Un jugement aveugle sur le niqab | Le Devoir

More on the niqab in Quebec, where a Quebec journalist, writing about the niqab (apparently in a balanced manner) had to pay damages to a niqab-wearing woman for publishing her picture without permission. Formality (requirement for permission) and substance (niqab provides anonymity):

En juin 2012, M. Cristea a publié un article où il décrit l’émoi causé par la vue d’un niqab au marché aux puces de Sainte-Foy. Son texte était accompagné d’une photographie de la femme en voile intégral en compagnie de son mari. La lecture de l’article ne révèle aucune intolérance, le texte soulignant seulement le choc culturel causé par le niqab dans une société non musulmane ; quant à l’identification des personnes photographiées, elle s’avère pratiquement impossible. Comme l’a écrit François Bourque, chroniqueur au Soleil et ancien président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, le reportage incriminé est « sobre et factuel » et « n’incite pas à la haine, au mépris ou à l’intolérance » ; au sujet de la photo, le même journaliste affirme que « sauf pour des proches, il semble impossible de reconnaître la femme et difficilement son conjoint » Le Soleil, 30 janvier 2013.

….On peut s’étonner de cette décision de la Cour. D’abord, la question de l’identification des personnes est fort discutable : le niqab n’entraîne-t-il pas en effet l’occultation complète de l’individualité ? En outre, selon le juge, la publication de la photographie n’était pas d’intérêt public. Or, le sujet traité, le port du voile intégral, est d’une grande actualité et anime de nombreux débats tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Publier une photo d’une femme en niqab en complément d’un article qui porte justement sur le voile intégral afin de montrer aux lecteurs d’un journal que cette réalité existe bel et bien dans leur milieu, n’est-ce pas tout à fait fondé sur le plan journalistique ?

Enfin, le juge n’a pas tenu compte du fait que la photographie a été prise dans un espace public et non dans l’intimité d’une résidence privée. La femme musulmane, en se présentant au marché aux puces en niqab, devait savoir qu’elle quittait la sphère privée et qu’elle s’exposait ainsi aux regards et au jugement d’autrui. Elle aurait dû accepter toutes les conséquences de ce geste fait volontairement au sein d’une collectivité peu habituée à ce genre d’habillement.

En fait, le juge a retenu surtout l’argument du non-consentement, négligeant les aspects sociaux du litige. C’est là une tendance forte de nos tribunaux d’aujourd’hui qui, en vertu de la prédominance qu’ils accordent aux chartes des droits de la personne, en sont arrivés à évacuer la perspective sociale au profit de la seule perspective individuelle.

Cette cause soulève de façon très vive la question de la liberté de presse. Les tribunaux doivent certes intervenir devant les dérapages possibles des médias, particulièrement quand il s’agit de tromperie ou de diffamation. Mais ce n’est manifestement pas le cas ici. Le juge s’est permis, dans cette affaire, de condamner le travail d’un journaliste qui avait pourtant écrit un texte d’intérêt public dans un style très respectueux et avec une photo des plus pertinentes. Citons encore François Bourque, dans un autre article : « On note que [les] balises [établies par la Cour suprême] peuvent ouvrir la porte à une interprétation très restrictive de l’intérêt public. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les médias. »

Nous avons fait la connaissance de M. Cristea et nous avons pu constater combien il était sensible aux dangers que comporte le communautarisme dans lequel les immigrants risquent de s’enfermer et à quel point il avait à coeur de favoriser avant tout leur intégration pleine et entière à la société québécoise. En guise de remerciement, nos tribunaux n’ont trouvé rien de mieux que de le condamner à 7000 $ en « dommages moraux » au profit d’un couple qui n’a pas hésité à afficher le niqab en public, vêtement sexiste que le premier ministre Philippe Couillard lui-même entend faire interdire en tant que signe d’« instrumentalisation de la religion pour des fins d’oppression et de soumission » (Le Devoir, 26 septembre 2014). Il faut encourager M. Cristea à faire appel pour que le bon sens prévale dans ce pays. Nous l’assurons de tout notre appui dans cette démarche.

Un jugement aveugle sur le niqab | Le Devoir.