Un système surchargé fait rater la rentrée à des étudiants en francisation 

    Service delivery failure despite priority on francisation:

    Depuis son ouverture, le 1er juin dernier, Francisation Québec fait face à un achalandage record : en moins de trois mois, près de 30 000 immigrants se sont inscrits sur ce nouveau guichet unique, a appris Le Devoir. Or, croulant sous la tâche, le ministère de l’Immigration peine à répondre à la demande — et près de 95 % des nouveaux inscrits ne vivront pas de rentrée scolaire ces jours-ci.

    Selon les données fournies par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), des 23 500 détenteurs d’un dossier jugé complet, seuls 1500 peuvent s’asseoir sur les bancs d’école. Quelque 3500 autres qui n’ont pas encore de date de début de cours devraient par contre se joindre à eux ces prochaines semaines, assure le ministère.

    Au centre de francisation Louis-Jolliet, à Québec, à peine 200 nouveaux étudiants à temps complet et à temps partiel pourront commencer leurs cours prochainement. L’établissement pourra toutefois franciser son nombre habituel d’étudiants grâce à la réinscription d’environ 1000 étudiants qui avaient déjà suivi des cours et qui évoluaient dans l’ancien système, avant Francisation Québec. « Si je n’avais pas eu mon bassin d’élèves qui fréquentaient déjà notre centre, c’est sûr que ça chutait à trois groupes », explique Julie Larrivée, directrice adjointe du centre et responsable de la francisation.

    Alors que la rentrée s’amorce ces jours-ci, elle dit avoir dû refouler plusieurs candidats qui s’étaient inscrits sur la plateforme Francisation Québec tout juste après son lancement en juin et qui n’ont eu aucune nouvelle du MIFI depuis. « Les gens étaient désespérés, ils sont venus quand même nous voir pour nous demander quoi faire et où appeler. J’ai dû leur dire qu’ils ne pouvaient rien faire, qu’ils devaient surveiller leurs courriels tous les jours pour voir si le MIFI leur répondait. »

    En Beauce, des intervenants du milieu font le même constat. Avec ses collègues, Liliana Arcila, agente d’intégration au Carrefour jeunesse-emploi de Beauce-Nord, dit avoir inscrit pendant l’été sur Arrima (la plateforme vers laquelle Francisation Québec redirige les gens) une dizaine de travailleurs temporaires et de demandeurs d’asile voulant se franciser. « Personne n’a eu de nouvelles. Le site leur disait qu’ils allaient être contactés pour une évaluation, mais personne n’a pu commencer », indique-t-elle.

    Même son de cloche au Centre de services scolaire de la Beauce-Etchemin, où des dizaines de personnes inscrites après le 1er juin n’ont reçu aucune nouvelle. « D’habitude, on a 20, 30, 40 [étudiants de] niveau 1 qui rentrent en août et septembre. Mais là, les cours sont commencés, et les nouveaux étudiants ne sont pas là. Si quelqu’un nous appelle demain matin pour nous dire qu’il a eu son évaluation, on va devoir lui dire d’attendre à janvier », déplore une employée de ce centre de services, qui souhaite rester anonyme parce qu’elle n’a pas l’autorisation de son employeur pour s’adresser aux médias. « On est en train de mettre sur la glace une année complète d’école. »

    Des évaluations erronées

    Selon les données du MIFI, des 23 500 nouveaux dossiers complets (sur un total de quelque 30 000 nouvelles inscriptions en date du 20 août), la grande majorité des personnes n’auront pas besoin de subir d’évaluation, car elles ont déclaré n’avoir aucune ou avoir une très faible connaissance du français. Or, parmi les 7800 personnes devant passer un test, moins de la moitié (3000) ont été jusqu’ici évaluées par le bureau d’évaluation de Francisation Québec.

    De nombreux classements sont également erronés, a constaté Mme Larrivée. « On a vu beaucoup d’aberrations. On a des étudiants de la Tunisie qui ont été classés au niveau débutant. Ça ne se peut pas, ça. On voit qu’ils arrivent quand même à parler français. » D’autres, qui ont été classés dans les niveaux intermédiaires, doivent être recalés. « J’ai une enseignante qui a reporté d’une journée sa rentrée pour appeler tous les élèves sur sa liste. Elle a réajusté les classements. »

    Tania Longpré, doctorante en didactique des langues secondes et enseignante en francisation à Terrebonne, a fait le même constat. « J’ai reçu deux hommes la semaine dernière qui avaient été classés niveau 7 [par le MIFI], mais je les ai reclassés au niveau 3 », a raconté l’enseignante, qui signe une lettre ouverte dans Le Devoir pour déplorer les nombreux cafouillages de Francisation Québec en cette rentrée scolaire. « Je ne sais pas à quel point j’ai le droit de faire ça, mais je ne vais quand même pas laisser dans un niveau 7 quelqu’un qui ne parle pas français. »

    Selon ce qu’a rapporté Le Devoir en juin dernier, d’autres intervenants du milieu scolaire se sont inquiétés de la centralisation des pouvoirs en francisation au sein du MIFI. L’évaluation que fait le ministère des candidats— en ligne et seulement à l’oral — en avait fait sourciller quelques-uns.

    Julie Larrivée, du centre Louis-Jolliet, reconnaît que le système vit une transition. Mais elle estime tout de même que les étudiants étaient bien mieux servis avant. « Nous, ça fait 25 ans que notre expertise est développée », dit-elle.

    De record en record

    Après avoir connu une année record — 65 000 personnes ont suivi des cours de francisation l’an dernier —, le ministère de l’Immigration s’apprête à en vivre une autre. Au lancement de Francisation Québec, le 1er juin, on comptait déjà 16 000 personnes en attente, et une session record de cours d’été a été mise sur pied pour l’absorber le plus possible — un véritable tour de force, selon le MIFI.

    C’est d’ailleurs parce qu’il a fallu s’attaquer à réduire le nombre de personnes en attente que les nouveaux inscrits n’ont pas encore commencé leurs cours, a laissé savoir le ministère. « Comme l’offre de cours est moins importante durant la période estivale, notamment en raison des vacances du personnel enseignant, il est plus difficile de placer l’ensemble des élèves lors de cette période. Cette situation se résorbe habituellement par la reprise des sessions à l’automne. »

    À l’heure actuelle, 16 600 étudiants qui se sont inscrits avant la mise en place du guichet unique suivent des cours de francisation.

    Source: Un système surchargé fait rater la rentrée à des étudiants en francisation

    Unknown's avatarAbout Andrew
    Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

    Leave a comment

    This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.