Carbo | Quel gâchis! [francisation]
2024/11/21 Leave a comment
On the problems with Quebec’s francisation cutbacks and an interesting and creative example of advanced levels:
Le 4 avril 2024, une grosse bordée de neige s’abat sur Montréal, de celles qui nous rappellent qu’on ne peut jamais tenir le printemps pour acquis dans notre belle province. Mon collègue et moi garons tant bien que mal la voiture en face du centre de francisation William-Hingston, du Centre de services scolaire de Montréal. Nous avons rendez-vous avec les élèves du niveau 8, le niveau le plus avancé en classe de francisation. Nous y sommes attendus pour y faire de l’improvisation. Les élèves ont écrit les thèmes qui vont inspirer nos saynètes et ils pourront se joindre à nous, si le coeur leur en dit.
En grimpant les escaliers vers la salle où aura lieu notre atelier de démonstration, j’entends d’autres élèves qui parlent français entre eux avec leurs accents du bout du monde. Tous discutent de cette tempête de neige imprévue. Une élève appliquée utilise le terme « congère » et un sympathique professeur lui apprend l’expression « banc de neige ». Elle rit. Mimant la hauteur de la neige, elle demande, incertaine : « On dit un banc parce qu’on peut s’asseoir dessus ? » Le professeur acquiesce en rigolant à son tour.
Une fois dans la salle de classe, je regarde les étudiants arriver, souriants et de tous âges, venus du monde entier. On se lance sans plus tarder et on improvise devant eux en toute simplicité. Les thèmes qu’ils ont composés sont drôles, pertinents et surtout inspirants. Certains viendront même jouer avec nous. Leur maîtrise du français est impressionnante. Ils ont de jolis traits d’esprit. Faire rire dans une langue étrangère démontre une bonne connaissance de cette dernière, mais aussi plusieurs acquis en matière de références culturelles. Je sors de là ébahie par leur intelligence, leur vocabulaire et leur humour.
Je mesure tous les efforts qu’ils ont déployés pour réussir à s’intégrer dans leur société d’accueil et l’aplomb avec lequel ils parlent notre langue. Je suis aussi admirative du travail des professeurs. On peut percevoir leur engagement dans la progression de leurs apprenants et leur fierté devant leur réussite.
Si je vous raconte cette matinée dans un centre de francisation, c’est parce que l’avenir de ces lieux d’apprentissage essentiels semble menacé par les priorités budgétaires du gouvernement caquiste. Pourtant, ce gouvernement a placé le français au coeur de ses préoccupations. Il a même renforcé sa protection en adoptant la loi 96 en 2022. Cette mise à jour de la Charte de la langue française précise que tous les services publics devront être rendus en français pour tous les nouveaux arrivants et les réfugiés (sauf exception) qui sont au Québec depuis six mois. Or, six mois, même si on étudie à temps plein, c’est bien peu pour maîtriser une langue, a fortiori si on ferme des classes de francisation à proximité.
Bien sûr, le nombre d’élèves a augmenté avec le flux migratoire, mais, justement, je pense qu’il est urgent d’augmenter le financement pour la francisation et l’intégration. Malheureusement, on procède à des coupes ou à des remaniements arbitraires, ce qui, selon les estimations,laisse plus de 10 000 élèves sans rien. On estime qu’environ 113 enseignants ont perdu leur emploi. C’est une catastrophe sous plusieurs angles.
Je sais bien que la bourse de l’État n’est pas un sac magique duquel on peut faire apparaître des millions de dollars. En revanche, lorsqu’un gouvernement ne cesse de nous rappeler la fragilité du français, lorsqu’il commande des rapports sur l’évolution de la situation linguistique à l’Office québécois de la langue française ou encore qu’il demande des études sur la situation des langues parlées au Québec à l’Institut de la statistique, je m’attends à ce qu’il intervienne en amont pour contrer le déclin de notre langue commune.
En tâtant le terrain auprès d’amis qui travaillent dans l’univers de la francisation et de l’intégration, et qui observent avec scepticisme, voire avec inquiétude, les choix du ministère, j’apprends que cette branche de l’enseignement est malmenée depuis plusieurs années, et pas uniquement sous ce gouvernement. J’ai compris qu’une multitude d’activités incluses dans le programme ont disparu au fil des ans. Des expériences qui aidaient les étudiants à s’intégrer à notre culture, comme une visite de la ville de Québec, des épluchettes de blé d’Inde, de l’autocueillette de pommes, etc.
De plus, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration semble chercher à réduire le nombre de classes physiques pour augmenter l’offre virtuelle. Mais apprendre en groupe dans un même lieu, c’est tellement plus vivant ! On peut rebondir sur ce que vient de dire le professeur, échanger de manière spontanée, participer aux discussions de corridors. On apprend mieux en classe qu’isolé devant un écran impersonnel. C’est d’ailleurs ce que me confirme mon ami, qui est lui-même professeur. Il constate que ses élèves progressent beaucoup plus rapidement lorsqu’ils sont en présentiel plutôt qu’en ligne.
Il y a fort à parier que je ne serai plus invitée à faire de l’impro dans une classe de francisation. Bien sûr, cela me rend un peu triste, mais ce qui me rend le plus furieuse, c’est de penser que ces merveilleux adultes pleins de bonne volonté et de courage, qui pourraient contribuer à notre société à leur plein potentiel, seront privés des services de professeurs compétents et motivés. Au lieu de voir un formidable investissement dans les classes de francisation, le gouvernement semble désormais y voir une vulgaire dépense. Moi, je vois là un immense gâchis.
Source: Carbo | Quel gâchis! [francisation]
On April 4, 2024, a big snow line fell on Montreal, one of those that remind us that we can never take spring for granted in our beautiful province. My colleague and I park the car in front of the William-Hingston francization center, of the Montreal School Service Center. We have an appointment with students at level 8, the most advanced level in the francization class. We are expected there to improvise. The students have written the themes that will inspire our skits and they will be able to join us, if the heart tells them.
As I climb the stairs to the room where our demonstration workshop will take place, I hear other students who speak French among themselves with their accents from the end of the world. Everyone is talking about this unexpected snowstorm. An applied student uses the term “congère” and a friendly teacher teaches her the expression “snow bench”. She laughs. Mimicking the height of the snow, she asks, uncertain: “We say a bench because we can sit on it? The teacher nods laughing in turn.
Once in the classroom, I watch the students arrive, smiling and of all ages, from all over the world. We start without further delay and improvise in front of them with ease. The themes they have composed are funny, relevant and above all inspiring. Some will even come to play with us. Their command of French is impressive. They have nice wits. Making people laugh in a foreign language demonstrates a good knowledge of the latter, but also several achievements in terms of cultural references. I leave there amazed by their intelligence, vocabulary and humor.
I measure all the efforts they have made to succeed in integrating into their host society and the aplomb with which they speak our language. I also admire the work of the teachers. We can perceive their commitment to the progress of their learners and their pride in their success.
If I tell you this morning in a francization center, it is because the future of these essential places of learning seems threatened by the budgetary priorities of the Caquist government. However, this government has placed French at the heart of its concerns. He even strengthened his protection by adopting Law 96 in 2022. This update of the Charter of the French Language specifies that all public services must be rendered in French for all newcomers and refugees (with exceptions) who have been in Quebec for six months. However, six months, even if you study full-time, is very little to master a language, especially if you close Frenchization classes nearby.
Of course, the number of students has increased with the migratory flow, but, precisely, I think it is urgent to increase funding for francization and integration. Unfortunately, arbitrary cuts or rearrangements are being carried out, which is estimated to leave more than 10,000 students with nothing. It is estimated that about 113 teachers have lost their jobs. It’s a disaster from many angles.
I know that the state exchange is not a magic bag from which you can show millions of dollars. On the other hand, when a government keeps reminding us of the fragility of French, when it orders reports on the evolution of the linguistic situation from the Office québécois de la langue française or when it requests studies on the situation of languages spoken in Quebec from the Institut de la statistique, I expect it to intervene upstream to counter the decline of our common language.
By trying the ground with friends who work in the world of francization and integration, and who observe with skepticism, even with concern, the choices of the ministry, I learn that this branch of education has been mistreated for several years, and not only under this government. I understand that a multitude of activities included in the program have disappeared over the years. Experiences that helped students integrate into our culture, such as a visit to Quebec City, Indian wheat peels, self-picking apples, etc.
In addition, the Ministry of Immigration, Francisation and Integration seems to be seeking to reduce the number of physical classes to increase the virtual offer. But learning in a group in the same place is so much more lively! We can bounce back on what the teacher has just said, exchange spontaneously, participate in corridor discussions. We learn better in class than in isolation in front of an impersonal screen. This is also what my friend confirms to me, who is himself a teacher. He notes that his students progress much faster when they are in person rather than online.
It is a safe bet that I will no longer be invited to improvise in a francization class. Of course, it makes me a little sad, but what makes me most furious is to think that these wonderful adults full of good will and courage, who could contribute to our society to their full potential, will be deprived of the services of competent and motivated teachers. Instead of seeing a formidable investment in francization classes, the government now seems to see it as a vulgar expense. I see a huge mess here.
