Entre réussite et intégration, un Québec fou de tous ses enfants

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…Mon premier contrat dans mon champ — l’histoire et la géographie — était dans une grande école secondaire du quartier défavorisé Côte-des-Neiges. J’ai partagé certaines appréhensions concernant le secteur avec des collègues, et ils m’ont tous répondu une variation de la formule suivante : Côte-des-Neiges, c’est un secret bien gardé.

Les défis linguistiques y sont importants, mais la population scolaire y est réceptive, les jeunes souvent polis et travaillants. C’était il y a dix ans. J’avais plus de deux cents élèves et une seule qui n’était pas issue de l’immigration.

Cette école n’avait rien d’un « ghetto » : on y retrouvait plus de soixante nationalités représentées. Dans les corridors, on entendait l’anglais, l’espagnol, l’arabe ou le tagalog. La valorisation du français était au cœur du projet éducatif.

Les élèves s’exprimaient aussi entre eux dans la langue de Molière, la seule qu’ils avaient tous en commun. Un français certes teinté d’accents de banlieues françaises ou de franglais. Une langue qui ne les avait pas préparés à comprendre L’erreur boréale, que j’ai dû traduire, mimer et rembobiner lors du chapitre sur le territoire forestier.

L’équipe d’accueil et de francisation comptait sur des enseignants intimement qualifiés : pour plusieurs, le français avait aussi été une langue étrangère. Grâce à leur formation et leur expérience, ces enseignants savaient que l’apprentissage d’une langue s’effectue en complémentarité et non en concurrence avec les autres langues connues.

Plusieurs recherches montrent que des pédagogies plurilingues, mobilisant les autres langues des élèves, soutiennent efficacement l’apprentissage du français. En plus de leurs effets positifs sur le plan cognitif, ces pratiques renforcent le lien maître-élève.

Or, comme l’ont souligné plusieurs chercheuses en commission parlementaire, certains articles du projet de loi 94 visant notamment à renforcer la laïcité risquent de compromettre ces interactions dans la langue maternelle de l’élève.

Les pratiques d’accueil

La francisation des élèves ne se limite pas aux classes d’accueil. Il existe les services intensifs d’accueil et de soutien à l’apprentissage du français (SASAF), qui incluent un soutien quotidien en classe ordinaire et les classes d’accueil.

Les services de soutien linguistique d’appoint en francisation (SLAF) s’adressent quant à eux aux élèves intégrés en classe ordinaire dont l’acquisition du français est bien amorcée.

Les critères de classement et les choix de services varient d’un centre de services scolaire à l’autre. Notons que le MEQ n’a fixé aucun nombre minimal d’heures hebdomadaires de SLAF à offrir. L’accès aux services professionnels, comme l’orthopédagogie ou la psychoéducation, peut aussi être limité lorsqu’une direction considère que la classe d’accueil constitue le service de soutien.

Certaines directions imposent aux enseignants d’attendre que l’élève soit francisé avant de soumettre une demande de services complémentaires. Certaines disent vouloir éviter la suridentification. N’en demeure qu’avec la hausse du nombre d’élèves ayant un parcours scolaire interrompu, des retards importants ou des parcours migratoires difficiles, ce retard d’accès pèse lourd à la fois sur les élèves et sur le personnel.

Selon le MEQ, alors qu’il y a deux fois plus d’élèves en classe d’accueil qu’il y a dix ans, on en compte trois fois plus en classe ordinaire bénéficiant d’un soutien d’appoint sans qu’aucune norme minimale ne soit établie à cet effet. Les critères de classement demeurent souvent opaques ; le service d’appoint est-il réellement suffisant pour ces élèves ? Plus d’uniformité et de transparence sont nécessaires.

Qui sont les élèves issus de l’immigration ?

À la parution, en 2015, de l’ouvrage de Marie Mc Andrew et du groupe de recherche Immigration, équité et scolarisation (GRIES), La réussite éducative des élèves issus de l’immigration, ceux-ci représentaient 26 % de la population scolaire. Dix ans plus tard, ce chiffre est passé à 36 %.

Tous n’ont pas besoin de services de francisation. C’est notamment le cas de plusieurs élèves dits de deuxième génération, les plus nombreux (22 % de ces 36 %), dont le recours aux SASAF est resté stable depuis dix ans, voire a légèrement diminué. Un élève de deuxième génération est un élève né ici dont au moins un parent est né à l’extérieur du Québec. Fait marquant, le nombre d’élèves immigrants dont la langue maternelle est le français est en hausse — ils composent près de la moitié du groupe en 2025 (43 % contre 37 % en 2015). Les groupes de langue arabe, anglaise ou espagnole sont, eux, restés stables.

Les élèves issus de l’immigration fréquentent davantage l’école privée au secondaire que les non-immigrants (24,5 % contre 20,5 %), une donnée influencée par la forte présence des élèves de deuxième génération dans le réseau privé. Toutefois, le rôle du privé dans l’accueil et la francisation des élèves de première génération tend à diminuer.

Citoyenneté québécoise

Comment évalue-t-on l’intégration d’une personne à sa société d’accueil ? Lorsque cette question est soulevée, les critères objectifs sont parfois maigres. Pour les élèves québécois, deux indicateurs pourraient toutefois nous servir de repères : la réussite scolaire et le choix de la langue d’enseignement au postsecondaire.

Selon l’Observatoire des inégalités, en 2016, le taux de diplomation des élèves de deuxième génération était de 88 %, alors qu’il était de 83 % pour les élèves non issus de l’immigration. Quant aux élèves de première génération ayant immigré dès le primaire, leur taux de réussite est passé de 75 % à 84 % entre 2008 et 2016.

Bien que les défis soient nombreux, plusieurs facteurs propres à la population immigrante expliqueraient cette réussite, dont l’approche scolaire parentale. En 2015, le GRIES notait que le caractère sélectif des politiques d’immigration québécoises, visant un objectif d’établissement permanent, contribuait à la stabilité des familles, à la légitimité de la présence des immigrants, ce qui favorisait la réussite.

Après leur passage en système scolaire francophone, comme le veut la loi 101, 50 % des inscrits allophones au collégial choisissaient les études en français en 2007. Cela passait à 66 % en 2021, selon l’OQLF. Sur cette même période, le choix des jeunes francophones pour le collégial en français est lui passé de 95 % à 93 %. Considérant ce facteur, l’intégration des jeunes allophones à la société québécoise tend à s’améliorer.

Afin d’accentuer l’adhésion à la culture francophone, dans un rapport bien documenté sur les dynamiques linguistiques du monde scolaire, le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, proposait notamment des mesures comme le développement de programmes de jumelages entre écoles de différentes régions du Québec, approche souvent mise de côté au profit d’expériences internationales.

Les élèves issus de l’immigration créent-ils « une pression énorme sur nos écoles » ? Les politiques d’immigration, nommément celles d’immigration temporaire, ont accentué leur nombre, surtout depuis 2022.

Reste que leur présence à la hausse s’inscrit de façon prévisible depuis plusieurs années, que ces élèves sont aussi globalement résilients, engagés dans leurs études, en preuve leur taux de réussite, qu’ils sont de plus en plus francophones et qu’ils sont aussi de plus en plus nombreux à choisir le français pour la suite de leur parcours scolaire.

Investir ambitieusement dans l’accueil et la francisation des élèves est incontournable pour la nation québécoise et ce n’est pas uniquement une question d’argent : c’est aussi reconnaître l’effet d’émulation positive qu’ont plusieurs de ses élèves sur l’ensemble du système, laisser les professionnels utiliser les meilleures pratiques, comme les références à la langue et à la culture maternelles, sans y voir de menace à la société d’accueil ou favoriser des démarches peu systématisées, comme le jumelage interrégional.

Mon passage en milieu pluriethnique m’a notamment appris que l’amour de la langue ne peut se développer qu’au travers du respect et de l’affection qu’on porte à ceux qui la parlent.

Source: Entre réussite et intégration, un Québec fou de tous ses enfants