Un peu plus d’humanité pour les travailleurs étrangers

Along with reduced dependence on temporary workers and international students? And data on the number of visa overstays like in the USA:

Au cours des derniers jours, deux journalistes du Devoir ont donné un visage humain aux statistiques brutes de l’immigration temporaire et des migrants sans statut. Sarah R. Champagne et Lisa-Marie Gervais ont raconté les récits de Henry, Yony, Rudy, Yasser, Mariana et Mamadou.

Les premiers — des travailleurs étrangers temporaires — se sont blessés au travail et luttent non seulement pour leur rétablissement, mais aussi pour la défense de leurs droits dans un labyrinthe administratif aux allures de cul-de-sac. Les seconds — des sans-statut — sont arrivés chez nous par une voie régularisée, mais sont tombés ensuite dans le bassin des « sans-papiers » ; ils se battent pour survivre, mais dans la clandestinité. Derrière la froideur des chiffres, ce sont leurs vulnérabilités oubliées.

Tout notre système migratoire tourne autour de la notion convoitée de « résidence permanente ». La réforme que vient de mettre en marche la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, se décline autour de ce concept. Il s’agit là, répétons-le, d’une spectaculaire hypocrisie, car sous des cibles maintenant portées à 60 000 « permanents », la voie royale d’entrée au Québec est en fait « temporaire », et son caractère permanent ne se matérialisera jamais pour des milliers de personnes qui pourtant travaillent tous les jours à faire tourner notre économie.

En 2022, il y a eu près de trois fois plus d’immigrants entrés par une voie temporaire que de permanents recensés sur la même période de 11 mois. La véritable voie d’entrée au Québec est temporaire, mais on continue de traiter cette question comme si elle était secondaire, voire marginale. Québec n’a pas inclus la question des travailleurs étrangers temporaires dans sa récente réforme bien que ce fût réclamé à grands cris. Cette main-d’oeuvre scrutée sous le seul axe de son utilité, sans égards à son humanité, comptait pourtant pour près de 40 000 personnes au Québec en 2022.

C’est le triste paradoxe subi par ces dizaines de milliers de personnes jugées essentielles. Elles s’astreignent à un dur labeur depuis de longues années, loin de leur famille, mais elles accèdent rarement au statut convoité de la permanence, qui les sortirait d’un entre-deux accablant.

Puisque leur outil principal est leur corps, on ne s’étonnera pas d’apprendre que le nombre de lésions professionnelles subies par ces travailleurs est en augmentation galopante depuis quelques années, comme en font foi les données colligées par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les histoires relatées par nos reporters montrent les limites douloureuses du statut de temporaire lorsque les travailleurs sont blessés ou malades : même s’ils ont accès à des soins de santé en bonne et due forme pendant qu’ils travaillent, ces services tiennent par le fil de l’emploi. Lorsque l’emploi se termine ou est interrompu, faute d’être en mesure d’offrir la prestation de travail, l’employé doit normalement quitter le Québec. Mais certaines incapacités ne le permettent tout simplement pas : un accident de travail qui demande une longue réadaptation ou un cancer qui nécessite un traitement, par exemple.

Ces précieux travailleurs se retrouvent souvent seuls dans l’épreuve, sans moyens pour permettre à leur famille restée dans leur pays d’origine de venir ne serait-ce que les visiter après une opération. Puisqu’ils ne peuvent plus travailler, ils perdent aussi le logis venant avec l’emploi qui leur garantit un statut. Dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire du ministre de la Santé, qui peut étirer une couverture d’assurance maladie pour motifs humanitaires, viendra sauver la mise. Mais ces batailles administratives parfois sans issue viennent souligner le caractère inacceptable du traitement qu’on inflige à des gens qu’on dit indispensables : on préfère oublier leurs vulnérabilités, comme s’ils étaient des travailleurs de seconde zone. Voilà ce que le Québec leur offre en guise de remerciements.

Dans ces sombres conditions, ne nous étonnons pas que certains glissent dans la dernière des zones, celle de la clandestinité, en devenant des sans-papiers. C’est l’ultime repli — et le plus douloureux, car il force à une vie de cachette et d’illégalité.

Le Canada, dont on dit qu’il abriterait entre 80 000 et 500 000 sans-papiers, s’est engagé il y a 18 mois à lancer un programme de régularisation, qui pourrait en quelque sorte permettre de remettre les compteurs à zéro, comme ce fut fait déjà en 1973. La quantité de migrants sans statut est toutefois beaucoup plus importante qu’il y a 50 ans, ce qui pourrait compliquer la tâche des élus au moment de définir les critères du programme, qu’on attend toujours.

Le statu quo n’est pas possible. Tant le Canada que le Québec doivent composer avec cette population temporaire sans cesse croissante : eux seuls détiennent les clés qui permettront d’ouvrir la voie à des statuts dotés d’un peu plus d’humanité.

Source: Un peu plus d’humanité pour les travailleurs étrangers