Diversité et inclusion: malaise au sein de CBC/Radio-Canada

Of note, and the difference between Radio Canada and CBC:

L’hésitation de CBC/Radio-Canada à se prononcer sur la récente décision du CRTC concernant le mot en n s’inscrit dans un contexte de transformations plus profondes au sein de l’institution. Sous l’impulsion de la présidente-directrice générale Catherine Tait, la société d’État a accéléré depuis 2018 son virage diversité et inclusion. Mais dans la salle de rédaction du service français, certains dénoncent « l’obsession » de la haute direction pour les questions identitaires.

« C’est comme si on voulait nous imposer le contexte sociopolitique de Toronto à Montréal. À Toronto, le multiculturalisme, c’est une réalité. Alors qu’au Québec, je regrette, mais ce n’est pas un concept politique qui est partagé par tout le monde. C’est un concept qui fait débat et il faut rendre compte de cette réalité », résume une personnalité bien connue de Radio-Canada qui tient à garder l’anonymat par crainte de représailles.

Le Devoir a pu s’entretenir dans les derniers jours avec cinq employés de la société d’État qui s’interrogent sur certaines initiatives de la haute direction pour promouvoir la diversité et l’inclusion. Certains sont plus critiques que d’autres, mais ils s’entendent sur une chose : CBC/Radio-Canada doit absolument faire appel de la décision du CRTC, qui a blâmé la semaine dernière le diffuseur public pour un segment dans lequel le chroniqueur Simon Jodoin et l’animatrice Annie Desrochers ont cité à quatre reprises le titre du livre Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières. Le CRTC oblige entre autres Radio-Canada à s’excuser.

« Je ne me fais pas d’illusions. Je vois mal comment la haute direction de Catherine Tait pourrait faire appel de la décision du CRTC après ce qui s’est passé avec Wendy Mesley », anticipe l’une des personnes qui ont accepté de parler au Devoir.

Wendy Mesley, c’est cette animatrice vedette de CBC qui avait été suspendue pour avoir cité le nom du livre de Pierre Vallières lors d’une réunion de travail. Cette journaliste d’expérience avait dû s’excuser à la suite de cet épisode, avant d’annoncer sa retraite l’an dernier. « L’histoire de Wendy Mesley nous a marqués. Ça a beaucoup choqué à Montréal, et il y a comme une incompréhension. Bien sûr, on en parle entre nous, mais pas trop fort. Car veut, veut pas, il y a un climat de suspicion qui s’est installé depuis cette histoire », ajoute notre source.

Prioritaire pour la haute direction

Pour certains, l’affaire Wendy Mesley est le point de départ d’un malaise qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis.

L’année dernière, une formation obligatoire sur les privilèges et les biais inconscients a soulevé l’ire dans la salle de rédaction du service français. On y disait notamment qu’il était stigmatisant de décrire un secteur comme un quartier chaud parce qu’il a un fort taux de criminalité. Un exercice « infantilisant », « digne d’un cours de pastorale », s’insurge une autre employée qui a suivi la formation.

« C’est un objectif très louable de vouloir plus de diversité, et effectivement, il faut plus de diversité à Radio-Canada. Mais le problème, c’est la manière dont on s’y prend », nuance-t-elle.

Certaines déclarations de la p.-d.g. de la société d’État, Catherine Tait, ont aussi fait sourciller dans les dernières années. Après la découverte de potentielles tombes anonymes sur le site de l’ancien pensionnat de Kamloops, cette dernière avait envoyé un mémo aux employés pour les inviter à observer un moment de silence de 215 secondes, une seconde correspondant à chaque enfant autochtone disparu.

À la suite du prononcé de culpabilité d’un policier pour le meurtre de George Floyd à Minneapolis, elle a aussi reconnu explicitement le concept de « racisme systémique » dans une lettre signée par quatre directeurs et conseillers sur les programmes de diversité et inclusion. « Le racisme systémique existe toujours au Canada et au sein de plusieurs de ses institutions, y compris son diffuseur public », écrivait Catherine Tait, qui a fait toute sa carrière au Canada anglais.

Est-ce le rôle de la dirigeante de CBC/Radio-Canada de prendre parti dans des événements qui font l’actualité et que les journalistes de la boîte sont censés traiter ensuite de la manière la plus objective possible ? Pour certains, les prises de position de la haute direction n’affectent pas la manière de couvrir l’information. Mais d’autres sont d’avis que la politique officielle de l’entreprise empiète sur la sacro-sainte objectivité journalistique.

« Sur le concept de racisme systémique, par exemple, il y a un malaise. On peut être pour ou contre, mais ce n’est pas à une entreprise de presse de reconnaître quelque chose que le gouvernement du Québec refuse de reconnaître », illustre une personne qui évolue au sein de Radio-Canada.

Inclusif ou objectif ?

Ce principe d’objectivité journalistique a d’ailleurs été revu du côté anglophone. En juin 2020, dans la foulée de l’assassinat de George Floyd, le rédacteur en chef de CBC a proposé d’ouvrir le débat sur les Normes et pratiques journalistiques dans l’optique d’offrir une couverture plus inclusive. « Nos définitions de l’objectivité, de l’équilibre, de l’équité et de l’impartialité — et notre insistance pour que les journalistes n’expriment pas d’opinions personnelles sur les histoires que nous couvrons — vont-elles à l’encontre de nos objectifs d’inclusion et de faire partie de la communauté et du pays que nous servons ? » s’interrogeait Brodie Fenlon dans son blogue sur le site de CBC.

Côté francophone, ce raisonnement suscite beaucoup d’appréhensions. Des voix se sont fait entendre à l’interne pour implorer Radio-Canada de ne pas suivre la même voie que CBC.

Deux ans plus tard, les normes journalistiques n’ont finalement pas changé en soi, indique Chuck Thompson, chef des relations publiques de CBC, mais leur interprétation, oui. L’exercice en cours pour rendre les pratiques journalistiques plus inclusives porte « sur la façon dont nous interprétons ces principes, et sur l’identification des obstacles qui limitent notre journalisme en excluant des perspectives, des points de vue ou des expériences vécues », confirme M. Thompson. « Ce travail couvre toute une gamme d’actions, des stratégies d’embauche et de promotion aux meilleures pratiques pour couvrir la criminalité et la police, en passant par de la formation sur les préjugés inconscients et l’inclusion. »

Deux solitudes

À l’automne 2020, l’affaire Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa a aussi mis en évidence des visions divergentes entre Radio-Canada et CBC quant à l’usage du mot en n. Lors d’une rencontre de la haute direction le 14 octobre, Catherine Tait a demandé pourquoi une émission sur le mot en n avait été proposée sur une plateforme de CBC plutôt qu’en français à Radio-Canada, une discussion qui aurait provoqué de vives tensions.

Interrogé à ce sujet il y a plusieurs mois, le bureau de Mme Tait a précisé au Devoir une partie des propos de Catherine Tait pendant cette rencontre : « Je me suis demandé pourquoi cette émission était produite en anglais et non en français puisque [les personnes qui l’animent sont francophones]. Et elles m’ont répondu que l’émission aurait été différente en français, que la conversation sur le racisme n’est pas aussi avancée au Québec. Ce que je veux vous dire aujourd’hui, c’est que c’est notre moment à Radio-Canada, c’est une occasion en or, pour nous, en tant que diffuseur public de vraiment servir tous les Canadiens et d’assurer notre pertinence pour l’avenir », aurait-elle déclaré.

À l’heure de mettre sous presse, le bureau de Catherine Tait n’avait pas donné suite à nos questions. Radio-Canada pour sa part n’a pas souhaité réagir.

La promotion de la diversité fait partie des conditions imposées à la société d’État par le CRTC, l’organisme responsable de lui accorder une licence de diffusion, et ces exigences ont été rehaussées lors du plus récent renouvellement, en juin.

Source: Diversité et inclusion: malaise au sein de CBC/Radio-Canada

About Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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