Le recrutement du Québec à l’étranger est vu d’un œil critique par des pays sources

No better nor worse than others, but with real implications for source countries:

Le Québec pige dans les forces vives des pays étrangers, y compris dans des secteurs névralgiques comme la santé, et le plus souvent sans invitation officielle. Les ambassadeurs du Maroc et du Bénin ainsi qu’un recruteur à l’étranger souhaitent envoyer un signal au gouvernement québécois.

Tous reconnaissent que l’exode des cerveaux, un phénomène aussi connu sous le terme de brain drain en anglais, existe depuis longtemps. À une différence près : ce sont aujourd’hui des gouvernements qui font directement du recrutement, comme celui du Québec, sans toujours en demander l’autorisation ou offrir une contrepartie.

« Du côté des gouvernements qui recherchent cette main-d’oeuvre, ces compétences, il devrait y avoir une certaine retenue et une réflexion », affirme l’ambassadrice du Maroc au Canada, Souriya Otmani.

Après le terrible tremblement de terre qui a frappé le Maroc en septembre dernier, les médias locaux ont rapporté que les hôpitaux manquaient de personnel, une pénurie déjà aiguë et aggravée par une saignée des professionnels encouragée par des pays recruteurs.

Trois jours plus tard, une page officielle du gouvernement du Québec annonçait sans gêne une séance d’information pour ceux souhaitant immigrer dans la province, avec à la clé des emplois dans le secteur de la santé.

Le peu de ressources humaines « dont nous avons un besoin impérieux » est « pompé de manière un peu cynique par des partenaires qui sont déjà beaucoup plus développés », indique quant à lui l’ambassadeur de la République du Bénin au Canada et aux États-Unis, Jean-Claude do Rego.

La santé et l’éducation sont des domaines de préoccupation pour les deux officiels, alors que d’autres professions techniques les inquiètent moins. « Oui, il y a certaines catégories professionnelles où il y a un surplus, et le Maroc cherche à assurer des débouchés, y compris à l’étranger », explique la diplomate marocaine.

Il existe pour ces domaines des canaux officiels de recrutement « tout à fait légaux », comme l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC) au Maroc. Cette agence nationale prend cependant garde de ne pas promouvoir l’exode dans « des secteurs très sensibles », comme la santé, avance Mme Otmani. Elle tient à préciser qu’elle ne donne que son point de vue, tout en admettant que le sujet est régulièrement abordé dans plusieurs arènes politiques et économiques au pays.

L’exode des infirmières, des aides-soignantes, des médecins ou des préposés est une « perte sèche pour un pays en plein développement comme le nôtre, qui a besoin de toutes ses ressources humaines qualifiées », ajoute-t-elle.

Des pays en situation critique

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie depuis 2020 une liste rouge des pays dont les systèmes de santé sont les plus vulnérables, afin d’alerter les pays recruteurs.

Québec recrute directement des personnes au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Togo et au Sénégal, des pays qui figurent sur la Liste de soutien et de sauvegarde du personnel de la santé. À défaut de pouvoir l’interdire, l’OMS demande aux gouvernements recruteurs d’adhérer à un certain code de conduite et de passer des ententes avec les bassins de travailleurs.

L’ambassadeur do Rego ne vise pas expressément les efforts du Québec dans son pays d’origine, mais il croit que la province est bien positionnée pour « trouver de meilleures modalités » afin que ce type d’échange « puisse rester compatible avec les besoins de développement de la société qui laisse partir ses talents », expose-t-il.

Ce pays d’Afrique de l’Ouest finance l’éducation publique, y compris des formations postsecondaires. Or, comme l’indignation autour des médecins québécois qui vont pratiquer ailleurs, cette « équation économique nationale est négative », indique quant à lui Yves Legault, vice-président exécutif ISA Immigration et Recrutement.

« Le discours politique est : “Pas de problème, on va aller chercher des infirmières à l’étranger.” Mais on n’a pas payé pour leur éducation et il n’y a aucun mécanisme de retour. Il y a une iniquité flagrante dans ce modèle migratoire », martèle M. Legault, qui est également consul honoraire du Bénin à Toronto.

Solutions

Bien sûr, pas question d’empêcher la mobilité internationale, disent-ils tous. « Mais comment peut-on rendre moins pénibles les tensions » sur un système déjà fragilisé ? demande M. do Rego.

Les gens formulent eux-mêmes le désir d’aller vivre à l’étranger, reconnaît Yves Legault, dans la « recherche d’une vie meilleure pour eux, mais surtout pour leurs enfants ». Si toutefois les conditions étaient réunies dans leur pays d’origine, « ils n’auraient pas à s’expatrier ». Le défi est donc d’aider à « construire des opportunités » dans leur pays d’origine, à l’heure où les pays occidentaux montrent un certain désintérêt pour la coopération internationale.

« Je ne suis pas manichéen. Je comprends les raisons fondamentales pour lesquelles certains pays trouvent cette solution à leurs problèmes », affirme l’ambassadeur du Bénin, qui invite à « trouver une solution de compromis ».

Il évoque notamment la volonté de son gouvernement depuis plusieurs années d’obtenir un plus grand nombre de places à coût réduit dans le système éducatif au Québec. Les étrangers paient en effet des droits de scolarité beaucoup plus élevés que les citoyens ou les résidents permanents, mais des bourses pour en être exonérés existent. « Nous ne bénéficions que d’un quota de dix bourses, alors que nous avons 50 fois plus de demandes », illustre-t-il.

La réflexion est aussi déjà lancée au Maroc et au Bénin pour trouver des incitatifs à rester là-bas, en améliorant les conditions salariales.

Elle donne l’exemple d’une entente avec l’Allemagne, qui prévoit une formation pour les travailleurs marocains et un retour éventuel dans leur pays d’origine. « Personne ne va les obliger [à rentrer dans leur pays], mais on insiste dès le recrutement sur le fait que c’est une condition de départ, de manière que le Maroc bénéficie de cette formation aussi. »

Source: Le recrutement du Québec à l’étranger est vu d’un œil critique par des pays sources