Lisée: Jungle identitaire

Interesting commentary regarding the latest report by the commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, Intégration à la nation québécoise:

…En comparaison, il est beaucoup plus agréable d’être entre immigrants ou avec des anglophones, dont la composition ethnique est plus diversifiée, dont la langue est plus facile, où les accents divers sont plus acceptés, et où la pression pour s’intégrer à une culture précise n’existe tout simplement pas.

Et c’est là qu’on trouve la spécificité du cas québécois. Dans le monde entier, les ados sont rustres, et l’intégration, difficile. En Allemagne, au Chili ou au Cambodge, il n’y a pas d’autre choix que celui de l’intégration à la langue et à la culture de la société d’accueil, même lorsqu’elle accueille mal. Ici, un autre univers est à portée de main, l’anglophone.

Dubreuil nous apprend qu’une fois l’enfer du secondaire traversé, les tensions s’atténuent au cégep et à l’université. La maturité des uns et des autres y est pour quelque chose. Mais ce passage a laissé des traces. Les enfants d’immigrants connaissent le français, mais l’utilisent moins que les immigrants de première génération. On est en présence d’une acquisition, puis d’une distanciation de l’expérience québécoise, à la fois présente, mais étrangère.

Le commissaire propose, pour juguler ce phénomène, un gigantesque chantier, multiforme, d’intégration. Sa créativité force l’admiration. On voudrait partager sa détermination et son volontarisme. Peut-être y arriverons-nous, après avoir digéré la douleur générée par ses constats.

Source: Jungle identitaire

….In comparison, it is much more pleasant to be among immigrants or with Anglophones, whose ethnic composition is more diverse, whose language is easier, where diverse accents are more accepted, and where the pressure to integrate into a specific culture simply does not exist.


And this is where we find the specificity of the Quebec case. All over the world, teenagers are rude, and integration is difficult. In Germany, Chile or Cambodia, there is no choice but to integrate into the language and culture of the host society, even when it is poorly welcomed. Here, another universe is at hand, the English-speaking.


Dubreuil tells us that once the high school hell is crossed, tensions ease at CEGEP and university. The maturity of each other has something to do with it. But this passage left traces. Immigrant children know French, but use it less than first-generation immigrants. We are in the presence of an acquisition, then a distancing from the Quebec experience, both present but foreign.


The commissioner proposes, to curb this phenomenon, a gigantic, multifaceted integration project. His creativity forces admiration. We would like to share his determination and voluntarism. Maybe we will get there, after digesting the pain generated by his observations.

Lisée: La pendule du Dr Dubreuil

Quebec’s language commissioner on demographic trends, on setting a target of 85 percent for economic immigrants:

C’est bien de vouloir remettre les pendules à l’heure. Mais encore faut-il avoir une pendule. Encore faut-il savoir l’heure. Dans la discussion sur le déclin du français — ou, comme certains le prétendent, son « déclin présumé » —, ce ne sont pas les données qui manquent. Dans cette chronique comme ailleurs, on est davantage dans le trop-plein que dans la disette.

Mercredi, à l’Assemblée nationale, le nouveau commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, nous a rendu un service collectif majeur en offrant une balise claire permettant de déterminer si on va, ou non, dans la bonne direction. Pour sa première intervention publique, il donnait son avis sur les augmentations proposées des seuils d’immigration. Pour rappel : la Coalition avenir Québec (CAQ) a fait il y a un an à peine sa campagne en promettant de s’en tenir à 50 000 par an. Aller plus loin serait, a dit le premier ministre, « un peu suicidaire ». Fidèle à sa pratique de rompre ses promesses, il envisage maintenant de les hausser à 60 000, et en fait à 70 000 s’il compte à part une des nombreuses filières d’accès à la résidence permanente.

Dubreuil n’était pas venu pour taper sur les doigts de la CAQ, ce n’est pas son rôle. Il était venu lui dire comment atteindre l’objectif affiché de « renverser le déclin du français ». La décision de n’admettre que les immigrants économiques qui connaissent le français au point d’entrée, écrit-il dans son mémoire, est « susceptible d’accroître, de façon importante, l’utilisation du français par les personnes immigrantes ». Mais jusqu’à quel point ? Et quelle est la mesure du succès ?

Pour la première fois dans l’histoire des politiques linguistiques, il en fixe une : 85 %. C’est, une fois qu’on exclut les langues tierces et qu’on répartit les gens qui affirment être linguistiquement non binaires (donc anglos et francos également), la répartition des Québécois qui travaillent principalement en français et qui utilisent principalement la langue de Vigneault dans l’espace public. Si les futurs immigrants se répartissent linguistiquement ainsi, il n’y aura pas de déclin, affirme-t-il, mais stabilisation. Sinon, le déclin se poursuivra.

« Nous ne pouvons pas négliger les effets cumulatifs de cet écart, écrit-il. Si les 793 915 personnes immigrantes et les 148 075 résidents non permanents (RNP) qui occupaient un emploi au Québec en 2021 avaient opté pour le français au travail dans la même proportion que la population d’accueil (84,4 %), ce sont 234 243 personnes de plus qui y auraient utilisé le français le plus souvent au travail. Ce nombre représente 5 % de l’ensemble de la main-d’oeuvre du Québec. » L’impact serait « concentré dans la région métropolitaine de Montréal : le français y serait utilisé le plus souvent par 78 % des travailleurs, au lieu de 69 % ».

Le hic ? Les calculs de Dubreuil sur les scénarios proposés à 50 000 ou 60 000 par an n’atteignent pas sa note de passage de 85 %. Elles sont, au mieux, à 79 %. Donc elles ralentissent la rapidité du déclin, sans l’arrêter.

Mais la réalité linguistique est complexe, et qui sait si les autres mesures adoptées et à venir n’auront pas un impact à la hausse ? Placide, Dubreuil accepte cette part d’incertitude. Et comme il n’a pas le mandat de déterminer si une hausse des seuils sera délétère pour le logement, les places en garderie ou l’hôpital, mais seulement sur le français, il propose de s’appuyer sur les faits. Qu’on fixe d’abord le seuil à 50 000 et qu’on mesure chaque année, chez les nouveaux venus, si le critère de 85 % est atteint ou presque. Si oui, qu’on passe à 60 000 si on le souhaite. Sinon, on fait une pause et on s’interroge sur les boulons qu’il faut resserrer pour la suite.

La ministre semblait agréablement surprise par le mécanisme proposé (comme moi). Mais est-ce bien suffisant ? Il y avait autour de la table de la commission un véritable croisé du français, estomaqué que rien ne soit dit sur l’éléphant dans la pièce : les 370 000 temporaires dont l’utilisation du français est encore bien moindre que celle des permanents. « Si notre intérêt est la promotion du français, qui est en déclin, on fait fausse route parce que le troisième scénario est absent, à savoir les travailleurs temporaires. » Ce député, un libéral né au Maroc, est Monsef Derraji. Je lui accorde le titre de défenseur du français de la semaine.

Dubreuil a appelé en effet à une « approche cohérente » incluant les travailleurs et, a-t-il précisé, les étudiants temporaires, mais puisque la ministre nous annonce pour bientôt de nouvelles mesures sur le sujet, j’ai décodé qu’il attendait de les voir avant de se prononcer sur leur efficacité.

En vérité, l’excellente première performance de Dubreuil ne m’a pas étonné. Son CV était atterri sur mon bureau en 2002, alors que je cherchais quelqu’un qui connaissait bien l’allemand. Le CV de Dubreuil m’informait que son allemand était excellent, comme son anglais, son néerlandais et son russe. Il était désolé de m’informer qu’il ne pouvait que lire, mais ni parler ni écrire, le danois et le suédois (il ne s’est intéressé que par la suite au portugais, à l’espagnol, à l’italien et au roumain). Pour Les Politiques sociales, qui devint pour une décennie la référence francophone sur le sujet, Dubreuil produisait par pays des synthèses d’une qualité telle qu’on les retrouvait ensuite, en ligne, telles quelles, dans les textes de cours de profs d’université.

Il terminait son doctorat en philosophie politique sous la direction de Jean-Marc Ferry (il est donc « docteur ») et, de l’autre main, faisait publier dans des revues savantes des textes de pointe sur l’anthropologie des langues. J’ai rencontré beaucoup de gens intelligents dans ma vie, mais très peu du niveau de Benoît. J’en ai rencontré encore moins qui conjuguent ce savoir avec un pragmatisme créatif et une totale absence de suffisance.

À l’écouter présenter son rapport, je retrouvais l’homme posé, presque humble, vous expliquant sans aucun effet de toge que le patient malade — le français — requiert un traitement vigoureux, que ses signes vitaux doivent être annuellement vérifiés et que son rétablissement ne sera complet que si sa pression artérielle francophone atteint, ou dépasse, 85 %. Merci, docteur.

Source: La pendule du Dr Dubreuil