Les immigrants en francisation doivent déjà passer des évaluations à la fin de chaque niveau de cours. La nouveauté est que ces examens deviendront des « épreuves ministérielles », nous a confirmé le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI).
« Désormais, nous devrons tous donner le même examen dans les centres de service scolaire » à travers le Québec, illustre une enseignante en francisation qui a demandé l’anonymat par peur de représailles. Elle précise que les enseignants se font fréquemment rappeler leur « devoir de réserve », d’où la demande récurrente que leur nom ne soit pas révélé.
Le MIFI ne montre cependant pas l’intention d’utiliser ces épreuves à plus large échelle en les acceptant comme preuve de compétence dans les demandes de résidence permanente par exemple.
Depuis 2020, il ne reconnaît plus non plus les attestations qui émanent des cours de francisation. Ce ministère a pourtant dépensé plus de 168 millions de dollars dans les services de francisation durant le dernier exercice financier.
Les immigrants qui n’ont pas fait d’études secondaires ou postsecondaires en français ou qui ne sont pas membres d’un ordre doivent donc passer l’un des tests admissibles pour demander la résidence permanente. Ces tests sont tous conçus entièrement en France, corrigés en partie là-bas et critiqués de toutes parts depuis plusieurs années.
L’ironie est aussi que le gouvernement fédéral reconnaît de son côté la francisation comme une preuve suffisante pour obtenir la citoyenneté, une étape qui vient après la résidence permanente pour les nouveaux arrivants.
Le MIFI indique seulement que des « réflexions sont en cours » pour ajouter de nouveaux moyens pour démontrer les compétences en français. La ministre de l’Immigration Christine Fréchette affirme quant à elle que le travail d’adaptation des tests doit se poursuivre.
L’une des deux instances françaises responsables des tests, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France, affirme avoir déjà « une demande forte de la part du ministère […] d’inclure davantage de référents culturels québécois ». Elle avance que l’accent québécois « est présent à 35 % environ dans l’épreuve de compréhension orale », ce qui est contraire à ce que nous avons constaté.
Un chantier pas si facile
Le ministère de l’Éducation avait déjà entrepris des « travaux qui précédaient l’arrivée de Francisation Québec », nous précise-t-on dans un courriel conjoint des deux ministères. Nos sources indiquent que l’instauration des examens standardisés serait déjà en marche pour les niveaux 4 à 7, une information que les ministères n’ont pas confirmée.
« Tout est sous embargo, comme si c’était un secret d’État, alors que c’est une question de cohérence », souligne Mme Longpré.
L’idée de créer un test québécois pour l’immigration ne date pas d’hier. Elle était déjà promue à l’intérieur du MIFI après l’instauration des tests linguistiques faits en France en 2010, a confié au Devoir un ancien haut fonctionnaire. Il a demandé que son identité ne soit pas révélée, car son obligation de « discrétion » est encore applicable, même s’il a cessé d’occuper ses fonctions.
Le coût de ce test a même déjà été évalué à l’interne à environ un million de dollars pour la création et au même montant annuellement pour l’administrer. « On ne nous a jamais autorisés à le créer, même si la discussion revient éternellement », note cette personne. Il suggère que le MIFI pourrait ajouter un test, sans nécessairement remplacer les tests de France, et ainsi offrir ce choix « pour donner la chance de réussir le parcours migratoire ».
Les tests linguistiques ont été instaurés à la suite d’un rapport du vérificateur général du Québec de 2010 sur la sélection des immigrants. On y jugeait que les points attribués au français étaient « laissés au jugement » des agents d’immigration, et qu’il manquait d’information dans le dossier pour justifier le nombre de points alloués.
Une grande proportion d’immigrants passait au départ le test « partout à l’international », après avoir appris le français ailleurs qu’au Québec, note Christophe Chénier, professeur en évaluation du français langue seconde à l’Université de Montréal. Or, les immigrants sont de plus en plus nombreux à séjourner d’abord en tant que temporaires au Québec, et donc à apprendre la langue avec nos spécificités.
La question financière est incontournable selon lui. L’élaboration d’un tel test requiert plusieurs années, une équipe d’une dizaine de personnes et des mises à l’essai auprès de milliers de personnes. Il faut en outre compter le développement de structures informatiques, de points de service, de formation des évaluateurs, de mises à jour du contenu et autres.
« La question fondamentale est que peu importe l’outil utilisé, il doit idéalement respecter des normes de qualité très élevées, à la hauteur des enjeux pour lesquels on l’utilise, car la décision d’immigrer est l’une des rares grandes décisions que l’on prend dans une vie. »