Castel: La dimension géopolitique du cabinet Trudeau

Reasonable analysis:

Les observateurs s’entendent pour dire que le remaniement du Conseil des ministres fédéral par Justin Trudeau a occasionné un bouleversement majeur, l’ensemble de l’opération devant lancer un message économique. Or le plus extraordinaire, c’est de constater que le découpage de la représentativité sociale et géographique des nominations est resté quasi identique.

Nonobstant l’importance des portefeuilles, la question de la parité femmes/hommes ne se pose plus depuis 2015. Avec le remaniement de janvier 2021, on compte désormais cinq femmes parmi les dix ministres au sommet de l’ordre de préséance.

Ledit découpage fait aussi référence à la préoccupation qu’il y a, autant du côté du premier ministre que du côté des premiers intéressés, à ce que les régions se sentent adéquatement représentées. Certains choix comportent une forme de remerciement régional en même temps que des arrière-pensées électorales.

Le nombre de ministres par province est resté inchangé : l’Ontario en a 16 (41 %) ; le Québec, 11 (28 %), les provinces de l’Atlantique, 6 (15 %), la Colombie-Britannique, 4 (10 %) et les provinces des Prairies, 2 (5 %). Ces proportions, les mêmes que celles ayant suivi les élections de 2021, sont d’abord le reflet du poids démographique des provinces, mais elles sont aussi motivées par la préoccupation de solidifier les bases libérales locales dans des régions fragilisées depuis 2019 (Atlantique, Québec rural) tout en envoyant un message attractif aux régions historiquement rébarbatives, comme les Prairies ou le sud de l’Ontario rural.

La force du Parti libéral du Canada (PLC) réside dans les régions urbaines. C’est aussi sa faiblesse, puisque l’accès au gouvernement se gagne moins avec des votes qu’avec des sièges. Treize ministres proviennent de la grande région de Toronto, six de la région de Montréal et quatre de la région de Vancouver. Hormis un ministère torontois supplémentaire, le premier ministre garde le même nombre de ministres urbains, avec trois nominations pouvant être motivées par un souci de solidifier un siège menacé : Arif Virani à Toronto, Soraya Martinez Ferrada à Montréal et Jenna Sudds à Ottawa.

Suivant les élections de 2019, le PLC s’appuie sur une chaîne de quelques petits blocs ruraux et une série de zones urbaines isolées. Plusieurs ministres (Patty Hajdu, Marie-Claude Bibeau, Pascale St-Onge, François-Philippe Champagne) viennent de ces espaces stratégiques.

Depuis lors, une douzaine de francophones font partie du Conseil des ministres. Au Québec, la progression du Bloc québécois renforce l’importance de chaque poste ministériel en dehors de Montréal. Hors Québec, le jeu de chaise musicale est délicat, car chaque perte est souvent mal ressentie. C’était le cas pour Ginette Petitpas Taylor en novembre 2019 et c’est maintenant le cas pour Mona Fortier à Ottawa.

Cela dit, certains coups comptent double, car l’Ouest est représenté, depuis 2021, par Randy Boissonnault, un francophone militant d’Edmonton, et Dan Vandal, un Métis de Winnipeg, appelé au cabinet en 2019.

Sous les gouvernements Trudeau, trois Autochtones ont fait partie du Conseil des ministres. Si 10 des 18 députés autochtones ont été élus sous la bannière libérale, les élections de 2019 on fait du Nouveau Parti démocratique la force montante dans les régions boréales et nordiques ainsi que dans les régions de Winnipeg, d’Edmonton et de Vancouver, où des candidats autochtones se présentent.

La question de la diversité ethnique et religieuse est devenue incontournable, notamment à Toronto. À commencer par la vice-première ministre, on peut avancer qu’une quinzaine de ministres ont une origine ethnique autre que britannique ou française. Onze ministres (28 %) correspondent à l’un des groupes que Statistique Canada associe aux minorités visibles.

L’entrée ou la sortie de chaque personne au cabinet affecte l’ensemble d’un édifice déjà compliqué. Le premier ministre s’est sans doute rendu compte que, vu le nombre de paramètres à considérer, la seule façon de sortir de la quadrature du cercle passait par une augmentation du nombre de ministres. Ainsi les cabinets sont-ils passés de 31 à 37, puis à 39 membres, à chaque lendemain d’élections (2015, 2019, 2021). C’est le remaniement de juillet 2018 qui inaugure cette tendance, avec 35 membres.

De plus, à la fin du premier mandat de Justin Trudeau, le Québec et surtout l’Ontario ont gagné en influence, alors que les Prairies ont perdu des plumes, ce qui ne fut pas favorable aux élections de 2019. En n’allant pas chercher de ministre supplémentaire dans l’Ouest pour plutôt ajouter un ministre de Toronto, tout en faisant des changements stratégiques à Montréal et à Ottawa, le chef du Parti libéral du Canada donne l’impression qu’il pense aux prochaines élections, où il jouera défensif, pour recourir au langage sportif.

Source: La dimension géopolitique du cabinet Trudeau