers font réagir les partis d’opposition. Le député de Québec solidaire et porte-parole en matière d’immigration, Guillaume Cliche-Rivard, se dit « atterré » et « choqué » de constater que le plan de la ministre Fréchette maintiendra dans la précarité « sans raison apparente et pour des délais excessifs » les personnes parmi les plus vulnérables qui travaillent et sont déjà intégrées.

« Cela confirme l’incompétence du ministère, qui présente, année après année, des plans incomplets et sans crédibilité. La ministre Fréchette vient malheureusement de nous confirmer que son arrivée n’a rien changé à ce niveau. »

Pour le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji, l’immigration dite « humanitaire » est aussi économique. « Ce n’est pas de la charité. C’est une catégorie qu’on s’est donnée, car on est très accueillant comme peuple au Québec », soutient-il. « Le nombre de demandes a augmenté depuis l’arrivée de la CAQ au pouvoir et, pour moi, on ne peut pas faire fi de ça. »

Il estime d’ailleurs que la consultation publique qui s’amorce passe à côté de débats importants. « C’est l’occasion en or de parler de la capacité d’accueil, on a l’occasion de parler des travailleurs étrangers et on ne le fait pas. C’est la même chose pour les personnes de la catégorie humanitaire, on n’en parle pas. »

Le co-porte-parole du Parti québécois en immigration, Stéphane Handfield, rejette pour sa part la faute sur Ottawa. « Il faut aborder la question en fonction de notre capacité d’accueil [langue, logement, école, médecin, etc.], ce que le gouvernement fédéral n’a certainement pas fait dans les dernières années. Il s’agit ici de personnes vulnérables, qui, dans bien des cas, sont séparées des membres de leur famille depuis de nombreuses années en raison de la lenteur du système d’immigration fédéral. »

Des cibles souvent dépassées

Rappelons que, dans le plan d’immigration, les cibles proposées par le gouvernement sont souvent dépassées, car ce sont des indicateurs. En 2021 et en 2022, par exemple, il était prévu d’accueillir entre 2500 et 2800 réfugiés reconnus sur place, y compris leurs personnes à charge, mais en réalité, plus de 5600 personnes ont été admises dans cette catégorie en 2021 et quelque 4000 en 2022. Environ deux fois plus.

En plus du nombre croissant de demandes d’asile, cela peut aussi s’expliquer par un rééquilibrage dans la foulée de la pandémie. En 2019, soit tout juste avant la pandémie, le nombre de personnes admises dans la catégorie « réfugiés reconnus sur place » avait été fidèle à la prévision. En 2018, la prévision a été légèrement dépassée.

Mentionnons que, dans la catégorie de l’immigration humanitaire, les « réfugiés sélectionnés à l’étranger », dont font partie les réfugiés parrainés au privé par des petits groupes d’individus ou des organismes, ne sont pas aussi nombreux à attendre. Selon les chiffres d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, le nombre est d’environ 2000 personnes.

Suscitant un engouement certain, les consultations publiques sur la planification de l’immigration au Québec pour la période 2024-2027 s’amorceront le 12 septembre prochain. Un nombre record de plus de 70 intervenants et organismes seront entendus.

Source: Près de dix ans d’attente pour qu’un réfugié obtienne sa résidence permanente au Québec

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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