Idées | Il est temps de parler d’immigration autrement

Critique regarding the impact on immigrant sending societies:

Avec une couverture médiatique croissante, l’immigration se trouve au centre des préoccupations de la société canadienne et québécoise. Des débats sur son acceptabilité sociale à son effet sur le développement et l’épanouissement du Québec, le discours a évolué vers des inquiétudes quant à la capacité d’accueil et d’intégration des personnes immigrantes. L’immigration serait-elle devenue un problème ? Récemment, les défis liés au logement ont cristallisé ces préoccupations, qui alimentent les discours sur les capacités d’accueil des personnes immigrantes, les seuils et le recrutement des étudiants étrangers.

Deux facteurs principaux expliquent ce changement dans le ton du discours.

Tout d’abord, les événements survenus au chemin Roxham à partir de 2017, notamment la fermeture de ce passage frontalier le 25 mars 2023, ont marqué un tournant dans la perception de l’immigration. Cette décision visait à modifier les propos entourant l’immigration, jugée trop négative par les gouvernements aux prises avec l’arrivée irrégulière de migrants. Le gouvernement du Québec considérait le passage à Roxham comme un fardeau, une situation indésirable qui risquait de compromettre son image et d’accentuer les tensions frontalières, notamment en lien avec la capacité à accueillir les demandeurs d’asile au Québec, surtout à Montréal. 

Il était nécessaire de dissocier le Québec de cette problématique frontalière en mettant en avant sa vision de société d’immigration, fondée sur l’intégrité de son système d’immigration, la sélection des immigrants désirables et la contribution des immigrants à la croissance économique de la province. Dans les semaines suivant la fermeture du chemin Roxham, les médias ont réintroduit le concept du « bon migrant », mettant en lumière les travailleurs qualifiés capables de pallier la pénurie de main-d’oeuvre et les étudiants étrangers susceptibles de devenir résidents permanents.

Ensuite, l’immigration de travailleurs temporaires est devenue un enjeu majeur pour le développement économique de toutes les régions du Québec. Malgré une politique gouvernementale visant à limiter le nombre d’immigrants à 50 000 résidents permanents sous le mandat de François Legault, le Québec a connu une augmentation significative de l’immigration temporaire — travailleurs, étudiants étrangers et demandeurs d’asile. Cette hausse, illustrée par une augmentation de 46 % du nombre de migrants temporaires en une année, de 2022 à 2023, selon Statistique Canada, répond à une demande croissante du secteur économique en matière de recrutement. 

Cette évolution souligne l’importance de repenser le discours sur l’immigration. Dans son discours, le gouvernement provincial a toujours rappelé que l’immigration ne devait pas venir déséquilibrer certains fondements de la réalité québécoise, notamment la préservation de la langue française et la place du Québec au Canada.

Hospitalité et façon d’habiter le territoire

Comment parler d’immigration autrement ? Premièrement, en répondant au discours de la peur qui provoque une régression identitaire à un niveau mondial, comme on peut le voir relativement aux frontières, mais également dans notre quotidien. On devient méfiant. On craint la personne qui ne nous ressemble pas. On agit différemment sur le plan de notre identité en excluant l’autre. 

Deuxièmement, il est nécessaire de présenter une autre option s’inspirant de ce que le philosophe français Étienne Tassin nomme « une utopie concrète », qui ouvre la voie à une réflexion novatrice sur la manière d’être hospitalier au monde. Il y a une actualité de l’accueil aujourd’hui qui demande de nouvelles idées, de nouvelles actions concrètes. 

Dans un très bel ouvrage, l’historienne Michèle Riot-Sarcey présente trois caractéristiques d’une sensibilité utopique. D’abord, il est important de faire émerger une critique radicale de son temps et de renouer avec une écriture de l’espoir. Il me semble que cela est essentiel. Il faut remettre en question le discours dominant de l’immigration, de la réalité de l’immigration, de la manière dont le système fonctionne, ce qui veut dire articuler une pensée critique des politiques d’immigration de nos sociétés. Ensuite, il faut reconnaître les expériences concrètes et humaines et ne pas rester dans l’abstraction, dans une approche gestionnaire déconnectée de la réalité. Enfin, il faut se donner la possibilité de penser un monde de la migration autre que celui de l’État et de la souveraineté nationale.

Malheureusement, il est frappant de constater à quel point nos gouvernements préfèrent adopter un discours utilitariste du besoin d’immigrants. Par exemple, on discute sans cesse de ce qu’apporte l’immigration au développement de la société québécoise, mais pas de ce que cette émigration provoque sur les sociétés de départ. 

L’émigration s’est inscrite dans un besoin de départ pour des populations en survie économique, mais aujourd’hui, ce qui domine est une logique carrément prédatrice dans la stratégie de recrutement de main-d’oeuvre des pays du Nord à l’égard des bassins du Sud. Qu’en est-il de la justice migrante lorsque des États siphonnent les infirmières et autres professions en pénurie ? Le territoire québécois se doit d’être plus qu’un réservoir de main-d’oeuvre immigrante. Montréal ainsi que les régions ne doivent pas être qu’un simple réservoir de main-d’oeuvre immigrante.

Source: Idées | Il est temps de parler d’immigration autrement