Idées | Critiquer l’Occident, oui, le liquider, non
2025/07/17 Leave a comment
Good reminder:
Pendant que la Chine emprisonne, que l’Iran torture et que la Russie assassine, certains intellectuels occidentaux continuent de tourner leur rage contre leur propre camp. À force de diaboliser la démocratie libérale au nom d’un anticolonialisme devenu pavlovien, on oublie une vérité simple : ici, on peut encore parler librement. Ailleurs, on se tait… ou on disparaît.
En ne voyant que nos fautes, on oublie que la démocratie libérale, malgré ses limites, reste le dernier cadre réformable. Elle n’est pas parfaite, mais elle demeure le seul système qui accepte d’être interrogé depuis l’intérieur, qui garantit aux citoyens le droit de contester sans peur et qui rend possible sa propre remise en cause.
« Hypocrisie d’un double discours », entend-on souvent comme propos délégitimant l’Occident. Pourtant, de nombreuses civilisations ont asservi ou dominé d’autres peuples. L’histoire humaine est saturée de conquêtes, de systèmes d’exploitation, de hiérarchies imposées. Les dynasties chinoises, les empires arabes, les royaumes africains ou européens ont tous pratiqué la violence. L’Occident n’a donc pas le monopole de la brutalité. Ce qui le distingue, ce n’est pas l’absence d’ignominie, mais la capacité à la reconnaître et à la contester. Si cette tradition d’autocritique s’effondre, elle laisse place à la complaisance, au cynisme, ou à l’indifférence face aux véritables luttes pour la liberté ailleurs dans le monde.
Les révolutions libérales des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles en Angleterre, aux États-Unis et en France ont forgé un ordre inédit : séparation des pouvoirs, responsabilité des gouvernants, droits individuels, souveraineté populaire. Ces principes, imparfaits dans leur application, ont néanmoins produit des institutions capables de limiter les abus, d’encadrer l’arbitraire, de faire naître des contre-pouvoirs. C’est ici, plus qu’ailleurs, que l’esclavage a été aboli, que les femmes et les minorités ont conquis des droits, que la presse et les libertés académiques ont pu se déployer. Ces avancées ne sont pas abstraites : elles ont été arrachées de haute lutte. Et lorsque ces institutions sont contournées, comme ce fut récemment le cas aux États-Unis ou en Pologne, c’est l’ensemble du pacte démocratique qui vacille.
La société civile et les ONG jouent un rôle crucial. Associations, syndicats, mouvements citoyens et lanceurs d’alerte participent activement à la remise en question des dérives. Cette vitalité contraste avec la répression systématique qui frappe ces acteurs dans la plupart des régimes autoritaires.Aujourd’hui, ce cadre est fragilisé. À droite, on rêve d’un ordre restauré, où l’autorité l’emporterait sur le débat. À gauche, certains milieux militants dénoncent la démocratie libérale comme une imposture. La critique est nécessaire, mais elle devient toxique lorsqu’elle ne vise que l’Occident, en épargnant les pires régimes actuels. La Chine, l’Iran ou la Russie sont parfois minimisés, voire réhabilités, au nom d’un anti-impérialisme devenu pavlovien. Le refus de nommer certaines oppressions est déjà une forme de complicité.
Ce phénomène n’est pas nouveau. L’histoire intellectuelle du XXe siècle en porte les traces : Foucault saluant la révolution iranienne de 1979, Sartre fermant les yeux sur les goulags, Aragon justifiant les crimes du stalinisme au nom de la fidélité au Parti. Ceux qui ont résisté à ces aveuglements — Camus, Aron, Koestler — ont souvent été moqués ou marginalisés. Le temps leur a donné raison. Mais la tentation demeure : celle de croire que tout ennemi de l’Occident est forcément porteur d’un avenir désirable. C’est une illusion. Elle pervertit la critique et dévoie la solidarité.Encore aujourd’hui, certains réduisent l’Occident à ses fautes, tout en idéalisant un Sud supposé plus pur. Mais la Chine persécute ses minorités. L’Inde cède au nationalisme religieux. Le Qatar réprime la liberté d’expression. En Afrique, des conflits persistent, et la démocratie reste fragile. La Turquie muselle ses journalistes. La Hongrie d’Orbán sape l’indépendance de la justice, malgré les avertissements européens. Nul continent, nul régime n’échappe aux rapports de domination, au patriarcat ou à la violence d’État. Les oppositions binaires — Nord coupable, Sud innocent — obscurcissent les responsabilités réelles. Elles ne construisent rien.
La désinformation numérique aggrave ce brouillage. Des puissances autoritaires exploitent les failles des démocraties ouvertes pour y semer le doute, délégitimer la presse, fragmenter les opinions. Les réseaux sociaux, loin d’être de simples outils de mobilisation, servent aussi de caisses de résonance aux régimes qui nient la liberté. TikTok en Chine, RT en Russie, Al Jazeera au Qatar ou encore les campagnes de harcèlement idéologique sur X ou Facebook façonnent une vision du monde où tout se vaut… sauf l’Occident, toujours désigné coupable.Critiquer l’Occident est légitime, même salutaire. Le condamner en bloc, sans nuances, au profit de régimes qui bâillonnent toute dissidence, est une faute morale. C’est ici, encore, que la liberté est pensable. Ici qu’un texte peut être écrit sans permission, qu’une voix peut s’élever sans craindre la prison, la torture ou l’exil. Ici que les débats peuvent être vifs, même désordonnés, mais encore possibles. Cette ouverture, fragile mais réelle, rend possibles la réforme, l’autocritique et l’émancipation.
Défendre l’Occident, ce n’est pas nier ses fautes ni s’enfermer dans l’autosatisfaction. C’est protéger ce qui rend la justice pensable, la liberté audible et la dissidence légitime. C’est refuser de troquer une démocratie imparfaite pour un autoritarisme sans pardon. C’est, aussi, se battre pour que l’universalisme démocratique ne soit pas abandonné aux nostalgiques d’empires ou aux cyniques postmodernes.
Comme le rappelait Churchill, la démocratie est la pire forme de gouvernement… à l’exception de toutes les autres.Claude André Le signataire est enseignant en science politique et auteur.
Source: Idées | Critiquer l’Occident, oui, le liquider, non
While China imprisons, Iran tortures and Russia murders, some Western intellectuals continue to turn their rage against their own camp. By dint of demonizing liberal democracy in the name of an anti-colonialism that has become Pavlovian, we forget a simple truth: here, we can still speak freely. Elsewhere, we shut up… or we disappear.
By seeing only our faults, we forget that liberal democracy, despite its limits, remains the last reformable framework. It is not perfect, but it remains the only system that accepts to be questioned from within, that guarantees citizens the right to challenge without fear and that makes it possible to question its own.
“Hypocrisy of a double speech”, is often heard as a statement delegitimising the West. Yet many civilizations have enslaved or dominated other peoples. Human history is saturated with conquests, operating systems, imposed hierarchies. Chinese dynasties, Arab empires, African or European kingdoms have all practiced violence. The West therefore does not have a monopoly on brutality. What distinguishes it is not the absence of ignominy, but the ability to recognize and contest it. If this tradition of self-criticism collapses, it gives way to complacency, cynicism, or indifference to real struggles for freedom elsewhere in the world.
The liberal revolutions of the seventeenth and eighteenth centuries in England, the United States and France forged an unprecedented order: separation of powers, responsibility of rulers, individual rights, popular sovereignty. These principles, imperfect in their application, have nevertheless produced institutions capable of limiting abuses, of regulating arbitrariness, of giving rise to counter-powers. It is here, more than elsewhere, that slavery has been abolished, that women and minorities have won rights, that the press and academic freedoms have been able to unfold. These advances are not abstract: they have been wrested out of struggle. And when these institutions are bypassed, as was recently the case in the United States or Poland, it is the entire democratic pact that falters.
Civil society and NGOs play a crucial role. Associations, trade unions, citizens’ movements and whistleblowers are actively participating in the questioning of excesses. This vitality contrasts with the systematic repression that affects these actors in most authoritarian regimes.
Today, this framework is weakened. On the right, we dream of a restored order, where authority would prevail over debate. On the left, some militant circles denounce liberal democracy as an imposture. Criticism is necessary, but it becomes toxic when it only targets the West, sparing the current worst regimes. China, Iran or Russia are sometimes minimized, even rehabilitated, in the name of an anti-imperialism that has become Pavlovian. The refusal to name certain oppressions is already a form of complicity.
This phenomenon is not new. The intellectual history of the twentieth century bears the traces: Foucault saluting the Iranian revolution of 1979, Sartre closing his eyes to the gulags, Aragon justifying the crimes of Stalinism in the name of loyalty to the Party. Those who resisted these blindness – Camus, Aron, Koestler – were often mocked or marginalized. Time proved them right. But the temptation remains: that of believing that any enemy of the West is necessarily the bearer of a desirable future. It’s an illusion. It perverts criticism and deviates solidarity.
Even today, some reduce the West to its faults, while idealizing a supposedly purer South. But China is persecuting its minorities. India gave in to religious nationalism. Qatar represses freedom of expression. In Africa, conflicts persist, and democracy remains fragile. Turkey muzzles its journalists. Orbán’s Hungary undermines the independence of justice, despite European warnings. No continent, no regime escapes relations of domination, patriarchy or state violence. Binary oppositions — Guilty North, Innocent South — obscure real responsibilities. They don’t build anything.
Digital disinformation aggravates this scrambling. Authoritarian powers exploit the flaws of open democracies to sow doubt, delegitimize the press, and fragment opinions. Social networks, far from being simple mobilization tools, also serve as sounding boxes for regimes that deny freedom. TikTok in China, RT in Russia, Al Jazeera in Qatar or ideological harassment campaigns on X or Facebook shape a worldview where everything is worth… except the West, always called guilty.
Criticizing the West is legitimate, even salutary. Condemning him en bloc, without nuances, in favor of regimes that gag all dissent, is a moral fault. It is here, again, that freedom is thinkable. Here that a text can be written without permission, that a voice can rise without fear of prison, torture or exile. Here that the debates can be lively, even messy, but still possible. This opening, fragile but real, makes reform, self-criticism and emancipation possible.
Defending the West is not denying its faults or locking oneself in self-satisfaction. It is to protect what makes justice thinkable, audible freedom and legitimate dissent. It is to refuse to exchange an imperfect democracy for an authoritarianism without forgiveness. It is also fighting so that democratic universalism is not abandoned to the nostalgic of empires or the cynic postmoderns.
As Churchill recalled, democracy is the worst form of government… with the exception of all the others.
Claude André The signatory is a teacher of political science and author.

Letter: The Trouble With Staying Silent on Ideological Extremism
2019/04/06 Leave a comment
Omer Aziz responds to Graeme Wood’s earlier piece in The Atlantic (After Christchurch, Commentators Are Imitating Sebastian Gorka). Good debate and discussion between the two.
And yes, needs to be said, ideas, words and speech matter:
Source: Letter: The Trouble With Staying Silent on Ideological Extremism
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