Quand on sait le nombre d’éducatrices musulmanes dans les CPE québécois, cette mesure n’est évidemment pas anodine.

Hormis un souci de « cohérence », qu’est-ce qui justifie une telle mesure ? Y a-t-il un problème ? Tente-t-on de convertir les enfants ? Bref, quelles sont les données justifiant un autre tour de vis « laïque » ?

La Commission a fait des consultations… par internet.

« Au total, 323 résidentes et résidents et 187 membres du personnel ont répondu, de manière volontaire et à titre personnel, au questionnaire en ligne sur la page web Consultation Québec », note la Commission.

« Toutefois, compte tenu de la taille de la population du Québec, soit 9,1 millions de personnes, cet échantillon de 323 résidentes et résidents n’est pas représentatif. L’interprétation des réponses fournies doit donc tenir compte de cette réserve. Il en va de même pour les 187 membres du personnel, étant donné la taille de l’effectif de la fonction publique, établie en 2024 à 77 844 personnes, et de celle du personnel des réseaux de la santé, des services sociaux et de l’éducation, ajoutant à ce nombre plus de 375 000 employées et employés. »

Autrement dit, cette consultation en ligne et volontaire ne vaut rien, scientifiquement parlant. On nous apprend que dans un CPE, on a entendu des chants religieux. Dans un autre, il y avait des cours de religion pour les éducatrices musulmanes pendant les pauses.

Avant de limiter le droit d’une personne, il faut pourtant faire état d’un problème sérieux. Les données en ce sens ne nous sont pas fournies.

Les auteurs de ce rapport indépendant se sont souvent exprimés sur ces questions par le passé, et ils reprennent ici leurs idées dans de longs développements historiques. On n’est pas surpris du résultat de leurs réflexions.

Guillaume Rousseau, professeur de droit de l’Université de Sherbrooke, considère comme une dérive la jurisprudence de la Cour suprême en matière d’accommodements religieux. Christiane Pelchat, ex-présidente du Conseil du statut de la femme, n’a pas fait mystère de son opinion sur le port du hijab, symbole de domination patriarcale.

Le rapport en fait est une sorte de répudiation finale de la commission Bouchard-Taylor, que ses auteurs se permettent de tailler en pièces en le dénaturant.

Au terme d’une tournée du Québec et de consultations exhaustives, les deux commissaires avaient conclu qu’il n’y a pas au Québec de crise des accommodements raisonnables. Des accrochages. Des problèmes ici et là. Comme il y en a eu à l’école Bedford. Et comme il y en a dans toutes les sociétés pluralistes. Mais en règle générale, le Québec gère bien ces difficultés.

Ce constat a déplu à plusieurs. Et à l’évidence, les auteurs de ce rapport sont du nombre. Ils leur reprochent de ne pas remettre en question l’état du droit sur les accommodements « porté par une vision multiculturaliste » du droit à l’égalité. Pour eux, accommoder, c’est dériver, c’est bafouer les droits des femmes et renier le Québec.

Gérard Bouchard s’est longtemps époumoné à expliquer le concept d’interculturalisme québécois, qui n’est pas le multiculturalisme canadien. Il a développé le concept dans un livre à part. Rien n’y fait, on lui fait encore dire ce qu’il n’a pas dit.

Il est vrai que le rapport est demeuré sans suite. Mais pas parce qu’il n’a pas « su cerner correctement le consensus social ». Parce que le gouvernement Charest n’y a pas donné suite.

Il faut avoir du culot pour se prononcer sur le « consensus social » quand on a fait des consultations en ligne « non représentatives ».

Le comité suggère, en plus d’une « journée nationale de la laïcité » (!), de mettre fin aux avantages fiscaux des communautés religieuses… sauf pour la portion charitable de leurs opérations. Ça se discute. Mais les auteurs n’ont pas examiné les conséquences pratiques de telles mesures. On n’a aucun portrait du nombre de personnes que cela représente, de la valeur des exemptions, des impôts fonciers évités, etc.

Pas sûr que François Legault voudra faire envoyer un compte de taxes à l’oratoire Saint-Joseph. Le comité reconnaît que dans bien des villages du Québec, les bâtiments religieux sont le symbole même du lieu. Ils ont un aspect « patrimonial ». Voudra-t-on exempter les édifices catholiques et pas les autres ?

Pas plus simple, la question du financement public des « écoles religieuses ». Ces écoles privées sont aussi privées que les écoles privées « laïques », qui sont pour la plupart d’anciens établissements catholiques. Le compromis historique a voulu que le financement partiel des anciens collèges classiques soit offert aux écoles juives, arméniennes, etc. Qu’est-ce qu’une école « religieuse », au fait ? Sujet pas si simple à délimiter. Le gouvernement est censé voir au respect du curriculum dans toutes les écoles du Québec, s’il veut mettre fin au financement public des collèges privés, il peut le faire. Mais voudra-t-on viser uniquement les établissements prétendument religieux, comme par hasard ceux des minorités ? Ça promet…

Les juges de la Cour suprême seront surpris d’apprendre qu’ils n’ont reconnu « pleinement » l’égalité hommes-femmes qu’en 2018 et ne comprennent pas encore le concept.

Les auteurs n’ont pas que de mauvaises idées. Mais penser qu’on va un jour arriver avec des réponses « claires » et simples à des cas particuliers parce qu’on aura accru la « cohérence » est une illusion. C’était déjà le constat de Bouchard-Taylor : il faut être ferme sur les principes, comme l’égalité hommes-femmes, mais souple sur l’application, parce qu’on ne peut pas tout prévoir. Et les milieux sont généralement capables de gérer ces tensions. Rendre plus rigides les règles n’empêchera pas des dérapages comme à Bedford : il y avait déjà contravention aux règles.

Mais bien entendu, politiquement, ça peut permettre une diversion profitable pour un gouvernement sur le déclin.