Beaudry: Au-delà des chiffres sur le français et les étudiants étrangers

Useful reminder that Quebec francisation policies are harder for PhD students:

Les étudiants étrangers font la manchette : on leur attribue divers maux de notre société, du déclin du français à la crise du logement. Mais plutôt qu’alimenter la guerre de chiffres que se livre différentes factions en matière d’immigration, ce texte relatera plutôt une belle histoire de volonté et de résilience.

En matière de francisation, la réalité des études supérieures contraste avec celle des études de premier cycle. À l’instar de plusieurs universités en Europe et ailleurs, la pression pour donner les cours et faire la recherche en anglais est très forte.

Bien que ce ne soit pas la mission de nos universités de franciser les étudiants allophones, rendre plus flexibles nos programmes d’études supérieures pour leur permettre de suivre de vrais cours de francisation est nécessaire, puisqu’avantageux pour tous. Mais cela prend du temps et de l’argent. Faire son doctorat et suivre des cours de francisation en même temps relève du parcours du combattant.

À Polytechnique, comme dans beaucoup d’autres institutions, le doctorat à temps partiel n’existe pas : il faut franchir à vive allure toutes les étapes dans les temps impartis. Si nous voulons contribuer à l’intégration des personnes étudiantes que nous accueillons et formons, nous devons repenser ces premières années des programmes d’études supérieures.

Ce temps supplémentaire exerce aussi une pression énorme sur les fonds de recherche des universitaires qui appuient ces personnes pendant une plus longue période d’études.

À Polytechnique, j’enseigne en français. Un de mes étudiants de doctorat dont le français se résumait à « bonjour » s’inquiétait de ne pas pouvoir suivre les cours et bien comprendre la matière. Pour les cours du trimestre d’hiver 2022, nous nous sommes donc tournés vers la technologie pour pallier son manque de compréhension du français. Il a installé une application sur son téléphone cellulaire qui traduit de façon simultanée la langue parlée. Une des oreillettes était placée sur mon bureau (elle servait alors de micro) et il avait l’autre dans l’oreille (où étaient diffusées mes paroles traduites en anglais). Le texte traduit en anglais défilait aussi sur son téléphone, avec un petit délai différent de celui de la voix en anglais. Ce n’était pas parfait, mais il estime que 60 % de la traduction était compréhensible et correcte. En plus de cet équipement mal synchronisé, il a traduit en anglais tous les documents et présentations de ses cours du trimestre.

À l’été 2022, je lui ai demandé pourquoi il n’était jamais disponible avant 14 h. J’ai déjà eu des étudiants lève-tard et des oiseaux de nuit, mais si tard, je trouvais cela curieux. Il m’a avoué candidement et un peu honteux que depuis novembre 2021, il était inscrit à temps plein aux cours de francisation pour les personnes immigrantes et qu’il devait être en classe de 8 h à 13 h, et ce, tous les jours de la semaine.

Me voyant bouche bée, il m’a expliqué que, pour comprendre la réalité des personnes immigrantes au Québec, de façon à bien cerner cette dimension de son sujet de recherche, il devait se mettre dans leurs souliers. Il faut dire que sa thèse porte sur le rôle de l’immigration qualifiée et des étudiants étrangers sur la collaboration internationale en science, technologie et innovation.

Depuis le début de ma carrière de professeure, certains de mes étudiants ont bien suivi quelques cours de français ici et là au cours de leurs études — avec des résultats très mitigés, pour être honnête. Mais personne ne s’était encore prêté à cet exercice intense en plus de ses études doctorales.

Nous avons dû planifier l’examen doctoral et la présentation de sa proposition de thèse, qu’il a réussi avec brio, entre deux modules de cours de francisation. Avec la permission de son école de francisation, il faisait une pause pour reprendre lors du prochain module (dont la durée est d’environ huit semaines). Au moment où j’écris ces lignes, il ne lui reste que deux modules de cours de francisation à terminer, mais toute mon équipe de recherche l’encourage, converse avec lui en français et est fière de ses progrès.

S’astreindre chaque jour à cinq heures de cours de français, en plus des devoirs à faire le soir, des présentations orales à préparer, sans compter les cours de la scolarité doctorale, les travaux et les articles à lire en préparation de la proposition de thèse, représente une tâche titanesque.

Serez-vous surpris d’apprendre que cet étudiant a non seulement réussi avec succès son examen doctoral et présenté sa proposition de thèse, mais qu’il a aussi remporté l’une des prestigieuses bourses Vanier que le Canada offre à des étudiants exceptionnels et déterminés ? Félicitations, Amirali !

Plutôt qu’être un handicap pour les universités francophones, ce début un peu plus lent des études doctorales devrait être considéré comme un avantage qui rend nos diplômés plus attrayants dans un milieu très compétitif. Autant nos étudiants et futurs diplômés, leur famille, leur société d’accueil et les universités francophones en bénéficient.

Donnons-nous les moyens de remplir cette mission sociétale correctement.

Source: Au-delà des chiffres sur le français et les étudiants étrangers

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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