Yakabuski: Déplacer le problème
2023/02/20 Leave a comment
Good analysis of the issues and the problem for the government, particularly should the Supreme Court rule against the STCA. Potential for a comparable impact to the 1985 Singh decision which required the government to provide due process to anyone who arrived on Canadian soil:
La ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette, s’est dite heureuse d’apprendre que les autorités fédérales avaient transféré vers l’Ontario la presque totalité des quelque 500 demandeurs d’asile arrivés par le chemin Roxham en fin de semaine dernière. Selon Mme Fréchette, voilà bien la preuve que le gouvernement du Québec « peut avoir des résultats » en exprimant sans cesse son mécontentement face à l’inaction d’Ottawa devant le flux grandissant de migrants irréguliers qui passent par le chemin Roxham depuis sa réouverture, en novembre 2021.
La ministre Fréchette a imploré le gouvernement fédéral de continuer d’envoyer ailleurs au Canada plus des trois quarts des demandeurs d’asile qui traversent ce poste frontalier non officiel pour ne laisser au Québec qu’une proportion de migrants équivalente à son poids démographique au sein de la fédération canadienne. « On espère que ça va se maintenir dans le temps, et que ça va être la nouvelle approche de gestion de la frontière », a-t-elle ajouté.
Toutefois, le bonheur des uns fait parfois le malheur des autres. Dans la région de Niagara, dans le sud de l’Ontario, l’arrivée des migrants en provenance du chemin Roxham suscite de vives inquiétudes chez les autorités municipales et les organismes de bienfaisance. Cette région est dotée d’un plus grand nombre de chambres d’hôtel que la moyenne en raison de sa vocation touristique, active surtout en été. Alors, il n’est pas surprenant qu’Ottawa l’ait choisie comme destination pour les migrants que le Québec dit ne plus avoir la capacité d’accueillir.
Or, alors que le gouvernement s’apprêterait à louer environ 2000 chambres d’hôtel afin d’y loger temporairement les migrants dans le sud de l’Ontario, certains intervenants expriment des réserves sur la nouvelle stratégie d’Ottawa. « Sans préavis, sans préparation, cela nous met dans une position très difficile, a affirmé cette semaine le maire de Niagara Falls, Jim Diodati, dans une entrevue au St. Catharines Standard. Comment pouvons-nous gérer une situation comme celle-ci quand nous avons déjà une crise du logement et une crise d’accessibilité au logement ? Cela va absolument exacerber un problème déjà existant. » À quelques semaines du début de la saison touristique printanière, il a dit prévoir « un gros problème » à l’horizon.
En agissant de la sorte dans ce dossier, le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau démontre de nouveau ses piètres capacités en matière de gestion de crise. Il est pris entre sa base progressiste, qui souhaiterait ouvrir les frontières canadiennes à tous ceux « qui fuient la persécution, la terreur et la guerre » — comme M. Trudeau avait lui-même promis de le faire en 2017 dans un gazouillis dorénavant entré dans l’histoire —, et les contradictions de ses propres politiques d’immigration.
Les véritables réfugiés se voient damer le pion par des passeurs qui exploitent la vulnérabilité des migrants fuyant des conditions de vie difficiles en Amérique latine ou en Afrique pour leur retirer le peu d’argent dont ils disposent. On a beau vouloir être généreux envers ces personnes, l’intégrité de notre système d’immigration en prend pour son rhume et le Canada consolide sa réputation de passoire dont profite quiconque veut s’en prévaloir.
Ottawa se trouve dépourvu d’arguments face à un gouvernement américain qui n’a aucun intérêt à accéder à sa demande de « moderniser » l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS). Les quelque 40 000 demandeurs d’asile qui sont arrivés au Canada par le chemin Roxham en 2022 ne constituent qu’une goutte d’eau dans l’océan migratoire américain. Même des politiciens démocrates comme le maire de New York, Eric Adams, ne voient pas pourquoi ils devraient se priver d’utiliser cette « faille » dans l’ETPS pour pallier quelque peu leur propre crise migratoire. Avouons-le, leur crise est infiniment plus sérieuse que la nôtre.
Alors, quoi faire ? Le transfert des demandeurs d’asile du chemin Roxham vers les autres provinces permet peut-être au gouvernement fédéral de réduire la pression sur le Québec, mais il risque de créer des tensions ailleurs au pays. Il est aussi possible que les passeurs voient dans la démarche fédérale un geste qui facilite leur travail. La capacité d’accueil du Québec atteint peut-être ses limites, mais le transfert par Ottawa des demandeurs d’asile vers l’Ontario crée plus de possibilités pour les profiteurs du système.
Espérons que le gouvernement Trudeau se dotera d’un plan B au cas où la Cour suprême invaliderait l’Entente sur les tiers pays sûrs. En 2020, la Cour fédérale avait trouvé que cette entente violait le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d’appel fédérale avait par la suite infirmé cette décision.
Toutefois, la notion selon laquelle les États-Unis ne constituent pas un pays « sûr » pour les demandeurs d’asile jouit de l’appui de beaucoup d’adeptes au Canada. En cas d’invalidation de l’ETPS, le Canada devrait accueillir tous les demandeurs d’asile qui arrivent en provenance des États-Unis, même ceux qui passent par un poste frontalier officiel. Cela créerait un méchant dilemme pour M. Trudeau, au point de peut-être même le forcer à répudier le fameux gazouillis dont il semble encore si fier.Source: Déplacer le problème